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28 MARS 2011
Le secteur de l'accueil des demandeurs d'asile est aujourd'hui confronté à une crise sans précédent en Belgique.
Par rapport à 2008, la Belgique a enregistré une augmentation de 35 % de demandes d'asile. La France n'enregistre de son côté qu'une augmentation de 13 %, qui peut s'expliquer par les différentes réformes en la matière. La situation particulière de la Belgique est également illustrée par les chiffres du premier trimestre 2010 publiés par Eurostat: par rapport à la même période en 2009, les demandes d'asile diminuent dans la majorité des États membres de l'Union européenne (UE) sauf dans quelques-uns dont la Belgique. Notre pays a connu une augmentation de plus de 30 %, alors que d'autres États membres connaissent une diminution pouvant aller jusqu'à 40 % par rapport à la même période en 2009.
En 2006, le nombre de demandes d'asile, en ce compris les demandes multiples, était de 11 587. Il est déjà, en novembre 2010, sans compter le mois de décembre, à 17 841.
Le nombre de premières demandes d'asile, passe quant à lui de 9 400 en 2006 à 14 856 en 2010 (source: site Internet de Fédasil).
Le nombre de demandes d'asile issus de pays membres de l'Union européenne, ou de pays candidats ou futurs candidats à l'Union européenne, ou de pays non-membres de l'UE mais lié par des accords à l'Espace Schengen, est en 2010 (sans le mois de décembre) de 4 549 (source: statistiques d'asile 2010 disponibles sur le site Internet du CGRA) !
Le budget de Fedasil est passé de 242 900 000 euros (2008) à 327 000 000 euros (2010). Ce n'est pas rien.
En novembre 2010, 2 526 personnes, soit plus ou moins 150 personnes par jour, ont sollicité une place d'accueil au dispatching de Fédasil !
Si la tendance se poursuit, le ministre de l'Intégration a déclaré que les projections du nombre de personnes à accueillir sont de l'ordre de 21 301 pour fin décembre 2010 (1 304 de plus que celles accueillies effectivement aujourd'hui). Cette projection pourrait même atteindre 24 492 personnes à accueillir pour fin décembre 2010 si la moitié des personnes qui n'ont pas reçu d'accueil jusqu'à présent se représentaient. Cette projection atteindrait 27 367 si toutes ces personnes se présentaient.
Malgré les 20 200 places d'accueils disponibles, le réseau d'accueil belge est néanmoins saturé.
L'État est déjà actuellement obligé de recourir à des chambres d'hôtel pour pallier à cette pénurie de places d'accueil. En novembre 2010, 1 200 personnes résidaient dans des hôtels (source: chiffres Fedasil). Un accompagnement psycho-médico-social est organisé par la Croix rouge. Les personnes hébergées dans les hôtels y résident en moyenne depuis 4 mois. La moitié d'entre elles y vivent depuis plus de 4 mois et 28 % depuis plus de 6 mois.
Fedasil a en outre dû payer la somme de 309 500 euros pour 77 personnes à titre d'astreintes à défaut de places disponibles. Il faut y ajouter les sommes que Fedasil a été condamnée à payer et qui sont soit en cours de paiement soit en cours de contestation, soit non encore réclamées par les avocats. Ce montant est estimé à 230 000 euros. Pour rappel, la condamnation de l'État belge à fournir un lieu d'accueil aux demandeurs d'asile sous peine d'astreinte journalière atteint 250 à 500 euros par personne et par jour de retard ! Il est à noter que depuis cet été, le nombre de contentieux et de requêtes unilatérales a connu une augmentation considérable.
Les carences de l'État qui aboutissent à la mise à disposition de chambres d'hôtel à l'attention des demandeurs d'asile, ainsi que le paiement d'astreintes élevées suscitent dans le chef de la population un sentiment d'incompréhension et parfois de révolte. Non seulement dans le chef de personnes en difficulté financière ou disposant d'une faible pension, et même dans le chef de l'ensemble des contribuables qui contestent cette mauvaise gestion publique.
Par ailleurs, le personnel du secteur de l'accueil est soumis à de multiples pressions et exposé à un réel découragement face à la charge de travail.
L'on ne peut rester sans réaction face à cette situation. Aucune piste de solution ne doit être écartée. L'une d'elles est d'ôter la possibilité pour les ressortissants européens d'introduire en Belgique une demande d'asile.
Les raisons qui justifient cette option sont les suivantes.
Chaque pays de l'Union dispose de législations et d'outils juridiques permettant de garantir à ses ressortissants le respect de leurs droits fondamentaux. L'article 6, paragraphe 1er, du Traité de l'Union européenne (TUE) dresse la liste des principes communs aux États membres: liberté, démocratie, respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que de l'État de droit. Cette liste place la personne au centre de la construction européenne. Toute personne peut s'y reconnaître quelle que soit son origine nationale ou socioculturelle. Le respect de ces principes communs est une condition d'appartenance à l'Union.
En outre, les pays de l'Union sont liés par la Convention Européenne des Droits de l'Homme et sont donc dans l'obligation de respecter les droits fondamentaux qu'elle consacre. L'Union européenne, elle même, adhère, en tant qu'institution, à cette convention (article 6 point 1 TUE).
La Cour européenne de justice veille au respect du droit européen. La Cour européenne des droits de l'homme, quant à elle, permet à tout État contractant (requête étatique) ou tout particulier s'estimant victime d'une violation de la Convention (requête individuelle) de s'adresser directement à elle par une requête alléguant une violation par un État contractant de l'un des droits garantis par la Convention.
Ces deux outils juridiques constituent des outils assurant la protection des citoyens de l'Union.
L'Union dispose également d'un mécanisme de suspension de certains droits en cas de violation grave et persistante par un État membre d'un des principes communs détaillés plus haut. Le Traité d'Amsterdam envisage l'hypothèse d'une violation de ces principes par un État membre et prévoit la démarche que l'Union doit suivre à l'égard de l'État concerné.
Dans ce cadre, les articles 7 TUE (introduit par le traité d'Amsterdam puis modifié à Nice) et 309 TCE (Traité instituant la Communauté européenne) donnent aux institutions les moyens de garantir le respect des valeurs communes par chaque État membre. Sur proposition de la Commission ou d'un tiers des États membres, le Conseil, réuni au niveau des chefs d'État ou de gouvernement, constate l'existence d'une violation qui doit être « grave et persistante ». Le gouvernement de l'État membre concerné est invité à exposer son point de vue en la matière.
Suite à la constatation de cette violation grave et persistante, le Conseil peut suspendre certains des droits qui découlent du traité pour l'État membre en question. L'on pense, par exemple, à l'interdiction de vote du représentant de l'État membre visé au sein du Conseil. En revanche, les obligations incombant à cet État membre demeurent inchangées et donc contraignantes. Lors de cette deuxième étape, le Conseil statue à la majorité qualifiée sans tenir compte des voix de l'État membre concerné.
Si une évolution positive de la situation ayant conduit à la suspension d'un État membre est constatée, le Conseil peut décider d'annuler ou de modifier les mesures de suspension en vigueur. Pour ce faire, le Conseil statue à la majorité qualifiée sans tenir compte des voix de l'État membre concerné.
Contrairement au Traité d'Amsterdam, qui prévoyait une possibilité d'intervention de l'Union seulement a posteriori, en cas de violation grave et persistante des valeurs communes, le traité de Nice a prévu à l'article 7 TUE un mécanisme préventif en cas de risque clair de violation grave, rendant ainsi beaucoup plus opérationnels les moyens dont l'Union disposait déjà.
Tous les citoyens européens bénéficient donc d'une part d'une protection nationale de leurs droits fondamentaux, à laquelle s'ajoute une protection européenne.
Nous considérons dès lors que la Belgique ne peut leur offrir davantage que leur statut de protection actuel.
Cette protection maximale rend incompréhensible la position unique de la Belgique au sein de l'Union européenne. Elle est en effet la seule à avoir fait une déclaration en application du Protocole sur le droit d'asile pour les ressortissants des États membres de l'Union européenne introduit par le Traité d'Amsterdam, par laquelle la Belgique s'est engagée, conformément à ses obligations au titre de la convention de Genève de 1951 et du protocole de New York de 1967, à effectuer un examen individuel de toute demande d'asile présentée par un ressortissant d'un autre État membre.
Cette déclaration implique donc que la Belgique est le seul pays de l'Union européenne à examiner les demandes d'asile provenant de ressortissants d'un autre État membre !
En outre, aucun ressortissant européen n'a obtenu, en 2010, le statut de réfugié. Aucune de ces demandes n'aboutit ! Ce résultat prouve bien l'inutilité de la Déclaration.
Il est temps de mettre fin à cette situation.
Gérard DEPREZ François BELLOT. |
Le Sénat,
A. attendu que la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne du 7 décembre 2000, telle qu'adaptée le 12 décembre 2007 à Strasbourg, laquelle a la même valeur juridique que les traités, a été introduite dans le Traité de Lisbonne; qu'elle bénéficie de ce fait à tous les citoyens européens (article 6, point 1, du TUE);
B. attendu que, conformément aux dispositions de l'article 6, point 2, du Traité sur l'Union européenne, l'Union adhère, en tant qu'institution, aux droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, en tant que principes généraux du droit communautaire;
C. attendu que la Cour de justice des Communautés européennes est compétente pour assurer que, dans l'interprétation et l'application de l'article 6, paragraphe 2, du Traité sur l'Union européenne, le droit est respecté par la Communauté européenne;
D. attendu que l'article 309 du traité instituant la Communauté européenne (TCE) et l'article 7 du Traité sur l'Union européenne (TUE) prévoient des procédures en cas de violation par un État membre des principes de liberté, de démocratie, du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que de l'État de droit, principes communs à tous les États membres; que cette procédure crée un mécanisme de suspension de certains droits en cas de violation grave et persistante de ces principes par un État membre;
E. attendu que les citoyens européens disposent en outre d'une protection nationale en ce qui concerne le respect de leurs droits fondamentaux;
F. attendu que la Belgique est le seul pays de l'Union européenne à avoir fait en 1997 une déclaration au Protocole sur le droit d'asile pour les ressortissants des États membres de l'Union européenne introduit par le Traité d'Amsterdam modifiant le traité sur l'Union européenne; attendu que par cette déclaration la Belgique s'est engagée à examiner les demandes d'asile de ressortissants européens;
G. attendu que le gouvernement belge doit lutter contre l'attractivité de la Belgique comme pays de destination des demandeurs d'asile;
H. attendu que le nombre de demandes d'asile introduites en Belgique est en croissance constante et plus forte proportionnellement que dans les autres pays de l'Union européenne;
I. attendu que l'on constate qu'aucun ressortissant européen n'a, ces dernières années, obtenu le statut de réfugié, et que ce résultat prouve bien l'inutilité de la Déclaration;
J. attendu que ces personnes, en attendant que l'on statue sur leur demande, occupent des places dans les structures d'accueil, et en privent des personnes victimes de réelles persécutions dans leur pays d'origine;
K. attendu que la Belgique est État partie à la Convention de Genève et se doit d'accueillir dignement les personnes qui sont réellement persécutées dans leur pays d'origine;
L. attendu que l'asile en tant qu'institution ne doit pas être utilisé à des fins autres que celles auxquelles il est destiné; attendu que la politique d'asile découle de conventions internationales, l'asile constituant à ce titre une opportunité dont dispose toute personnes qui craint avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, et qui ne peut ou ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou y retourner en raison de ladite crainte;
M. attendu que, en vertu de l'article 2 du TUE, l'Union européenne est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l'État de droit, ainsi que de respect des droits de l'homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l'égalité entre les femmes et les hommes;
N. attendu que, vu le niveau de protection élevé, développé ci-dessus, des droits fondamentaux et des libertés fondamentales dans les États membres de l'Union européenne, ceux-ci sont considérés comme constituant des pays d'origine sûrs les uns vis-à-vis des autres pour toutes les questions juridiques et pratiques liées aux affaires d'asile;
O. attendu que, conformément à l'article 49 du traité sur l'Union européenne, tout État européen qui respecte les valeurs visées à l'article 2 du TUE et s'engage à les promouvoir peut demander à devenir membre de l'Union européenne;
P. attendu que le réseau d'accueil belge est saturé, et que l'État est obligé de recourir à des chambres d'hôtel pour pallier au manque de places;
Q. attendu que Fedasil est condamné à de lourdes peines sous forme d'astreintes pour défaut de places disponibles, que ces astreintes atteignent des montants exorbitants à charge de l'État;
R. attendu que ces choix politiques suscitent dans le chef de la population un sentiment d'incompréhension et parfois de révolte dans le chef de personnes en difficulté financière ou avec une faible pension, et dans le chef de l'ensemble des contribuables qui contestent cette mauvaise gestion publique;
S. attendu que, soumis à de multiples pressions et exposé à un découragement de ses travailleurs, le secteur de l'accueil des demandeurs d'asile est aujourd'hui confronté à une crise sans précédent;
T. attendu que les circonstances et les conditions de l'accueil ont changé fondamentalement depuis la déclaration faite par la Belgique en 1997 et que ce changement fondamental justifie le retrait de la déclaration de la Belgique,
Invite le gouvernement à informer sans délai la Commission de son intention de retirer la Déclaration faite par la Belgique en application du Protocole sur le droit d'asile pour les ressortissants des États membres de l'Union européenne introduit par le Traité d'Amsterdam, tout en assurant que les attentes légitimes des destinataires de cette déclaration seront respectées. Le retrait de la déclaration de la Belgique sera ainsi accompagné d'un préavis de trois mois et toutes les demandes d'asile introduites par des ressortissants européens avant cette date seront examinées par la Belgique.
13 janvier 2011.
Gérard DEPREZ François BELLOT. |