5-893/3

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2010-2011

29 MARS 2011


Proposition de loi modifiant les articles 216bis et 216ter du Code d'instruction criminelle et l'article 7 de la loi du 6 juin 2010 introduisant le Code pénal social


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DE LA JUSTICE PAR

MMES KHATTABI ET STEVENS


I. INTRODUCTION

La présente proposition de loi, qui relève de la procédure bicamérale facultative, a été déposée au Sénat le 23 mars 2011. Elle a été prise en considération le 24 mars 2011 et envoyée à la commission de la Justice.

La commission l'a examinée lors de sa réunion du 29 mars 2011, en présence du ministre de la Justice et du secrétaire d'État à la Coordination de la Lutte contre la Fraude.

II. EXPOSÉ INTRODUCTIF DE M. DELPÉRÉE, CO-AUTEUR DE LA PROPOSITION DE LOI

M. Delpérée souligne que la proposition de loi à l'examen fait suite aux discussions de l'article 84 du projet de loi portant des dispositions diverses (doc. Sénat, nº 5-869). Un certain nombre de problèmes avaient été soulevés, notamment lors des auditions. La proposition de loi à l'examen vise à rencontrer certaines de ces remarques.

La première modification porte sur l'article 216bis du Code d'instruction criminelle. Les professeurs Verstraete et Masset ont attiré l'attention sur le fait qu'en matière financière, un certain nombre d'infractions étaient assorties d'un faux et devaient dès lors être considérées comme des crimes. Le champ d'application prévu dans le projet de loi portant des dispositions diverses risquait d'engendrer un manque d'effectivité pour le nouveau régime de transaction pénale.

Le texte à l'examen vise dès lors à adapter le champ d'application de la transaction. Deux conditions sont prévues. Le procureur du Roi pourra proposer une transaction lorsque le fait n'est pas de nature à devoir être puni d'un emprisonnement principal de plus de deux ans et lorsqu'il ne comporte pas d'atteinte grave à l'intégrité physique de la victime.

Le régime de la transaction prévu dans le projet de loi portant des dispositions diverses était par ailleurs de nature à porter atteinte au principe constitutionnel de l'indépendance du juge. La proposition vise à « restaurer » la compétence du juge en prévoyant que celui-ci vérifie les conditions d'application formelles de la transaction avant de constater l'extinction de l'action publique dans le chef de l'auteur.

La proposition de loi vise également à rencontrer deux remarques techniques du Service d'évaluation de la législation. La première était relative aux conséquences de la modification en matière de transaction pénale sur le régime de la médiation pénale. La proposition de loi précise les choses sur ce point. La seconde remarque visait à assurer une meilleure concordance entre les dispositions du Code d'instruction criminelle et les dispositions de la loi du 6 juin 2010 introduisant le Code pénal social.

III. DISCUSSION GÉNÉRALE

M. Laeremans s'étonne de la procédure suivie. Il pensait en effet que comme le projet de loi portant des dispositions diverses a été renvoyé en commission de la Justice, il allait être examiné conjointement avec la proposition à l'examen qui est en fait une sorte de loi de réparation. L'intervenant pensait même que le but était de déposer le texte à l'examen sous la forme d'un amendement à l'article 84 du projet de loi portant des dispositions diverses.

M. Mahoux répond que la proposition de loi à l'examen et le projet de loi portant des dispositions diverses (doc. Sénat, nº 5-869) suivront chacun leur cheminement. Le vote du projet de loi contenant des dispositions diverses a simplement été postposé lors de son examen en séance plénière.

Sur le fond, Mme Faes souhaite exposer d'emblée le point de vue de son groupe et soulever un certain nombre de questions.

Tout d'abord, elle reconnaît que la proposition de loi de réparation faisant l'objet du présent rapport répond à une série de remarques formulées par les professeurs qui ont été entendus dans le cadre de l'examen du projet de loi portant des dispositions diverses (voir doc. Sénat, nº 5-869/4).

Elle constate cependant que certaines imprécisions demeurent. Par exemple, le membre de phrase « et qu'il ne comporte pas d'atteinte grave à l'intégrité physique, », proposé à l'article 2, 1º, appelle de plus amples précisions. Elle se demande du reste pourquoi la disposition se limite à la seule intégrité physique et ne porte pas également sur l'intégrité morale et psychique.

L'intervenante estime qu'il serait préférable que le texte de loi limite le champ d'application de la transaction en excluant explicitement certaines infractions. Elle renvoie à ce sujet à son amendement nº 2 (doc. Sénat, nº 5-893/2).

Par ailleurs, certaines des questions soulevées lors de l'examen du projet de loi portant des dispositions diverses restent posées.

Par exemple, l'intervenante attend toujours une réponse en ce qui concerne l'indemnisation de la victime, la question des administrations sociales et fiscales, et enfin celle de la responsabilité solidaire.

La victime ne peut en principe être indemnisée qu'une seule fois pour le préjudice subi. Le paragraphe 2, alinéa 6, proposé dans le projet de loi portant des dispositions diverses prévoit que l'auteur et la victime peuvent conclure un accord relatif à l'importance du dommage causé et à l'indemnisation. Comment cette disposition s'articule-t-elle avec le paragraphe 4, qui prévoit l'obligation d'indemniser intégralement le dommage éventuel causé à autrui ? La victime peut-elle décider que certains dommages ne devront pas être indemnisés par l'auteur ? Si tel est le cas, a-t-elle encore la faculté de réclamer l'indemnisation du reste des dommages aux coauteurs qui ne se sont pas vu proposer une transaction ou qui ne l'ont pas acceptée ?

En ce qui concerne le statut des administrations fiscales ou sociales, le projet de loi portant des dispositions diverses prévoit qu'une transaction n'est possible dans les affaires fiscales ou sociales que moyennant l'accord de l'administration fiscale ou sociale. Cela revient en quelque sorte à octroyer aux administrations concernées un droit de veto alors que, constitutionnellement, elles ne disposent d'aucune compétence en matière de poursuites. Or, compte tenu des dispositions précitées, elles pourraient déterminer le résultat de la transaction, sans disposer pour autant d'un statut clair. Les administrations sociales et fiscales ne doivent-elles pas simplement se constituer partie civile ou être considérées comme partie lésée afin d'être contraintes, comme la victime, de parvenir à un accord ?

Un troisième point concerne la question de la responsabilité solidaire. Dans la rédaction actuelle du texte, l'auteur qui accepte une transaction est solidairement responsable de l'indemnisation des préjudices subis par les victimes. Quelles en sont les conséquences dans les affaires fiscales ? L'auteur qui accepte une transaction est-il également solidairement responsable de la dette d'impôt des coauteurs ? Cela pourrait être logique si l'auteur qui accepte une transaction a également sa part dans cette dette, mais qu'en est-il, par exemple, du complice qui conclut une transaction ? Est-il également solidairement tenu au paiement de la dette d'impôt des auteurs ? Autrement dit, doit-il également participer au paiement de la dette d'impôt qui n'est pas la sienne ? Un auteur qui accepte une transaction est solidairement responsable. L'intervenante suppose qu'il devra réclamer sa part aux coauteurs par la voie civile. Il peut normalement le faire en se constituant partie civile, une fois que l'action publique est éteinte dans son chef, ou en s'adressant au juge civil par exemple. Une transaction peut cependant être proposée pour éviter que certaines personnes n'échappent à leur peine pour cause de prescription. Mais qu'adviendra-t-il, par exemple, si certains auteurs n'ont pas accepté la transaction proposée ? Ils ne seront alors pas punis. Comment l'auteur qui a accepté une transaction pourra-t-il réclamer aux coauteurs le remboursement de leur part en l'absence d'une décision judiciaire ?

Par ailleurs, l'intervenante a constaté que le projet de loi portant des dispositions diverses prévoit que la procédure de conclusion d'une transaction et la décision de prolongation de celle-ci interrompent la prescription de l'action publique. N'est-ce pas en contradiction avec la jurisprudence de la Cour de cassation qui estime que l'extinction de l'action publique par le paiement d'une somme d'argent ne peut pas être considérée comme un acte de poursuite du procureur ? Ce point est lourd de conséquences, car cela signifierait que dans la pratique, le délai de prescription pourrait doubler pour toutes les affaires susceptibles de donner lieu à une transaction. Le législateur peut bien évidemment disposer que la prescription sera interrompue. Dans ce cas, l'intervenante aimerait connaître les raisons spécifiques pour lesquelles le législateur va à l'encontre de la jurisprudence de la Cour de cassation, compte tenu du risque d'allongement des délais de prescription.

Une dernière question porte sur le droit de consultation du dossier pénal. Le projet de loi portant des dispositions diverses prévoit au § 2, alinéa 3, de l'article 216bis que le suspect et ses avocats peuvent prendre connaissance du dossier pénal en vue de conclure une transaction. Bien que cette mesure s'avère nécessaire, la question se pose de savoir si elle est proportionnelle par rapport aux règles de droit commun prévues à l'article 61ter du Code d'instruction criminelle. Qu'en est-il des autres suspects ou coauteurs qui ne font pas l'objet d'une transaction ? Cette disposition ne risque-t-elle pas de compromettre le secret de l'information ou de l'instruction judiciaire ? En effet, que se passera-il si la personne autorisée à consulter le dossier informe les coauteurs ?

Mme Khattabi pense que le dépôt d'une proposition de loi réparatrice montre la pertinence des remarques de fond qui avaient été soulevées lors de la discussion de l'article 84 du projet de loi portant des dispositions diverses. Les auteurs du texte à l'examen ont pris leurs responsabilités là où le gouvernement voulait faire passer le texte en force. Elle constate que la proposition de loi réparatrice apporte un certain nombre d'améliorations au régime de la transaction pénale. Elle regrette cependant que le texte n'aille pas plus loin. Elle rappelle l'objection majeure soulevée par le professeur Masset qui s'étonnait qu'une mesure qui modifie aussi fondamentalement notre procédure pénale soit intégrée dans un projet de loi portant des dispositions diverses. L'extension du régime de la transaction pénale implique un débat sur la refonte globale de notre système de poursuites pénales. Il est probable que le professeur Masset resterait critique à l'égard de la proposition de loi à l'examen.

En ce qui concerne le rôle du juge du fond, Mme Khattabi précise qu'il ne sera amené à constater l'extinction de l'action publique que s'il est sollicité par le procureur du Roi. Le contrôle du juge compétent sera purement formel et ne portera pas sur le fond du dossier. Quand bien même le juge du fond refuserait de constater l'extinction de l'action publique, le procureur du Roi pourra requérir la peine qu'il avait envisagée au départ lorsqu'il avait proposé la transaction.

L'intervenante pense que la proposition de loi à l'examen doit s'analyser comme une tentative presque désespérée de rattraper le tir par rapport au régime de transaction prévu dans le projet de loi portant des dispositions diverses. Elle salue la volonté d'améliorer les choses mais le risque reste entier de voir le nouveau régime de transaction mettre à mal l'adage selon lequel tous les citoyens sont égaux devant la loi.

Mme Turan remercie la majorité sortante d'avoir accepté de déposer une proposition de loi de réparation afin de donner suite à plusieurs remarques formulées lors de l'examen du projet de loi portant des dispositions diverses. Vouloir, c'est pouvoir.

L'intervenante précise que ses objections portaient surtout sur le fait que les infractions comportant une atteinte grave à l'intégrité physique n'avaient pas été exclues et qu'il n'y avait aucune garantie de protection supplémentaire pour la victime contre la contrainte ou les fortes pressions. En excluant les faits comportant une atteinte grave à l'intégrité physique, on remédie à cette lacune. L'intervenante se dit très satisfaite de cette modification. En effet, notre société ne saurait tolérer des situations américaines « à la Michaël Jackson », dans lequelles la loi offre la possibilité de régler un litige par le biais d'une transaction. L'intervenante estime toutefois qu'il faut préciser ce qu'il y a lieu d'entendre par « atteinte grave à l'intégrité physique » et quelles infractions doivent entrer dans le champ d'application.

L'intervenante renvoie à l'amendement nº 2 qu'elle avait déposé au projet de loi portant des dispositions diverses (doc. Sénat, nº 5-869/2) dans le but d'exclure explicitement le titre VIIbis relatif à l'attentat à la pudeur, à la corruption de la jeunesse et à la prostitution, aux outrages publics aux bonnes moeurs, à l'abandon de famille et à la bigamie du champ d'application. La question est de savoir jusqu'où on souhaite aller au juste dans cette exclusion de la possibilité de transaction et ce que l'on entend par « atteinte grave à l'intégrité physique ». Il est nécessaire de clarifier les choses, que ce soit dans le rapport ou par voie d'amendement.

L'intervenante croit comprendre que les dispositions de l'article 84 du projet de loi portant des dispositions diverses, auquel la proposition actuelle de réparation ne touche pas, resteront d'application. Tel est le cas, par exemple, du § 2, alinéa 2, relatif aux délais stricts.

L'intervenante estime que la possibilité que l'article 2, 1º, § 1er, donne au procureur du Roi d'inviter l'auteur à verser une certaine somme d'argent, peut améliorer le fonctionnement du parquet en accélérant le traitement de certains dossiers, en particulier en matière fiscale et sociale.

Enfin, l'intervenante demande comment la transaction se déroule aujourd'hui concrètement dans la pratique. Le parquet peut-il tenir compte de circonstances atténuantes ?

M. Delpérée souligne que la commission n'est plus saisie du projet de loi portant des dispositions diverses (doc. Sénat, nº 5-869/1). On aurait pu envisager d'amender le projet de loi portant des dispositions diverses. On a préféré recourir à une autre technique en utilisant une proposition de loi distincte. Cette dernière solution a l'avantage de la clarté quant à l'objet des modifications proposées.

M. Laeremans ne partage absolument pas l'avis de l'intervenant précédent. En pareilles circonstances, il est toujours loisible à la Commission de rouvrir le débat. À présent, on va voter simultanément sur deux textes qui portent sur le même sujet mais qui s'abrogent et se contredisent en partie. Pourquoi ne pas distraire l'article 84 du projet de loi portant des dispositions diverses et proposer un ensemble cohérent ? L'intervenant déplore la méthode qui a été suivie et qui revient à reconnaître la mauvaise qualité et l'inconstitutionnalité d'un texte approuvé. C'est une honte pour le parlement.

Sur le fond aussi, l'intervenant a encore plusieurs remarques à formuler. Au cours de l'examen du projet de loi portant des dispositions diverses, on s'est référé aux conclusions et aux travaux de la Commission parlementaire d'enquête sur les grands dossiers de fraude fiscale. L'intervenant a examiné ces documents et constaté qu'il était bel et bien question d'étendre la transaction, mais certainement pas au-delà du stade de la citation. Les transactions qui interviennent au-delà du prononcé du jugement n'entrent donc pas en ligne de compte en l'espèce.

L'intervenant fait aussi référence au document du groupe de travail « Una Via », qui a été présenté aux commissions réunies de la Justice et des Finances de la Chambre des représentants et dans lequel on insistait surtout sur la volonté d'éviter une sorte de double sanction, à savoir, d'une part, celle de l'administration fiscale et, d'autre part, celle du parquet. L'objectif était de sauvegarder le principe « non bis in idem » et d'éviter au parquet de devoir encore effectuer un lourd travail de médiation, considérant que cette tâche incombait essentiellement à l'administration fiscale. Le parquet serait donc chargé pour l'essentiel d'entamer les poursuites en cas d'échec des négociations avec l'administration. La note n'indique donc absolument pas qu'il faut pouvoir négocier jusqu'au dernier moment, c'est-à-dire jusqu'à ce que l'affaire soit portée devant le tribunal ou que le jugement ait été prononcé. Cette commission a donc été bien menée en bateau.

En ce qui concerne l'article 2, l'intervenant craint que l'octroi ou non d'une transaction dépendra de l'appréciation individuelle du procureur. Les mots « le fait ne paraît pas être de nature à.. » ne pourront qu'y contribuer. Ils sont vagues, ne correspondent pas à la terminologie d'un Code d'instruction criminelle et donneront matière à d'innombrables discussions. Cette disposition contourne l'article 80 du Code pénal qui prévoit qu'un emprisonnement d'un an au moins doit être requis. Cela veut-il dire que le champ d'application de la transaction deviendra en pratique encore plus large que ce qui est prévu dans le projet de loi portant des dispositions diverses ? Il peut s'agir en l'espèce de faits très graves, ce qui est le cas pour un grand nombre d'infractions correctionnalisées. Ce point est confirmé aussi par la restriction selon laquelle le fait ne peut pas comporter d'atteinte grave à l'intégrité physique. L'intervenant avait cru comprendre lors de l'examen du projet de loi portant des dispositions diverses que pareilles infractions ne pouvaient de toute façon pas relever du champ d'application de ladite loi. Il pourrait s'agir éventuellement d'un vol avec effraction, fausses clés, etc, mais jamais d'infractions comportant une atteinte à l'intégrité physique. Les faits criminels sans atteinte à l'intégrité physique peuvent, dans tous les cas de figure, donner lieu à une transaction. L'intervenant cite l'exemple des transactions de drogue ou de l'attaque commise à la voiture-bélier contre un magasin dans le but de le vider de son contenu. Cela va très loin, et il serait judicieux de préciser les objectifs de l'extension du champ d'application.

L'article 4 porte sur les montants maximums. Jusqu'à présent, on est resté très vague sur ce point; on a dit que ces montants seraient précisés dans la circulaire du Collège des procureurs généraux et que l'on ne voulait pas divulguer les montants à l'avance afin d'éviter toute spéculation. L'intervenant a toujours pensé que les montants des transactions seraient très élevés. Or, il s'avère que la somme à verser est fortement limitée. La fourchette proposée est très étroite puisque l'on précise que la somme ne peut ni être supérieure au maximum de l'amende prescrite par la loi ni être inférieure à 40 % des montants minima de l'amende administrative. L'intervenant souhaiterait quelques précisions à cet égard.

Réponses du gouvernement et réactions des membres

L'article 216bis, § 1er, alinéa 1er, a effectivement été formulé autrement. Le texte initial indiquait que « Lorsque le procureur du Roi estime, pour une contravention, un délit ou un crime susceptible de correctionnalisation par application des articles 1er et 2 de la loi sur les circonstances atténuantes, ne devoir requérir qu'une amende ou qu'une amende avec confiscation, il peut inviter le suspect à verser une somme d'argent déterminée... ». Les mots « devoir requérir » posaient ici problème compte tenu de l'article 80 qui porte sur les circonstances atténuantes.

L'intervenant se réfère à ce sujet aux observations formulées par les professeurs Verstraete et Masset. La disposition a dès lors été réécrite et alignée sur la formulation de l'article 216ter. Dans sa formulation actuelle, l'article 216bis fait référence à un quantum de peine objectif. En revanche, l'article 216ter contient une appréciation « in concreto ».

L'intervenant se réfère aux développements de la proposition de loi concernant la médiation pénale, qui précisent le raisonnement sous-jacent. Le procureur examine l'opportunité de saisir le tribunal en fonction de ce qu'il aurait concrètement à requérir. En l'espèce, il n'aurait donc plus jamais à requérir plus de deux ans d'emprisonnement ni une confiscation puisque dans ce cas, il pourra proposer une transaction. Une telle disposition « in concreto » n'est pas neuve et a notamment déjà été utilisée pour l'article 216ter en ce qui concerne la médiation pénale. Autrement dit, la procédure de médiation peut être employée dès l'instant où les circonstances concrètes d'une affaire sont telles que le magistrat de parquet estime que, quelle que soit la qualification abstraite des faits commis, il n'aurait pas à requérir une peine plus lourde que deux ans si les faits donnaient lieu à poursuites. Ce délai de deux ans engage dès lors le magistrat de parquet qui ne pourra requérir de peine plus lourde s'il est en fin de compte décidé, en cas d'échec de la médiation, d'introduire des poursuites. Ce délai de deux ans a été choisi parce qu'il correspond à la peine légale minimale pour certains faits repris sous une qualification abstraite plus lourde mais qui, dans la réalité concrète, peuvent paraître de nature plutôt banale. Des faits simples peuvent se dissimuler derrière de lourdes qualifications.

Les mots « et qu'il ne comporte pas d'atteinte grave à l'intégrité physique » ont été ajoutés. L'on a opté délibérément pour l'intégrité physique et non pour l'intégrité morale parce qu'à l'heure actuelle, la transaction est par exemple déjà utilisée pour les outrages. Compte tenu de la formulation actuelle, et en partie grâce à l'analogie avec l'article 216ter, l'intervenant estime qu'il n'est pas nécessaire de dresser la liste des infractions à exclure. En outre, cela serait très difficile puisque chaque qualification peut porter à la fois sur des faits mineurs et sur des faits graves. La bonne application de la disposition à l'examen devrait suffire, compte tenu notamment de l'exclusion de l'atteinte grave à l'intégrité physique. La formulation proposée est légale, elle pourra être appliquée concrètement sur le terrain et elle répond à toutes les objections. L'article 216bis a déjà aussi un champ d'application général à l'heure actuelle.

En ce qui concerne l'article 4, le ministre épingle le fait qu'en matière fiscale, c'est l'administration fiscale qui doit être indemnisée. Une infraction au Code pénal a en même temps été commise. La transaction vise le dédommagement envers la société et non envers la victime ou le fisc. Par conséquent, la somme d'argent que le procureur peut requérir ne pourra pas dépasser le maximum de l'amende visée par la loi. À cela s'ajoute le fait que le prévenu doit avoir réglé ses dettes fiscales éventuelles, qu'il doit éventuellement abandonner certains biens, accepter une confiscation, etc. L'amende est donc salée.

M. Laeremans se réfère à la note du groupe de travail « Una via », qui met en évidence que l'administration fiscale peut conclure des accords pour des sommes bien plus importantes que ce que le ministère public peut requérir. L'intervenant ne trouve pas les amendes pénales si élevées par comparaison aux amendes administratives et accroissements que le fisc peut imposer, qui peuvent monter jusqu'à 200 % des taxes ou impôts éludés. En revanche, l'amende pénale est limitée à 125 000 euros. Par conséquent, l'administration pourra conclure des transactions beaucoup plus intéressantes que le ministère public, alors que pour l'administration, le ministère public doit représenter le moyen de pression ultime. L'intervenant ne comprend pas la logique sous-jacente.

Le secrétaire d'État Devlies confirme que l'administration fiscale peut infliger des amendes plus élevées que la Justice dans les dossiers de fraude fiscale. La note « Una via » qui a été présentée aux commissions conjointes de la Justice et des Finances de la Chambre contient aussi une mesure visant à augmenter les amendes pénales fiscales, de manière qu'en cas d'application du principe « Una via », c'est-à-dire lorsque la Justice traite intégralement un dossier fiscal, les amendes fiscales ainsi que le taux de la peine susceptible d'être infligée soient supérieurs à ceux en vigueur actuellement. « Una via » est bien entendu une note globale dans laquelle la transaction ne constitue qu'un aspect parmi d'autres. Cette note sera examinée plus avant par les commissions réunies, le 26 avril 2011. Ce point aurait déjà donné lieu au dépôt d'un projet de loi si l'on s'était trouvé dans un contexte autre que celui d'un gouvernement « en affaires courantes ». L'on en est actuellement réduit à des propositions de loi.

M. Laeremans objecte que la note en question n'a aucune valeur juridique. Le ministère public a un rayon d'action limité et, dans l'état actuel de la législation, les transactions qu'il peut conclure sont beaucoup plus basses que celles conclues par l'administration fiscale. Cette méthode n'est pas la bonne pour accentuer la pression sur les fraudeurs. Le ministère public doit pouvoir disposer de possibilités beaucoup plus vastes et il doit pouvoir conclure des transactions beaucoup plus élevées. En cas d'échec des négociations avec l'administration fiscale, cette dernière devrait pouvoir brandir la menace que le dossier soit ensuite traité par le ministère public, avec des montants plus élevés à la clé.

Le secrétaire d'État indique que, selon la logique de la note « Una via », ce n'est pas le fisc qui menacera de confier les poursuites au ministère public. Quand il s'agira de décider si un dossier doit faire l'objet de poursuites par la voie judiciaire, cette décision sera prise en concertation. Actuellement déjà, les amendes infligées sont plus faibles lorsque c'est la Justice qui mène les poursuites. La compétence de poursuivre et de requérir le degré de la peine, en ce compris une peine d'emprisonnement, relève de l'autonomie du ministère public. Le comité ministériel compétent en matière de poursuites aux niveaux social et fiscal a déjà marqué son accord sur l'élaboration de la note « Una via ». Il ne s'agit donc pas d'une note rédigée à la hâte. Les experts qui ont participé à l'élaboration de cette note sont M. Philipsen (ISI), M. de Nolf (police judiciaire fédérale), M. Dewolf (réseau d'expertise Ecofin) et Mme Franquinet (experte en droit pénal social).

M. Laeremans se demande pourquoi les amendes n'ont pas été augmentées dans le projet de loi portant des dispositions diverses, puisqu'un accord existe déjà, d'autant que la disposition à l'examen s'inscrit dans le contexte budgétaire.

Mme Turan demande si une distinction est faite entre la grande fraude organisée, mettant éventuellement en œuvre des procédés internationaux, et les autres types de fraude. L'intervenante a-t-elle bien compris que la fraude organisée n'est a priori pas exclue ?

Le ministre renvoie au seuil prévu, c'est-à-dire que le procureur doit estimer ne pas devoir requérir plus de deux ans d'emprisonnement. La peine requise sera plus lourde en cas de fraude très grave. Il s'agit d'une appréciation in concreto. Aucune classification n'est opérée en l'espèce.

En ce qui concerne la responsabilité solidaire, le ministre précise qu'un auteur qui conclut une transaction doit dédommager la victime intégralement. Il peut ensuite se tourner vers les autres auteurs, le cas échéant. La solidarité implique que chacun peut être astreint à indemniser la totalité du dommage et que l'auteur ainsi sollicité doit ensuite se retourner contre les autres. Cela signifie-t-il qu'il faut payer la dette fiscale du coauteur ? Le procureur affinera la qualification en fonction de la date et du lieu, de manière que l'intéressé ne doive acquitter que sa propre dette fiscale. Il est prévu que la date et le lieu devront être spécifiés dans la transaction.

Quant au choix de l'interruption de la prescription, le ministre souligne que la raison concrète de la disposition à l'examen est le constat qu'il y a souvent un risque de prescription en cas d'infraction fiscale grave. L'interruption est censée empêcher cette prescription. L'interruption n'a lieu qu'une seule fois.

Le procureur devra être conscient du fait qu'un auteur peut demander à consulter le dossier. Il devra évaluer le risque d'un éventuel usage abusif des informations que l'auteur obtient de cette manière. Le procureur n'est pas obligé d'accepter la transaction et donc de permettre de consulter le dossier. Cela devra faire l'objet d'une évaluation in concreto et ce point peut difficilement être réglé dans la loi. De toute manière, le procureur a la prérogative d'autoriser à consulter le dossier, dans le cadre du secret de l'instruction. Ce dernier n'est donc pas violé.

M. Courtois suppose que la transaction telle qu'elle est proposée implique un aveu dans le chef de l'auteur.

Mme Defraigne le confirme: la transaction est une reconnaissance de la culpabilité et entraîne une extinction de l'action publique.

M. Courtois demande ce qu'il se passe lorsqu'une personne a accepté une transaction et qu'elle commet de nouveaux faits. L'auteur sera-t-il considéré comme étant en état de récidive ?

Mme Defraigne pense qu'il n'y a pas de récidive dans une telle hypothèse.

M. Mahoux demande des précisions quant à l'indemnisation de la victime. L'auteur des faits doit accepter d'indemniser la victime. En d'autres termes, il reconnaît sa responsabilité civile. Comment et à quel moment le montant du préjudice sera-t-il déterminé ? Est-ce en aval de la transaction, par les juridictions civiles ?

Le ministre répond que la transaction, après l'indemnisation de la victime et une éventuelle confiscation, entraîne l'extinction des poursuites pénales pour le fait concerné. La transaction n'est pas inscrite au casier judiciaire, mais elle est mentionnée dans le bulletin de renseignements mis à la disposition des autorités judiciaires. Si l'auteur commet un deuxième fait similaire, le ministère public ne sera donc pas enclin à conclure une nouvelle transaction.

Mme Turan indique qu'en cas de récidive, le juge applique un degré plus élevé dans l'échelle des peines. Est-ce que le juge ne tiendra pas compte du fait qu'une transaction a déjà été conclue ? Et s'il en tient compte, est-ce que l'auteur ne pourra pas le contester en invoquant l'extinction de l'action publique ? L'intervenante fait référence à la suspension qui, elle aussi, ne peut être accordée qu'une seule fois. Si les conditions de la suspension sont respectées pendant une durée déterminée, il n'y a pas de poursuites pénales et la peine n'est pas inscrite au casier judiciaire. Peut-être faudrait-il aussi, dans le cadre de la transaction, lier l'extinction de l'action publique à un certain délai, un an par exemple.

M. Courtois pense qu'il faut distinguer l'hypothèse de la transaction de celle de la suspension du prononcé.

Il fait en outre remarquer que quotidiennement des tribunaux de police, ayant connaissance par les bulletins de renseignements de l'existence de transactions pénales en matière de roulage, prononcent des sanctions sans qu'il soit question de récidive. Les bulletins de renseignements sont un élément d'appréciation du magistrat.

Enfin, si l'on lie la transaction à une sorte de délai probatoire, il faut être conscient qu'en matière de lutte contre la fraude, on est souvent confronté à des dossiers avec des ramifications internationales. Que fera-t-on avec d'éventuelles condamnations prononcées à l'étranger ?

M. Delpérée souligne que la récidive n'est pas simplement basée sur la réitération de faits. La récidive implique non seulement des faits punissables mais aussi des faits punis qui sont réitérés dans un certain délai. S'il n'y a pas eu de sanction parce que l'action publique est éteinte à la suite d'une transaction, il ne peut y avoir de récidive au sens légal du terme.

Mme Khattabi pense que cette remarque souligne la nécessité d'avoir un véritable débat de fond sur les conséquences de la transaction.

M. Mahoux revient à la question de l'indemnisation de la victime. Faut-il que l'indemnisation de la victime et le montant fassent l'objet d'un accord préalable à la transaction ou cela peut-il être consécutif à celle-ci, avec une intervention des juridictions civiles ?

Mme Faes demande si la victime peut scinder le dommage ? Peut-elle, par exemple, se faire indemniser pour partie par un auteur et pour partie par un autre ?

Comment l'auteur qui a conclu une transaction peut-il récupérer une partie de l'indemnisation auprès des coauteurs si ceux-ci n'ont pas accepté la proposition de transaction et n'ont pas été sanctionnés, par exemple en cas de prescription ?

Le ministre répond que c'est un risque. Si l'on conclut une transaction, la victime doit être indemnisée complètement. La victime peut réclamer son dû comme elle l'entend. Elle peut, par exemple, réclamer une moitié à un auteur et l'autre moitié à un autre auteur. Elle doit être indemnisée d'une manière ou d'une autre.

Si le coauteur est acquitté ou s'il y a prescription, tant pis pour l'auteur qui a conclu la transaction.

Mme Turan revient sur la question de la récidive et considère que la transaction comporte une sorte de condamnation, dans le sens où l'auteur doit payer une amende. Il y a reconnaissance des faits, aveu de culpabilité et amende sous la forme d'une indemnisation. Ce point devrait être pris en compte en cas de récidive.

À ce propos, l'intervenante émet aussi des réserves sur la formulation de l'article 2, 1º, § 1er, qui donne l'impression que le procureur peut infliger une peine. Il serait peut-être préférable de dire que le procureur estime qu'il ne doit pas requérir plus de deux ans d'emprisonnement.

M. Delpérée trouve qu'il n'est pas cohérent de soutenir que le procureur du Roi va requérir une peine déterminée et apprécier la peine en question alors que le procureur du Roi va justement proposer une transaction. Il n'y aura pas de condamnation de l'auteur des faits.

Le ministre ajoute que la formulation utilisée est identique à celle de l'article 216ter. Une formulation différente prêterait à confusion.

Dans le cas d'une transaction, le procureur n'inflige aucune peine, si bien que rien n'apparaît dans le casier judiciaire. Le casier judiciaire est déterminant pour ce qui est de l'état de récidive légale, conformément à l'article 56 du Code pénal. Dans le langage commun, on parle de récidive lorsqu'une personne commet deux fois les mêmes faits, mais d'un point de vue juridique, il faut respecter le prescrit du Code pénal en la matière. Le sursis n'est pas comparable à la transaction, car le sursis est une peine prononcée par le juge. La transaction est aussi une procédure consensuelle: l'intéressé admet sa responsabilité et il y a une présomption irréfragable de culpabilité à l'égard de la victime; l'auteur reconnaît donc sa culpabilité et dédommage la victime. Il s'agit d'une procédure consensuelle où les trois parties sont d'accord. Il n'est pas question d'un « rachat » de peine, mais bien d'une procédure extrajudiciaire qui permet à l'auteur de choisir librement d'accepter ou non la transaction.

M. Laeremans souhaiterait encore obtenir quelques précisions. Il croit savoir que la transaction est confidentielle. Une transaction ne peut donc pas avoir valeur de précédent pour le juge. Il s'agit d'un accord purement individuel que personne ne peut demander à consulter. Est-ce bien exact ?

Le ministre confirme que la transaction ne peut pas être considérée comme un jugement et n'est donc pas publique; elle n'est pas davantage prise en compte en matière de récidive légale.

IV. DISCUSSION DES ARTICLES

Article 1er

Cet article n'appelle aucune observation.

Article 2

Amendement nº 1

Mmes Faes et Stevens déposent l'amendement nº 1 (doc. Sénat, nº 5-893/2) qui vise à supprimer, dans le 1º, § 1er, alinéa 1er, proposé, les mots « et qu'il ne comporte pas d'atteinte grave à l'intégrité physique, ».

Les mots « atteinte grave à l'intégrité physique » sont sujets à de nombreuses interprétations. En outre, il y a lieu de s'interroger sur la limitation de la disposition à la seule intégrité physique. L'intégrité morale ne doit-elle pas également entrer en ligne de compte ? Le présent amendement vise à supprimer le membre de phrase précité afin de satisfaire au principe de légalité en matière pénale. Si l'objectif du législateur est de limiter le champ d'application du droit accordé au procureur du Roi, il serait préférable de le préciser de manière plus détaillée.

Amendement nº 8

M. Laeremans dépose l'amendement nº 8 (doc. Sénat, nº 5-893/2) qui vise à apporter les modifications suivantes dans l'article 216bis du Code d'instruction criminelle:

1º au § 2, remplacer l'alinéa 1er comme suit: « § 2. La faculté accordée au procureur du Roi au § 1er peut également être exercée lorsque le juge d'instruction est déjà chargé d'instruire si le suspect ou l'inculpé fait savoir qu'il réparera le dommage causé à autrui. L'initiative peut aussi émaner du procureur du Roi. »;

2º aux alinéas 4 et 6 du même paragraphe, remplacer chaque fois les mots « le suspect, l'inculpé ou le prévenu » par les mots « le suspect ou l'inculpé »;

3º supprimer les alinéas 9 et 10 du même paragraphe;

4º remplacer le § 3 proposé par ce qui suit: « § 3. La faculté prévue aux §§ 1er et 2 appartient aussi, pour les mêmes faits, à l'auditeur du travail et au procureur fédéral. »

L'objectif des auteurs de la proposition est d'étendre le délai dans lequel la transaction peut être appliquée, c'est-à-dire jusqu'au stade où l'action publique a déjà été engagée. Cela signifie qu'une transaction peut être proposée aussi bien durant la phase de l'instruction que durant l'examen par la chambre du conseil, le tribunal correctionnel ou la cour d'appel. Par conséquent, tant qu'aucun jugement ou arrêt n'a été prononcé et acquis force de chose jugée, la conclusion d'un accord entre le prévenu et le ministère public est possible. Le procureur peut même mettre fin à l'affaire en cours de procédure s'il y a un accord sur une transaction. Cela va trop loin dans la mesure où la position du tribunal s'en trouve totalement affaiblie.

L'amendement vise à faire en sorte que la transaction ne puisse plus être proposée au-delà du stade de l'instruction, c'est-à-dire lorsque le tribunal a déjà été saisi. L'auteur de l'amendement maintient toutefois cette possibilité ouverte pour les suspects à l'encontre desquels une instruction judiciaire est en cours.

Amendement nº 9

Mme Turan dépose l'amendement nº 9 (doc. Sénat, nº 5-893/2) qui vise à insérer, au 1º, dans le § 1er proposé, entre les mots « l'intégrité physique, et les mots « il peut » membre de phrase suivant: « et qu'il n'est pas constitutif d'une fraude fiscale grave et organisée qui met en œuvre des mécanismes ou des procédés particulièrement complexes, de dimension internationale ou non, ».

Pour les infractions fiscales, le procureur peut estimer qu'une transaction est la solution la plus appropriée, mais il doit exclure les grandes affaires de fraude ayant porté préjudice à plusieurs entreprises et caractérisées par le recours à des systèmes organisés ou à la criminalité organisée.

Le secrétaire d'État rappelle qu'il s'agit d'une appréciation in concreto. La loi anti-blanchiment définit ce qu'il faut entendre par « fraude fiscale grave et organisée », ce qui permet d'exclure la fraude fiscale ordinaire de son champ d'application. L'appréciation in concreto trouve son origine dans l'article 216ter et l'intervenant ne pourrait concevoir que l'on propose une transaction dans une affaire de fraude organisée à l'échelle internationale, ce qui supposerait que toutes les parties doivent alors être indemnisées simultanément.

Mme Turan a confiance dans la magistrature et souligne que l'explication donnée par le ministre confirme que son amendement, qui ne porte pas uniquement sur la fraude internationale, est amplement justifié. Elle renvoie aussi à l'exclusion explicite de l'atteinte à l'intégrité physique, à la suite des discussions relatives à l'application de la transaction dans le cadre de délits de mœurs.

Article 2/1

Amendement nº 2

Mmes Faes et Stevens déposent l'amendement nº 2 (doc. Sénat, nº 5-893/2) qui tend à insérer un article 2/1 nouveau.

Les auteurs proposent d'insérer dans l'article 216bis, § 1er, du Code d'instruction criminelle, un alinéa 2 rédigé comme suit:

« Le droit accordé au procureur du Roi au paragraphe précédent ne peut pas être exercé dans les cas suivants:

1º crimes et délits contre la sûreté de l'État, visés par le Livre II, Titre Ier, du Code pénal;

2º violations graves du droit international humanitaire, visées par le Livre II, Titre Ierbis, du Code pénal;

3º infractions terroristes, visées par le Livre II, Titre Ierter, du Code pénal;

4º crimes et délits contre l'ordre public, commis par des personnes qui exercent une fonction publique, visés par le Livre II, Titre IV, du Code pénal;

5º crimes et délits autres que les faits visés au 4, commis par des personnes qui exercent une fonction publique, dans l'exercice de leur ministère;

6º crimes et délits contre la sécurité publique, visés par le Livre II, Titre VI, du Code pénal;

7º crimes relatifs à la prise d'otages, visés par le Livre II, Titre VIbis, du Code pénal;

8º crimes et délits contre l'ordre des familles et contre la moralité publique, visés par le Livre II, Titre VII, du Code pénal;

9º crimes et délits contre les personnes, visés par le Livre II, Titre VIII, du Code pénal, à l'exception du Chapitre V. »

La proposition à l'examen prévoit un large champ d'application pour la transaction. La transaction peut être proposée pour toutes les infractions pour lesquelles le procureur du Roi estime qu'il n'y a pas lieu de requérir un emprisonnement correctionnel de deux ans ou plus. Ceci implique qu'une transaction est possible, du moins en théorie, pour certaines infractions que la société souhaite voir sanctionner de manière effective par un juge. Il s'avère qu'en application de la législation actuelle sur la transaction, le Collège des procureurs généraux a émis des directives en vue d'empêcher une application trop large de la transaction. Ces dernières préciseraient notamment que la transaction ne serait jamais appropriée pour certaines infractions, telles que l'abandon de famille, la violation du secret bancaire, l'organisation d'insolvabilité ou la mise en circulation de fausse monnaie, entre autres. Sans vouloir remettre en cause le rôle du collège, il paraît indiqué de limiter dans la loi le champ d'application de la transaction. C'est d'autant plus vrai que la proposition à l'examen étend le champ d'application de la transaction dans le temps, en faisant en sorte qu'elle s'applique également lorsque le juge d'instruction a été requis d'instruire ou lorsque l'affaire est déjà pendante devant le tribunal ou la cour. Lorsqu'on procède à une telle extension, il faut s'assurer de ne pas violer le principe de l'indépendance du juge consacré par l'article 151 de la Constitution. C'est la raison pour laquelle il paraît indiqué de limiter le champ d'application matériel de la transaction. L'amendement en question prévoit à cet effet l'exclusion de certains titres du Code pénal, notamment ceux qui se rapportent à des infractions commises contre la sûreté de l'État, à des infractions contre les personnes (à l'exception de la calomnie et de la diffamation — titre VIII, chapitre V) et à des infractions commises par des personnes qui exercent une fonction publique. En ce qui concerne cette dernière catégorie, le fondement de l'amendement est qu'il serait malvenu, de la part du juge, de ne pas sanctionner une personne bien considérée et digne de confiance qui aurait commis des infractions. En outre, l'amendement déposé répond également à la problématique des peines dites professionnelles.

Le ministre trouve la méthode proposée contre-productive et se réfère à la discussion générale.

Article 2/2

Amendement nº 3

Mmes Faes et Stevens déposent l'amendement nº 3 (doc. Sénat, nº 5-893/2) qui tend à insérer un article 2/2.

Les auteurs proposent d'apporter les modifications suivantes à l'article 216bis, § 2, du Code d'instruction criminelle:

1º compléter l'alinéa 1er par la phrase suivante: « Si la peine d'emprisonnement prononcée dans le jugement ou l'arrêt visé est plus lourde que celle visée au § 1er, le procureur du Roi perd la faculté qui lui est accordée au § 1er. »;

2º dans l'alinéa 1er, insérer les mots « au procureur du Roi » entre le mot « manifeste » et le mot « sa ».

La possibilité pour le procureur du Roi de proposer une transaction est limitée aux cas où seules une amende, une amende et la confiscation ou une peine d'emprisonnement de deux ans maximum sont requises.

La réquisition du ministère public ne lie cependant pas le juge. Ce dernier peut, en d'autres termes, infliger une peine plus lourde. Dans ces circonstances, le procureur du Roi ne recourra dans la pratique probablement pas à la possibilité de transaction. Toutefois, au sens strict, l'article 216bis du Code d'instruction criminelle ne l'interdit pas. L'amendement à l'examen tend à exclure toute possibilité de transaction lorsqu'un juge a prononcé une peine d'emprisonnement supérieure à deux ans.

Il est en effet inacceptable qu'une peine fondamentalement plus lourde prononcée par jugement ou par arrêt soit annulée par une transaction. Cela irait à l'encontre de l'indépendance d'appréciation du juge, telle que consacrée par l'article 151 de la Constitution. L'amendement à l'examen tend à l'exclure expressément dans la loi.

Enfin, il vise à préciser à qui le suspect, l'inculpé ou le prévenu doit manifester sa volonté. En effet, étant donné qu'à ce moment-là, celui-ci est déjà engagé dans une procédure devant le juge d'instruction ou devant la cour ou le tribunal, une certaine confusion pourrait naître sur ce point.

Article 2/3

Amendement nº 4

Mmes Faes et Stevens déposent l'amendement nº 4 (doc. Sénat, nº 5-893/2) qui tend à insérer un article 2/3.

Dans l'article 216bis, § 2, alinéa 8, deuxième phrase, les auteurs proposent d'insérer les mots « encore en cours » entre les mots « ni aux actions » et les mots « des victimes ».

Une victime ne peut être indemnisée qu'une seule fois pour la totalité du dommage. Dans la mesure où l'accord proposé entre le suspect et la victime couvre la totalité du dommage subi, les autres auteurs ne peuvent donc plus être tenus de réparer le dommage vis-à-vis de la victime. Il est évident que l'auteur qui a accepté la proposition de transaction dispose toujours de la possibilité d'intenter une action contre les autres auteurs afin que ceux-ci assument leur part dans l'indemnisation versée.

Article 2/4

Amendement nº 5

Mmes Faes et Stevens déposent l'amendement nº 5 (doc. Sénat, nº 5-893/2) qui tend à insérer un article 2/4 nouveau.

Les auteurs proposent de compléter l'article 216bis, § 2, alinéa 5, du Code d'instruction criminelle, par la phrase suivante:

« Le montant de la somme d'argent, des frais et des objets ou avantages patrimoniaux à abandonner ou à remettre ne peut en aucun cas être inférieur à ce qui a déjà été prononcé par un jugement ou, le cas échéant, par un arrêt. »

L'article 216bis proposé du Code d'instruction criminelle offre expressément la possibilité de proposer une transaction après le prononcé d'un jugement ou d'un arrêt. Le présent amendement maintient cette possibilité, mais il en renforce les conditions d'application concrètes.

Au moment où le jugement ou l'arrêt est prononcé, beaucoup de temps s'est déjà écoulé, et beaucoup d'argent a déjà été investi dans l'enquête préliminaire et la procédure. La transaction vise précisément à remédier à la longueur des procédures pénales, à libérer du temps pour les affaires contestées, à permettre une perception rapide et efficace des sommes d'argent et à parvenir à une justice réparatrice.

Pour que la transaction puisse atteindre ces objectifs de façon optimale, il est nécessaire de la faire intervenir à un stade aussi précoce que possible de la procédure. Il n'est pas opportun de laisser le justiciable parier sur un jugement favorable, puis, s'il n'a pas obtenu ce qu'il voulait, sur une transaction plus avantageuse lors de la procédure en appel. C'est pour ce motif que l'amendement déposé maintient la possibilité de proposer une transaction après un jugement ou un arrêt, tout en précisant que le montant de cette transaction ne peut pas être inférieur à celui déjà imposé par le juge dans ce jugement ou cet arrêt.

L'objectif est d'inciter le suspect à accepter la proposition de transaction à un stade aussi précoce que possible de la procédure.

Article 2/5

Amendement nº 6

Mmes Faes et Stevens déposent l'amendement nº 6 (doc. Sénat, nº 5-893/2) qui tend à insérer un article 2/5 nouveau.

Les auteurs proposent de remplacer l'alinéa 2 de l'article 216bis, § 6, par la disposition suivante: « Pour les infractions fiscales ou sociales qui ont permis d'éluder des impôts ou des cotisations sociales, la transaction n'est possible qu'après le paiement des impôts ou des cotisations sociales éludés dont l'auteur est redevable, en ce compris les intérêts et les amendes éventuelles. À cet effet, le procureur du Roi informe l'administration fiscale ou sociale de sa proposition de transaction. L'administration fiscale ou sociale agit en qualité de victime, comme il est prévu au § 2. »

Le paragraphe 6, tel que formulé dans la loi portant des dispositions diverses, exige l'accord de l'administration fiscale ou sociale. Or, cette disposition, telle qu'elle est actuellement formulée, pose deux problèmes. Premièrement, le régime de la transaction, tel que prévu dans la loi portant des dispositions diverses, ne prévoit pas que l'administration fiscale ou sociale se porte partie lésée ou partie civile, de sorte qu'une transaction ne serait pas possible, étant donné qu'il n'y a pas eu indemnisation pour tous les dommages. Deuxièmement, la condition de « l'accord » de l'administration fiscale ou sociale, qui n'agit pas en tant que partie lésée ou partie civile, porterait atteinte à l'indépendance du ministère public puisque la Constitution ne confère aux administrations fiscales et sociales aucune compétence en matière de poursuites.

Le secrétaire d'État souligne que la proposition de transaction est extrajudiciaire. En outre, en cas de fraude fiscale et sociale, les administrations fiscale et sociale sont automatiquement victimes. Il est également précisé explicitement que la transaction ne peut être conclue que si les administrations ont été indemnisées.

Le ministre ajoute qu'en cas de fraude fiscale et sociale, les administrations concernées doivent se mettre préalablement d'accord sur le fait que l'affaire se clôturera par une transaction, c'est-à-dire avant que le procureur ne décide également de clôturer l'affaire au pénal. À défaut, le fisc pourrait revenir ultérieurement sur l'affaire. La clôture de la procédure doit s'opérer de manière globale, ce qui ne signifie pas que le ministère public soit dépendant; le fisc doit être d'accord, mais le procureur peut décider ultérieurement en toute indépendance de clôturer la transaction.

Article 3

Cet article n'appelle pas d'observations.

Article 4

M. Laeremans estime qu'il est tout à fait inopportun de limiter le champ d'action ou les possibilités du ministère public au maximum de l'amende prévue dans la loi. Il renvoie à la discussion générale, lors de laquelle il a exprimé sa crainte de voir des montants de transactions beaucoup trop bas dans la pratique. Les administrations disposent de beaucoup plus de possibilités de conclure des transactions, et ce pour des montants plus élevés. À quelle logique l'inscription de cette limite dans la loi correspond-elle ? Y a-t-il eu des abus dans le passé ? Est-ce à la demande de l'une ou l'autre instance ? Le ministère public possède-t-il un registre des montants des transactions, d'où il ressortirait qu'ils étaient jadis plus élevés que l'amende maximum ?

Le ministre répond que cette disposition a été reprise telle quelle de l'article 216bis actuel. Seule la proportionnalité a été inscrite.

Article 5

Amendement nº 7

Mmes Faes et Stevens déposent l'amendement nº 7 (doc. Sénat, nº 5-893/2) visant à insérer un article 5 nouveau concernant l'entrée en vigueur du texte à l'examen.

L'amendement prévoit que la loi en question entrera en vigueur le même jour que le titre 4, chapitre 8, de la loi du ... 2011 portant des dispositions diverses.

Afin d'éviter toute confusion, il convient que cette loi entre en vigueur le même jour que les dispositions des articles 216bis et 216ter du Code d'instruction criminelle qui seront modifiées par la loi portant des dispositions diverses. Si tel n'était pas le cas, des problèmes de procédure risqueraient de se poser, car des faits similaires feraient l'objet de procédures différentes.

M. Mahoux constate que l'amendement vise à aligner la date d'entrée en vigueur du présent texte sur celle de l'article 84 de la loi portant des dispositions diverses. Il est important de s'assurer de la concordance entre les modifications apportées au régime de transaction pénale par l'article 84 de la loi portant des dispositions diverses et les dispositions correctrices contenues dans la présente proposition de loi.

Le ministre précise que le projet de loi portant des dispositions diverses, qui contenait également d'autres dispositions, sera publié après son approbation par le Sénat. La proposition de loi à l'examen devra aussi être votée au plus vite. Dans l'intervalle, instruction sera donnée au Collège des procureurs généraux de retarder l'application de la transaction jusqu'à ce que la loi modificative à l'examen ait été publiée. Ce délai ne sera d'ailleurs pas très long.

Corrections de texte

M. Laeremans renvoie aux observations formulées par le service d'Évaluation de la législation. La commission décide d'apporter les corrections de texte suivantes:

« Article 2

Le texte néerlandais de l'article 216bis, § 1er, alinéa 1er, est rédigé comme suit:

« § 1. De procureur des Konings kan, indien hij meent dat een feit niet van aard schijnt te zijn dat het gestraft moet worden met een hoofdstraf van meer dan twee jaar correctionele gevangenisstraf of een zwaardere straf, desgevallend met inbegrip van de verbeurdverklaring, en dat het geen zware aantasting inhoudt van de lichamelijke integriteit, de dader verzoeken ... »

Correction de texte au 2º

« ...la transaction proposée et si la victime ... »

Article 3

a) Discordance

— dans le § 5, alinéas 1er et 2, dans le texte français, remplacer les mots « La faculté » par les mots « Le droit ». Texte néerlandais = « Het recht ».

b) Corrections de texte (alinéa 2):

— texte néerlandais: « Het in paragraaf 1 bepaalde recht »

— texte français: remplacer les mots « aux auditeurs du travail » par les mots « à l'auditeur du travail »

— omettre les mots « du Code d'instruction criminelle » après les mots « aux articles 479 et 483 »

— texte néerlandais: remplacer les mots « van het hof van beroep » par les mots « bij het hof van beroep »

V. VOTES

L'article 1er est adopté par 9 voix contre 8.

L'amendement nº 1 de Mmes Faes et Stevens est rejeté par 9 voix contre 4 et 4 abstentions.

L'amendement nº 8 de M. Laeremans est rejeté par 14 voix contre 1 et 2 abstentions.

L'amendement nº 9 de Mme Turan est rejeté par 9 voix contre 3 et 5 abstentions.

L'article 2 est adopté par 9 voix et 3 abstentions.

Les amendements nos 2, 3, 5 et 6 de Mmes Faes et Stevens sont rejetés par 9 voix contre 5 et 3 abstentions.

L'amendement nº 4 de Mmes Faes et Stevens est rejeté par 9 voix contre 4 et 4 abstentions.

Les articles 3 et 4 sont adoptés par 9 voix et 8 abstentions.

L'amendement nº 7 est rejeté par 9 voix contre 4 et 4 abstentions.

VI. VOTE FINAL

Mme Khattabi déclare qu'elle s'abstiendra lors du vote final. Elle salue l'effort des membres de la commission qui ont accepté de rouvrir le débat pour apporter des modifications au régime de la transaction pénale tel qu'il était défendu par le gouvernement. Elle ne peut cependant soutenir le texte car il ne va pas assez loin.

L'ensemble de la proposition de loi est adopté par 9 voix contre 4 et 3 abstentions.

À l'unanimité des 17 membres présents, confiance a été faite aux rapporteuses pour la rédaction du présent rapport.

Les rapporteuses, La présidente,
Zakia KHATTABI. Helga STEVENS. Christine DEFRAIGNE.