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M. François Bellot (MR). - Début janvier, le procureur fédéral, Johan Delmulle s'est exprimé dans le journal De Tijd afin de dénoncer le fait qu'à l'heure actuelle la police judiciaire belge ne peut plus, en raison du manque d'effectifs qualifiés, mener d'enquêtes sur l'ensemble des menaces terroristes existant dans notre pays.
Vous avez suggéré, en réponse au cri d'alarme formulé par le procureur fédéral, de miser sur l'amélioration de la formation de la police au terrorisme, en dehors des corps de police de la Région bruxelloise, plutôt que sur l'augmentation du personnel existant.
À cette occasion, vous avez fait remarquer qu'il est nécessaire de réaliser un meilleur « screening » des interprètes et traducteurs jurés impliqués dans les dossiers de terrorisme.
Quelles initiatives envisagez-vous pour améliorer la qualité de ces interprètes et de ces traducteurs avec lesquels la justice est amenée à collaborer ?
Sous la législature précédente, notre regretté collègue Berni Collas avait fait adopter en commission de la Justice du Sénat une proposition de loi soutenue par votre prédécesseur, M. Vandeurzen, destinée à améliorer le système prévu par la loi lorsqu'on doit recourir aux services d'interprètes jurés au stade de l'information, de l'instruction ou de l'arrestation.
Le but était de recourir rapidement à un interprète ou à un traducteur dont la compétence et l'indépendance ne pouvaient être mises en doute. Il est inutile de rappeler que selon la jurisprudence de la Cour de cassation, des déclarations contenues dans un procès-verbal sont nulles dès l'instant où celui-ci mentionne que les auditions se sont passées avec l'aide d'un interprète mais sans que sa qualité d'interprète « juré » n'ait été constatée. Il est en effet indispensable que le juge puisse prendre connaissance de tous les éléments de la manière la plus optimale et objective possible.
Un autre objectif était de répondre à la pénurie de traducteurs et d'interprètes jurés qui se fait ressentir dans certains arrondissements judiciaires. L'une des causes serait le retard dans le paiement de leurs émoluments, lequel n'intervient parfois que trois ans après les prestations. D'après mes informations, de nombreuses plaintes auraient déjà atterri dans vos services au SPF Justice. Doit-on parler de négligence ou de problèmes budgétaires ? Quoi qu'il en soit, il s'agit d'une situation dangereuse qui peut créer une possibilité de tentative de corruption par le crime organisé. Au début des années 2000, des problèmes de traite des êtres humains, de corruption ou de faux en écritures se sont produits, notamment avec l'aide de traducteurs-interprètes travaillant pour l'Office des étrangers ou le Commissariat général aux réfugiés et apatrides.
Monsieur le ministre, que voulez-vous dire en parlant de procéder à un « meilleur screening » des interprètes et des traducteurs auxquels la justice fait appel ? L'initiative de M. Collas n'ayant pas pu aboutir à l'époque, que suggérez-vous concrètement pour garantir l'accès à des interprètes et à des traducteurs présentant le maximum de garantie de compétences ?
J'aimerais également savoir s'il existe des cas où la justice belge a dû libérer des personnes arrêtées faute d'interprète. La jurisprudence ou les conventions européennes n'imposent-elles pas à la Belgique d'organiser pour une personne interrogée qui s'exprime dans une langue étrangère l'accès à un interprète doté du statut légal de juré garantissant son indépendance ?
Enfin, pouvez-vous me confirmer l'existence de retards de paiement à l'égard de ces interprètes et de ces traducteurs ? Si c'est le cas, quel est le délai moyen pour qu'ils soient rémunérés ? Pour quelles raisons y a-t-il autant de retard ?
M. Stefaan De Clerck, ministre de la Justice. - L'article 22quinquies, §1er, de la loi du 11 décembre 1998 relative à la classification et aux habilitations, attestations et avis de sécurité dispose notamment qu'une autorité administrative peut décider qu'une vérification de sécurité visée à l'article 22sexies soit au préalable réalisée par l'autorité mentionnée à l'article 15, alinéa 1er - l'Autorité nationale de Sécurité - pour autoriser l'exercice d'une profession, d'une fonction, d'une mission ou d'un mandat. Cette décision ne peut être prise que lorsque l'exercice d'une profession, d'une fonction, d'une mission, d'un mandat... peut, par un usage inapproprié, porter atteinte à la défense de l'intégrité du territoire national et des plans de défense militaire, à l'accomplissement des missions des forces armées, à la sûreté intérieure de l'État, y compris dans le domaine de l'énergie nucléaire.
Ces dispositions ont été appliquées aux traducteurs et interprètes auxquels le Parquet fédéral souhaite faire appel. L'Autorité nationale de sécurité a par conséquent rendu un avis positif pour plus de 80 personnes.
Cela dit, je ne sais pas si ce nombre sera suffisant. Dans la pratique, le nombre d'interprètes accrédités ne suffira pas toujours pour résoudre les problèmes.
Par ailleurs, l'article 31 de la loi du 15 juin 1935 concernant l'emploi des langues en matière judiciaire précise que les parties qui ne comprennent pas la langue de la procédure sont assistées par un interprète juré qui traduit l'ensemble des déclarations verbales.
L'article 40 de la même loi prévoit que cette règle est prescrite à peine de nullité prononcée d'office par le juge.
L'interprétation de la législation dans le cadre d'une contestation pénale relève de la compétence exclusive des cours et tribunaux. Selon le principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs, le ministre de la Justice, membre du pouvoir exécutif, ne peut s'immiscer de quelque manière que ce soit dans des matières relevant de la compétence exclusive des autorités du pouvoir judiciaire. Le ministre doit également respecter les décisions judiciaires quelles qu'en soient leurs conséquences.
La directive européenne du 20 octobre 2010, votée sous présidence belge, relative au droit à l'interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales prévoit des exigences quant à la qualité de l'interprétation et de la traduction. L'objectif de cette directive est de définir des normes minimales communes concernant le droit à l'interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales, ainsi que des procédures d'exécution d'un mandat d'arrêt européen.
La directive prévoit notamment que les États membres prennent des mesures concrètes pour garantir que l'interprétation et la traduction fournies correspondent à la qualité exigée et s'efforcent de dresser un ou plusieurs registres de traducteurs et d'interprètes indépendants possédant les qualifications requises.
Les États membres devront prendre les mesures nécessaires pour s'y conformer au plus tard le 27 octobre 2013. Des initiatives législatives doivent donc être prises à ce sujet. Outre la proposition de loi à laquelle vous faites référence, je renvoie également aux textes des propositions de loi déposées à la Chambre des Représentants.
Enfin, à la suite des difficultés de paiement apparues fin 2010, je suis intervenu à deux reprises afin que les frais de justice des traducteurs, interprètes, experts et autres puissent continuer à être payés.
Le budget du service Frais de justice a été augmenté de 8 210 000 euros, par transferts internes au sein de mon SPF, et de 9 400 000 euros, par le biais d'une adaptation du budget 2010 du service Frais de justice, approuvée par le Parlement.
Je tiens néanmoins à préciser que certains traducteurs interprètes ont rencontré des difficultés du fait que les parquets ont appliqués l'article 86 du règlement général des frais de justice tombé jusqu'alors en désuétude. Cet article prévoit la prescription des mémoires qui n'auraient pas été présentés dans un délai de six mois à compter de l'expiration de l'année pendant laquelle les frais auront étés exposés. Les prestataires de service en question qui ne connaissaient pas cette disposition réglementaire se sont donc heurtés à des refus de paiement. L'alinéa 2 du même article m'autorise à relever de la déchéance les parties qui m'en ont fait la demande. J'ai donc, dans de nombreux cas, accepté d'accorder une dérogation à ce délai de six mois afin que ces prestataires soient payés et que la justice puisse continuer à bénéficier de leurs prestations qui lui donnent d'ailleurs satisfaction.
Nous avons donc trouvé une solution aux problèmes qui se sont présentés.
M. François Bellot (MR). - Je note qu'il faudra transposer la directive européenne mais que vous disposez déjà de la liste des interprètes jurés et agréés pour le Parquet fédéral et que cela sera généralisé à l'ensemble des parquets.
J'en viens au délai de paiement de trois ans. Quand nous parlons de délai de paiement, c'est entre le moment où la facture est transmise et le moment où elle liquidée. J'entends votre remarque par rapport au délai de prescription de six mois si les interprètes n'ont pas déposé leur traduction dans les six mois mais il n'en demeure pas moins que des délais de trois ans sont inexplicables. Il faudrait mettre des délais de rigueur pour que les factures puissent être payées selon la méthode first in, first out.
M. Stefaan De Clerck, ministre de la Justice. - Nous devrons créer une législation séparée pour les frais de justice. Régler la totalité des frais de justice sera une priorité absolue pour le nouveau gouvernement.
Nous allons aussi introduire un software unique pour l'ensemble des parquets et des tribunaux de manière à optimaliser la gestion des frais de justice. Actuellement, la décision concernant le paiement revient en premier lieu au parquet ou au tribunal qui a demandé la prestation. Ensuite, après contrôle, la demande est envoyée aux services centraux à Bruxelles, lesquels effectuent le paiement. Dans ce circuit, il y a beaucoup de problèmes et de retards. L'introduction du software unique permettra d'améliorer sensiblement le traitement de tous ces frais. En outre, cela optimalisera les choses au niveau des frais car, pour le moment, il n'y a pas de contrôle, pas d'identité, etc.
M. François Bellot (MR). - Vous allez donc optimaliser et assurer la traçabilité des prestations.
M. Stefaan De Clerck, ministre de la Justice. - En effet.