5-828/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2010-2011

7 MARS 2011


Proposition de résolution visant à coordonner la législation fédérale et celle des communautés et des régions dans le cadre de l'exercice des compétences attribuées et implicites

(Déposée par Mme Cindy Franssen et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


Dans le Rapport annuel 2009 de la Cour de cassation, le ministère public indique (1) qu'il y a deux dispositions qui sont reprises à l'article 585 du Code judiciaire sous le point « 10º ».

Un premier 10º a été inséré par l'article 8 de la loi du 10 mai 2007 adaptant le Code judiciaire à la législation tendant à lutter contre les discriminations et réprimant certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie (2) qui a modifié et renuméroté le deuxième 9º présent à l'époque dans ce même article en 10º.

Un deuxième 10º a été inséré par le décret flamand du 10 juillet 2008 portant le cadre de la politique flamande d'égalité des chances et de traitement (3) . Lorsqu'elle a entamé son parcours parlementaire, antérieurement à l'élaboration de ce décret, la loi du 10 mai 2007 n'était pas encore publiée et l'on avait retenu l'option consistant à ajouter un 10º dans l'énumération de l'article 585 du Code judiciaire.

À cet égard, le procureur général près la Cour de cassation souligne le problème que « la seule référence à l'article 585, 10º, du Code judiciaire, en principe adéquate pour identifier une norme déterminée, s'avère insuffisante puisqu'elle est désormais susceptible de consacrer deux textes distincts ». Il affirme à ce sujet qu'« il conviendrait de rectifier la situation et d'envisager à l'avenir un contrôle spécifique approprié de la numérotation des dispositions législatives existantes, afin d'en conserver la cohérence et d'éviter la réitération d'une telle source de confusion ».

L'organisation et la réglementation des compétences des cours et des tribunaux sont une matière fédérale par excellence. L'article 157, alinéa 3, de la Constitution prévoit entre autres que « La loi règle aussi l'organisation des juridictions du travail, leurs attributions, le mode de nomination de leurs membres et la durée des fonctions de ces derniers ». De plus, l'article 146, première phrase, de la Constitution prévoit que « nul tribunal, nulle juridiction contentieuse ne peut être établi qu'en vertu d'une loi ».

Le Conseil d'État confirme la chose dans son avis sur le décret flamand du 10 juillet 2008:

« Il ressort de la légisprudence constante de la section de législation du Conseil d'État que la détermination de la compétence des juridictions tout comme le règlement de la procédure devant ces juridictions sont des matières réservées au législateur fédéral (4) . » (traduction)

Toutefois, le Conseil d'État ajoute également:

« Ainsi qu'il a été indiqué, en vertu de l'article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980, les décrets peuvent toutefois, à certaines conditions, porter des dispositions concernant des matières pour lesquelles les parlements concernés ne sont pas compétents. » (traduction)

Selon l'article 10 de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980: « Les décrets peuvent porter des dispositions de droit relatives à des matières pour lesquelles les parlements ne sont pas compétents, dans la mesure où ces dispositions sont nécessaires à l'exercice de leur compétence. »

En vertu de cette disposition, il est possible d'insérer certaines dispositions dans le Code judiciaire sous réserve du contrôle de la Cour constitutionnelle quant au critère de nécessité.

Le procureur général près la Cour de cassation fait remarquer à cet égard que « l'exercice distinct et parallèle des compétences qui en résulte, apparaît être de nature à constituer, sur le plan de la technique législative et par manque d'un contrôle préalable adapté, une source de confusion ».

L'exemple de double référence cité par le ministère public n'est pas un cas isolé. À cinq reprises, les dispositions qui ont été introduites par le décret du 10 juillet 2008 font double emploi avec une disposition fédérale, ce qui est souvent une source de confusion et d'imprécision.

Les auteurs estiment qu'il convient de rectifier cette situation. Une proposition de décret a déjà été déposée dans ce sens au Parlement flamand (5) . Cette proposition de décret ne constitue cependant pas une garantie définitive qu'aucune imprécision de ce genre ne se reproduira à l'avenir. Par conséquent, comme l'indique la Cour de cassation dans le Rapport annuel, il convient de prévoir un contrôle préalable adapté lorsque des modifications sont apportées à un même texte législatif par différentes autorités compétentes.

Il serait envisageable d'élaborer une notice visant à éviter à l'avenir les dispositions qui font double emploi dans la problématique précitée. Ce régime constituerait par la suite le principe de base régissant toutes les futures interventions d'un parlement, sur la base des compétences attribuées ou implicites, dans une norme législative qui relève en principe de la compétence d'un autre parlement. Cette notice peut également servir à éviter les doubles emplois dans les arrêtés d'exécution et autres réglementations.

Des accords en la matière contribueront certainement à améliorer la qualité de la législation et, partant, la lisibilité de la loi pour les acteurs de la Justice comme pour les justiciables.

Dans l'intervalle, les différentes assemblées législatives de notre pays seront chargées d'examiner comment remédier à certains doublons et certaines dispositions pourront déjà être rectifiées. Une renumérotation ne garantit pas à elle seule que les mêmes dispositions légales ne seront pas sujettes à un problème identique à l'avenir.

Une solution s'inspirant de celle proposée par les services du Parlement flamand pour la proposition de décret modifiant certaines dispositions du Code judiciaire (Doc. parl. Vl. Parl., 2010-2011, nº 714/1), pourrait consister à classer tous les articles concernant une communauté ou une région donnée dans une section distincte. Les dispositions élaborées par le Parlement flamand dans le cadre d'une compétence de la Communauté flamande se retrouveraient alors dans un chapitre ou une section x, dont l'intitulé serait: « Chapitre x (ou section x). Dispositions propres à la Communauté flamande. » Les autres communautés et régions pourraient, de la même manière, ajouter des sections comprenant des dispositions. Ici encore, une coordination reste nécessaire afin que les différentes communautés et régions n'ajoutent pas les mêmes sections.

Le problème des doublons dans la numérotation au sein d'un même article serait ainsi résolu, mais une concertation restera bel et bien nécessaire pour éviter que les différentes régions et communautés n'insèrent chacune les mêmes sections ou articles.

En ce qui concerne l'exemple du Code judiciaire, cette concertation suppose en outre une connaissance spécialisée du droit judiciaire et de la répartition des compétences y afférente.

Vu qu'un accord de coopération visant à mettre sur pied une telle concertation relève de la compétence du pouvoir exécutif, les auteurs de la présente résolution entendent appeler le gouvernement fédéral à réunir les différents spécialistes et autorités compétents autour de la table afin de parvenir à une solution définitive et, le cas échéant, de couler celle-ci dans un accord de coopération.

À cet effet, les auteurs proposent au gouvernement de créer une commission ad hoc réunissant des représentants des différentes assemblées législatives du pays, des spécialistes des services législatifs des différents parlements, des représentants du Conseil d'État, de la Cour constitutionnelle et de la Cour de cassation ainsi que des professeurs des facultés de droit des universités belges.

Cette commission serait chargée d'élaborer une notice contenant les directives techniques à respecter lors de l'élaboration de décrets ou d'ordonnances qui interviennent dans un texte légal fédéral alors que le pouvoir de modification de ce dernier n'a pas été transféré aux communautés et aux régions ou qu'il ne l'a pas été intégralement, d'une manière plus générale dans le but d'éviter que les diverses instances réglementaires n'adoptent des dispositions faisant double emploi. Le cas échéant, cette notice pourra ensuite être reprise dans un accord de coopération entre les différents parlements de notre pays.

Par ailleurs, la commission pourra être chargée de faire un tour d'horizon des dispositions actuelles qui ont été insérées par les communautés et les régions dans des textes législatifs fédéraux. Ce tour d'horizon permettra d'évaluer si elles satisfont aux directives de la notice à élaborer. La commission rédigera un rapport dans lequel elle pourra adresser des recommandations en ce sens aux différents parlements en vue d'adapter la législation.

Ce scénario pourrait aussi prévoir un rôle à jouer par le Comité parlementaire chargé du suivi législatif, créé par la loi du 25 avril 2007, qui est chargé d'identifier les difficultés dans l'application de la législation et de formuler des recommandations en vue d'aboutir à une solution. Une concertation sera également nécessaire en la matière.

Cindy FRANSSEN.
Sabine de BETHUNE.
Rik TORFS.
Peter VAN ROMPUY.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION


Le Sénat,

A. considérant que, dans le cadre de l'exercice des compétences qui leur sont attribuées ou de l'application de leurs compétences implicites, les communautés et les régions peuvent être amenées à apporter des modifications aux textes législatifs fédéraux et à d'autres réglementations;

B. considérant que des doubles emplois sont apparus dans le passé et sont susceptibles d'apparaître à nouveau chaque fois que des dispositions sont modifiées ou complétées;

C. considérant que les dispositions qui font double emploi peuvent être une source de difficulté ou d'imprécision dans le cadre de l'application de la loi et qu'elles compliquent l'utilisation ou la lecture du texte législatif par les acteurs de la Justice ou le justiciable, avec tous les risques de confusions que cela peut entraîner;

D. considérant qu'il faut tendre vers la plus grande clarté possible des textes législatifs;

E. considérant que les différents niveaux de pouvoir doivent se mettre d'accord à ce sujet;

F. considérant que, conformément à l'article 142 de la Constitution, seule la Cour constitutionnelle est compétente pour contrôler la conformité des lois, décrets et ordonnances aux règles de répartition de compétence,

Demande au gouvernement:

de créer une commission réunissant des représentants des différentes assemblées législatives du pays, des spécialistes des services législatifs des différents parlements, du Conseil d'État, de la Cour de cassation et de la Cour constitutionnelle ainsi que des facultés de droit des universités belges, qui sera chargée dans l'année suivant sa mise en place:

— d'élaborer une notice contenant des directives techniques destinées aux différentes instances législatives et aux organes respectifs du pouvoir exécutif qui apportent des modifications à la législation existante ou à la réglementation des autres entités politiques dans le cadre de l'exercice de leurs compétences attribuées ou implicites;

— d'examiner dans quelle mesure les dispositions actuelles qui ont été élaborées sur la base des compétences attribuées ou implicites par les communautés et les régions ou par les entités réglementaires fédérales satisfont la notice et de formuler, à l'intention des Chambres législatives fédérales et des parlements de communauté et de région, ainsi qu'aux gouvernements respectifs, des propositions visant à mettre ces dispositions en harmonie avec ladite notice.

19 janvier 2011.

Cindy FRANSSEN.
Sabine de BETHUNE.
Rik TORFS.
Peter VAN ROMPUY.

(1) Plus précisément dans les propositions lege ferenda du ministère public, Rapport annuel de la Cour de cassation de Belgique 2009, pp. 173-174.

(2) Moniteur belge du 30 mai 2007.

(3) Moniteur belge du 23 septembre 2008.

(4) Avis no 43.835/1 du Conseil d'État du 20 décembre 2007, Doc. parl. Vl. Parl., 2007-2008, no 1578/1, p. 71.

(5) Proposition de décret modifiant quelques dispositions du Code judiciaire, Doc. parl. Vl. Parl., 2010-2011, no 714/1.