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Mme Dominique Tilmans (MR). - En 2009, 35 000 personnes ont trouvé la mort sur les routes en Europe. En Belgique, le nombre de décès est passé de 1500 à 900 l'an dernier, une nette amélioration certes, mais trop faible : ni l'Union européenne, malgré un recul de 36%, ni la Belgique n'ont atteint l'objectif, fixé en 2001, de réduction de moitié du nombre de morts sur les routes.
La circulation routière est une des causes les plus importantes de décès parmi les jeunes et les enfants en Belgique ; dans ma province, deux adolescents ont récemment perdu la vie, fauchés par une voiture alors qu'ils sortaient d'une boîte de nuit et n'avaient pas voulu prendre leur propre véhicule.
Un dépliant du SPF Justice, intitulé « Informations et conseils aux familles des victimes d'accidents de la route » indique un montant qui leur sera accordé pour réparer le préjudice moral subi. Par exemple, il s'agit de dix mille euros pour la perte d'un enfant habitant sous le même toit que ses parents. Ce montant provient d'un tableau indicatif publié régulièrement par deux associations de magistrats. Comme son nom l'indique, le tableau est indicatif et dresse un constat des moyennes d'indemnisation. Il n'est donc nullement contraignant.
En vertu de la séparation des pouvoirs, il ne revient pas au pouvoir exécutif de dicter au pouvoir judiciaire ce qu'il convient d'accorder aux victimes. Il appartient aux parties de négocier ce qu'elles estiment être une juste indemnisation et, le cas échéant, de porter l'affaire devant le tribunal qui décidera dans quelle mesure les montants peuvent, conformément à la demande d'une partie concernée, être revus à la hausse ou à la baisse.
Voici mes questions, monsieur le ministre.
Ne pensez-vous pas qu'en indiquant dans votre fascicule un tableau de type barémique des montants accordés vous induisiez les parents de victimes en erreur ? Ceux-ci peuvent avoir l'impression que le coût d'une vie est chiffré à l'avance et pour des sommes que le fascicule du SPF Justice qualifie lui-même de franchement peu élevées.
L'indication de ces montants modiques ne risque-t-elle pas de décourager certaines victimes d'agir en justice ?
Cette indication de type barémique n'est-elle pas aussi de nature à faciliter la tâche des assureurs de responsabilité en maintenant la pression à la baisse lors de négociations d'indemnisation à l'amiable ?
L'indication d'un quelconque montant dans le fascicule du SPF Justice est-elle réellement utile ou justifiée ?
Par ailleurs, d'un pays à l'autre les montants accordés peuvent être différents. En France, par exemple, les montants accordés sont en moyenne plus élevés. Ne faudrait-il pas défendre l'idée d'une certaine harmonisation au niveau européen ? Nos magistrats sont-ils suffisamment sensibilisés à cette différence de traitement qui frappe les victimes belges par rapport à d'autres victimes européennes ?
M. Stefaan De Clerck, ministre de la Justice. - La brochure « Information et conseils aux familles des victimes d'accidents de la route » mentionne en effet dans le tableau indicatif (édition 2004) les montants proposés pour la réparation du préjudice moral.
La brochure précise toutefois à plusieurs endroits qu'il s'agit de montants purement indicatifs, non contraignants, susceptibles d'être accordés et ne pouvant être considérés comme des minima ou des maxima.
Il importe de souligner que les montants paraissent peu élevés mais que souvent les victimes souhaitent avant tout une reconnaissance pour la perte de leur être cher.
En outre, les montants figurant dans le tableau indicatif sont régulièrement adaptés en concertation avec de nombreux acteurs.
Concernant les montants à l'étranger, des montants plus élevés qu'en Belgique sont parfois accordés en France. Ces montants sont repris dans une liste de référence indicative de janvier 2010 utilisée par les Cours d'appel de Bordeaux, d'Agen, d'Angers, de Limoges, de Pau, de Poitiers et de Toulouse.
Par exemple : 20 000 à 25 000 euros pour la perte d'un partenaire (la moitié en Belgique) ; 20 000 à 25 000 euros pour la perte d'un enfant cohabitant (12 500 euros en Belgique) et 9 000 à 12 000 euros pour la perte d'un frère ou d'une soeur cohabitant(e) (2 500 euros en Belgique).
Par contre, aux Pays-Bas, aucun montant n'est accordé aux proches de victimes décédées à la suite d'un accident de la route dont la responsabilité incombe à un tiers. Une proposition de loi visant à réparer le dommage affectif a été rejetée au printemps 2010. Cette proposition prévoyait une reconnaissance et une réparation à l'égard des proches, la compensation proprement dite restant à l'arrière-plan. Le montant de la réparation devait encore être déterminé par des dispositions séparées, mais un montant fixe de 10 000 euros était prévu dans la proposition de loi. Par la suite, ce montant fixe a été remplacé par trois montants, à savoir 12 500 euros, 15 000 euros et 17 500 euros en fonction de la nature de la relation et des circonstances de l'accident. La proposition néerlandaise a notamment été rejetée du fait que le dommage affectif est difficilement chiffrable. C'était déjà la raison pour laquelle aucune réparation morale n'était prévue dans le Code civil néerlandais entré en vigueur en 1992.
C'est cet obstacle que le tableau indicatif belge tente de franchir. Proposer une série de montants permet d'éviter des discussions pénibles sur le lien affectif qui existait entre les intéressés et les circonstances douloureuses de l'accident. Cela permet également d'accélérer la réparation du dommage. Les parties et le juge sont toujours libres de ne pas appliquer les montants prévus en fonction des circonstances. Lorsqu'il n'y a pas de tiers, la situation est encore différente.
Il est effectivement utile et justifié de proposer des montants pour des dommages difficilement estimables. Le tableau indicatif est revu trois ou quatre fois par an. À cette occasion, les montants sont éventuellement adaptés. Un groupe de personnes issues des milieux concernés par les dommages et leur réparation, comme l'organisation Parents d'enfants victimes de la route, le Barreau, les compagnies d'assurances, etc., font partie du groupe de travail qui calcule cet ajustement avec des représentants de l'Ordre judiciaire. Ainsi, le montant octroyé pour la perte d'un enfant cohabitant a été porté de 10 000 à 12 500 euros par parent dans la dernière édition du tableau indicatif de 2008. Le tableau n'est donc aucunement une donnée statique. Il est adapté en permanence aux circonstances. Il importe bien entendu que le groupe de travail veille à participer aux discussions relatives aux montants.
La réglementation belge de cette matière se situe donc entre les systèmes français et néerlandais.
Une uniformisation des montants au niveau européen est souhaitable mais ne sera probablement pas réalisée à court terme étant donné l'interaction de cette matière avec le système d'assurance privée et le droit moral.
Pour le reste, je vais vous transmettre le texte, mais je pense avoir résumé la situation belge en faisant référence aux situations française et néerlandaise. Comme souvent, nous nous situons entre les deux.
Mme Dominique Tilmans (MR). - Ce qui choque les parents, c'est le chiffre peu élevé du montant alloué, même s'il s'agit d'une moyenne. Certains parents s'occupent très bien de leurs enfants. En revanche, d'autres ne s'en occupent pas du tout mais demandent quand même réparation. C'est un choc pour les parents qui perdent un enfant de constater que ce montant est aussi faible. Je me demande s'il est nécessaire qu'il figure dans la brochure du SPF Justice.
Je lirai d'abord votre réponse, monsieur le ministre, et je reviendrai éventuellement vers vous.