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10 JANVIER 2013
Il y a dix ans cette année qu'était promulguée la loi dépénalisant partiellement l'euthanasie.
L'adoption de cette loi fut précédée de long débats parlementaires, irrigués de contacts nombreux avec la société civile et le monde médical.
Dès 1996, le Sénat adoptait une résolution « en vue de rassembler des informations et d'organiser un débat sur la fin de vie ». Il était donné suite à cette résolution par l'organisation d'un colloque les 9 et 10 décembre 1997, autour des avis remis par le comité national consultatif de bioéthique sur l'opportunité d'une réglementation légale de l'euthanasie. De nombreuses propositions de loi furent déposées dans les deux assemblées, et en nombre plus importants encore devant le Sénat lors de la législature 1995-1999.
Le Sénat a ouvert un débat sur les propositions redéposées dès le début de la législature suivante, devant ses commissions réunies de la Justice et des Affaires sociales. Le débat a duré près de deux ans, a donné lieu à quarante auditions, de médecins et de membres du monde médical, de juristes, de représentants d'institutions spécialisées dans la fin de vie et les soins palliatifs, de patients malades...
Le débat a rapidement dépassé l'enceinte du parlement; il a eu un retentissement très grand dans l'ensemble de la société. La presse a donné un écho important au débat; les auditions ont été télévisées. On est passé sur ces questions difficiles de la fin de vie d'un véritable tabou sociétal à une parole ouverte.
On peut affirmer que la loi issue de ces débats constitue réellement une norme collectivement déterminée. En adoptant ce texte, le législateur belge a consacré une évolution tangible de la société. Il a réduit la discordance entre le cadre légal et le réel.
Ce texte fixe donc une nouvelle norme collective. Il n'impose aucune pratique à qui s'y opposerait à titre individuel. Mais il ouvre le droit à la maîtrise de sa vie.
Cette loi a rendu au patient le magistère sur sa vie, tout en le protégeant contre les abus. La loi a libéré la parole du patient et du médecin quant à la fin de vie, qui peuvent échanger en confiance, sans dissimulation ou décision hátive. Cela rassure le malade, qui sachant que sa demande pourra être entendue, accepte plus sereinement une prise en charge palliative, délivré de la peur de souffrir excessivement ou de se voir perdre toute dignité. Cela rassure le médecin, qui sait désormais qu'il peut accomplir l'acte ultime d'humanité pour délivrer un patient de la souffrance sans transgresser la loi, quand il agit dans le cadre de celle-ci, à la demande du patient.
Cette loi constitue donc une avancée réelle. Aujourd'hui, après dix ans, l'heure est à l'évaluation, et le cas échéant, à amélioration.
La loi a prévu la mise en place d'une commission d'évaluation. Les rapports bisannuels que la Commission adresse aux Chambres législatives sont la première source d'évaluation de la loi.
Le dernier rapport, déposé en 2012 et portant sur les années 2010-2011, confirme une lente et régulière augmentation du nombre de déclarations d'euthanasie, qui représentent aujourd'hui plus ou moins mille cas par an, soit 1 % du total des décès annuels. Dans ses recommandations, la Commission « confirme ses avis antérieurs selon lesquels l'application de la loi n'a pas donné lieu à des difficultés majeures ou à des abus qui nécessiteraient des initiatives législatives ».
Par contre, la Commission souligne la nécessité d'un « effort d'information tant vis-à-vis des citoyens que des médecins ». La Commission souhaiterait « la réalisation d'une brochure d'information destinée au public, qui permettrait notamment d'attirer l'attention sur l'importance de la déclaration anticipée d'euthanasie pour les cas d'inconscience irréversible où les décisions médicales sont particulièrement difficiles à prendre ».
L'information sur la fin de vie devrait être obligatoire dans toute les structures de soins, et disponible par exemple dans toutes les pharmacies. Cette information devrait faire notamment référence, outre toutes les possibilités de prise en charge palliative, à l'euthanasie, et au forum de médecins LEIF-EOL, apte à apporter une réponse aux demandes dans les diverses configurations possibles (patient au domicile, en institution, etc.).
Enfin, la Commission souligne la nécessité d'améliorer la formation des médecins concernant la fin de vie en ce compris les soins palliatifs et la pratique d'une euthanasie. Elle souligne également l'importance de la disponibilité des produits nécessaires à une euthanasie.
Cette question s'inscrit dans la question, plus large encore, de l'amélioration des capacités de réponses du monde médical aux situations de fin de vie. La qualité de cette réponse, et même la possibilité d'apporter une réponse aux différentes demandes, des soins palliatifs à l'euthanasie, n'est pas de même niveau sur tout le territoire belge. La formation des médecins et du personnel médical en général doit être améliorée pour permettre une généralisation des compétences dans le domaine de la fin de la vie. Les moyens doivent être donnés pour que des équipes multidisciplinaires soient capables, partout sur le territoire, de fournir des soins palliatifs en maîtrisant notamment efficacement la lutte contre la douleur et en étant capable de répondre à une demande d'euthanasie.
La maîtrise des pratiques est une diffusion lente. Dans l'immédiat, il serait souhaitable de s'appuyer sur l'existence des Forums de médecins LEIF-EOL pour développer, au niveau de chaque province belge, un centre d'expertise et de contact, qui serait susceptible à la fois d'apporter un soutien au médecin, notamment médecin généraliste, confronté à une demande d'euthanasie, et de servir de point de référence à tout patient qui rencontre des difficultés dans sa démarche pour bénéficier d'une euthanasie. C'est l'objet de cette résolution.
La situation des patients atteint de maladies mentales dégénératives
La loi de dépénalisation partielle de l'euthanasie a réservé ses effets aux patients majeurs ou mineurs émancipés capables juridiquement.
La loi n'est donc pas applicable aux personnes majeures conscientes mais incapables d'exprimer une volonté éclairée. Dans l'état actuel des choses, elle ne s'applique donc pas aux maladies mentales dégénératives.
La loi de 2002 prévoit que la déclaration anticipée est applicable si le patient n'est plus en état de manifester sa volonté et que le médecin constate l'existence d'une affectation accidentelle ou pathologique grave et incurable, que le patient est inconscient, et que cette situation est irréversible selon l'état actuel de la science.
L'application de ces conditions aux situations de dégénérescence mentale progressive fait l'objet de débats.
Ces maladies peuvent en effet provoquer une altération totale des capacités cognitives, menant le malade, au stade terminal de la maladie, à une absence totale de conscience de lui-même et des interactions avec le monde extérieur.
De très nombreuses personnes, souvent témoins de l'évolution d'une telle maladie chez un proche, déclarent vouloir bénéficier de l'euthanasie avant ce stade ultime de la maladie où le patient est, selon ces personnes de son entourage, dénué de toute conscience, de toute dignité et de toute humanité.
Une réponse doit pouvoir être apportée aux situations dramatiques que vivent les malades et leurs familles face à cette survie totalement déshumanisée, qui met les proches dans un désarroi terrible, et que de nombreuses personnes voudraient pouvoir s'éviter à elles-mêmes.
Mais la difficulté réside bien entendu dans la détermination de l'état exact du malade. Si la déclaration anticipée peut permettre de demander l'euthanasie à un stade de la maladie qui peut être considéré comme équivalent au stade de l'inconscience irréversible, en ce qu'il est caractérisé par une totale absence de conscience de sa propre personne et de communications inter-subjectives, il faut pouvoir caractériser cet état. Si cet état pouvait être identifié avec certitude, il ne serait d'ailleurs peut-être pas nécessaire de modifier la loi, la pratique médicale pouvant assimiler ce stade de la maladie à la condition actuelle de l'inconscience irréversible.
Mais les neurosciences peuvent-elles identifier de manière parfaitement claire les différents stades de la dégénérescence ?
L'auteur de la présente proposition de résolution estime qu'il convient avant tout de répondre à cette question pour envisager d'éventuelles adaptations législatives.
La présente proposition de résolution vise donc également à ce que le Sénat organise un débat sur la question permettant de confronter les connaissances scientifiques les plus actuelles à l'avis des juristes et éthiciens.
D'autres questions concernant l'application de la loi relative à l'euthanasie sont traitées dans la proposition de loi que l'auteur dépose conjointement à cette proposition de résolution.
Philippe MAHOUX. |
Le Sénat,
A. Prenant connaissance des rapports bisannuels de la Commission d'évaluation de la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie;
B. Conscient de la nécessité d'améliorer l'information des patients quant au contenu des lois encadrant les situations de fin de vie, des soins palliatifs à l'euthanasie;
C. Considérant que les droits des patients, en ce compris les demandes relatives à la fin de vie, doivent pouvoir trouver une réponse médicale de qualité partout sur le territoire, et dans toutes les institutions;
D. Prenant acte des nombreuses déclarations quant à l'insuffisance de la situation actuelle des patients atteints d'une maladie mentale dégénérative,
Demande au gouvernement:
— de renforcer l'information du grand public quant aux droits des patients en situation de fin de vie et de s'assurer que cette information soit disponible dans toutes les institutions de soins du pays; en particulier, de donner corps à la recommandation de la Commission d'évaluation de la loi de réaliser « une brochure d'information destinée au public, qui permettrait notamment d'attirer l'attention sur l'importance de la déclaration anticipée d'euthanasie pour les cas d'inconscience irréversible où les décisions médicales sont particulièrement difficiles à prendre »;
— de promouvoir, en collaboration avec les autorités communautaires compétentes, la formation des médecins et du personnel infirmier aux situations de fin de vie;
— d'assurer l'existence d'au moins un centre d'expertise médical par province consacré aux situations de fin de vie, qui soit apte à fournir un support à tout médecin, notamment généraliste, confronté à ces situations, et qui puisse fournir, le cas échéant une réponse médicale à la demande d'un patient,
Et charge ses commissions de la Justice et des Affaires sociales:
— de recueillir des informations quant à l'état de la connaissance médicale et des neurosciences quant aux maladies mentales dégénératives et d'examiner si ces informations peuvent permettre de proposer un cadre légal autorisant la prise en compte des déclarations anticipées de volonté dans les stades ultimes des maladies de ce type;
— d'éventuellement proposer au président du Sénat la saisine du Comité national consultatif de bioéthique sur cette question;
— de faire rapport dans l'année, à partir du début de leurs travaux.
18 décembre 2012.
Philippe MAHOUX. |