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6 DÉCEMBRE 2010
La présente proposition de loi reprend — moyennant quelques modifications — le texte d'une proposition qui a déjà été déposée au Sénat le 7 octobre 2009 (doc. Sénat, nº 4-1441/1 - 2008/2009).
Dans un contexte de relance des discussions au plus haut niveau sur les armements nucléaires, l'auteur souhaite que la Belgique fasse un pas supplémentaire dans l'effort mondial pour éradiquer les armes nucléaires.
Cette proposition de loi a pour objet de qualifier les systèmes d'armement nucléaire d'armes prohibées en Belgique au sens de la loi du 8 juin 2006 réglant des activités économiques et individuelles avec des armes (dite « loi sur les armes »).
Cette nouvelle qualification en droit belge a pour effet de rendre applicable le chapitre V de loi. Ainsi, l'article unique de ce chapitre prohibe toute une série d'opérations avec les armes prohibées énumérées à l'article 3. C'est ainsi que la fabrication, la réparation, l'exposition, la vente, le transport ou le dépôt d'armes nucléaires sur le territoire belge seront prohibées.
Les arguments s'élevant contre la présence d'armes nucléaires sur le sol belge sont de différents ordres. Tout d'abord, cette question doit être abordée au regard de deux instruments juridiques internationaux majeurs liant notre pays en matière de sécurité et de désarmement.
Le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, signé le 1er juillet 1968 (ci-après TNP), contient une clause de désarmement: l'article VI. Ce dernier prévoit qu'à terme les États doivent procéder à un désarmement général et complet, c'est-à-dire au démantèlement de leurs armes nucléaires. L'interprétation donnée à la nature de l'article VI du TNP a été développée par la Cour internationale de justice à l'occasion d'un avis consultatif rendu le 8 juillet 1996. Cet avis confirme l'obligation de résultat qui pèse sur tous les États qui ont ratifié le TNP. La Cour a, à l'unanimité, estimé qu'il existait bien dans le TNP « une obligation de poursuivre de bonne foi et de mener des négociations conduisant au désarmement nucléaire dans tous ses aspects, sous un contrôle international strict et efficace ».
Il s'agit d'un des trois piliers du TNP à côté du droit inaliénable qu'ont les États de développer la technologie nucléaire civile et de l'interdiction pesant sur les États signataires possédant l'arme nucléaire de la transférer (non-prolifération) « à qui que ce soit ».
C'est sur ce dernier aspect que la Belgique ne remplit pas ses obligations internationales. Le TNP, en son article 2, précise que « Tout État non doté d'armes nucléaires qui est Partie au Traité s'engage à n'accepter de qui que ce soit, ni directement ni indirectement, le transfert d'armes nucléaires ou autres dispositifs explosifs nucléaires ou du contrôle de telles armes ou de tels dispositifs explosifs; (...) ».
Si l'application de la notion de transfert d'armes nucléaires est déjà consécutive d'une entorse à l'article 2 du TNP, personne ne peut contester que le concept de contrôle s'applique pleinement à la situation belge.
Il s'agit en effet d'une notion de fait, qui, par la présence supposée de bombes nucléaires sur une base militaire belge, permet de les qualifier comme étant sous le contrôle de notre gouvernement. Notons au passage que les États-Unis constituent l'unique État à stationner des armes nucléaires sur des territoires étrangers. Et dans l'hypothèse de leur utilisation, la possibilité est grande que ce soit un F-16 belge qui soit chargé du largage de la bombe.
Maintenir le stationnement sur notre territoire d'armes nucléaires américaines revient à jouer le jeu de la prolifération. À l'inverse, faire de la Belgique une zone dénucléarisée constitue une avancée significative. Nous suivrions ainsi l'exemple courageux donné par d'autres pays avant nous.
Au sein de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN), outre la Belgique, l'Italie, les Pays-Bas, l'Allemagne et la Turquie accueilleraient également des armes nucléaires américaines. Récemment, les États-Unis ont procédé à la dénucléarisation des bases de Ramstein en Allemagne, (la plus importante base nucléaire américaine en Europe) et de Lakenheath en Grande-Bretagne. La tendance est donc clairement au retrait de ces armes nucléaires américaines du territoire européen.
La présence supposée d'armes nucléaires sur notre territoire s'inscrit dans le cadre de notre engagement au sein de l'Alliance atlantique, même si le Traité de l'Atlantique Nord est silencieux sur une hypothétique « obligation nucléaire ».
Dans la perspective internationale du TNP, le lien entre le désarmement et la non-prolifération est évident mais ne trouve malheureusement pas d'écho dans la pratique. Tant que les détenteurs d'armes nucléaires ne prendront pas des mesures concrètes pour se conformer à leur obligation de désarmement progressif, la communauté internationale se prive de l'argument le plus fort pour convaincre de nouveaux États de ne pas acquérir l'arme nucléaire. Mais comment développer cet argument au-delà de nos frontières si notre pays ne respecte pas lui-même ses obligations ?
L'actualité laisse entrevoir de nouveaux espoirs en matière de désarmement. Les États-Unis et la Fédération de Russie ont souscrit en mars 2010 à de nouveaux engagements en matière de réduction de leurs arsenaux respectifs (Accords START). L'enjeu principal sera bien évidemment l'exécution rapide de leurs promesses.
Le 13 juin 2009, l'appel émis par le secrétaire général des Nations unies demande expressément aux gouvernements de se concentrer sur un effort mondial vers le désarmement nucléaire. Son message est clair: « We must disarm ! ».
L'ouverture de la 64e session de l'Assemblée générale des Nations unies est aussi marquée par la question du désarmement nucléaire, avec une session extraordinaire du Conseil de sécurité, présidée par le président Obama le jeudi 24 septembre 2009. Autre signe positif, l'administration américaine a préparé un projet de résolution appelant les puissances nucléaires à un désarmement général et total sous contrôle international strict et efficace.
En mai 2010 a eu lieu la conférence de révision du TNP. C'est un test majeur pour le désarmement vu l'échec de la dernière conférence en 2005. Les efforts actuels sont dès lors cruciaux si l'on veut augmenter les chances de succès.
Un autre type d'argument fait appel à des considérations d'ordre humanitaire et aux conséquences inacceptables que l'usage d'une bombe nucléaire engendrerait pour les civils. En effet, les associations médicales luttant pour la prévention de la guerre nucléaire (Prix Nobel de la Paix), indiquent qu'en cas d'usage de l'arme nucléaire, le corps médical du pays visé serait dans l'incapacité de secourir les victimes, vu que les médecins eux-mêmes mourraient des suites du bombardement. En outre, l'usage de l'arme nucléaire engendre le décès d'un nombre disproportionné de civils. En d'autres termes, l'usage d'une arme nucléaire tue une majorité écrasante de civils, et ce en violation des règles internationales les protégeant des horreurs de la guerre.
Un troisième et dernier type d’argument se réfère à la révision du « concept stratégique » de l’OTAN en novembre dernier. Celui-ci guidera l’évolution politique et militaire de l'alliance dans les dix ans à venir.
Au cours des travaux préparatifs et des négociations du Sommet de Lisbonne (19 et 20 novembre 2010), la question du nucléaire « tactique » — c'est-à-dire la question de savoir si le nouveau concept devrait se prononcer ou non en faveur de « l'option zéro » — , la demande de cinq pays européens de retirer les armes nucléaires non stratégiques américaines qui se trouvent encore sur le sol européen et la question du bouclier antimissile ont été longuement débattues.
En ce qui concerne la question nucléaire, une lettre ouverte des ministres des Affaires étrangères de l’Allemagne, de la Belgique, du Luxembourg, de la Norvège et des Pays-Bas a été envoyée au secrétaire général de l’OTAN. Les cinq pays se félicitaient non seulement de l’initiative « option zéro » du président américain Obama, mais laissaient aussi entendre qu'ils préconisaient un retrait des armes nucléaires « tactiques » encore stationnées en Europe.
Depuis la sortie de la guerre froide, le monde a énormément changé et est devenu bien plus imprévisible. La disparition de l'ennemi indiqué de l'alliance a entraîné une réflexion sur ses missions. Au vue des menaces actuelles, on peut dès lors considérer que la présence d'armes nucléaires américaines sur le sol belge relève de l'anachronisme.
L'auteur de la proposition considère toutefois que cette proposition est tout à fait compatible avec les obligations de notre pays dans le cadre de l'OTAN.
On ne peut faire l'économie d'une réflexion sur le danger pour l'humanité de voir des groupes non-étatiques acquérir des armes de type nucléaire. Vu que le développement de ce type d'armes est difficilement tenu secret (utilisation de grandes sources d'électricité, proximité d'une source d'eau, surveillance satellite qui permet de voir les rampes de lancement, nécessaire acquisition de missiles balistiques, etc.), cette probabilité que des terroristes acquièrent une capacité nucléaire est faible. Néanmoins, la prudence commande que l'on prévienne par tous les moyens ce scénario catastrophe. Dans tous les cas, un État nucléaire qui lutte contre un groupe non-étatique se verrait dans l'impossibilité d'user de ses armes destructrices à leur encontre. En effet, sans territoire identifiable, l'arme nucléaire est inutile.
L'exécution du TNP doit concerner ses trois piliers, à valeur égale. Au plus vite les puissances nucléaires prendront la voie du démantèlement, au plus vite la communauté internationale sera en mesure de dissuader de nouveaux États de devenir des puissances nucléaires.
Le désarmement est la seule politique viable à court et long terme. Il faut s'y atteler dès aujourd'hui, afin de profiter du contexte favorable que nous connaissons au niveau international.
Il apparaît à l'auteur de la proposition que le stade des résolutions est maintenant dépassé. Le changement législatif qu'il propose doit permettre à notre pays d'effectuer un pas supplémentaire dans l'exécution de ses obligations internationales découlant du TNP et apporter par-là une contribution décisive à un monde sans armes nucléaires.
Philippe MAHOUX. |
Article 1er
La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.
Art. 2
L'article 3, § 1er, de la loi du 8 juin 2006 réglant des activités économiques et individuelles avec des armes, modifié par les lois des 11 mai 2007 et 25 juillet 2008, est complété par un 19º, rédigé comme suit:
« 19º les armements nucléaires. »
Art. 3
La présente loi entre en vigueur le premier jour du sixième mois qui suit celui de sa publication au Moniteur belge.
23 juillet 2010.
Philippe MAHOUX. |