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10 NOVEMBRE 2010
La présente proposition de loi reprend, en l'adaptant, le texte d'une proposition qui a déjà été déposée au Sénat le 1er octobre 2007 (doc. Sénat, nº 4-232/1 - SE 2007).
1. Introduction
Chacun considère que la violence contre les enfants est inacceptable et pense le plus souvent, à cet égard, aux actes de violence commis par des criminels et par des « étrangers ». Or, la violence contre les enfants est un fléau qui se développe la plupart du temps au sein même de la famille. Elle prend assez souvent la forme de « punitions » que les parents infligent à leurs enfants lorsqu'ils ont un comportement indésirable. De nombreux parents n'y voient aucun mal et considèrent que l'administration d'une gifle ou de quelques coups fait partie des prérogatives parentales et constitue l'un des ingrédients d'une bonne éducation et un moyen d'apprendre aux enfants à respecter un minimum de discipline.
Cependant, les experts dénoncent de plus en plus les conséquences que l'utilisation de la violence peut avoir en ce qui concerne le développement, la personnalité et le comportement des enfants qui en sont victimes et des parents qui en ont été victimes dans leur jeunesse. Selon ceux-ci, il existe un lien entre les nombreux cas de violence que l'on rencontre dans la société et l'utilisation de la violence dans l'éducation.
Aussi estimons-nous nécessaire d'attaquer le mal à la racine et entendons-nous bannir toute forme de punition physique et de traitement dégradant. Notre objectif n'est pas pour autant de développer une politique répressive contre les parents et les éducateurs. Nous entendons au contraire encourager les adultes à traiter les enfants sans violence, en les respectant et en respectant leur intégrité.
2. La violence dans l'éducation et ses conséquences
Par punition physique des enfants, il faut entendre toute forme de punition servant à causer de la douleur ou une gêne corporelle par le recours à la violence physique.
La violence contre les enfants peut également être psychique et être exercée, par exemple, par le biais de traitements dégradants, de vexations ou de toute autre forme de maltraitance émotionnelle.
Il ressort de nombreuses études scientifiques que le recours à la violence et, en particulier, aux punitions physiques, dans l'éducation des enfants, est à ce point répandu qu'il constitue pour ainsi dire un élément du développement des enfants dans la plupart des pays de la planète.
Pour la Belgique, ces chiffres proviennent d'une étude réalisée, en 1988, par le docteur R. Bruynooghe, du Limburgs Universitair Centrum, pour le compte de Mme Smet, alors secrétaire d'État à l'Environnement et l'Émancipation sociale. L'étude visait à mesurer le degré de violence que les femmes adultes avaient subi au cours de leur existence. Elle essayait aussi de savoir si ces femmes avaient subi des violences dans leur enfance. Il est apparu que 58 % des femmes interrogées avaient déjà été confrontées à l'une ou l'autre forme de violence. Dans 65 % des cas de violence physique, l'auteur des violences était l'un des parents. En ce qui concerne la prévalence de la violence chez les moins de seize ans, 56 % des femmes interrogées déclarèrent qu'elles n'avaient jamais subi de violence, 9 % qu'elles avaient subi des violences à caractère exclusivement sexuel, 26 % des violences à caractère exclusivement physique, et 9 % des violences tant physiques que sexuelles. Ce qui est typique dans les cas de violence physique, c'est le jeune âge des victimes: 41 % des femmes y furent déjà confrontées dans la petite enfance, 21 % entre six et douze ans. Pour ce qui est de la gravité de la violence physique, il apparut que la majeure partie des faits mineurs de violence physique étaient imputables aux parents. Ils ont également été désignés si souvent comme auteurs de violences physiques de gravité moyenne et de violences physiques très graves qu'il faut bien en conclure que leur part est également grande à ce niveau-là.
Une étude réalisée en 1997 aux Pays-Bas pour le compte du ministère de la Justice a fait apparaître que près de 45 % de la population néerlandaise a un jour été confrontée à la violence intrafamiliale. Il s'agit d'une violence, non pas accidentelle, mais récurrente. La plupart des victimes ont subi des violences domestiques entre dix et vingt-cinq ans. Cela vaut tout autant pour ce qui est de la violence physique qu'en ce qui concerne la violence psychique.
En 1995, furent publiés les résultats d'une enquête à grande échelle réalisée en Grande-Bretagne. Il en ressort que près d'un enfant sur six a eu à subir un jour une punition physique « lourde », que la majorité, soit 97 %, avait un jour reçu des coups et que 77 % d'entre eux en auraient reçu au cours de l'année précédant l'enquête. Plus d'un tiers des enfants de quatre ans avaient reçu des coups plus d'une fois par semaine et trois quarts des bambins âgés d'un an avaient été battus au cours de l'année précédant l'enquête.
En 1985, une enquête réalisée auprès de 3 232 familles américaines comptant des enfants de moins de dix-huit ans a mis en lumière que 89 % des parents avaient battu leur enfant de trois ans au cours de l'année précédant l'enquête et qu'un tiers des enfants de quinze à dix-sept ans avaient été battus.
Une enquête réalisée en 1992 en Roumanie a fait apparaître que 84 % des parents interrogés considéraient le fait de battre leurs enfants comme une méthode éducative ordinaire et que 96 % de ces parents estimaient que cela n'avait absolument rien d'humiliant pour les enfants.
Ces données indiquent clairement que le recours aux punitions physiques dans l'éducation des enfants est très courant dans toutes les couches de la population.
Pourtant, les experts mettent en garde depuis des années contre les effets négatifs du recours à la violence et, en particulier, du recours aux punitions physiques dans l'éducation des enfants.
Aucune des études consacrées à ce sujet n'a indiqué que ces méthodes avaient un quelconque effet positif. Par contre, les preuves de conséquences négatives sont légion. Les mises en garde concernent:
— le risque de lésions corporelles;
— le fait que le recours aux punitions physiques comme méthode éducative est inadéquat et absurde, et risque très largement d'entraîner une escalade de la violence avec l'avancée en âge de l'enfant (à la « petite tape » infligée à un bambin d'un an succède « une volée de coups » quand l'enfant a quatre ans). La voie est alors ouverte aux formes de maltraitance infantile les plus extrêmes et même à l'infanticide;
— les dégâts psychologiques que peut causer le recours à la violence physique et à d'autres formes de traitements dégradants chez les victimes, que ce soient des enfants ou des adultes, et qui se traduisent chez celles-ci entre autres par un manque de respect de soi et de confiance en soi, par une capacité moindre à établir des relations avec les autres, par des troubles du développement et des troubles cognitifs, par des comportements sociaux inadaptés, etc. Cela ressort clairement, par exemple, de l'enquête sur la violence domestique réalisée en 1997 aux Pays-Bas. Plus d'un quart des victimes (26 %) reconnaissent souffrir d'un manque de confiance en elles-mêmes à la suite des violences subies. Une victime sur cinq éprouve des sentiments d'angoisse (19 %). Une victime sur dix a connu des problèmes au niveau de l'intimité et/ou de la sexualité. Cette enquête a également mis en lumière que les victimes de violences domestiques se sentent nettement plus souvent peu sûres d'elles-mêmes que les personnes qui n'ont pas subi d'actes de violence. Elles se plaignent également plus souvent de problèmes de santé, souffrent davantage de sentiments d'infériorité et ont moins de contacts sociaux que les personnes qui n'ont pas subi d'actes de violence. Ces conséquences sont perceptibles au moment de la violence, mais aussi après;
— le fait que la violence engendre la violence: les enfants victimes du comportement violent de leurs parents considèrent très vite que la violence constitue une réponse autorisée et adaptée à un comportement non désiré ou aux situations conflictuelles, si bien qu'ils n'hésitent pas à user à leur tour de violences dans de telles situations. Des études ont montré que ces enfants recourent plus que d'autres à la violence contre leurs frères et soeurs, qu'ils sont agressifs à l'école, qu'ils ont un comportement asocial durant l'adolescence et commettent, une fois adultes, plus d'actes criminels et usent plus vite de violences contre leurs propres enfants et/ou leur partenaire.
3. La nécessité de mesures législatives
Comme la violence a des effets préjudiciables incontestables, il est clair que le recours à celle-ci dans l'éducation des enfants est inopportun et inacceptable. Aussi doit-il être prohibé.
Du point de vue strictement juridique, le recours à la violence dans l'éducation des enfants relève du droit pénal général: les enfants bénéficient, en théorie du moins, de la même protection contre la violence que les adultes. Les faits montrent toutefois que certains enfants subissent fréquemment, au sein de la cellule familiale, des traitements violents de la part de leurs parents ou d'éducateurs. Ces enfants subissent la violence au quotidien, et, dans bon nombre de cas, les parents légitiment leur violence en arguant qu'ils l'exercent « dans l'intérêt » de leurs enfants.
Force est, dès lors, de constater que les enfants sont les seules personnes à ne pas être protégées par la société contre la violence interpersonnelle.
Par conséquent, nous estimons que des mesures législatives s'imposent interdisant toute forme de violence dans l'éducation des enfants et mettant le respect des enfants et de leur intégrité au centre des rapports avec ceux-ci.
Par cette initiative législative, on entend poser qu'un enfant est une personne à part entière, qui a droit au respect de sa personne et des droits dont elle jouit en tant que telle. Aussi l'enfant doit-il pouvoir bénéficier de la même protection contre la violence, physique ou autre, que celle dont bénéficient les adultes et que nous considérons comme tout à fait normale et justifiée.
Nous partageons le point de vue de la Commission nationale contre l'exploitation sexuelle des enfants, qui est exprimé comme suit:
« L'absence de violence dans les relations avec les enfants ne peut pas se limiter à une occupation sans engagement ni à un style éducatif personnel de quelques-uns. L'absence de violence doit devenir une norme que toute la société se devra de respecter, non seulement parce qu'aujourd'hui encore, trop d'enfants sont les victimes d'actes de violence, mais aussi parce que les enfants et leur intégrité devraient être respectés pleinement et en tout temps. » (Traduction) (Les enfants nous posent des questions, Rapport final de la Commission nationale contre l'exploitation sexuelle des enfants, 23 octobre 1997, p. 11).
« Si nous souhaitons en effet prendre les enfants au sérieux en tant que société civilisée (l'adoption du Rapport international en matière de droits de l'enfant devrait pouvoir en être une expression impérative), il semble particulièrement indiqué de ne plus tolérer la moindre forme de violence envers les enfants. La violence envers et le respect des enfants ne peuvent jamais aller de pair. Si l'une des caractéristiques d'une société se voulant civilisée est l'absence de violence, aucune raison ne peut justifier la violence envers les enfants. » (Traduction) (Rapport final, p. 12).
Dans leur Mémorandum 2010 (p. 6, www.kinderrechten.be), le Kinderrechtencommissariaat et le Délégué général aux droits de l'enfant répètent dans leurs recommandations qu'il doit être clairement inscrit dans le Code civil que: « tout enfant a droit à une éducation qui respecte sa personne et il ne peut jamais être exposé à quelque forme de violence physique ou psychologique que ce soit. ».
La présente proposition de loi tient compte de cette recommandation.
4. Le contexte international
La convention de l'Organisation des Nations unies (ONU) relative aux droits de l'enfant, d'autres conventions relatives aux droits de l'homme et diverses organisations internationales affirment sans équivoque que le droit à l'intégrité de l'enfant revêt un caractère absolu, qui ne peut être limité ni par la culture, ni par la religion, ni par la tradition, ni par des circonstances matérielles.
Selon l'article 19 de la convention de l'ONU relative aux droits de l'enfant, les États parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l'enfant contre toute forme de violence, d'atteintes ou de brutalités physiques ou mentales, d'abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d'exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu'il est sous la garde de ses parents ou de l'un d'eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié.
D'autres articles obligent les États concernés à s'assurer que la façon de faire régner la discipline dans les écoles est compatible avec la dignité humaine de l'enfant et conforme à la convention (article 28.2) et à veiller à ce que nul enfant ne soit soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (article 37, a).
Le Comité des droits de l'enfant de l'ONU, l'organe chargé de l'interprétation de la convention et du contrôle de son respect, a déjà souligné à maintes reprises, à l'occasion des rapports des États parties à la convention, que l'acceptation sociale ou juridique de la punition physique, à domicile ou dans des institutions, n'est pas compatible avec (le respect de) la convention.
En 1995, la Belgique a également été « encouragée » à revoir sa législation dans le but d'interdire les punitions corporelles au sein de la famille (cf. les commentaires du premier rapport belge relatif à la convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant, Considérations finales du Comité, p. 171, § 15).
Dans un rapport officiel du 13 octobre 1994, le Comité des droits de l'enfant affirmait que peu d'aspects de la loi étaient aussi importants pour l'enfant même, que dans les pays où la législation prévoit expressément une interdiction des punitions physiques, les enfants ont reçu un message très clair, que l'interdiction n'a pas donné lieu à un afflux de plaintes, mais a contribué à l'éducation des parents, et qu'elle a mis un terme aux zones d'ombre planant sur les punitions physiques, ainsi qu'aux discussions portant sur le caractère excessif ou non de la violence.
Dans diverses recommandations, le Conseil de l'Europe a également fait part de ses préoccupations à propos du recours à la violence et aux punitions physiques au sein de la famille.
Selon une recommandation de 1985, relative aux mesures visant à limiter la violence familiale, qui fut adoptée par le Comité des ministres, les États membres devraient revoir leur législation concernant le pouvoir de correction à l'égard des enfants dans le but de limiter, voire d'interdire, les châtiments corporels, même si la violation de cette interdiction n'entraîne pas nécessairement une sanction pénale (R85/4).
Une recommandation de 1990, relative aux mesures sociales en rapport avec la violence familiale, soulignait que les châtiments corporels et les autres formes de traitement dégradant dans l'éducation des enfants sont condamnables d'une manière générale et qu'il est nécessaire d'instaurer une société non violente (R90/2).
Dans une recommandation de 1993 relative aux aspects médico-sociaux de la maltraitance infantile, les États membres étaient invités à réduire à un minimum la violence au sein de la société et le recours à la violence dans l'éducation des enfants (R93/2).
Il convient encore de mentionner la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, dont l'article 3 dispose que nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. La Cour européenne des droits de l'homme et la Commission européenne des droits de l'homme ont condamné l'utilisation de la violence dans l'éducation des enfants.
5. L'exemple d'autres pays
La Suède fut le premier pays, en 1979, à interdire toute forme de violence dans l'éducation des enfants. Pour ce faire, elle a inséré dans son Code civil une disposition qui attribue une place centrale à la protection et au respect des enfants tout au long de leur éducation et qui condamne toute forme de violence.
L'entrée en vigueur de cette interdiction n'a pas entraîné un flot de poursuites de parents (au cours des douze années qui suivirent, un seul parent a été jugé pour avoir infligé une punition physique à son enfant), mais a provoqué un changement radical dans l'attitude des parents, pour ce qui est du recours à la violence dans l'éducation de leurs enfants. Des sondages d'opinion qui furent réalisés en 1994 indiquèrent que 11 % des adultes suédois interrogés approuvaient le recours aux punitions physiques, alors qu'ils étaient encore 53 % à le faire en 1965. Par ailleurs, il apparaissait que nettement moins de jeunes déclaraient avoir été frappés qu'en Grande-Bretagne ou dans d'autres pays où la législation n'avait pas été modifiée.
Par la suite, la Finlande (1983), le Danemark (1986), la Norvège (1987), l'Autriche (1989) et Chypre (1994) interdirent à leur tour légalement l'utilisation de la violence dans l'éducation des enfants.
De nombreux autres pays préparent actuellement une réforme de la législation dans le sens d'une telle interdiction.
Sabine de BETHUNE. Rik TORFS. |
Article 1er
La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.
Art. 2
Il est inséré dans le Code civil un article 371/1, rédigé comme suit:
« Art. 371/1. Tout enfant a droit à des soins, à la sécurité et à une bonne éducation. Il doit être traité dans le respect de sa personne et de son individualité et ne peut pas faire l'objet de traitements dégradants, ni d'aucune autre forme de violence physique ou psychique. »
20 juillet 2010.
Sabine de BETHUNE. Rik TORFS. |