5-292/1

5-292/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2010-2011

12 OCTOBRE 2010


Proposition de loi instaurant la dualité de la faute pénale et civile dans le cadre des coups et blessures involontaires ou homicide involontaire

(Déposée par M. François Bellot)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition de loi reprend le texte d'une proposition qui a déjà été déposée à la Chambre des représentants le 15 mai 2008 (doc. Chambre, nº 52-1170/1).

La question de la responsabilité pénale des élus pour coups et blessures ou homicides par imprudence et celle de la criminalisation des négligences « légères » et de la stigmatisation pénale de l'homme public ont été relancées par la condamnation en 2008 du bourgmestre de Damme dans une affaire de roulage. Lorsqu'il dirige sa commune l'élu local peut, en effet, être confronté à des situations susceptibles d'entraîner sa responsabilité, tant pénale que civile, alors même qu'il n'a commis qu'une faute dépourvue de toute malveillance.

De manière plus générale, cette situation fait ressortir le débat sur la question de l'opportunité du maintien dans notre droit du principe d'unité de la faute civile et de la faute pénale, établi par une jurisprudence constante de la Cour de cassation depuis 1884, pour les infractions de coups et blessures involontaires ou d'homicide involontaire (articles 418 à 420 du Code pénal). Cette unité de faute, associée au principe de l'autorité de la chose jugée du pénal sur le civil (article 4 du titre préliminaire du Code d'instruction criminelle), a pour conséquence qu'une victime ne peut être dédommagée au civil que si la responsabilité pénale est établie.

Donc, si le juge pénal acquitte un individu en estimant que la responsabilité pénale pour la faute légère n'est pas établie, il prive de facto la partie civile de la possibilité de demander la réparation civile de son dommage. En conséquence, de nombreuses décisions de condamnation pénale pour faute légère sont uniquement motivées par la possibilité ainsi octroyée à la victime d'obtenir une réparation civile. Le juge pénal se sent effectivement « obligé » de punir pénalement afin d'ouvrir une possibilité de réparation civile à la victime. Là réside tout l'effet pervers de cette unité de fautes.

En ce qui concerne les mandataires publics, on constate que cet effet est encore plus important. Une victime d'un accident impliquant un tant soit peu la commune choisit de plus en plus souvent la voie pénale pour obtenir réparation de son dommage.

Ce choix s'explique essentiellement par la facilité qu'offre aux particuliers une instruction publique menée par un juge d'instruction ou le ministère public, qui ne doivent plus eux-mêmes instruire leur dossier. S'il est vrai que beaucoup de cas se soldent par l'intervention des assurances en responsabilité civile des communes, le bourgmestre ou l'échevin ne sont pas à l'abri de la voie pénale en la matière.

Pour remédier à cela, on peut imaginer de mettre fin à cette unité de fautes, en introduisant à la place un système de dualité de fautes pénale et civile, l'inexistence de la première n'entraînant pas automatiquement l'inexistence de la seconde.

Cette solution est souhaitée depuis longtemps par la doctrine et a été adoptée par de nombreux autres pays, dont la France qui a modifié en 2000 son Code de procédure pénale dans ce sens.

En Belgique, des initiatives parlementaires ont déjà été prises en la matière mais n'ont pas abouti jusqu'à présent. Cependant, contrairement à ces dernières, l'auteur de la présente proposition de loi souhaite, pour rompre avec cette théorie d'unité de fautes, modifier le Code pénal et le Code d'instruction criminelle.

Il souhaite dès lors:

— d'une part, modifier la définition de la faute, dans le cadre des articles 418 et 420 du Code pénal, pour la dissocier de la définition appliquée dans le cadre de l'article 1383 du Code civil et du critère d'homme normalement honnête, prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances, soit une appréciation in abstracto; ce critère serait remplacé par un critère apprécié in concreto, compte tenu de toutes les circonstances particulières de la cause;

— d'autre part, il souhaite également inscrire dans l'article 4 du Titre Préliminaire du Code d'instruction criminelle le principe selon lequel l'absence de condamnation pénale ne prive pas la victime de la possibilité de demander réparation de son dommage au juge civil.

Il entende, par cette méthode, faire bénéficier tous les justiciables du système de dualité des fautes.

Il estime qu'il est plus clair et plus simple de réformer le Code pénal et le Code d'instruction criminelle pour y inscrire ce nouveau principe de manière générale plutôt que de prendre le risque réformer le Code civil et la théorie des responsabilités établie par la jurisprudence. En effet, cette matière étant construite principalement sur une jurisprudence ancienne et abondante, il serait sans doute plus difficile de cerner les conséquences d'une modification de cet ordonnancement.

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 2

Actuellement, la jurisprudence estime que la notion de faute visée par les articles 418 à 420 du Code pénal est identique à celle de l'article 1383 du Code civil. Cela signifie que la faute, dans le cadre des infractions pour coups et blessures involontaires ou homicide involontaire, est appréciée en vertu du modèle de l'homme prudent, honnête et diligent placé dans les mêmes circonstances, soit une appréciation in abstracto.

L'auteur pense qu'une appréciation in concreto permettrait de mieux rendre compte du caractère réprobateur voulu par l'incrimination pénale, reprochant au prévenu de n'avoir pas fait ce qui était en son pouvoir personnel de faire. Cette dimension doit être évaluée en fonction des circonstances concrètes de chaque cas d'espèce.

Article 3

Cette disposition a pour but de permettre l'acquittement au pénal, sans que cela préjudicie de quelque manière que ce soit la possibilité d'obtenir une réparation du dommage au civil. Par cette disposition, le juge pénal ne se sentira plus « moralement » obligé de condamner pénalement, uniquement pour ouvrir le droit à l'indemnisation civile devant le juge civil.

François BELLOT.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution

Art. 2

Dans le Code pénal, l'article 420bis, abrogé par la loi du 20 juillet 2005, est rétabli dans la rédaction suivante:

« Art. 420bis. — Au sens des articles 418 et 420 du présent Code, on entend par défaut de prévoyance et de précaution la faute lourde ou la faute légère habituelle, appréciée en tenant compte des possibilités réelles de vigilance et de diligence du prévenu. »

Art. 3

À l'article 4 du Titre Préliminaire du Code d'instruction criminelle, remplacé par la loi du 13 avril 2005 et modifié par la loi du 23 décembre 2005, il est inséré, entre les alinéas 1er et 2, un nouvel alinéa, libellé comme suit:

« L'absence de condamnation pénale ne fait pas obstacle à l'exercice d'une action devant les juridictions civiles afin d'obtenir la réparation du dommage, en application des règles du droit civil. »

21 septembre 2010.

François BELLOT.