5-406/1

5-406/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2010-2011

28 OCTOBRE 2010


Proposition de loi modifiant le Code d'instruction criminelle, en vue d'améliorer les droits de la défense lors de l'information et de l'instruction judiciaire

(Déposée par M. Philippe Mahoux)


DÉVELOPPEMENTS


Lorsque la commission de la Justice du Sénat s'est penchée, dès 2004, sur la proposition de réforme de la procédure pénale, dite « le Grand Franchimont », l'auteur de la présente proposition s'était inquiété, à juste titre, de savoir si la Commission de réforme de la procédure pénale avait discuté de l'opportunité de la présence d'un avocat lors des interrogatoires et auditions au stade de l'information (1) .

Le professeur Franchimont avait, à l'époque, répondu que ce problème entrait dans le cadre de la loi sur la détention préventive et qu'un projet de loi semblait être en préparation à ce sujet.

Il indiquait cependant ne pas s'opposer à ce système qui soulevait cependant, selon lui, certaines objections liées notamment au coût, à la rapidité de la justice, à l'alourdissement des tâches de l'assistance judiciaire.

Mr. Franchimont en concluait que, si l'on devait opter pour une telle solution, il faudrait à tout le moins prévoir un délai dans lequel l'avocat doit arriver, et que seule une personne déclarée suspecte pourrait bénéficier, lors de l'audition, de l'assistance d'un avocat.

Par contre, le texte alors à l'examen prévoyait clairement d'introduire dans notre procédure pénale le droit, pour toute personne, de se taire, le fait de s'abstenir de répondre au stade de l'information constituant un droit fondamental.

Après avoir été voté au Sénat en décembre 2005, cette réforme n'a pas été poursuivie en raison de la dissolution des Chambres et aucune modification législative n'a été adoptée depuis en ce sens.

La question de la présence d'un avocat lors des auditions n'était pourtant pas neuve et avait déjà été discutée, au début des années 1990, devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), lors du débat ayant présidé à l'arrêt Imbrioscia c. Suisse (2) .

La Cour y relevait que: « certes, l'article 6 (art. 6) a pour finalité principale, au pénal, d'assurer un procès équitable devant un « tribunal » compétent pour décider « du bien-fondé de l'accusation », mais il n'en résulte pas qu'il se désintéresse des phases qui se déroulent avant la procédure de jugement ». Selon la Cour, ce même article « peut jouer un rôle avant la saisine du juge du fond si et dans la mesure où son inobservation initiale risque de compromettre gravement le caractère équitable du procès. ».

Cet arrêt a trouvé une amplification dans l'arrêt John Murray c. Royaume Uni (3) qui souligne que: « dans ces conditions, la notion d'équité consacrée par l'article 6 (art. 6) exige que l'accusé ait le bénéfice de l'assistance d'un avocat dès les premiers stades de l'interrogatoire de police. Dénier cet accès pendant les quarante-huit premières heures de celui-ci, alors que les droits de la défense peuvent fort bien subir une atteinte irréparable, est — quelle qu'en soit la justification — incompatible avec les droits que l'article 6 (art. 6) reconnaît à l'accusé. »

L'arrêt Salduz c. Turquie (4) confirme cette option jurisprudentielle et la renforce même: seules des raisons impérieuses, liées aux circonstances de l'espèce, peuvent justifier, aux yeux de la CEDH, qu'il ne soit pas fait appel à un avocat au stade de l'enquête.

Ceci conduit actuellement la Belgique à se trouver en complète contradiction avec la jurisprudence désormais constante de la CEDH, dès lors qu'elle n'a opéré aucune avancée législative en ce sens.

Pour rappel, au terme de cette décision de la Grande Chambre de la CEDH prononcée à l'unanimité le 27 novembre 2008, il a été décidé que l'accès à un avocat doit être consenti dès le premier interrogatoire, et ce, conformément au droit à un procès équitable établi par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Selon la Cour, il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes — faites lors d'un interrogatoire subi sans assistance possible d'un avocat — sont utilisées pour fonder une condamnation.

Pour appuyer sa décision, la Grande Chambre de la Cour rappelle toute « l'importance du stade de l'enquête pour la préparation du procès, dans la mesure où les preuves obtenues durant cette phase déterminent le cadre dans lequel l'infraction imputée sera examinée au procès (...). Parallèlement, un accusé se trouve souvent dans une situation particulièrement vulnérable à ce stade de la procédure, effet qui se trouve amplifié par le fait que la législation en matière de procédure pénale tend à devenir de plus en plus complexe, notamment en ce qui concerne les règles régissant la collecte et l'utilisation des preuves. Dans la plupart des cas, cette vulnérabilité particulière ne peut être compensée de manière adéquate que par l'assistance d'un avocat, dont la tâche consiste notamment à faire en sorte que soit respecté le droit de tout accusé de ne pas s'incriminer lui-même. Ce droit présuppose que, dans une affaire pénale, l'accusation cherche à fonder son argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions au mépris de la volonté de l'accusé (...) ».

Cette possibilité n'existe pas, dans le droit positif belge, en sorte que la jurisprudence de la CEDH, confirmée et étayée par bon nombre d'arrêts postérieurs à l'arrêt Salduz (5) , permet dès à présent aux avocats de se fonder sur ce même arrêt et sur l'article 6 de la Convention européenne, pour obtenir l'annulation des procédures judiciaires basées sur les déclarations d'un suspect faites en l'absence de son avocat.

Autrement dit, on peut considérer que la seule absence de l'avocat lors de l'interrogatoire constitue désormais, au regard de la CEDH, une cause d'iniquité du procès.

Cette prise en compte de la vulnérabilité de toute personne soumise à un interrogatoire et à la complexité d'un système pénal trouve également une expression jurisprudentielle au travers de la nécessité de confirmer légalement le système des Miranda rights.

Pour rappel, il s'agit de l'obligation faite aux autorités judiciaires d'informer le prévenu de son droit à garder le silence et à bénéficier de l'assistance d'un avocat.

Comme souligné ci-dessus, cette obligation constitue un droit fondamental mais n'a pas été intégrée comme telle à notre procédure pénale, contrairement au vote du Sénat.

L'objet de la présente proposition vise donc à modifier la loi pour la mettre en conformité avec les décisions de la CEDH et éviter ainsi, d'une part, une condamnation européenne et, d'autre part, des disparités jurisprudentielles belges, certaines juridictions faisant application de l'effet direct des arrêts de la CEDH et d'autres pas.

Reste bien entendu la question de savoir comment mettre en place ce système.

Dans une lettre adressée aux présidents de partis à la veille des dernières élections, l'Ordre des barreaux francophone et germanophone de Belgique (OBFG) souhaitait que toute personne privée de liberté puisse se faire assister d'un avocat au cours de sa garde à vue. La notion d'assistance d'un avocat doit viser notamment:

— un entretien préalable,

— une assistance pendant l'interrogatoire de la police mais aussi pendant l'interrogatoire du juge d'instruction.

Cette vision des choses rejoint l'avant-projet de loi français de réforme de la procédure pénale, transmis début septembre 2010 au Conseil d'État.

En l'espèce, la loi française prévoit actuellement une rencontre entre l'avocat et son client qu'après la première heure de garde à vue, et ce pour trente minutes.

L'objectif poursuivi par le législateur français est de permettre désormais à la personne de s'entretenir avec un avocat, choisi par elle ou commis d'office, dès le début de la garde à vue. Cet entretien ne peut excéder trente minutes.

La personne gardée à vue peut également demander que l'avocat assiste aux auditions dont elle fait l'objet au cours de la mesure, dès le début de celle-ci.

Un droit d'appréciation de l'opportunité de cette assistance est ouvert à l'officier de police judiciaire, qui doit en référer sans délai au procureur de la République, lequel peut décider, en considération des circonstances particulières tenant à la nécessité de rassembler ou conserver les preuves, de différer la présence de l'avocat lors des auditions, pendant une durée ne pouvant excéder douze heures.

Selon l'auteur, les mêmes règles peuvent être appliquées, mutatis mutandis, en droit belge, pour toute personne interrogée, conformément aux garanties déjà prévues par l'article 47bis du Code d'instruction criminelle. Cette même protection doit également être assurée au niveau de l'instruction.

Pour ce faire, il faudra que les barreaux mettent en place un système efficace de permanence d'avocats.

Il convient donc, d'abord, de revenir sur l'article 47bis du Code d'instruction criminelle qui définit certaines garanties d'audition pour toutes les personnes entendues, ensuite, sur la loi relative à la détention préventive, lors de la procédure d'instruction.

COMMENTAIRES DES ARTICLES

Article 2

Cet article modifie l'article 47bis du CIC en vue d'y inscrire le droit, pour toute personne auditionnée, de s'entretenir préalablement avec un avocat et d'être assistée par lui au cours de l'audition. Son droit à garder le silence y est également spécifié.

Le texte prévoit les modalités selon lesquelles l'avocat de la personne doit être averti et le délai dans lequel il doit être présent, aux côtés de son client, ainsi que la solution prévue dans l'hypothèse où l'avocat n'arrive pas dans le délai imparti !

Le texte prévoit, à l'instar de l'avant-projet de loi français, la possibilité pour la personne interrogée d'avoir, avec son avocat, un entretien préalable à l'audition, lequel ne peut excéder trente minutes.

Il est également prévu que, si l'avocat n'est pas présent dans le délai imparti, il peut se joindre à l'audition dès son arrivée.

Enfin, un système de renonciation claire à l'assistance d'un avocat est prévu.

Articles 3 à 5

Ces articles modifient les articles 16, § 4, et 20, § 1er, de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive en vue d'y inscrire le droit de l'inculpé de s'entretenir préalablement avec un avocat et d'être assisté par lui lors de son interrogatoire, selon les mêmes règles et principes, mutatis mutandis, que ceux prévus à l'article 2. Cette inscription a pour effet de supprimer le paragraphe premier de l'article 20 de la loi en question.

Philippe MAHOUX.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

À l'article 47bis du Code d'instruction criminelle, inséré par la loi du 6 janvier 2003, les modifications suivantes sont apportées:

1º les dispositions du point 1 sont remplacées par les dispositions sous les points 1 et 2, rédigés comme suit:

« 1. Préalablement à toute audition, il est communiqué à la personne interrogée:

a) Qu'elle a le droit de garder le silence et qu'elle a le droit de s'entretenir avec un avocat, soit choisi par elle, soit commis d'office. Si elle n'est pas en mesure d'en désigner un ou si l'avocat choisi ne peut être contacté, elle peut demander qu'il lui en soit commis un d'office par le bâtonnier.

Le bâtonnier est informé de cette demande par tous moyens et sans délai.

b) L'avocat choisi ou commis d'office doit être présent sur le lieu de l'audition dans l'heure qui suit le contact avec ledit avocat ou le bâtonnier. À défaut, l'audition pourra débuter hors de sa présence, mais uniquement après un entretien téléphonique entre la personne interrogée et un avocat de permanence.

L'avocat communique avec la personne dans des conditions qui garantissent la confidentialité de l'entretien.

La durée de l'entretien préalable ne peut excéder trente minutes.

c) La personne interrogée peut renoncer au droit de s'entretenir avec un avocat. Dans ce cas, cette renonciation doit intervenir dès après la communication prévue au point a) et en tout cas avant le début de toute audition. Elle ne peut avoir lieu qu'après que la personne interrogée ait eu un contact téléphonique avec un avocat de permanence. Elle doit être faite par écrit et être datée et signée par la personne interrogée.

2. Au début de toute audition, il est communiqué à la personne interrogée:

a) qu'elle a le droit de bénéficier de la présence et de l'assistance de l'avocat choisi par elle ou commis d'office lors des auditions dont elle fait l'objet;

b) qu'elle a le droit de garder le silence;

c) qu'elle peut demander que toutes les questions qui lui sont posées et les réponses qu'elle donne soient actées dans les termes utilisés;

d) qu'elle peut demander qu'il soit procédé à tel acte d'information ou telle audition;

e) que ses déclarations peuvent êtres utilisées comme preuve en justice. »;

2º les dispositions des points 2 à 5 sont renumérotées en points 3 à 6.

Art. 3

Dans l'article 16 de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive est inséré un paragraphe 4/1, rédigé comme suit:

« § 4/1. Au début de tout interrogatoire prévu au paragraphe 2, le juge d'instruction doit communiquer à l'inculpé:

a) qu'il a le droit de bénéficier de la présence et de l'assistance de l'avocat choisi par lui ou commis d'office lors des interrogatoires dont il fait l'objet;

b) qu'il a le droit de garder le silence. »

Art. 4

L'article 16, § 4, de la même loi est remplacé par ce qui suit:

« § 4. Préalablement à l'interrogatoire prévu au paragraphe 2, le juge d'instruction doit informer l'inculpé qu'il a le droit de garder le silence et qu'il a le droit de s'entretenir avec un avocat, soit choisi par lui, soit commis d'office. S'il n'est pas en mesure d'en désigner un ou si l'avocat choisi ne peut être contacté, il peut demander qu'il lui en soit commis un d'office par le bâtonnier.

Le bâtonnier est informé de cette demande par tous moyens et sans délai.

L'avocat choisi ou commis d'office doit être présent sur le lieu de l'interrogatoire dans l'heure qui suit le contact avec ledit avocat ou le bâtonnier. À défaut, l'interrogatoire pourra débuter hors de sa présence, mais uniquement après un entretien téléphonique entre l'inculpé et un avocat de permanence.

L'avocat communique avec l'inculpé dans des conditions qui garantissent la confidentialité de l'entretien.

La durée de l'entretien préalable ne peut excéder trente minutes.

L'inculpé peut renoncer au droit de s'entretenir avec un avocat. Dans ce cas, cette renonciation doit intervenir dès après la communication prévue à l'alinéa 1er du présent paragraphe et en tout cas avant le début de tout interrogatoire. Elle ne peut avoir lieu qu'après que l'inculpé ait eu un contact téléphonique avec un avocat de permanence. Elle doit être faite par écrit et être datée et signée par l'inculpé. »

Art. 5

L'article 20, § 1er, de la même loi est supprimé.

1er octobre 2010.

Philippe MAHOUX.

(1) Rapport fait au nom de la Commission, 9 novembre 2005, Doc. parl. 3-450/20, p. 92-94.

(2) Imbrioscia c. Suisse, arrêt 24 novembre 1993, requête no 13972/88, p. 9.

(3) John Murray c. Royaume Uni, arrêt 8 février 1996 rendu en Grande Chambre, p. 30.

(4) Salduz c. Turquie, arrêt 27 novembre 2008 rendu en Grande Chambre.

(5) Voir notamment: CEDH, 11 décembre 2008, no 4268/04 Panovits c. Chypre; Dayanan c. Turquie; CEDH, 13 octobre 2009, no 24829/03.