5-310/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2010-2011

13 OCTOBRE 2010


Proposition de loi modifiant l'article 107 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre pour ce qui concerne la désignation du bénéficiaire d'un contrat d'assurance-vie

(Déposée par M. Guy Swennen)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition de loi reprend le texte d'une proposition qui a déjà été déposée au Sénat le 30 avril 2008 (doc. Sénat, nº 4-724/1 - 2007/2008).

Les héritages ont toujours été des sources de conflits et de disputes sans fin entre héritiers. Pourtant, notre société s'est manifestement accommodée de ce phénomène, comme s'il s'agissait d'une fatalité. Il ressort d'une enquête parue dans le supplément « Mon Argent » du journal L'Écho (9 juin 2007) que les conflits d'héritage sont légion. Sur dix personnes interrogées ayant déjà hérité au moins une fois dans leur vie, pas moins de quatre ont été ou sont encore en conflit avec un autre héritier. Autrement dit, près d'une succession sur deux débouche sur des disputes. Dans 60 % de ces cas, le conflit entraîne une rupture irrémédiable des liens familiaux. Selon un article publié le 1er avril 2005 par le quotidien néerlandais De Volkskrant, une enquête de l'organisation professionnelle des notaires néerlandais (« Koninklijke Notariële Beroepsorganisatie » — KNB) révèle que plus d'un quart des familles sont divisées par des disputes sur des questions d'héritage et que le phénomène ne cesse de prendre de l'ampleur. La KNB a tiré cette conclusion après avoir interrogé plus d'une centaine de ses membres. Selon dix pour cent des notaires interrogés, une succession sur deux dégénérerait en conflit. Une autre étude néerlandaise (Het Volk, 10 avril 2007) a également constaté que les partages de successions entraînaient des disputes ou des ruptures familiales dans un quart des cas. La thérapeute familiale Else-Marie van den Eerenbemt a interrogé 1 821 personnes à ce sujet. Quand on sait par ailleurs que les membres de la famille et l'entourage direct des héritiers sont impliqués dans ces disputes et compte tenu du fait que les disputes soi-disant résolues, qui ne sont pas reprises par les statistiques, laissent néanmoins des marques indélébiles, il est clair que les héritages sont une véritable pomme de discorde entre une myriade de personnes, les Pays-Bas n'échappant bien sûr pas à la règle.

La Fédération royale du notariat belge confirme l'ampleur des conflits d'héritage. Nous ne disposons pas de statistiques sur le nombre d'actions judiciaires intentées en matière successorale, mais un tour d'horizon nous apprend que ce nombre n'est pas particulièrement élevé. Que ce soit après un laps de temps relativement court ou au terme de plusieurs années de disputes, les héritiers finissent par opter pour un règlement amiable car ils préfèrent jouer la sécurité, ils n'ont pas envie de s'embarquer dans une procédure judiciaire longue et coûteuse et ils veulent en même temps mettre fin à cette douloureuse expérience marquée par une accumulation de malheurs, de soucis et d'autres misères. Ce constat n'enlève pourtant rien au fait qu'une telle épreuve, dont on ressort avec des blessures qui marquent à jamais, est une réalité sociale très répandue: celle des innombrables querelles d'héritages. La sagesse populaire les impute généralement aux frictions refoulées, qui couvent de longue date à l'intérieur de la sphère familiale et qui refont surface à l'ouverture d'une succession. Cette même sagesse populaire affirme que l'argent et la cupidité provoquent toujours des disputes. Ces affirmations ont sans conteste un fond de vérité. Les études néerlandaises précitées imputent également les conflits d'héritage (de plus en plus fréquents) à des causes multiples qui s'appliquent aussi aux successions conflictuelles enregistrées dans notre pays: meilleure connaissance de leurs droits par les citoyens, relâchement des liens familiaux, avènement d'une société de plus en plus dure, nombre croissant de remariages et, plus généralement, de familles recomposées, et absence de testament.

Une étude approfondie de notre droit successoral révèle par ailleurs une autre vérité, tout à fait surprenante: notre droit successoral est lui-même la cause de très nombreux conflits d'héritage.

Soit parce qu'il est devenu obsolète, puisqu'il remonte à l'époque napoléonienne; soit parce qu'il manque de clarté; soit parce qu'il est de nature à semer la zizanie entre les héritiers. Nul ne niera qu'il est du devoir du législateur d'abroger ou de modifier toute disposition du droit successoral de nature à favoriser ou à entraîner immanquablement des conflits d'héritage. Mais ce n'est pas tout. Le législateur se doit aussi de relever un défi encore plus considérable: celui d'insérer dans notre droit successoral des dispositions visant à prévenir les successions conflictuelles. Une réforme de la législation doit donc aller de pair avec une modernisation générale de notre droit successoral, qui réponde parfaitement à la nouvelle réalité sociale.

La présente proposition fait partie d'un train de propositions qui ont été déposées simultanément pour induire un réel changement d'orientation.

La présente proposition de loi vise à résoudre les nombreux litiges provoqués par la conjonction de deux facteurs: des dispositions légales inadaptées, d'une part, et des pratiques inadaptées qui sont monnaie courante dans le secteur des assurances, d'autre part.

L'article 107 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre prévoit en matière d'assurance-vie que lorsque l'assurance ne comporte pas de désignation de bénéficiaire ou de désignation de bénéficiaire qui puisse produire effet, ou lorsque la désignation du bénéficiaire a été révoquée, les prestations d'assurance sont dues au preneur d'assurance ou à la succession de celui-ci.

Cette disposition pose de nombreux problèmes d'ordre pratique du fait que les compagnies d'assurances utilisent une formule standard qui stipule que les bénéficiaires sont les « héritiers légaux ». C'est notamment le cas lorsque seuls des parents éloignés sont appelés à la succession comme héritiers et que le testateur a rédigé un testament au profit d'un tiers.

Pour illustrer cette problématique, prenons un exemple tiré de la pratique qui se rencontre au moins chaque semaine d'après nos informations:

L'oncle Joseph n'a pas d'enfants mais il vit depuis trente-cinq ans avec Eva, sa compagne. Il a placé ses économies dans un contrat d'assurance-vie, comme en proposent souvent les institutions bancaires par exemple. Le contrat type prévoit qu'en cas de décès, le bénéfice du contrat est attribué au conjoint, ou à défaut aux descendants, ou à défaut aux héritiers légaux. Il a rédigé un testament en faveur de sa compagne, ce qui n'empêche pas l'organisme d'assurance de prétendre que les bénéficiaires du contrat sont les héritiers légaux.

Pour corriger cette situation, la personne avantagée par le testament n'a d'autre solution que de saisir le tribunal, mais avec tous les frais et les retards que cela suppose.

C'est pourquoi nous proposons de rectifier cette situation au plan légal en modifiant l'article 107 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre, de manière que la volonté du testateur soit respectée.

Comme l'exemple cité le montre clairement, l'intention du testateur est d'accorder le bénéfice de la prime d'assurance non pas à une personne qui lui est pour ainsi dire étrangère, mais bien à celle qui lui est la plus chère. En effet, compte tenu du rétrécissement de la famille traditionnelle, il n'est pas rare que de son vivant, le testateur n'ait plus ou pratiquement plus de contacts avec les héritiers légaux qui sont des parents éloignés.

Pour respecter cette réalité et la volonté du testateur, il est proposé de modifier l'article 107 de manière que, si aucun conjoint et/ou enfant n'est appelé à la succession, le bénéfice de l'assurance soit alloué à l'héritier testamentaire (éventuel) plutôt qu'aux héritiers légaux. Lorsque plusieurs personnes sont avantagées par voie testamentaire, la prime d'assurance est attribuée au prorata de l'émolument successoral de chacune d'elles.

Guy SWENNEN.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

L'article 107 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre est remplacé comme suit:

« Art. 107. — Absence de bénéficiaire ou désignation générale de bénéficiaire.

Lorsque l'assurance ne comporte pas de désignation de bénéficiaire ou lorsque la désignation concerne les héritiers légaux et que la succession n'est dévolue ni au conjoint, ni aux descendants, les prestations d'assurance sont dues au preneur d'assurance ou, le cas échéant, à ses héritiers testamentaires, la somme à distribuer étant partagée au prorata de l'émolument successoral de chacun d'eux.

En l'absence de testament, les prestations d'assurance sont dues aux héritiers légaux. »

24 septembre 2010.

Guy SWENNEN.