5-296/1

5-296/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2010-2011

12 OCTOBRE 2010


Proposition de loi modifiant l'article 216bis du Code d'instruction criminelle ainsi que les lois relatives à la police de la circulation routière, coordonnées le 16 mars 1968, en vue de permettre au ministère public de proposer une réponse alternative aux poursuites judiciaires traditionnelles en matière de roulage

(Déposée par M. François Bellot)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition de loi reprend le texte d'une proposition qui a déjà été déposée à la Chambre des représentants le 13 novembre 2007 (doc. Chambre, nº 52-0365/001).

Les auteurs proposent de permettre au procureur du Roi de recourir à une réponse judiciaire alternative aux poursuites pour les infractions de roulage, reprises entre autres dans les lois coordonnées du 16 mars 1968 relatives à la police de circulation routière et l'arrêté royal du 1er décembre 1975 portant règlement général sur la police de la circulation routière.

Cela concernera plus particulièrement les excès de vitesse, la conduite sous influence (alcool et drogue), l'usage d'un téléphone portable en conduisant, le défaut d'assurance, les véhicules trafiqués mais aussi le comportement agressif au volant. Le procureur du Roi pourra, pour ces infractions, proposer une mesure alternative, telle qu'une formation de sensibilisation à la sécurité routière ou un rappel à la loi.

Le champ d'application de la procédure proposé est relativement large. Cette dernière doit constituer une véritable alternative aux sanctions classiques qui ne permettent pas de responsabiliser de manière effective le contrevenant.

Les auteurs ont voulu laisser la possibilité au ministre de la Justice, au Collège des procureurs généraux, aux procureurs généraux ainsi qu'aux procureurs du Roi de déterminer les comportements qui devront faire l'objet, en priorité, de cette alternative. Dès lors, il reviendra au ministère public d'élaborer les priorités d'une politique criminelle cohérente en la matière.

En effet, il semble que, à l'heure actuelle, une directive interne des procureurs généraux enjoint les parquets d'instance de classer sans suite les infractions de roulage ayant provoqué un dommage si un accord est intervenu entre les compagnies d'assurance sur l'indemnisation. Les auteurs estiment que cette situation est regrettable car une infraction d'une certaine gravité ayant causé un dommage corporel ou matériel serait classée sans suite en raison d'un accord entre compagnies d'assurances. Alors qu'une infraction de moindre gravité n'ayant entraîné aucun dommage pourrait, elle, entraîner des poursuites.

La formulation proposée donne la possibilité au parquet de proposer une formation, même si un accord est intervenu entre les compagnies d'assurance, et ce faisant permet au ministère public de traiter ces infractions sur un pied d'égalité.

Actuellement, les comportements agressifs au volant ne font pas l'objet d'une incrimination spécifique. La formulation proposée permet d'envisager une réponse alternative pour ces comportements.

En effet, l'agressivité dans le cadre des règles de la circulation routière sera concernée. Il s'agit principalement des infractions aux lois relatives à la police de la circulation routière, coordonnées le 16 mars 1968, et à l'arrêté royal du 1er décembre 1975 portant règlement général sur la police de la circulation routière.

À cet égard, le ministre de la Justice de l'époque, Marc Verwilghen, a pris une directive relative à l'agressivité dans la circulation routière. Selon cette directive du 20 juillet 2000, il faut entendre par infraction à caractère agressif commise dans le cadre des règles de circulation routière, toute infraction à l'arrêté royal du 1er décembre 1975 commise sciemment et caractérisée par l'intention de causer un dommage à autrui ou de perturber la conduite normale de son véhicule ainsi que toute infraction à ces mêmes règles commise sciemment dans des circonstances à ce point dangereuses que l'auteur aurait dû être conscient des risques de causer un dommage à autrui ou de perturber la conduite normale de l'usager, et ce même si ces conséquences ne se sont pas produites.

Concrètement, le choix est laissé à l'auteur de l'infraction entre les poursuites judiciaires et une formation, à ses frais. Cette formation pourrait être donnée par l'Institut belge de la sécurité routière (IBSR) ou des institutions telles que l'école de conduite Gentleman Driver School. Une fois la formation achevée, l'action publique serait éteinte. Pour les infractions moins graves, le procureur du Roi pourra procéder à un rappel à la loi.

La sélection des dossiers sera effectuée par le procureur du Roi qui invitera l'auteur de l'infraction à s'entretenir avec un délégué du procureur du Roi dont le profil sera déterminé par arrêté royal. Il devra en tout cas être titulaire d'un diplôme de niveau B ou équivalent et justifier d'une expérience certaine, de cinq ans par exemple, dans les relations sociales et humaines. À l'issue de cet entretien, il reviendra à l'auteur de l'infraction de poser un choix: soit il opte pour les poursuites judiciaires classiques, soit il s'engage à suivre la formation qui lui est proposée.

Le coût de la formation est à charge de l'intéressé et devra idéalement comprendre une partie théorique et une partie pratique. La partie théorique devra notamment porter sur les points suivants: la prise de conscience des risques, les conséquences sur la conduite de la consommation de certaines substances, les dangers liés à une conduite excessivement rapide, la fatigue au volant, la pression du stress, le port de la ceinture de sécurité, l'analyse du comportement et des styles de conduite, l'observation, l'anticipation, la réaction et les réflexes. Cette partie théorique comprendrait également un volet technique destiné à réactualiser des notions telles que la notion d'adhérence, la distance de freinage, l'énergie cinétique ou encore la force centrifuge. Cette partie de la formation doit aboutir, comme l'indique la Gentleman Driver School, à la conclusion que la maîtrise totale d'un véhicule n'existe pas. La partie pratique de la formation devrait permettre à l'auteur de l'infraction d'évaluer immédiatement son style de conduite et son comportement routier. Cette partie pratique ne peut en aucun cas donner l'impression à l'intéressé qu'il disposera désormais des réflexes adaptés à toutes les situations mais doit lui permettre de prendre conscience de la réalité de son comportement au volant et du danger qu'il a fait courir aux autres usagers de la route.

Dans l'arrondissement de Marche-en-Famenne, le procureur du Roi a lancé en 2002 un projet-pilote de ce type sur les peines alternatives pour les délinquants de la route entre seize et quarante ans. En effet, les contrevenants au Code de la route ont été placés devant le choix entre les poursuites classiques avec amende et casier judiciaire ou une peine éducative, soit quelques heures d'éducation routière et quelques heures de stage de conduite défensive. Faute de moyens des autorités fédérales pour appuyer ce type d'initiatives, le procureur a trouvé des partenaires: la députation permanente de la province du Luxembourg, l'IBSR (division Driver Improvement) et la Gentleman Driver School. Après un an, on a constaté que 90 % des contrevenants ont choisi la peine alternative.

Cette initiative, ainsi que la présente proposition, cadrent pleinement avec les objectifs formulés par le gouvernement lors de la deuxième édition des États généraux de la Sécurité routière en mars 2007. En effet, le gouvernement Verhofstadt II (durant la législature 2003-2007) a réaffirmé sa volonté de diminuer le nombre de morts sur nos routes et d'atteindre moins de cinq cents morts par an d'ici à 2015. Depuis les premiers états généraux en 2001, une diminution du nombre de tués est constatée. En effet, en 2006, on comptait mille morts contre mille cinq cents en 1998-2000. Malgré ces efforts, la Belgique reste un mauvais élève si l'on compare ces résultats à la moyenne européenne.

L'objectif de cette proposition est de mettre en place une réponse judiciaire alternative permettant de responsabiliser et sensibiliser à la sécurité routière. Il convient de privilégier les mesures alternatives car les condamnations classiques en matière de roulage n'ont qu'un impact limité sur les habitudes et comportements des conducteurs. En recourant à une sanction éducative, nous nous situons au carrefour de la prévention et de la répression.

Le cadre de la médiation pénale ne constitue pas le mode de traitement adéquat de cette réponse judiciaire. En effet, la procédure de médiation pénale a pour but principal de mettre en présence un auteur et une victime. C'est dans ce cadre qu'elle prévoit quatre types de sanctions réparatrices. Or, dans les matières visées par la proposition de loi, il n'y a pas systématiquement de victime identifiée. Faire une application automatique de la médiation pénale pour les délinquants routiers constituerait, selon les auteurs de la proposition de loi, un détournement de cette procédure.

François BELLOT.

PROPOSITION DE LOI


CHAPITRE PREMIER

Disposition générale

Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

CHAPITRE II

Modifications du Code d'instruction criminelle

Art. 2

Dans le Code d'instruction criminelle, il est inséré un article 216bis/1 rédigé comme suit:

« Art. 216bis/1. — § 1er. Le procureur du Roi peut inviter l'auteur de l'infraction à suivre, à ses frais, une formation déterminée d'une durée de trente heures au plus dans le délai qu'il fixe ou procéder à un rappel à la loi dans les cas suivants:

1º l'intéressé a utilisé des véhicules, éléments de véhicules ou accessoires de sécurité non conformes à la loi du 21 juin 1985 relative aux conditions techniques auxquelles doivent répondre tout véhicule de transport par terre, ses éléments ainsi que les accessoires de sécurité et à ses arrêtés d'exécution;

2º l'intéressé a commis une infraction aux dispositions des lois relatives à la police de la circulation routière, coordonnées le 16 mars 1968;

3º l'intéressé a commis une infraction aux dispositions de l'arrêté royal du 1er décembre 1975 portant règlement général sur la police de la circulation routière;

4º l'intéressé a commis une infraction visée à l'article 22 de la loi du 21 novembre 1989 relative à l'assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs.

Le procureur du Roi ne pourra procéder au rappel à la loi que si l'infraction n'a pas causé de dommage corporel.

§ 2. La faculté accordée au procureur du Roi par le paragraphe 1er ne peut être exercée lorsque le tribunal est déjà saisi du fait ou lorsque le juge d'instruction est requis d'instruire.

§ 3. L'exécution de la formation se fait conformément aux règles fixées par la loi du 29 juin 1964 concernant la suspension, le sursis et la probation et les arrêtés d'exécution de cette loi.

§ 4. Lorsque l'infraction a donné lieu à des frais d'analyse ou d'expertise, il ne peut être procédé au rappel à la loi et la formation ne peut être proposée que si l'auteur s'engage à payer les frais dans le délai fixé par le procureur du Roi.

§ 5. Lorsqu'une confiscation spéciale peut être appliquée, le procureur du Roi invite l'auteur de l'infraction à abandonner, dans un délai déterminé, les objets saisis qui lui appartiennent; si ceux-ci n'ont pas été saisis, le procureur du Roi peut inviter l'auteur à les remettre à un endroit déterminé.

§ 6. Lorsqu'il a été procédé au rappel à la loi ou lorsque l'auteur de l'infraction a satisfait à la formation, l'action publique est éteinte.

§ 7. Un délégué du procureur du Roi assiste le procureur du Roi dans les différentes phases de la procédure visée par le présent article. Il effectue sa mission en collaboration étroite avec le procureur du Roi, qui a le contrôle de ses activités. »

CHAPITRE III

Modifications aux lois relatives à la police de la circulation routière, coordonnées le 16 mars 1968

Art. 3

Au titre V, chapitre II, des lois relatives à la police de la circulation routière, coordonnées le 16 mars 1968, les modifications suivantes sont apportées:

1º dans l'intitulé, les mots « moyennant le paiement d'une somme » sont abrogés;

2º il est inséré une section première, comprenant l'article 65, intitulée comme suit:

« Section Ire. Le paiement d'une somme. »

Art. 4

Dans le titre V, chapitre II, des mêmes lois coordonnées, il est inséré une section II, intitulée: « Du rappel à la loi et de la formation. »

Dans la section II insérée par l'article , il est inséré un article 65/1 rédigé comme suit :

« Art. 65/1. — L'action publique est éteinte lorsque le procureur du Roi a procédé au rappel à la loi ou lorsque l'auteur de l'infraction a satisfait à la formation, visés à l'article 216bis/1 du Code d'instruction criminelle. »

CHAPITRE IV

Modification du Code judiciaire

Art. 5

L'intitulé du chapitre IIbis de la deuxième partie, livre premier, titre VI du Code judiciaire, abrogé par la loi du 25 avril 2007, est rétabli dans la rédaction suivante:

« Chapitre IIbis. Du délégué du procureur du Roi. »

Art. 6

Dans le chapitre IIbis de la deuxième partite, livre premier, titre VI du Code judiciaire, rétabli par l'arti-cle , l'article 206bis, abrogé par la loi du 25 avril 2007, est rétabli dans la rédaction suivante:

« Art. 206bis. — Par arrondissement, le Roi nomme un délégué du procureur du Roi chargé d'assister le procureur du Roi dans les différentes phases de la procédure visée à l'article 216bis/1 du Code d'instruction criminelle.

Les conditions pour pouvoir être nommé délégué du procureur du Roi sont déterminées par arrêté royal. »

21 septembre 2010.

François BELLOT.