5-307/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2010-2011

13 OCTOBRE 2010


Proposition de loi insérant dans le Code civil un article 374/1 prévoyant la réalisation rapide d'une enquête d'attitudes en vue de prévenir l'aliénation parentale chez l'enfant après un divorce

(Déposée par M. Guy Swennen)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition de loi reprend le texte d'une proposition qui a déjà été déposée au Sénat le 28 février 2008 (doc. Sénat, nº 4-587/1 - 2007/2008).

Au cours des dernières années, plusieurs modifications législatives successives ont permis de réaliser des avancées considérables dans le sens d'une humanisation et d'une modernisation du droit du divorce et du droit de la séparation en général.

Il en a résulté une diminution du nombre de divorces conflictuels; mais bien que cette tendance à la baisse soit appelée à se poursuivre encore, il subsistera toujours des divorces conflictuels.

Le législateur a pour devoir essentiel de tout mettre en œuvre pour améliorer encore la prévention des divorces conflictuels et pour éviter au maximum ou, à tout le moins, limiter leurs conséquences néfastes.

Après les drames familiaux qui connaissent une issue fatale ou violente, le refus de l'enfant d'avoir encore des contacts avec le parent chez qui il n'habite pas à titre principal, est incontestablement la conséquence la plus cruelle d'un divorce.

Diverses auditions parlementaires et publications mettent en exergue une réalité que nul ne peut nier: l'on ne sait que très peu de choses sur les causes et les conséquences du souhait d'un enfant de ne plus voir un de ses parents après un divorce.

Aux États-Unis et au Canada, la notion de syndrome d'aliénation parentale ou de rejet parental (« Parental Alienation Syndrome ») a donné lieu à une littérature pléthorique. Dans nos contrées en revanche, le sujet n'est abordé que de manière très exceptionnelle et la littérature en la matière est rare.

Et c'est un constat terrible, car un tel manque d'attention est fatalement synonyme d'une réponse insuffisante à ce problème.

Il s'impose de consacrer une plus grande attention au phénomène de l'aliénation parentale et de développer notre connaissance en la matière, tant dans la pratique du droit et de la médiation que dans notre société en général.

C'est pourquoi le groupe sp.a de la Chambre a organisé, le 13 février 2007, au Parlement fédéral, un symposium intitulé « La désaffection des parents. Concept à prendre en compte en droit et en matière de médiation ? ».

Lors de ce symposium, une constante s'est dégagée de l'intervention des divers orateurs: la meilleure façon de prévenir l'aliénation parentale consiste à intervenir le plus tôt possible dès que les premiers signes commencent à se manifester.

Mme Nadia De Vroede, substitut du procureur général de Bruxelles, a dépeint ce phénomène comme suit:

« Pour prévenir ces situations extrêmes — et pour prévenir aussi et surtout toutes les autres situations de rupture de lien avec un parent — il me semble important, comme autorité judiciaire, d'être extrêmement vigilant et d'intervenir dès les premiers signes de risque de perte du lien parental.

Comment détecter rapidement le risque de perte du lien parental ? Au niveau des procédures civiles, certains signes peuvent permettre au juge civil de détecter les situations de risque de perte du lien parental: il est notamment intéressant d'examiner quel rôle, quelle place chaque parent attribue à l'autre parent. Je pense aussi que, lorsque des difficultés se posent dans les relations de l'enfant avec un de ses parents, il est important d'évaluer le degré de participation du parent dans le retissage du lien de l'enfant avec l'autre parent. Très concrètement, on entend souvent à l'audience un parent gardien justifiant les limitations des contacts de l'enfant avec l'autre parent, par des arguments comme l'état de santé fragile de l'enfant, avec dépôt de certificats médicaux, ou encore le fait que l'enfant suivrait des activités parascolaires pendant les week-ends. Face à des difficultés d'un parent de pouvoir maintenir les contacts avec son enfant, il est intéressant aussi d'analyser les réactions de l'autre parent: trouve-t-il normal ou non qu'il y ait difficultés ou même rupture ? ».

Une intervention à un stade précoce par la prise de mesures efficaces, avant même l'apparition ou dès le début du processus (généralement progressif) d'aliénation parentale, permet de prévenir l'aliénation et le rejet parentaux.

Quand on analyse les possibilités dont le juge dispose pour intervenir rapidement en cas d'aliénation parentale, il est indéniable qu'au cours des quinze dernières années, le législateur a élaboré toute une série d'instruments nouveaux qui sont venus compléter l'arsenal existant.

La loi relative à l'exercice conjoint de l'autorité parentale, la loi relative à la médiation en matière familiale et la loi sur l'hébergement égalitaire, qui érige en principe légal l'hébergement de l'enfant par chaque parent sur un pied d'égalité, sont autant d'exemples de jalons législatifs qui ont marqué l'avènement d'une « culture » fondamentalement différente en ce qui concerne l'implication des deux parents dans l'éducation de leurs enfants après un divorce.

Portées et suivies par une jurisprudence en pleine évolution, les modifications législatives précitées ont induit un changement de cap radical: on fait comprendre clairement au parent chez qui l'enfant a sa résidence principale que le lien entre celui-ci et l'autre parent n'est pas qu'un droit, c'est aussi une obligation. Les juges affichent une propension de plus en plus marquée à jouer pleinement leur rôle pédagogique en la matière.

Parallèlement à ces évolutions qui s'inscrivent plutôt dans un contexte de prévention générale, on a assisté à un durcissement progressif de l'attitude des cours et tribunaux à l'égard du parent qui fait preuve d'un manque de bonne volonté et qui entrave ou rend impossible l'exercice du droit de visite. Sur ce plan également, le législateur a instauré toute une série d'instruments nouveaux, dans le cadre de la loi sur l'hébergement égalitaire. Citons par exemple la « saisine permanente » devant le juge (de la jeunesse), la possibilité prévue expressément dans la loi de réclamer une astreinte, ou encore l'exécution forcée dans des cas très exceptionnels.

Malgré tous les changements opérés, on dénombre encore trop de cas dramatiques dans lesquels on voit s'installer progressivement une aliénation parentale qui finit par déboucher, à court ou à long terme, sur un rejet total du parent en question. Dans la grande majorité des cas, tout l'arsenal des mesures préventives se résume en pratique à une intervention qui survient à un moment où le droit de visite est déjà sérieusement bafoué. La plupart du temps, cette intervention est encore suivie d'une enquête sociale, qui fait perdre plusieurs mois, si bien que le processus d'aliénation parentale est alors pleinement engagé et que le problème devient alors de plus en plus ardu à résoudre.

C'est d'autant plus regrettable qu'il existe des instruments qui permettent de « mesurer » le respect, par chaque parent, du lien affectif qui unit l'enfant à l'autre parent et son ouverture aux contacts entre l'enfant et l'autre parent. Ces instruments revêtent la forme de questionnaires scientifiquement fondés qui peuvent s'avérer très instructifs à cet égard, dès le stade le plus précoce, à savoir au moment de la fixation du premier régime de résidence, juste après le divorce (ou la séparation de fait) des parents. En Californie, ces questionnaires sont utilisés tels quels, à tel point que les enfants sont « confiés » à celui des deux parents qui offre le plus de garanties concernant la durée et la régularité des contacts que l'enfant pourra entretenir avec l'autre parent.

La présente proposition de loi a pour objet d'inscrire cet « instrument de mesure » ou cette méthodologie dans la loi et de rendre cette formalité obligatoire pour le juge dès le début d'une procédure de divorce, en y associant un calendrier précis (procédure civile accélérée) et en la limitant aux cas où, sans motif fondé, un des parents s'oppose d'une façon ou d'une autre — explicitement ou implicitement — au principe d'un droit de visite classique.

Dès qu'il a le moindre doute à ce sujet, le juge est tenu d'ordonner la réalisation rapide d'une enquête d'attitudes.

Le contenu de l'enquête d'attitudes et la désignation des personnes habilitées à la réaliser sont réglés par arrêté royal.

Dans le jugement interlocutoire qui ordonne l'enquête d'attitudes, le juge met l'affaire en continuation à une audience fixée dans les deux mois du jugement interlocutoire. Lors de cette audience, il peut alors ordonner les mesures appropriées, en pleine connaissance de cause de l'attitude des deux parents.

Guy SWENNEN.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

Dans le Code civil est inséré un article 374/1, rédigé comme suit:

« Art. 374/1. — Lorsque le tribunal est amené à se prononcer pour la première fois, après la séparation de deux parents, sur le régime de résidence de leur(s) enfant(s) et qu'il constate que, sans motif fondé, un des parents s'oppose de quelque manière que ce soit, explicitement ou implicitement, à l'exercice d'un droit de visite classique, le juge ordonne la réalisation d'une enquête d'attitudes afin de sonder la disposition de chacun des parents à respecter le lien affectif de l'enfant avec l'autre parent.

Par jugement interlocutoire, le tribunal désigne un expert qui déposera son rapport au greffe dans un délai d'un mois; par le même jugement interlocutoire, le juge fixe un régime de résidence provisoire et met la cause en continuation à une audience qui sera fixée dans les deux mois de la date du jugement interlocutoire.

Le contenu de l'enquête d'attitudes et la désignation des personnes habilitées à la réaliser sont réglés par arrêté royal. »

24 septembre 2010.

Guy SWENNEN.