5-243/1

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Sénat de Belgique

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2010

6 OCTOBRE 2010


Proposition de loi modifiant l'article 2bis de la loi du 15 mars 1874 sur les extraditions, visant à renforcer la protection des individus contre tout prononcé ou exécution d'une condamnation à mort lors d'une extradition

(Déposée par M. Philippe Mahoux)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition de loi reprend le texte d'une proposition qui a déjà été déposée au Sénat le 27 mai 2009 (doc. Sénat, nº 4-1341/1 - 2008/2009).

Traditionnellement, on distingue:

— l'extradition passive: soit l'acte par lequel le gouvernement belge remet à l'autorité étrangère requérante, à sa demande et en exécution d'un acte de l'autorité compétente de ce pays, un étranger trouvé sur le territoire du Royaume en vue de sa poursuite ou de l'exécution de sa peine;

— l'extradition active: soit l'acte par lequel le gouvernement belge demande à l'autorité étrangère, en exécution d'un acte de l'autorité belge compétente, de lui remettre une personne trouvée sur son territoire en vue de sa poursuite ou de l'exécution d'une peine (1) .

Ces deux procédures sont régies par la loi sur les extraditions du 15 mars 1874, telle que modifiée par les lois du 31 juillet 1985 et du 15 mai 2007, ainsi que par les traités bilatéraux ou multilatéraux conclus entre la Belgique et les autres États.

En matière d'extradition active, on applique également la loi du 20 juillet 1990 relative au mandat d'arrêt international et la loi du 19 décembre 2003 relative au mandat d'arrêt européen.

La proposition vise évidemment la question de l'extradition passive, dès lors qu'il s'agit de garantir à toute personne extradée vers un pays qui pratique encore la peine de mort, qu'elle ne sera pas condamnée à celle-ci.

Actuellement, diverses conditions doivent être réunies pour que la Belgique accepte d'extrader une personne vers l'étranger.

Ces conditions sont les suivantes:

a) existence d'un traité: ce traité doit être fondé sur le principe de réciprocité (la Belgique ne peut autoriser l'extradition vers un pays que si ce dernier autorise l'extradition aux mêmes conditions);

b) la nationalité: la Belgique n'extrade pas ses nationaux (étant entendu que la nationalité s'apprécie au moment de l'extradition, pas des faits);

c) l'âge: l'étranger recherché doit avoir dix-huit ans accomplis;

d) la nature de l'infraction: elle ne peut être fondée sur un délit ou un crime politique.

Il est à noter que cette restriction trouve son origine dans une loi de 1833 dont le contenu a été entièrement abrogé, sous réserve de son article 6, qui prévoit également certaines exceptions telles que:

— l'attentat contre un chef d'État étranger ou un membre de sa famille;

— la collaboration avec un ennemi commun;

— les crimes de guerre.

Cet article a été complété par la loi du 15 mai 2007 qui stipule:

« Ne sera pas non plus réputé délit politique, ni fait connexe à un semblable délit, le fait constitutif d'une infraction telle que définie par un instrument international relatif au terrorisme ou visée par un instrument international touchant au droit international humanitaire, lorsque l'extradition est demandée sur la base de cet instrument et lorsque celui-ci lie la Belgique et l'État requérant et interdit explicitement le refus de l'extradition pour infraction politique, sans possibilité de réserve au regard du droit des traités. »

e) le seuil de la peine: pour qu'il y ait extradition, il faut que les faits soient punissables (aux termes de la loi belge et de la loi étrangère) d'une peine privative de liberté dont la durée maximum dépasse un an;

f) la double incrimination: les faits qui peuvent donner lieu à extradition doivent être punissables tant par la législation belge que par la législation du pays requérant, même s'ils n'ont pas la même qualification;

g) le lieu de l'infraction: lorsque le crime ou le délit donnant lieu à la demande d'extradition aura été commis hors du territoire de la partie requérante, le gouvernement ne pourra livrer, à charge de réciprocité, l'étranger poursuivi ou condamné que dans les cas où la loi belge autorise la poursuite des mêmes infractions commises hors du Royaume;

h) la prescription: l'extradition ne peut avoir lieu si, depuis le fait imputé, les poursuites ou la condamnation, la prescription de l'action ou de la peine est acquise d'après les lois de la Belgique;

i) la garantie du respect des droits fondamentaux: la loi du 31 juillet 1985 a considérablement modifié le texte de 1874, notamment en insérant un nouvel article 2bis rédigé comme suit:

« L'extradition ne peut être accordée s'il existe des raisons sérieuses de croire que la demande a été présentée aux fins de poursuivre ou de punir une personne pour des considérations de race, de religion, de nationalité ou d'opinions politiques, ou que la situation de cette personne risque d'être aggravée pour l'une ou l'autre de ces raisons. »

Cette disposition légale a vu son champ d'application élargi suite à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme dans un arrêt Soering c/ Royaume Uni (arrêt du 7 juillet 1989).

En effet, la question posée était de savoir si l'extradition d'un individu par un État partie à la Convention européenne des droits de l'homme vers un État tiers pouvait engager la responsabilité de l'État partie, au titre de l'article 3 (2) de la Convention, pour les mauvais traitements que la personne extradée est susceptible de subir dans le pays de destination (3) .

La décision d'extrader un étranger ne peut être la cause de la violation d'un droit qui n'est pas reconnu par la Convention mais elle peut être la cause de la violation d'autres droits garantis par la Convention européenne des droits de l'homme: c'est le mécanisme de protection par ricochet, à savoir que même dans les matières qui ne sont pas régies par la Convention, les États parties ne sont pas affranchis du respect des obligations que celle-ci leur imposent.

Ce principe est consacré par la loi du 15 juillet 2007 qui a étendu la protection prévue à l'article 2bis en indiquant que:

« L'extradition ne peut davantage être accordée s'il existe des risques sérieux que la personne, si elle était extradée, serait soumise dans l'État requérant à un déni flagrant de justice, à des faits de torture ou des traitements inhumains et dégradants.

Lorsque l'infraction, pour laquelle l'extradition est demandée, est punissable de la peine de mort dans l'État requérant, le gouvernement n'accorde l'extradition que si l'État requérant donne des assurances formelles que la peine de mort ne sera pas exécutée. »

L'auteur de la proposition estime cependant que la protection ainsi offerte est insuffisante et devrait par conséquent être renforcée.

Il convient, à son sens, de distinguer deux situations, à savoir:

— d'une part, le cas où l'extradition d'un individu est requise parce qu'il est poursuivi pour une infraction punissable de la peine de mort,

— d'autre part, le cas où l'extradition d'un individu est requise suite à une condamnation à mort.

L'article 2bis actuel ne vise en réalité que la seconde hypothèse, soit celle dans laquelle la personne, dont l'extradition est sollicitée, a déjà fait l'objet d'une condamnation à mort.

L'auteur souhaite donc modifier la loi de 1874 pour mettre en place une protection relative à la première hypothèse, en sorte que l'État belge refuse toute extradition, — quelle que soit l'infraction pour laquelle l'étranger est poursuivi —, tant qu'il n'a pas obtenu l'assurance formelle que la peine de mort ne sera pas prononcée à l'encontre de cet étranger.

Parallèlement, l'auteur estime qu'en cas de condamnation à mort, la protection offerte par la loi actuelle doit être étendue.

En effet, se limiter à obtenir la garantie que la peine de mort ne sera pas exécutée constitue une forme d'acceptation de l'existence de cette peine qui va totalement à l'encontre du principe constitutionnel belge qui a aboli cette même peine.

C'est pourquoi l'auteur estime que, dans cette seconde hypothèse, la Belgique doit refuser toute extradition lorsque l'individu recherché a fait l'objet d'une condamnation à mort.

La proposition de loi vise à modifier la loi de 1874, modifiée par les lois du 31 juillet 1985 et du 15 mai 2007, en ce sens.

Philippe MAHOUX.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

L'article 2bis, alinéa 3, de la loi du 15 mars 1874 sur les extraditions, inséré par la loi du 31 juillet 1985 et modifié par la loi du 15 mai 2007, est remplacé par deux alinéas rédigés comme suit:

« Lorsqu'une personne est poursuivie pour une infraction punissable de la peine de mort dans l'État requérant, le gouvernement n'accorde son extradition que si l'État requérant donne des assurances formelles que la peine de mort ne sera pas prononcée à l'encontre de cette personne.

Lorsqu'une personne a été condamnée à la peine de mort, le gouvernement n'accorde pas son extradition. »

20 juillet 2010.

Philippe MAHOUX.

(1) Henri-D. Bosly et Damien Vandermeersch, Droit de la procédure pénale, La Charte, Bruges, 2000, p. 605.

(2) Nul ne peut être soumis à la torture ni il des peines ou traitements inhumains ou dégradants.

(3) L.-E. Pettiti, E. Decaux et P.-H. Imbert, Convention européenne des droits de l'homme, Economica, Paris, 1995, p. 138.