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9 SEPTEMBRE 2010
La présente proposition de loi reprend le texte d'une proposition qui a déjà été déposée au Sénat le 22 janvier 2010 (doc. Sénat, nº 4-1609/1 - 2009/2010).
La présente proposition ne remet pas en cause le droit de grève: elle repose sur le principe selon lequel la liberté des uns s'arrête là où commence celle des autres. Outre le droit de grève, il faut également reconnaître et protéger la liberté de ne pas faire grève. En d'autres termes, la liberté de faire la grève n'est pas synonyme de liberté d'imposer la grève.
Or, il arrive que ceux qui poussent à la grève usent d'intimidation pour forcer ceux qui pensent que le mouvement n'est pas opportun, à y participer quand même. Pour ce faire, ils n'hésitent pas à recourir même à certaines formes d'intimidation physique.
Dans certains services, notamment de la fonction publique, l'on peut même craindre de déplaire à ses chefs en refusant de faire grève. Les réticences à participer à une action de grève sont donc souvent inexprimées. Elles peuvent trouver leur explication dans le fait que l'on peut juger l'action de grève prématurée à un moment où des négociations permettraient encore d'en faire l'économie; parfois, c'est l'objectif même de la grève qui explique ces réticences, par exemple parce qu'il est politique et déterminé par des considérations d'intérêt personnel, d'idéologie ou de parti. Il arrive aussi que les objectifs soient jugés bons, mais insuffisants pour valoir une grève, en tout cas si elle risque d'être longue, en raison des sacrifices que celle-ci comporte et du danger qu'elle présente de destruction de l'outil et, par conséquent, de l'emploi.
Cependant, il peut aussi se faire que l'employeur ou le gouvernement combatte une grève en affirmant sans preuve ni indice sérieux qu'elle n'est voulue que par une minorité des grévistes, qui terrorise et manipule les indécis et les opposants.
Il n'y a qu'une chose à faire pour savoir si une grève est effectivement suivie en toute liberté ou non: c'est de consulter les intéressés, en leur garantissant la sécurité quel que soit le résultat de cette consultation. Et c'est une telle consultation que la présente proposition entend régler.
Elle n'impose pas cette consultation pour toute grève, mais elle prévoit la possibilité de l'organiser. Elle n'a aucun rapport avec les propositions qui, dans certains pays, tendent à imposer des votes au scrutin secret dans les assemblées syndicales. L'immixtion des pouvoirs publics dans les procédures internes des syndicats, fût-ce pour les démocratiser, serait déjà en soi une atteinte à la liberté syndicale.
La question n'est pas ici de savoir si un syndicat a démocratiquement consulté ses membres avant de lancer un mot d'ordre de grève, mais bien si c'est volontairement que le personnel concerné suit le mot d'ordre. À cette fin, la proposition prévoit la possibilité d'exiger l'organisation d'un référendum là où une grève est en cours depuis un certain temps.
La procédure de référendum doit être réglée par arrêté royal, parce que la spécificité des situations et les enseignements de l'expérience pourront commander des perfectionnements fréquents. Il importe toutefois que la loi impose d'emblée le respect de certains principes. Le référendum n'a pas lieu pour chaque grève, mais seulement lorsqu'on sent le besoin de vérifier si une grève est poursuivie sous l'effet d'une intimidation.
Afin de protéger les travailleurs qui demandent un référendum, il faut que l'identité des demandeurs reste confidentielle et que le scrutin soit secret. Et comme ces précautions pourraient s'avérer insuffisantes pour rassurer ceux qui craignent des représailles, il faut que le gouvernement puisse leur épargner ce risque en ordonnant lui-même le référendum, qu'il s'agisse du secteur privé ou du secteur public.
Il est à prévoir que lorsque le gouvernement usera de cette prérogative, on l'accusera toujours de ne chercher en fait qu'à briser la grève, ou du moins à la déconsidérer. Toutefois, les organisateurs d'un mouvement auquel les participants se joignent de leur plein gré n'ont rien à craindre d'un référendum imposé. Il est cependant préférable, notamment pour cette raison, que l'arrêté royal soit délibéré en Conseil des ministres.
L'employeur comme tel n'est pas habilité à déclencher la procédure conduisant au référendum, prévue par la proposition de loi. Néanmoins, le texte ne lui interdit nullement d'en organiser un, comme certains employeurs l'ont déjà fait. La proposition ne règle que les référendums demandés par une partie du personnel ou ordonnés par le gouvernement.
C'est en raison du même souci de protéger le personnel contre une intimidation éventuelle que les résultats du référendum s'apprécieront en considérant la proportion du personnel qui approuve la poursuite du mouvement par rapport au personnel habilité à voter (et non du nombre des participants au vote). Une telle proportion est à préférer étant donné que ceux que l'on soupçonne de souhaiter la cessation de la grève pourraient être dissuadés de voter. Or, on ne peut songer à imposer la participation au scrutin, ni à interdire les piquets de grève.
Un autre principe à consacrer dans la loi même est celui de la formulation des questions qui doivent être posées sans équivoque. Aussi la formule doit-elle en être fixée par la loi, ainsi que les réponses possibles.
L'article 7 garantit l'impossibilité d'une confusion entre une désapprobation éventuelle de la poursuite du mouvement et une désapprobation de la grève antérieure au référendum. Certes, chaque votant, devant répondre par oui ou par non ou par un vote nul, peut décider que sa position dépendra du contenu des propositions patronales, syndicales ou gouvernementales successives. Mais comme il est illusoire de garantir le libellé correct de celles-ci sur des bulletins de vote ou des affiches, chacun votera en fonction de ce qu'il sait de l'attitude des parties en présence.
Si l'issue du référendum est défavorable à la poursuite du mouvement, ceux qui le poursuivront néanmoins seront passibles d'une sanction. Il n'est pas question de sanction pénale. Dans le secteur privé, la sanction consiste en une modification du régime juridique du licenciement. Si le travailleur est licencié avec préavis parce qu'il a poursuivi cette grève, il ne peut en aucun cas réclamer d'indemnité pour rupture abusive. S'il bénéficie d'une protection particulière en raison de son appartenance au conseil d'entreprise ou au comité de sécurité, il devra se contenter de l'indemnité de préavis prévue pour un salarié ordinaire. En effet, la protection particulière en question ne se justifie que par le mandat de représentant des travailleurs et il sort de son rôle en poursuivant un mouvement que la majorité n'approuve plus.
Il se peut enfin que le travailleur continuant la grève soit licencié sans préavis. Dans ce cas, il aura droit en principe à l'indemnité de préavis, mais il ne peut être question de condamner l'employeur pour rupture abusive ni d'appliquer les règles relatives aux travailleurs spécialement protégés. Si le licenciement sans préavis réunit les conditions indiquées par la loi pour former un licenciement pour motif grave, même l'indemnité de préavis n'est pas due. Toutefois, le texte proposé ne réduit en rien le pouvoir d'appréciation du juge quant à l'existence ou non d'un motif grave. Le référendum apporte au juge un élément de fait nouveau, mais le juge reste libre d'apprécier si la poursuite de la grève après un référendum défavorable constitue, à elle seule ou jointe à d'autres éléments, un motif grave. Il est même possible qu'il juge qu'à elle seule, cette poursuite ne constitue jamais un motif grave.
Dans un service public, le gouvernement peut faire organiser le même référendum, même s'il n'a sur ce service qu'un pouvoir de tutelle. Si le résultat de ce référendum n'est pas favorable à la poursuite de la grève, la sanction est d'ordre disciplinaire. La proposition part de l'idée que la grève n'est pas juridiquement permise, bien que ce soit un fait fréquent et souvent toléré, même dans les services publics.
Elle peut donc avoir des suites disciplinaires dans l'état actuel des textes, de sorte qu'il n'est pas nécessaire que la présente proposition de loi en prévoie. Dans le cas de la poursuite d'une grève désapprouvée par référendum, la situation de l'agent sur le plan disciplinaire est aggravée par le fait que l'autorité disciplinaire n'est pas libre d'apprécier l'opportunité d'une procédure disciplinaire: elle doit, en pareil cas, se saisir du dossier. L'autorité doit continuer à disposer d'une totale liberté d'appréciation tout au long de la procédure; mais le fait que la procédure doit nécessairement être entamée constitue déjà une sanction, surtout au vu des usages actuels, où diverses autorités ferment les yeux sur des actions de grève, alors qu'aucun texte réglementaire ne le permet.
Nele LIJNEN. Guido DE PADT. |
Article 1er
La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.
Art. 2
La présente loi s'applique aux entreprises où des travailleurs sont occupés en vertu d'un contrat de travail, ainsi qu'à tout service public.
Pour son application, on entend par entreprise, l'unité technique d'exploitation au sens de la loi du 20 septembre 1948 portant organisation de l'économie.
Pour l'application de la présente loi, sont assimilés aux travailleurs, les apprentis de même que les personnes qui, autrement qu'en vertu d'un contrat de louage de travail, fournissent des prestations de travail sous l'autorité d'une autre personne.
Art. 3
Pour l'application de la présente loi, on entend par action de grève toute action collective organisée dans le dessein d'exercer une pression et qui a pour effet de suspendre ou de perturber le travail dans tout ou partie de l'entreprise ou du service public, quels que soient la cause et l'objectif de cette action.
Art. 4
Un référendum doit être organisé lorsqu'au moins 5 % des travailleurs de l'entreprise ou du service public concernés en font la demande par écrit, adressée au plus tôt le troisième jour ouvrable qui suit celui du déclenchement effectif de la grève, à l'inspecteur de la législation sociale compétent.
Ne peuvent demander le référendum, les travailleurs inscrits depuis moins d'un an au registre du personnel, les travailleurs en période de préavis, les travailleurs dont le contrat de travail est suspendu indépendamment de la grève, le personnel de direction au sens de la loi du 20 septembre 1948 portant organisation de l'économie, et les travailleurs n'appartenant pas aux catégories au sein desquelles la grève a lieu.
Dans un service public, seuls les agents nommés à titre définitif peuvent demander le référendum.
Le Roi peut, par arrêté délibéré en Conseil des ministres, ordonner, au plus tôt le troisième jour ouvrable qui suit celui du déclenchement effectif de la grève, l'organisation d'un même référendum par le fonctionnaire qu'Il désigne.
Art. 5
Aussitôt que le fonctionnaire visé à l'article 4 est saisi de la demande, il doit faire procéder d'urgence au référendum.
Il peut requérir de l'employeur, de l'administration communale, de l'administration provinciale, de La Poste et des greffiers des tribunaux, tous moyens matériels et toute assistance qu'il jugera nécessaires pour l'organisation du référendum, afin de garantir son déroulement rapide et démocratique.
Art. 6
Le fonctionnaire visé à l'article 4 note les noms et adresses des demandeurs. Il garde leur identité secrète.
Art. 7
Le référendum portera exclusivement sur la question de savoir si la grève doit être poursuivie. Il ne peut être répondu que par « oui » ou par « non ». Le référendum a lieu au scrutin secret. La participation au vote est libre. Elle est réservée aux travailleurs du service ou de l'entreprise où la grève se déroule, à l'exclusion de ceux qui sont visés par l'article 4, alinéas 2 et 3.
Art. 8
Le fonctionnaire désigné à l'article 4 préside le bureau du référendum. Il choisit ses assesseurs et doit admettre comme observateurs notamment un représentant de chaque organisation syndicale représentée dans l'entreprise, un représentant de l'employeur et, le cas échéant, une personne mandatée par les travailleurs ayant demandé le référendum.
Art. 9
Dans les vingt-quatre heures de la clôture du scrutin, le fonctionnaire désigné à l'article 4 proclamera les résultats et les fera afficher à l'entrée de l'entreprise ainsi qu'aux endroits de celle-ci où sont habituellement apposés des avis.
Dans le même délai, il adressera ces résultats:
1º au président du tribunal de première instance ou du tribunal du travail compétent;
2º à l'employeur;
3º au premier ministre, si le référendum a été ordonné par arrêté royal.
Art. 10
Si un travailleur engagé dans les liens d'un contrat de travail est licencié pour le motif, unique ou mentionné parmi d'autres, qu'il a poursuivi une grève alors que la majorité des membres du personnel appelés à voter ne s'est pas prononcée pour la poursuite de cette grève lors du référendum prévu par la présente loi, le juge ne pourra en aucun cas condamner l'employeur pour licenciement abusif, ni appliquer les dispositions légales portant une protection spéciale contre le licenciement en faveur des membres des conseils d'entreprise ou des comités de sécurité et d'hygiène ou des candidats aux élections organisées pour former ces conseils et comités.
Si le référendum a eu lieu dans un service public et que la majorité des agents appelés à voter n'a pas approuvé la poursuite de la grève, l'autorité disciplinaire compétente doit se saisir du dossier de l'agent qui a poursuivi cette grève.
Art. 11
Le Roi règle, par arrêté délibéré en Conseil des ministres, les modalités de la demande, de l'organisation et de la publication des résultats du référendum.
20 juillet 2010.
Nele LIJNEN. Guido DE PADT. |