4-1775/1

4-1775/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2009-2010

30 AVRIL 2010


Proposition de résolution relative à la vente exclusive en pharmacie des préparations pour nourrissons

(Déposée par M. Louis Ide)


DÉVELOPPEMENTS


Pour l'instant, aucune loi belge ne règle la vente exclusive des préparations pour nourrissons parce que ceux-ci ne constituent pas des médicaments et que la législation n'impose donc aucun mode de distribution particulier. Néanmoins, quelques directives relatives aux préparations pour nourrissons ont été ancrées légalement et il existe plusieurs exigences en matière de composition, de production, d'étiquetage et de publicité. Toute comparaison est ainsi interdite entre les préparations pour nourrissons, d'une part, et le lait ou l'allaitement maternel, d'autre part.

Les directives européennes qui règlent ces pratiques sont les suivantes:

— Directive 89/398/CEE relative au rapprochement des législations des États membres concernant les denrées alimentaires destinées à une alimentation particulière;

— Directive 96/84/CE modifiant la directive 89/398/CEE;

— Directive 1999/21/CE relative aux aliments diététiques destinés à des fins médicales spéciales;

— Directive 2006/141/CE concernant les préparations pour nourrissons et les préparations de suite et modifiant la directive 1999/21/CE.

Il existe également un certain nombre d'arrêtés royaux déterminant certaines conditions, notamment l'arrêté royal du 18 février 1991 relatif aux denrées alimentaires destinées à une alimentation particulière. Cet arrêté royal a été modifié à plusieurs reprises, à savoir par les arrêtés royaux des 27 septembre 1993, 4 décembre 1995, 11 octobre 1997, 9 janvier 2000, 26 juin 2000, 20 juillet 2000 et 12 février 2004.

Bien que les directives précitées aillent dans le bon sens, elles ne suffisent pas à offrir une garantie maximale. C'est la raison pour laquelle la présente proposition de résolution plaide pour la vente exclusive des préparations pour nourrissons par des pharmaciens d'officine, ce qui se fait déjà à présent. Cette pratique n'émane pas d'une obligation légale mais d'un « gentlemen's agreement » qui est respecté par la plupart des producteurs depuis les années '90. En raison de modifications de l'offre et de la demande, le marché compte déjà de nouveaux producteurs qui veulent proposer les préparations pour nourrissons en dehors du canal des pharmacies.

L'alimentation des très jeunes enfants (allaitement maternel ou préparations pour nourrissons) bénéficie d'un accompagnement et d'un suivi de qualité par le corps médical et l'offre de préparations pour nourrissons est actuellement contrôlée par le biais des pharmacies, de sorte qu'on réussit, pour le moment, à garantir et à contrôler assez correctement les bonnes habitudes alimentaires des tout-petits en Belgique. Dans le cadre d'une politique sanitaire optimale, il serait vraiment dommage de ne pas protéger légalement l'excellente situation qui prévaut actuellement et qui consiste en un accompagnement médical de l'alimentation du nourrisson, conjugué à l'offre exclusive des préparations pour nourrissons en pharmacie.

Les arguments en faveur de la vente exclusive des préparations pour nourrissons en pharmacie ne manquent pas. L'argument principal est que cette exclusivité permet de consolider la situation actuelle concernant la vente de préparations pour nourrissons et l'accompagnement en la matière, qui n'a posé aucun problème par le passé, et d'assurer ainsi la continuité.

Le nourrisson (<12 mois) n'est pas un « petit adulte » mais un être en devenir dont le développement est à la fois rapide et lourd de conséquences pour son avenir. Au cours de sa première année, les aspects qualitatifs et quantitatifs de son alimentation sont déterminants. L'importance de l'allaitement maternel est unanimement reconnue à cet égard. Il constitue le meilleur choix, mais toutes les femmes ne sont pas aptes à en faire bénéficier leur enfant. Bien que le lait maternel soit unique, les préparations pour nourrissons peuvent fournir la solution. Cette alimentation existant sous de multiples formes, un avis médical qualifié est nécessaire lors du choix du produit, comme le reconnaît également l'arrêté royal du 18 février 1991 relatif aux denrées alimentaires destinées à une alimentation particulière qui prévoit « de n'utiliser le produit que sur avis de personnes indépendantes qualifiées dans le domaine de la médecine, de la nutrition ou de la pharmacie, ou d'autres spécialistes responsables des soins maternels et infantiles ».

L'alimentation des nourrissons qui ne sont pas allaités par leur mère doit être choisie sur avis qualifié d'un médecin. Hormis l'avis qualifié du médecin, l'avis du pharmacien est essentiel lors de l'achat. Les connaissances relatives à l'alimentation des nourrissons évoluent relativement vite. Les pharmaciens constituent un groupe-cible restreint qui, depuis des années déjà, suivent régulièrement des recyclages sur « les préparations pour nourrissons appropriées ». L'atopie et la prévention de l'allergie peuvent servir d'exemple à cet égard. En cas d'atopie familiale chez l'un des parents, il convient d'utiliser un hydrolysat pour prévenir l'allergie au lait de vache. Or, les avis en matière de lait antireflux, de transition progressive de l'allaitement maternel aux préparations pour nourrissons, ... sont des points essentiels liés au produit.

La vente de préparations pour nourrissons en grandes surfaces donnera plus facilement lieu à des mauvais achats. Certaines préparations pour nourrissons sont fortement épaissies à l'aide de féculents. La différence entre une alimentation « ordinaire » (qui serait en vente libre en grandes surfaces) et une alimentation « thérapeutique » (uniquement disponible en pharmacie) est parfois minime. Une collaboration intensive entre les médecins et les pharmaciens, telle qu'elle existe aujourd'hui, est donc fondamentale pour garantir que les parents reçoivent les conseils adéquats en ce qui concerne l'alimentation des nourrissons et que chaque enfant bénéficie de la préparation alimentaire qui lui convient le mieux. Le pharmacien peut également contribuer positivement à l'accompagnement de l'allaitement maternel. En effet, en maintenant l'exclusivité de la vente de préparations pour nourrissons en pharmacie, le pharmacien contribue lui aussi à orienter les mères qui se posent des questions sur l'allaitement maternel. La présente résolution valorise également le pharmacien dans son rôle d'acteur de la santé.

Dans la grande distribution, les parents ne disposent pas de la possibilité de recueillir un avis qualifié les aidant à faire un choix; ils feront leur choix en fonction d'autres facteurs, tels que le prix, l'attractivité de l'emballage, la disponibilité des produits et autres facteurs de marketing, sans tenir compte des caractéristiques spécifiques et de la composition des différentes préparations pour nourrissons ni des besoins spécifiques de leur enfant. Une étude récente de la FDA montre qu'un grand nombre de mères ne préparent pas toujours les aliments pour nourrissons conformément aux instructions. Plus de 30 % d'entre elles ne lisent pas les instructions sur l'emballage, 55 % des mères ne lavent pas leurs mains et 32 % des personnes interrogées n'accordent aucune importance particulière au nettoyage et à la désinfection des tétines. L'étude relève qu'environ 38 % des consommateurs ne se soucient pas des risques éventuels liés à un mode de préparation ou de conservation inadéquat. Il est évident que des conseils complémentaires du pharmacien au sujet d'une préparation et d'une conservation correcte du lait pour nourrissons sont susceptibles d'améliorer significativement la sécurité de la consommation de ces aliments par l'être vulnérable qu'est le nourrisson. Même la présence d'un seul pharmacien pour différents établissements de la grande distribution ne garantit pas un avis médical. Il s'agit plutôt d'un emplâtre sur une jambe de bois.

Le fait que la pharmacie pourrait constituer un obstacle plus important à l'achat de préparations pour nourrissons que les grandes surfaces est invoqué comme argument. Il convient toutefois de souligner que le nombre de pharmacies est fixé depuis la loi d'implantation de 1974. Cette dernière détermine le nombre de pharmacies en fonction du nombre d'habitants. À l'heure actuelle, il y a plus de 5 000 pharmacies en Belgique. L'accessibilité des officines n'est dès lors pas un problème. De surcroît, les pharmacies présentent l'avantage d'être disponibles également en dehors des heures normales d'ouverture des grandes surfaces, en raison du service de garde obligatoire.

De plus, la vente exclusive en pharmacie peut constituer un obstacle favorable à une protection accrue de l'allaitement maternel. « The breast is best » selon l'Organisation mondiale de la santé, et ce certainement en Occident qui n'est heureusement pas confronté au problème du VIH, comme c'est le cas en Afrique notamment. Les mères seront dès lors moins promptes à arrêter l'allaitement au profit d'une alimentation artificielle parce que le produit ne sera pas en vente libre ou promu par la grande distribution. Ce risque n'est toutefois que théorique. Chaque médecin et chaque professionnel de la santé s'efforce d'informer le public de ce que le lait de vache ordinaire n'est pas approprié pour les bébés. Ces aspects figurent également dans toutes les informations destinées aux jeunes mères. Tout cela met de nouveau en évidence l'importance d'un bon accompagnement médical lors du choix et de l'utilisation des préparations pour nourrissons.

La diminution du volume des ventes sous une valeur seuil complique la gestion du stock de la pharmacie. En d'autres termes, une diminution des ventes dans la pharmacie se traduira par une réduction de la disponibilité de la gamme dans l'officine. Des ventes marginales dans la pharmacie auront pour conséquence que le pharmacien sera moins disposé à se recycler dans cette matière complexe. Ce dernier ne pourra dès lors plus fournir d'avis qualifié.

La présente proposition suit également l'avis du Conseil supérieur de la santé (CSS 8434: Vente exclusive en pharmacie des préparations pour nourrissons) du 5 novembre 2008. Cet avis a été demandé après que l'utilité d'une réglementation relative à la vente exclusive en pharmacie des préparations pour nourrissons a été discutée dans le cadre de l'axe stratégique relatif à l'alimentation des nourrissons et des jeunes enfants du Plan National Nutrition Santé (PNNS). Faute de consensus, les membres du Comité d'experts directeur du PNNS ont proposé de consulter le Conseil supérieur de la santé sur l'ensemble du dossier.

Le Conseil supérieur de la santé a rendu l'avis suivant: « À ce propos, comme la Société belge de pédiatrie (SBP) et l'Académie belge de pédiatrie (ABP), le CSS pense que la distribution des PPN premier âge en officine de pharmacie est de nature à présenter un maximum de garantie, y compris en ce qui concerne le conseil éclairé d'un universitaire sensibilisé et formé aux problèmes de santé et de nutrition, ce que ne peut nécessairement garantir une « grande surface » qui permettrait à une mère « d'associer cet achat [de PPN] à ses courses de ménage. Une sage précaution pourrait conforter l'adoption d'un service exclusif en pharmacie auquel ne souscrit pas le Comité fédéral pour l'allaitement maternel (CFAM), mais qui pourrait correspondre au souhait exprimé par l'Association belge du secteur des aliments de l'enfance et des aliments diététiques (ABSAED). »

Louis IDE.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION


Le Sénat,

Considérant :

A. que l'allaitement maternel demeure le meilleur choix, encouragé par l'Organisation mondiale de la santé, mais que les préparations pour nourrissons peuvent fournir une solution aux jeunes mères dans certaines situations;

B. que la vente de préparations pour nourrissons assortie d'une explication médicale avisée a déjà lieu en pharmacie;

C. qu'il existe déjà plusieurs directives visant à garantir la qualité des préparations pour nourrissons;

D. qu'aucune législation n'impose un mode de distribution spécifique aux préparations pour nourrissons;

E. que l'avis qualifié d'un médecin et d'un pharmacien est nécessaire afin de garantir au maximum la qualité et l'utilisation adéquate des préparations pour nourrissons;

F. que l'on assiste déjà à des dérives vu que le lait de riz est vendu comme s'il s'agissait de lait dans le canal de distribution ordinaire,

Demande au gouvernement:

1.  de confier au pharmacien l'exclusivité de la vente de préparations pour nourrissons;

2.  de garantir de cette manière une sécurité alimentaire maximale;

3.  d'ancrer légalement la situation actuelle qui est basée sur un gentlemen's agreement;

4. de réaliser les mesures proposées rapidement en ce qui concerne le lait de premier âge de manière à valoriser également le rôle du pharmacien en tant que prestataire de soins;

5.  de garantir de cette manière des soins de qualité à la jeune mère (et au jeune père) ainsi qu'à l'enfant.

25 mars 2010.

Louis IDE.