4-1185/1

4-1185/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2008-2009

17 FÉVRIER 2009


Proposition de résolution visant à étendre le régime du tiers payant social

(Déposée par Mme Nahima Lanjri et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


Introduction

Les soins de santé constituent un droit fondamental pour tout citoyen. Pour les auteurs, il est dès lors crucial de garantir l'accessibilité aux soins de santé, y compris sur le plan financier.

Mais pour de nombreuses personnes, la facture des soins de santé commence à peser extrêmement lourd. Parmi les facteurs à risque, on peut citer un très bas salaire ou une allocation fort réduite. En Belgique, le revenu d'intégration et de nombreuses autres allocations se situent sous le seuil de risque de pauvreté. D'autre part, un grand nombre de personnes sont endettées ou en médiation de dettes et peuvent également se retrouver sous ce seuil. Pour toutes ces catégories de personnes, une consultation chez le médecin grève lourdement leur budget réduit. Le fait de devoir avancer les frais des soins de première ligne s'avère représenter un frein important qui incite ces personnes à les reporter ou même à y renoncer dans certains cas.

Pour les auteurs de la présente proposition, étendre le régime du tiers payant représente une solution appropriée à ce problème de plus en plus aigu.

État de la situation

Grâce au mécanisme du tiers payant, le patient n'est pas obligé d'avancer de l'argent: l'intervention de l'assurance obligatoire pour la prestation fournie est directement versée au prestataire de soins par l'assurance du patient, tandis que le patient paie uniquement le ticket modérateur. La réglementation actuelle est le fruit de la recherche d'un équilibre entre deux préoccupations: la première est de nature sociale et vise à garantir à chacun l'accès aux soins de santé, la seconde est de nature financière et vise à maîtriser les dépenses de soins de santé et à éviter la surconsommation.

L'arrêté royal du 10 octobre 1986 portant exécution de l'article 53, § 1er, alinéa 9, de la loi relative à l'assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994, prévoit trois types de régimes de tiers payant suivant la nature des prestations.

Dans certains cas, le régime du tiers payant est obligatoire (article 5 de l'arrêté royal). C'est le cas pour une hospitalisation ou pour les prestations y assimilées; pour l'intervention de l'assurance dans les frais de toutes les prestations dispensées lors d'une hospitalisation; pour les prestations de biologie clinique dispensées à des bénéficiaires non hospitalisés par les laboratoires agréés; pour l'intervention de l'assurance dans le cadre du dépistage organisé du cancer du sein.

Dans d'autres cas, l'application du régime du tiers payant est interdite (article 6 de l'arrêté royal). Pour les médecins généralistes et les spécialistes, cette interdiction s'applique aux consultations, aux visites et aux conseils; pour les dentistes, l'interdiction vaut pour les consultations de patients âgés de plus de 12 ans, pour les traitements préventifs, pour les soins dentaires conservateurs à des patients âgés de plus de 18 ans, tels que le traitement ou l'obturation d'une dent ou d'un canal d'une dent, et pour les radiographies dentaires chez les bénéficiaires non hospitalisés; pour le paiement des frais de déplacement.

Enfin, dans certains cas, le régime du tiers payant est facultatif ou autorisé. Le dispensateur de soins peut demander lui-même l'application du régime. Pour les médecins et les praticiens de l'art dentaire (article 4bis de l'arrêté royal), c'est le cas pour les prestations pour lesquelles le régime du tiers payant n'est ni interdit ni obligatoire. Pour les dispensateurs de soins autres que les médecins et praticiens de l'art dentaire (article 4 de l'arrêté royal), il est prévu que le régime du tiers payant peut être appliqué selon les modalités fixées dans les accords et conventions ou, à défaut de tels accords ou conventions, par contrat particulier entre l'organisme assureur et le prestataire de soins.

À côté de ce régime général du tiers payant, il existe également un régime du tiers payant social. L'interdiction de l'application du tiers payant formulée par l'article 6 de l'arrêté royal peut en effet faire l'objet d'exceptions qui ont pour but de ne pas entraver l'accès aux soins des personnes pour lesquelles l'avance des frais constitue un obstacle.

C'est le cas pour les patients qui reçoivent des soins que l'hôpital paie forfaitairement au prestataire de soins; pour des soins dispensés dans des centres de santé mentale, dans des centres de planning familial et d'information sexuelle et dans des centres d'accueil pour toxicomanes; pour des soins dispensés dans des établissements spécialisés dans les soins aux enfants, aux personnes âgées ou aux handicapés; pour des soins dispensés à des personnes qui décèdent en cours de traitement ou qui se trouvent dans un état comateux; pour des soins dispensés à des personnes qui ont des problèmes financiers; pour des soins dispensés à des personnes ayant droit à l'intervention majorée; pour des soins dispensés à des personnes dont le revenu imposable du ménage est inférieur au montant annuel du revenu d'intégration si bien qu'elles sont dispensées de l'obligation de cotisation; pour des prestations qui requièrent la compétence du médecin spécialiste (test in vitro par médecine nucléaire; biologie clinique par chimie médicale, etc.); pour la consultation au cabinet d'un licencié en science dentaire ou d'un dentiste capacitaire jusqu'au douzième anniversaire et pour les soins dentaires conservateurs administrés à des bénéficiaires non hospitalisés jusqu'à leur dix-huitième anniversaire.

Critiques du régime

Les études et rapports publiés sur le régime du tiers payant montrent que dans sa conception actuelle, il n'atteint pas tout à fait son but en ce qui concerne l'accessibilité aux soins de santé. À l'heure actuelle, 4 à 10 % des prestations sont soumises à ce régime.

Par crainte d'une augmentation des dépenses de soins de santé, l'on a interdit l'application du régime du tiers payant là où elle aurait justement pu résoudre le problème de l'accessibilité aux soins (actes intellectuels).

Le régime est trop peu appliqué par les dispensateurs de soins et les modalités de fonctionnement sont compliquées. De nombreux médecins et patients ne le connaissent pas bien ou pas du tout.

Souvent, le droit des patients précarisés de bénéficier du régime du tiers payant reste théorique parce qu'il dépend totalement de l'accord du dispensateur de soins qui statue au cas par cas.

Des réactions critiques fusent de la part tant des dispensateurs de soins que des mutualités et des patients.

Les dispensateurs de soins sont tous des petits indépendants qui ont naturellement intérêt à être payés rapidement. Actuellement, le système est encore trop complexe. La charge administrative décourage les dispensateurs de soins désireux d'appliquer ce régime. Il convient donc de simplifier les procédures et de rémunérer plus rapidement les dispensateurs de soins.

Les mutualités craignent les pratiques abusives. La transparence est donc de mise.

Pour les patients, ce régime conserve un effet stigmatisant. Ils doivent en demander eux-mêmes la mise en œuvre au médecin traitant. La gêne empêche dès lors de nombreux patients de formuler cette demande. À cet égard, la solution pourrait être d'accorder un droit automatique à certains patients.

Évolutions récentes

L'accord national médico-mutualiste 2009-2010 énonce des dispositions spécifiques à propos du régime du tiers payant en son chapitre « Accessibilité du patient ».

14.1. L'accès au système du tiers payant facultatif est ouvert à leur demande aux médecins qui n'ont pas adhéré à l'accord dans la mesure où ils notifient au Collège intermutualiste national qu'ils respecteront les tarifs de l'accord pour les prestations couvertes par le système du tiers payant dans les mêmes conditions que les médecins engagés.

14.2. Tiers payant social

En vue d'assurer une accessibilité optimale aux soins à certains groupes d'assurés, le régime du tiers payant, prévu dans l'arrêté royal du 10 octobre 1986, sera appliqué à partir de la mi-2009 pour les honoraires concernant le dossier médical global, avec et sans module de prévention, demandé par le patient ainsi que pour les honoraires dans le cadre des trajets de soins.

Les organismes assureurs s'engagent à développer une procédure commune et simple afin d'assurer un paiement rapide des honoraires dus.

À terme, cette procédure sera intégrée dans le cadre du projet My Carenet.

La Commission nationale médico-mutualiste recommande d'appliquer le régime du tiers payant pour les consultations et les visites à tous les bénéficiaires du régime préférentiel qui présentent un document de leur organisme assureur attestant qu'ils ont droit à ce régime.

Le nouvel accord national dento-mutualiste contient également des dispositions spécifiques.

Sa version 2009-2010 prévoit que le dentiste conventionné s'engage à attester au maximum 75 % de ses prestations via le régime du tiers payant, et à invoquer la situation financière de détresse pour maximum 5 % de ses prestations. Si le dentiste dépasse ces plafonds, il pourra être exclu du régime du tiers payant à l'issue d'une procédure spécifique.

Toutefois, les contrôles ne porteront que sur les prestations dépassant un certain seuil et des sanctions ne seront appliquées qu'en cas d'abus manifestes. La disposition a été ajoutée après concertation avec les partenaires de l'accord dans le but de n'éliminer que les cas manifestes d'abus du régime du tiers payant. Le contrôle ne s'applique pas aux dentistes qui travaillent dans des quartiers socialement défavorisés ou qui ont des patients qui se trouvent dans une situation financière précaire et qui dépassent certain maximums.

Nahima LANJRI.
Philippe MAHOUX.
Anne DELVAUX.
Dirk CLAES.
Christiane VIENNE.
Marc ELSEN.
Yves LETERME.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION


Le Sénat,

Demande au gouvernement fédéral:

1. de lancer un projet visant à étendre le régime du tiers payant par groupes cibles. Ce projet vise à améliorer l'accessibilité aux soins pour les patients précarisés, en encourageant à appliquer le régime du tiers-payant. Le groupe cible comprend tous les médecins généralistes de certaines communes et leurs patients ayant droit à une intervention majorée ou bénéficiant du statut OMNIO. La méthode et les moments d'évaluation seront fixés dans le projet en question;

2. de faire évoluer le système petit à petit d'un libre choix pour le médecin vers un droit automatique pour le patient;

3. d'établir, pour certains groupes cibles, un droit automatique. Nous pensons principalement aux bénéficiaires du statut OMNIO, de l'intervention majorée et du forfait de soins et aux personnes bénéficiant d'une aide financière en raison d'un handicap. À cette fin, il conviendra cependant d'uniformiser ces régimes sur le plan administratif. Il faudra aussi organiser les choses de telle sorte que l'application du régime du tiers payant apparaisse sur les vignettes de mutuelles ou à la lecture des données de la carte SIS, afin que le patient ne doive plus formuler de demande explicite;

4. d'accorder ce régime à la demande du patient pour certains autres groupes,. Le CPAS pourra régler la question au moyen de la carte médicale et de l'attestation délivrée avec celle-ci;

5. à terme, d'étendre éventuellement ce régime en ce qui concerne également d'autres dispensateurs de soins. Nous pensons par exemple aux prestations des kinésithérapeutes;

6. de faire en sorte que le projet implique toutes les parties concernées: les médecins de famille, les dentistes, les patients (et associations de patients), les mutualités et peut-être aussi certains spécialistes.

26 janvier 2009.

Nahima LANJRI.
Philippe MAHOUX.
Anne DELVAUX.
Dirk CLAES.
Christiane VIENNE.
Marc ELSEN.
Yves LETERME.