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Sénat de Belgique

SESSION DE 2008-2009

2 DÉCEMBRE 2008


Proposition de loi modifiant l'article 31 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DE LA JUSTICE PAR

M. DELPÉRÉE


I. INTRODUCTION

La présente proposition de loi a été déposée le 12 juillet 2007. Elle a été prise en considération le 9 octobre 2007 et envoyée à la commission de la Justice.

La commission l'a examinée au cours de ses réunions des 23 avril, 24 juin, 7 et 22 octobre, 19 novembre et 2 décembre 2008, en présence du ministre de la Justice.

La réunion du 22 octobre 2008 a été consacrée à l'audition de M. Dirk Calemyn, chef de la police maritime.

II. EXPOSÉ INTRODUCTIF DE M. COLLAS, AUTEUR DE LA PROPOSITION DE LOI

M. Collas expose que, lorsque les fonctionnaires de police, les magistrats ou les juridictions ne connaissent pas la langue de l'inculpé, ils font, selon l'article 31 de la loi sur l'emploi des langues en matière judiciaire, appel au concours d'un traducteur juré. En dehors du problème qui existe déjà à l'heure actuelle de trouver des traducteurs jurés, l'orateur attire l'attention sur un arrêt de la cour d'appel de Bruxelles du 18 juin 2003, lui-même basé sur un arrêt de la Cour de cassation du 16 septembre 1998, et qui a prononcé la nullité des procès-verbaux d'audition du prévenu et des deux victimes constituées parties civiles, en ce qui concerne leurs déclarations, étant donné qu'ils mentionnent que les auditions ont eu lieu, certes avec l'aide d'interprètes, mais sans constater la qualité de traducteur juré de ces interprètes.

Le monde académique a réagi à cette situation. Ainsi, les professeurs Bosly et Vandermeersch proposent que dans des cas où un traducteur juré n'est pas disponible, les autorités judiciaires puissent constater le cas de force majeure et faire appel à un traducteur non juré qui prêterait, pour la circonstance, le serment de l'interprète, et dont les qualités de traducteur pourraient être vérifiées ultérieurement en cas de contestation.

C'est pourquoi l'orateur propose d'insérer, entre les alinéas 3 et 4 de l'article 31 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire, un alinéa nouveau, ainsi libellé:

« Dans les cas où un traducteur juré n'est pas disponible, les autorités judiciaires peuvent constater le cas de force majeure et faire appel à un traducteur non juré qui prêtera, pour la circonstance, le serment de l'interprète et dont les qualités de traducteur peuvent être vérifiées ultérieurement en cas de contestation. »

III. DISCUSSION GÉNÉRALE

M. Van Parys estime que la proposition est logique, mais il se demande si elle n'entraînera pas le déclin de la fonction de traducteur juré.

M. Vankrunkelsven relève que l'autorité judiciaire doit d'abord constater l'indisponibilité d'un traducteur juré avant de pouvoir faire appel à un traducteur non juré. Ce n'est donc pas le prévenu qui fait la demande dans ce sens.

M. Mahoux estime que le texte mériterait d'être quelque peu précisé en ce qui concerne le contenu de la notion de force majeure, d'autant plus que le texte a un champ d'application très large. Il arrive en effet que des audiences soient reportées pour des raisons qui semblent assez futiles.

L'intervenant fait également observer qu'il est question de traducteurs, mais qu'il s'agit en fait souvent d'interprètes.

M. Collas répond qu'il s'agit de la terminologie employée dans la loi actuelle.

M. Vankrunkelsven indique que le problème peut se poser, non seulement lors d'une audience au tribunal, mais aussi, par exemple, lors d'une arrestation par les services de police. S'il est impossible de trouver un interprète juré, il est préférable, d'après l'intervenant, de faire appel à un traducteur non juré pouvant assurer la communication que de n'avoir personne à sa disposition.

À première vue, M. Swennen souscrit à l'esprit de la proposition de loi qui favorise un meilleur accès à la justice.

Il se pose toutefois le problème que l'on aura recours aux services de deux types de traducteurs. Ne fera-t-on pas dès lors appel plus facilement à un traducteur non juré, ce qui reviendra en réalité à vider de sa substance le statut de traducteur juré ? Le système du traducteur juré offre pourtant une garantie de qualité.

M. Delpérée souligne que deux situations assez différentes peuvent se présenter. Lorsque le traducteur juré dans une langue courante n'est pas libre à une date déterminée, l'audience sera simplement reportée, car il ne s'agit pas d'une force majeure. Celle-ci suppose un obstacle impossible à franchir. Ce sera le cas lorsque la personne concernée ne parle que tel ou tel dialecte très peu répandu, pour lequel il n'y a pas de traducteur juré en Belgique. Le tribunal doit bien, dans ce cas, constater la force majeure, et il faut trouver une solution, faute de quoi on aboutit à l' irrégularité des procès-verbaux établis par les acteurs judiciaires.

M. Mahoux demande qui constate la force majeure, puisque tous les stades de la procédure sont potentiellement concernés: juridiction de jugement, juridiction de renvoi, stade de l'instruction, stade de l'enquête. Faut-il une décision judiciaire ?

Quid lorsque, a posteriori, « les qualités » de l'interprète sont contestées ? L'ensemble de la procédure qui précède est-elle frappée de nullité ? Et qui va vérifier la qualité de la traduction, s'il s'agit précisément d'un dialecte tellement rare que l'on ne trouve personne d'autre pour assurer la traduction ?

Mme Taelman pense que l'intervenant précédent a raison de relever qu'un problème se pose. Dans la pratique, il n'y aura généralement pas de problème lors d'une audience au tribunal; l'audience sera reportée si le traducteur n'est pas disponible. Il n'est pas question d'une force majeure dans ce cas. Les problèmes se poseront principalement lors d'une enquête judiciaire ou d'une audition réalisée par les services de police, où il faut trouver très rapidement une personne maîtrisant la langue de l'intéressé. Il est important de trouver une solution à ce problème. On pourrait envisager, par exemple, que le parquet puisse donner une autorisation en cas de force majeure.

M. Collas rappelle que, dans chaque arrondissement judiciaire, il existe des listes de traducteurs jurés. Un éventuel constat de carence sera donc vite fait.

Mme Crombé-Berton s'interroge sur la formule « dont les qualités de traducteur peuvent être vérifiées ultérieurement ». L'intervenante estime que cette vérification doit plutôt avoir lieu a priori, faute de quoi l'ensemble de la procédure risque d'être frappé d'irrégularité.

M. Vankrunkelsven a l'impression que la majorité des commissaires conviennent qu'il existe bien un problème sur le terrain. La règle formulée dans la proposition de loi ne donne peut-être pas des garanties suffisantes sur le plan de l'exactitude de la traduction.

M. Mahoux fait observer que, si la décision sur le choix de l'interprète n'est pas contradictoire, cet élément pourra être invoqué ultérieurement, et l'on pourra arguer de ce que l'interprète n'a pas traduit de manière exacte les déclarations du juge et de l'accusé. La proposition ne risque-t-elle pas, dans sa forme actuelle, de remplacer un problème par un autre, et de créer un « piège à nullités » ?

M. Vandenberghe indique qu'il faut respecter l'article 6 de la CEDH. Les droits de la défense et le droit à la contradiction doivent être suffisamment garantis. En tout cas, il ne s'indique pas de prévoir que les compétences du traducteur seront vérifiées a posteriori. Lorsque le juge désigne un traducteur non juré, il doit avoir la conviction que ce traducteur connaît suffisamment la langue concernée. Ce n'est pas au prévenu que doit incomber la charge de la preuve à cet égard. Le juge qui fait appel à un traducteur non juré doit s'assurer que celui-ci maîtrise la langue concernée, qu'il comprend les questions et qu'il peut y répondre.

Le ministre émet les remarques suivantes concernant la proposition de loi à l'examen.

Une première remarque concerne l'éventuelle contestation a posteriori des compétences du traducteur. Cette possibilité de contestation n'est pas une bonne chose, car elle n'aura pour effet que d'augmenter le nombre de litiges et de contestations devant le tribunal. Les avocats pourraient abuser de cette possibilité en saisissant le tribunal au moindre mot traduit éventuellement d'une manière différente. Au demeurant, on peut se demander qui va contester la traduction, auprès de qui il faudra introduire cette contestation et comment les traductions seront comparées.

La notion de « force majeure » pose également problème. Si l'on ne trouve pas de traducteur juré, il est déjà question en soi d'une force majeure.

Enfin, la proposition ne mentionne que les autorités judiciaires et vise ainsi les tribunaux et les parquets. La police n'est donc pas concernée stricto sensu par la proposition. Les articles 30 et 31 de la loi du 15 juin 1935 traitent pourtant aussi de l'information et de l'audition réalisées par les services de police, lesquels doivent donc également pouvoir recourir à la réglementation proposée.

IV. DISCUSSION DES ARTICLES

M. Collas rappelle que l'idée de faire appel à un traducteur non juré dans les cas où un traducteur juré n'est pas disponible avait suscité quelques réticences.

Il a dès lors préparé, avec Mme Crombé-Berton, une série d'amendements visant à rencontrer ces objections.

Intitulé

M. Collas et Mme Crombé-Berton déposent l'amendement nº 3 (doc. Sénat, nº 4-86/2) visant à remplacer l'intitulé de la proposition de loi comme suit: « Proposition de loi modifiant les articles 30 et 31 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire ».

Cet amendement découle de l'amendement nº 2 des mêmes auteurs (voir article 1erbis).

L'amendement nº 3 est ensuite retiré au profit de l'amendement nº 6 (doc. Sénat, nº 4-86/3) des mêmes auteurs. L'amendement nº 6 vise à remplacer l'intitulé de la proposition de loi comme suit: « Proposition de loi modifiant les articles 30 et 31 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire et l'article 47bis du Code d'instruction criminelle ». L'amendement vise à mettre l'intitulé en concordance avec le contenu de la proposition de loi tel qu'adapté par les amendements nºs 4 et 5.

Article 1er

Cet article n'appelle aucune observation.

Article 1erbis (nouveau) — (Art. 2 du texte adopté)

M. Collas et Mme Crombé-Berton déposent l'amendement nº 2 (doc. Sénat, nº 4-86/2) visant à insérer un article 1erbis (nouveau) dans la proposition de loi.

Les auteurs proposent de modifier l'article 30 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire afin de consacrer dans la loi la pratique selon laquelle le greffe de chaque tribunal de première instance tient une liste officielle des interprètes jurés de l'arrondissement.

Article 2 (Art. 3 du texte adopté)

Amendement nº 1

M. Collas et Mme Crombé-Berton déposent l'amendement nº 1 (doc. Sénat, nº 4-86/2) visant à remplacer l'article 2 de la proposition de loi.

Les auteurs proposent, lorsqu'aucun interprète juré n'a pu être trouvé dans l'arrondissement judiciaire, de faire appel à un interpète juré d'un autre arrondissement judiciaire pour voir si la compétence linguistique y est présente. C'est un pas très concret vers la recherche d'une solution pragmatique.

M. Delpérée constate que l'article 31 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire vise les interprètes jurés. L'amendement crée une certaine confusion car il vise également les traducteurs.

M. Collas admet que l'amendement devrait mieux distinguer la qualité d'interprète et celle de traducteur, qui sont deux professions différentes. L'amendement sème quelque peu la confusion sur ce point. Les auteurs se concerteront avec le gouvernement pour déposer un texte commun.

Le ministre reconnaît que les amendements nºs 1 et 2 permettent de tenir compte d'une pratique existante. Les tribunaux et les parquets disposent de listes officieuses de traducteurs, d'interprètes et de traducteurs-interprètes. Il arrive aussi souvent qu'ils fassent appel à un traducteur ou à un interprète en dehors de leur arrondissement si aucun traducteur ou interprète juré n'est disponible. C'est une pratique courante actuellement.

L'intervenant insiste pour que l'on impose de rechercher d'abord un traducteur ou un interprète juré.

M. Vankrunkelsven souligne à nouveau la confusion qui règne entre les notions d'« interprète » et de « traducteur ».

Le ministre confirme qu'il s'agit de deux professions complètement différentes: l'interprète se charge de la traduction orale, et le traducteur produit une traduction écrite.

Amendement nº 4

À la suite de la discussion, M. Collas et Mme Crombé-Berton déposent l'amendement nº 4 (doc. Sénat, nº 4-86/3), préparé en concertation avec le gouvernement.

L'amendement prévoit une procédure en cascade pour la désignation d'un interprète. Il est proposé de désigner prioritairement un interprète juré qui connaît la langue des parties et qui est inscrit sur la liste de l'arrondissement judiciaire dans lequel se déroule la procédure. Si aucun interprète juré n'est disponible dans l'arrondissement judiciaire compétent, il est proposé de recourir à un interprète juré d'un autre arrondissement judiciaire. A défaut, on recourt aux services d'un traducteur juré qui prête, pour la circonstance, le serment de l'interprète. A défaut, il sera fait appel à un interprète non juré qui prête, pour la circonstance, le serment de l'interprète.

M. Mahoux s'interroge sur la solution proposée en fin de cascade. Le système repose sur un constat de force majeure: lorsqu'aucun traducteur juré n'a pu être trouvé, il est fait appel à un interprète non juré qui prête serment. La compétence de cet interprète non juré pourra-t-elle faire l'objet d'une vérification ultérieure ? Si une des parties conteste la compétence de l'interprète non juré, cela ne risque-t-il pas d'entraîner la nullité de l'ensemble de la procédure ? N'est-il dès lors pas plus efficace de surseoir dans l'attente d'un interprète juré plutôt que de s'exposer au risque de voir la procédure annulée ?

Le ministre souligne que le principe du système proposé est de faire appel en premier lieu à des personnes qualifiées et de garantir la qualité. Ce n'est que dans des cas très exceptionnels que l'on arrivera à la dernière étape du système en cascade proposé. Il ne sera pas possible de contester a posteriori la traduction proprement dite. Ce n'est pas possible non plus à l'heure actuelle.

M. Mahoux ne comprend pas la réponse du gouvernement. Le ministre a souligné qu'il n'était pas habituel de contester la qualité des traductions. L'intervenant pense que le fait de recourir aux services de traducteurs jurés offre justement des garanties. Leur qualité de traducteur juré a pour effet que l'on ne peut contester la qualité de leurs traductions. Dans la solution proposée par le régime en cascade, on peut arriver de manière ultime à recourir à des traducteurs non jurés à qui on fait prêter serment. Ces personnes ne deviennent cependant pas des traducteurs jurés. Peut-on contester les compétences de traduction de ces personnes ?

Le ministre répond que la possibilité de contestation n'existe pas en tant que telle, de même qu'il n'est pas possible, par exemple, de récuser des experts. En effet, cela ouvrirait des possibilités d'abus destinés à paralyser l'instruction.

M. Collas souligne que les auteurs des amendements ont consacré beaucoup d'attention à la procédure en cascade. Au départ, seule la dernière étape de la cascade était prévue dans la proposition de loi. L'amendement nº 4 prévoit des mécanismes complémentaires qui renforcent la qualité de l'interprétation. Ce n'est que dans des situations extrêmes que l'on devra recourir aux services d'un interprète qui n'est pas un traducteur juré.

M. Mahoux demande si les auteurs de l'amendement nº 4 considèrent que l'on peut contester la compétence de l'interprète non juré.

M. Vankrunkelsven pense qu'il est clair que toute contestation est impossible.

M. Delpérée pense qu'une partie de l'équivoque découle de la formulation de l'amendement nº 4. Au 2º, alinéa 2, il est prévu de faire appel à un traducteur juré qui prête, pour la circonstance, le serment de l'interprète. Ce libellé donne l'impression que le traducteur prête un serment pour autrui. Ne serait-il pas plus correct de prévoir que le traducteur prête le serment d'interprète ou même de supprimer les mots « de l'interprète » après les mots « le serment ». La même remarque vaut pour le troisième alinéa proposé.

M. Coveliers estime qu'il faut tout de même préciser en quelle qualité l'intéressé prête serment. Si on se contente de prévoir que l'intéressé prête serment, il se pourrait aussi qu'il le fasse en qualité d'expert.

M. Mahoux rappelle la solution proposée: lorsque l'on fait le constat qu'aucune personne remplissant les conditions prévues par la loi pour être interprète juré n'est trouvée, on prévoit la possibilité de faire appel à une personne qui n'est pas interprète juré. Si cette personne prête serment, il faut considérer qu'elle peut être l'interprète, sans contestation ultérieure possible. Cette solution vaut pour toutes les langues existantes.

L'intervenant plaide pour la prudence par rapport aux droits de la défense. Pour les langues les plus courantes, il sera possible de trouver suffisamment de garanties pour pouvoir contrôler la qualité du traducteur. Comment pourra-t-on contrôler la qualité du traducteur non juré choisi ex abrupto pour des langues peu courantes pour lesquelles il est difficile de trouver un interprète ?

M. Vankrunkelsven conclut qu'il est plus opportun de prévoir que le serment à prêter s'inscrit dans le cadre de l'interprétation, de la traduction.

Par ailleurs, l'on s'interroge à juste titre sur la garantie de la qualité. D'ailleurs, de quelle qualité sont les traducteurs et interprètes jurés à l'heure actuelle ?

M. Collas fait remarquer que dans les trois premiers cas de la cascade proposée à l'amendement nº 4, l'interprétation est confiée à une personne qui a eu une formation adéquate et qui est soit interprète juré, soit traducteur juré. C'est un gage de qualité. Ce n'est que dans la dernière hypothèse que l'on fera appel à un interprète non juré.

M. Delpérée revient à la question du serment. Il pense qu'il serait plus clair, au 2ºde l'amendement nº 4 (doc. Sénat, nº 4-86/3), de libeller le dernier membre de phrase aux alinéas 2 et 3 comme suit: « qui prête, pour la circonstance, le serment d'interprète ».

Par ailleurs, le traducteur juré ou l'interprète non juré qui a prêté le serment d'interprète ne devient pas interprète juré. L'amendement précise que le serment est prêté pour la circonstance, c'est-à dire, pour l'affaire en cours.

M. Vankrunkelsven considère qu'il est dès lors plus opportun de renvoyer à l'article qui définit le serment d'interprète. En outre, l'on ne recourt à des personnes non assermentées que lorsque les autres possibilités sont épuisées. Il s'agit clairement d'un système en cascade. L'on ne devient d'ailleurs pas interprète juré uniquement parce que l'on a prêté serment dans une affaire donnée. En l'occurrence, ce serment ne vaut que pour cette seule et unique affaire.

Le ministre souscrit à ce point de vue. À chaque fois que l'interprète en question accepte une tâche, il doit de nouveau prêter serment. Le fait de prêter serment dans une affaire donnée ne confère pas le titre d'interprète juré.

M. Mahoux répond que le problème se situe à un autre niveau. Tout d'abord, qui détermine la qualité d'interprète (non juré) et sur la base de quels critères ? Ensuite, un interprète non juré qui a prêté serment dans une affaire spécifique a-t-il un rôle identique et bénéficie-t-il d'une reconnaissance identique à ceux d'un interprète juré ?

M. Collas renvoie à nouveau aux développements précédant la proposition de loi, et à l'avis des professeurs Bosly et Vandermeersch qui préconisent, comme solution ultime, le recours à un interprète non juré qui prête le serment pour la circonstance.

Le ministre fait référence à la situation actuelle dans laquelle les qualités d'un traducteur juré ne sont pas évaluées. L'on devient traducteur juré en posant sa candidature et il est uniquement procédé à une enquête de moralité. Aucune exigence de qualité n'est imposée à l'intéressé qui demande à figurer sur la liste de traducteurs et d'interprètes jurés. Aucun diplôme n'est même requis, l'on est simplement accepté sur la base d'une enquête de moralité. Le gouvernement élabore actuellement un projet de loi dans le cadre de laquelle des exigences de qualité entreront effectivement en ligne de compte.

M. Vankrunkelsven estime que le système en cascade proposé constitue une tentative honorable de résoudre les problèmes sur le terrain. L'intervenant note que des exigences plus élevées seront posées à l'avenir de sorte qu'il sera possible de mieux garantir la qualité.

Le ministre souligne que le système proposé, et plus particulièrement le dernier alinéa, peut s'avérer très utile, dans des dossiers de traite et de trafic d'êtres humains par exemple. Il est impossible d'écarter quelqu'un comme interprète. Si la qualité de l'interprète est contestée, l'on contactera a posteriori l'autorité qui a procédé à la désignation.

M. Mahoux en déduit que la décision n'est pas contradictoire, et qu'elle ne peut pas faire l'objet de contestation de manière extemporanée. L'intervenant répète qu'un telle procédure peut s'avérer très préjudiciable aux droits de la défense. Il suggère dès lors de demander le point de vue des barreaux à ce sujet.

M. Delpérée demande au précédent intervenant quelle formule il propose lorsqu'il n'y a pas d'interprète juré ni de traducteur juré.

M. Mahoux fait observer qu'en l'occurrence, l'initiative parlementaire ne vient pas de lui. Sur le fond, il souligne que, d'une manière générale, les procédures sont ralenties et allongées pour toutes sortes de raisons. Ici, au contraire, on tirerait argument de l'existence d'une force majeure, au lieu de chercher la personne adéquate. Du reste, il existe dans les arrondissements judiciaires des listes d'interprètes. S'il n'y en a pas, il faut prévoir des garanties supplémentaires, ce que la proposition ne fait pas.

Mme Taelman souligne les problèmes qui se posent dans la pratique. Les services de police ne disposent que d'une période limitée pour faire comparaître quelqu'un devant le juge d'instruction. Aussi sont-ils parfois amenés à devoir chercher un traducteur-interprète pendant la nuit. Quelles autres solutions M. Mahoux est-il en mesure d'avancer à cet égard s'il conteste le système proposé ?

M. Vankrunkelsven conclut que l'objection de M. Mahoux vise le dernier alinéa. Force est de constater que des problèmes se posent dans la pratique et que l'ancienne législation ne semble pas suffire. L'intervenant propose d'organiser une audition, avec les ordres des barreaux par exemple.

M. Collignon déclare qu'une telle audition permettrait de déterminer l'ampleur exacte du problème rencontré par les praticiens. On se trouve en effet confronté à des impératifs contradictoires, à savoir, d'une part, résoudre un éventuel problème récurrent dans la pratique, et, d'autre part, s'assurer de la qualité de l'interprétation ou de la traduction réalisées afin de garantir une saine justice.

M. Delpérée se rallie aux propos du précédent intervenant. Il aimerait également savoir combien il y a de traducteurs jurés par arrondissement.

Y a-t-il des langues tout à fait inconnues ?

Le ministre fait remarquer que le système proposé dans le dernier alinéa est nécessaire en cas d'extrême nécessité (une dizaine de cas par an peut-être). Naturellement, aucun problème ne se pose pour les langues les plus courantes. L'intervenant n'a aucune idée du nombre d'interprètes.

M. Mahoux répète qu'il souhaiterait connaître l'avis des barreaux, car la discussion touche à un élément fondamental pour la garantie d'un procès équitable

M. Vankrunkelsven propose que l'on organise une audition avec les représentants des services de police et des barreaux (OBFG et OVB).

Article 4 (nouveau) (Art. 4 du texte adopté)

M. Collas et Mme Crombé-Berton déposent l'amendement nº 5 (doc. Sénat, nº 4-86/3) visant à insérer un nouvel article dans la proposition de loi. Il est proposé de remplacer l'article 47bis, 5º, du Code d'instruction criminelle pour le mettre en concordance avec les modifications proposées à l'article 31 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire (voir article 2 de la proposition de loi).

V. AUDITION

M. Vankrunkelsven signale que les barreaux ont communiqué par écrit leur point de vue concernant la proposition de loi à l'examen. Il renvoie à la lettre que lui a adressée M. Maréchal, président de l'Ordre des barreaux francophones et germanophone de Belgique, le 21 octobre 2008 ainsi qu'à la note du même jour établie par Mme Filiz Korkmazer du Service d'études de « l'Orde van Vlaamse Balies ». Ces documents figurent en annexe au présent rapport.

Audition de M. Dirk Calemyn, chef de la police maritime

En sa qualité de chef de section de la police maritime de Zeebruges, M. Calemyn confirme qu'il rencontre souvent des difficultés pour trouver un interprète afin de procéder à des auditions de personnes s'exprimant dans une langue peu courante. Il arrive fréquemment que les interprètes ne soient pas joignables ou pas disposés à se déplacer au moment de l'audition. On a donc recherché des solutions pratiques. C'est ainsi que l'on a rédigé des questionnaires dans une trentaine de langues. On fait également appel à des interprètes non assermentés qui ne font souvent que traduire les questions posées par les policiers à la personne interrogée. Cette dernière écrit alors elle-même ses réponses. Il se pose toutefois un problème lorsque la personne interrogée ne sait pas écrire.

La proposition de loi à l'examen est dès lors accueillie favorablement. L'intervenant a cependant quelques questions supplémentaires à poser. Dans le système en cascade proposé, faut-il avoir épuisé chaque étape avant de pouvoir passer à l'étape suivante ? Devant qui faut-il prêter serment ? Auparavant, il existait un formulaire spécial pour la prestation de serment, mais aujourd'hui, la prestation de serment n'a plus lieu.

L'intervenant évoque des solutions qui ont cours à l'étranger et dont on pourrait s'inspirer. Certains pays appliquent le système de la « ligne interprètes » qui permet de poser une série de questions par téléphone. La police ne peut pas être limitée dans ses possibilités parce qu'aucun interprète n'est disponible. Il faut parfois déjà faire appel à un interprète pour déterminer la langue dans laquelle une personne s'exprime. Il serait tout à fait possible de le faire par téléphone. Ensuite, il faudrait toujours disposer d'une liste des interprètes disponibles pouvant être convoqués.

À la question de savoir devant qui le serment doit être prêté, M. Collas répond qu'il lui semble évident qu'il s'agit du Procureur du Roi.

En ce qui concerne les listes auxquelles on peut se référer, l'intervenant demande s'il s'agit ici de listes émanant de la police ou de listes établies par arrondissement judiciaire.

M. Calemyn répond qu'il existe deux listes: une liste d'interprètes fournie par l'intermédiaire de l'arrondissement judiciaire et une autre liste transmise par la police via les carrefours d'information d'arrondissement.

M. Van Den Driessche signale qu'un nouveau système est absolument nécessaire. Chaque année, des milliers de personnes venant des quatre coins du globe font des déclarations. Une chose est claire: il faut trouver rapidement une solution pour aider la police. En effet, rien n'indique que le nombre de personnes à entendre va diminuer dans les prochaines années.

M. Vankrunkelsven comprend que la police a plus ou moins concocté un modus operandi pratique en vue de résoudre le problème. Cette manière de procéder de la police a-t-elle déjà suscité des remarques, par exemple de la part des tribunaux ?

M. Calemyn répond qu'aucune remarque n'a jamais été faite à ce propos. Le modus operandi employé résulte d'ailleurs d'une bonne collaboration avec le parquet. L'on ne peut pas perdre de vue que des milliers de personnes doivent être interrogées chaque année et que le choix du système à appliquer soulève aussi la question des coûts.

M. Mahoux demande confirmation du fait que l'orateur ne connaît pas de cas de nullité lié à l'interprète. Cela supposerait qu'une large étude ait été réalisée à ce sujet.

M. Calemyn répond que, jusqu'à présent, la méthode utilisée par la police n'a entraîné de problèmes d'aucune sorte.

M. Mahoux rappelle que la proposition de loi prévoit la possibilité de contester a posteriori la qualité de l'interprète.

Mme Crombé-Berton fait observer qu'un amendement propose de supprimer cette possibilité.

M. Mahoux demande qui, dans ce cas, déterminera si l'interprète est compétent. On peut en effet présumer que ni le parquet, ni les forces de police ne sont à même de le faire. Est-ce la personne interpellée qui marque son accord sur la qualité de l'interprétation ?

M. Collas précise que le système en cascade est donc déjà appliqué actuellement dans la pratique et qu'il n'a donné lieu à aucun cas de nullité.

M. Calemyn le confirme. Évidemment, en tant que policier, l'intervenant n'a pas une vue globale sur la suite du déroulement de la procédure. Dans la vision limitée qu'il a des choses, il n'a toutefois pas connaissance d'éventuels problèmes à ce sujet.

M. Delpérée constate, comme un précédent orateur, que la pratique a effectivement précédé le droit, ce qui n'est pas rare.

M. Vankrunkelsven renvoie aux avis émis par les barreaux. L'OBFG n'a manifestement aucune objection à l'encontre de la proposition de loi à l'examen. L'OVB est quant à lui plus réservé et demande des critères plus stricts.

D'après M. Vandenberghe, ce débat n'est pas nouveau. Il est nécessaire d'apporter une garantie minimale en vertu de l'article 6 de la CEDH. La personne qui traduit doit être la voix de la personne interrogée. A-t-on des garanties suffisantes en l'absence de critères auxquels le traducteur-interprète doit satisfaire ?

M. Vankrunkelsven relève que l'accès au titre d'interprète juré est actuellement soumis à des critères qui sont eux aussi très vagues.

M. Vandenberghe juge que la décadence du système actuel ne constitue pas un argument pertinent pour négliger les conditions énumérées dans l'article 6 de la CEDH.

M. Vankrunkelsven maintient que l'on ne peut que constater que, dans l'état actuel des choses, les garanties ne sont pas optimales non plus.

L'intervenant a l'impression que la commission est d'avis que l'intervention d'un traducteur non juré ne serait envisageable qu'en dernier recours. Qu'en pense l'OVB ? Faut-il également inclure des critères ?

À la demande de M. Vankrunkelsven, Mme Korkmazer (juriste au service d'étude de l'OVB) explique de manière succinte la position de l'OVB. L'intervenante a surtout l'impression qu'il manque plusieurs choses dans la proposition de loi. D'abord, le recours à un traducteur non juré ne peut constituer qu'une solution de fortune. Ensuite, il faut fixer une série de critères que le traducteur non juré doit remplir et ce, en vue de protéger les droits de la défense. En outre, la proposition de loi ne souffle mot d'une éventuelle sanction en cas d'erreur de traduction, si tant est que la preuve puisse en être faite.

M. Vandenberghe souligne qu'un critère de qualité relatif au fond doit pouvoir faire l'objet d'un contrôle. Il ne faut pas oublier que les problèmes se situent souvent dans un contexte pénal. Qu'adviendra-t-il si le traducteur appartient au milieu criminel ? L'intervenant n'est pourtant pas opposé à l'idée de prévoir une solution de fortune pour les situations où il est impossible de trouver un traducteur-interprète juré.

M. Mahoux conteste le fait que l'on puisse mettre en cause a posteriori la qualité de l'interprète non juré, ce qui serait évidemment très nuisible à l'efficacité de la justice. Si l'on supprime cette possibilité, il faut que des garanties existent au moment de la désignation sur les compétences de cet interprète.

Ensuite, qui opère le choix ? Est-ce le policier qui le fait, sur la base d'une liste personnelle (ce qui n'offre pas de garanties sur le plan des droits de la défense), ou dans une liste déposée au niveau de l'arrondissement judiciaire ?

Il faut donc prévoir des garanties à la fois sur le choix opéré (le critère du diplôme ne paraissant pas nécessairement praticable en l'occurrence) et sur la personne qui décide que ce choix est lié à la compétence de l'interprète, le tout dans un système en cascade comme le prévoit opportunément la proposition.

Enfin, l'orateur se demande comment les choses se passent à l'Office des étrangers, et si ce dernier recourt toujours à des interprètes-jurés. Par ailleurs, une application mutatis mutandis du système de la proposition de loi dans le cadre de cet Office aurait des conséquences juridiques très importantes.

M. Delpérée fait observer, à propos de l'article 6 CEDH, qu'il ne suffit pas d'invoquer ce dernier, mais que le débat reste ouvert sur le point de savoir si la solution proposée est ou non conforme à cet article.

M. Van Den Driessche indique qu'il est important d'avancer dans ce dossier. La police supplie qu'on lui procure des moyens pour qu'elle puisse effectuer des auditions et faire son travail correctement. La police a trouvé des solutions pratiques, et il appartient maintenant au législateur de donner une base juridique à ce modus operandi. On ne peut sous-estimer les difficultés à Ostende et à Zeebruges, où arrive presque quotidiennement un conteneur transportant des clandestins issus des quatre coins du monde. Si l'on veut inclure un critère de qualité, celui-ci doit être défini clairement. Il semble impossible d'imposer une condition de diplôme, car il n'existe tout simplement pas de formation de traducteur-interprète pour beaucoup de langues étrangères ni dans les pays concernés. Selon l'intervenant, il importe de tenir compte du fait que le système proposé est déjà appliqué sur le terrain.

VI. REPRISE DE LA DISCUSSION DES ARTICLES

M. Collas précise qu'il a préparé de nouveaux amendements (amendements nº 7 et 8, doc. Sénat nº 4-86/4) afin de rencontrer les réticences formulées par certains membres lors des discussions antérieures.

Article 2 (art. 3 du texte adopté)

Amendement nº 7

M. Collas et consorts déposent l'amendement nº 7 (doc. Sénat, nº 4-86/4) visant à remplacer l'article 2.

Les auteurs proposent d'affiner le système de cascade qui permet, à la dernière étape, de désigner un interprète non juré lorsqu'aucun traducteur juré connaissant la langue des parties n'a pu être trouvé. Dans une telle hypothèse, l'autorité qui décide de recourir aux services d'un interprète non juré, doit motiver sa décision.

M. Collas pense que cet amendement apporte des garanties supplémentaires pour la qualité de l'interprétation dans cette situation ultime de recours à un interprète non juré.

M. Collignon demande des précisions sur la cascade proposée. En dernier lieu, il peut être fait appel à un traducteur non juré. L'amendement prévoit « ..., ils font appel à un interprète non juré ... ». Qui sont les personnes qui peuvent décider de faire appel à un interprète non juré qui, « à leur estime », dispose d'une connaissance appropriée de la langue des parties ? Vise-t-on les agents chargés de l'information, le parquet, le juge d'instruction, ou les susdites juridictions ?

Article 4 (art. 4 du texte adopté)

Amendements nos 8 et 9

M. Collas et consorts déposent l'amendement nº 8 (doc. Sénat, nº 4-86/4) visant à insérer un nouvel article dans la proposition de loi.

Cet amendement vise à aligner le régime des interprètes prévu à l'article 47bis du Code d'instruction criminelle sur celui proposé à l'amendement nº 7 à l'article 2.

Dans un souci de cohérence, il faut que le Code d'instruction criminelle et la loi sur l'emploi des langues en matière judiciaire prévoient une cascade identique pour la désignation d'un interprète.

Faisant suite à certaines remarques techniques, M. Collas et consorts déposent un sous-amendement à l'amendement nº 8 (amendement nº 9, sous-amendement à l'amendement nº 8, doc. Sénat nº 4-86/4). Il est proposé de supprimer, dans l'alinéa 3 proposé, in fine, le mot « juré ».

Les auteurs proposent en outre de remplacer, dans l'alinéa 4, les mots « les parties » par les mots « la personne interrogée » et les mots « dans laquelle la mission doit être exécutée » par les mots « dont il est fait usage par la personne interrogée ».

VII. VOTES

Déclarations avant les votes

M. Delpérée renvoie à ses déclarations antérieures. Il appuie la proposition de loi qui respecte le principe de subsidiarité sous l'angle de la cascade.

Le ministre déclare soutenir la proposition de loi par souci de pragmatisme. Il est judicieux de conférer une base légale à la pratique sur le terrain. Par ailleurs, le ministre est bien conscient de la nécessité de rechercher une solution plus définitive, dans le sens de la mise en place de formations convenables et d'un statut détaillé.

M. Collignon comprend le problème pratique que la proposition de loi veut résoudre. Il déclare cependant ne pas pouvoir soutenir la solution proposée. En effet, comment une autorité pourra-t-elle déterminer que l'interprète non juré à qui il est fait appel dispose d'une connaissance appropriée de la langue dans laquelle la mission doit être exécutée puisque, par hypothèse, l'autorité ne comprend pas cette langue ? Cela fait peser une responsabilité trop lourde sur l'autorité qui assigne un interprète non juré. Pour cette raison, il s'abstiendra lors des votes.

Votes

L'amendement nº 3 est retiré.

L'amendement nº 6 est adopté par 9 voix et 1 abstention.

L'article 1er est adopté par 10 voix et 1 abstention.

Les amendements nos 1, 4 et 5 sont retirés.

Les amendements nos 2 et 7 sont adoptés par 9 voix et 1 abstention.

Le sous-amendement nº 9 et l'amendement nº 8 sont adoptés par 9 voix et 1 abstention.

L'ensemble de la proposition de loi amendée est adopté par 9 voix et 1 abstention.


Le présent rapport a été approuvé à l'unanimité des 9 membres présents.

Le rapporteur, Le président,
Francis DELPÉRÉE. Patrik VANKRUNKELSVEN.

VIII. ANNEXES

A. Lettre de l'OBFG du 21 octobre 2008

Au président et aux membres de la commission de la Justice du Sénat

Bruxelles, le 21 octobre 2008

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs les sénateurs,

Concerne: Proposition de loi modifiant l'article 31 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire (Doc. parl., Sénat, nº 4-86).

L'OBFG est favorable à la proposition de loi déposée par le sénateur Bernis Collas et en particulier à son amendement nº 5.

Dans certains arrondissements judiciaires, il est effectivement très difficile de trouver des interprètes jurés avec pour conséquence que les affaires sont remises, ce qui n'est satisfaisant ni pour l'inculpé ni pour les parties civiles.

La proposition du sénateur Berni Collas apporte une solution pragmatique au problème.

Je vous prie de croire, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, à l'expression de notre considération distinguée.

Président

Luc MARÉCHAL.

B. Note de l'OVB du 21 octobre 2008

Proposition de loi modifiant l'article 31 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire

Proposition de loi nº 4-86

1. Introduction

La proposition de loi modifiant l'article 31 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire a été déposée au Sénat le 12 juillet 2007.

Elle prévoit la possibilité de faire appel à un traducteur non juré dans les cas où aucun traducteur juré n'est disponible. Depuis son dépôt, la proposition a été amendée à plusieurs reprises par son auteur lui-même, mais le fil conducteur du texte n'a pas changé: il s'agit toujours d'avoir la possibilité de désigner un traducteur non juré lorsqu'aucun traducteur juré n'est disponible.

À cet effet, il est proposé de modifier l'article 31 de la loi du 15 juin 1935 par l'insertion d'un nouvel alinéa entre les alinéas 3 et 4 de cet article. Ce nouvel alinéa est rédigé comme suit:

« Dans les cas où un traducteur juré n'est pas disponible, les autorités judiciaires peuvent constater le cas de force majeure et faire appel à un traducteur non juré qui prêtera, pour la circonstance, le serment de l'interprète et dont les qualités de traducteur peuvent être vérifiées ultérieurement en cas de contestation ».

L'Orde van Vlaamse Balies a des objections de principe contre cette extension.

Ci-après suit tout d'abord un rappel des lignes de force de la proposition de loi en question. Vient ensuite la présentation détaillée du point de vue de l'Orde van Vlaamse Balies.

2. Lignes de force de la proposition de loi

La proposition de loi part du constat selon lequel il n'est déjà pas simple de trouver des interprètes jurés. Selon l'auteur de la proposition, la difficulté s'accroît encore en raison de la multiplicité des langues et dialectes utilisés par les justiciables, de sorte qu'il n'est pas toujours évident de trouver un traducteur juré.

D'où la proposition, suggérée par les professeurs Bosly et Vandermeersch (Droit de la procédure pénale, La Charte, Bruges, 1999, p. 79.), de faire en sorte que, dans les cas où un traducteur juré ne serait pas disponible, les autorités judiciaires puissent constater le cas de force majeure et faire appel à un traducteur non juré.

3. Le point de vue de l'Orde van Vlaamse Balies

a) Réfutation des arguments avancés

L'Orde van Vlaamse Balies a des objections de principe à l'encontre de l'idée de faire appel à un traducteur non juré lorsqu'aucun traducteur juré n'est disponible.

Tout d'abord, l'Orde van Vlaamse Balies constate que la proposition de loi n'énonce aucun critère de qualité auquel le traducteur non juré devrait satisfaire.

Il va sans dire que l'absence de critères de qualité augmentera indéniablement le risque de traductions erronées, avec toutes les conséquences qui en découlent. En effet, une audition peut parfaitement constituer l'élément déclencheur de la délivrance d'un mandat d'arrêt. L'on peut alors se demander dans quelle mesure les droits de la défense ne sont pas violés si ce mandat est basé sur une traduction inexacte.

L'auteur de la proposition de loi estime en outre qu'en cas de contestation, la compétence du traducteur non juré pourra être vérifiée ultérieurement. L'Orde van Vlaamse Balies ne peut se rallier à l'idée d'un tel contrôle a posteriori et la rejette résolument. En effet, la probabilité existe que, dans certains cas, un mandat d'arrêt puisse être décerné sur la base d'une traduction erronée. Le fait qu'une rectification puisse intervenir a posteriori — pour autant que la preuve d'une erreur de traduction puisse être faite (voir infra) — constitue une atteinte aux droits de la défense et au droit à un procès équitable.

Enfin, des problèmes se posent également sur le plan de l'administration de la preuve. En l'occurrence, l'on peut se demander comment prouver a posteriori qu'une déclaration verbale, effectuée par exemple devant la police, a été mal traduite. En outre, même à supposer qu'une telle preuve puisse être fournie, reste à savoir quelle sanction il faut y associer.

La proposition de loi reste également muette à ce propos.

b) Proposition de l'Orde van Vlaamse Balies

L'Orde van Vlaamse Balies tient à souligner que le recours à un traducteur non juré ne peut constituer qu'une solution de fortune et ne peut dès lors être décidé qu'en tout dernier recours.

L'Orde van Vlaamse Balies préconise de fixer des critères très bien définis (par exemple, les conditions de diplôme) auxquels les traducteurs non jurés, qui ne peuvent être désignés que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, doivent eux aussi satisfaire. Si aucun traducteur ne répond aux critères fixés, l'audition ne peut tout simplement pas avoir lieu. En effet, un inculpé ou un prévenu ne peut en aucun cas être victime de la mauvaise organisation ou du manque de moyens de la justice.

4. Conclusion

Pour les motifs exposés ci-dessus, l'Orde van Vlaamse Balies s'oppose à la proposition de loi à l'examen.

Filiz KORKMAZER.

Juriste au Service d'étude de l'Orde van Vlaamse Balies

21 octobre 2008

C. Note complémentaire de l'OVB du 18 novembre 2008

Orde van Vlaamse Balies

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Proposition de loi modifiant l'article 31 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire, nº 4-86

1. Introduction

La proposition de loi modifiant l'article 31 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire a été déposée au Sénat le 12 juillet 2007.

Elle prévoit la possibilité de faire appel à un traducteur non juré dans les cas où aucun traducteur juré n'est disponible. Depuis son dépôt, la proposition a été amendée à plusieurs reprises par son auteur lui-même, mais le fil conducteur du texte n'a pas changé: il s'agit toujours d'avoir la possibilité de désigner un traducteur non juré lorsqu'aucun traducteur juré n'est disponible.

À cet effet, il est proposé de modifier l'article 31 de la loi du 15 juin 1935 par l'insertion d'un nouvel alinéa entre les alinéas 3 et 4 de cet article.

Ce nouvel alinéa est rédigé comme suit:

« Dans les cas où un traducteur juré n'est pas disponible, les autorités judiciaires peuvent constater le cas de force majeure et faire appel à un traducteur non juré qui prêtera, pour la circonstance, le serment de l'interprète et dont les qualités de traducteur peuvent être vérifiées ultérieurement en cas de contestation ».

L'Orde van Vlaamse Balies a des objections de principe contre cette extension.

Ci-après suit tout d'abord un rappel des lignes de force de la proposition de loi en question. Vient ensuite la présentation détaillée du point de vue de l'Orde van Vlaamse Balies.

2. Lignes de force de la proposition de loi

La proposition de loi part du constat selon lequel il n'est déjà pas simple de trouver des interprètes jurés. Selon l'auteur de la proposition, la difficulté s'accroît encore en raison de la multiplicité des langues et dialectes utilisés par les justiciables, de sorte qu'il n'est pas toujours évident de trouver un traducteur juré. D'où la proposition, suggérée par les professeurs Bosly et Vandermeersch, de faire en sorte que, dans les cas où un traducteur juré ne serait pas disponible, les autorités judiciaires puissent constater le cas de force majeure et faire appel à un traducteur non juré.

3. Le point de vue de l'Orde van Vlaamse Balies

a) Réfutation des arguments avancés

L'Orde van Vlaamse Balies a des objections de principe à l'encontre de la proposition de faire appel à un traducteur non juré lorsqu'aucun traducteur juré n'est disponible.

Tout d'abord, l'Orde van Vlaamse Balies ne peut que constater que la proposition de loi à l'examen est un pas supplémentaire vers le démantèlement des garanties d'une bonne administration de la justice dont le citoyen bénéficie actuellement. S'il est fait appel à un traducteur, il convient d'offrir au citoyen la même protection juridique que celle que lui accorde le juge devant lequel il doit se justifier. Le droit à un procès équitable, qui inclut le droit de défense et le droit à un traitement équitable de l'affaire, exige que tout citoyen soit jugé par un juge indépendant et impartial. Le citoyen doit disposer des mêmes garanties vis-à-vis du traducteur auquel il est fait appel. En effet, le traducteur est tenu de communiquer la déclaration au juge de manière fidèle, impartiale et indépendante.

L'Orde van Vlaamse Balies plaide pour la création d'un cadre global digne de ce nom pour le recours à des traducteurs et interprètes dans l'organisation judiciaire. Seule cette approche permettra de mettre en place les garanties juridiques indispensables pour une procédure conforme à l'État de droit. Si la proposition à l'examen devait passer malgré tout en dépit des griefs formulés par l'Orde van Vlaamse Balies dans la présente note, ce dernier souligne que la seule différence entre un traducteur juré et un traducteur non juré pourrait être que le traducteur juré a fait une prestation de serment a priori, alors que le traducteur non juré effectue une prestation de serment ad hoc. Pour le reste, ces deux traducteurs doivent satisfaire aux mêmes exigences et offrir les mêmes garanties.

Comme il n'y a pas à l'heure actuelle de statut régissant les interprètes, traducteurs ou traducteurs-interprètes jurés, il n'est pas possible de régler d'ores et déjà le statut des traducteurs non jurés (proposition de loi du 17 mars 2008 insérant un chapitre VIbis portant les conditions de désignation des traducteurs et interprètes jurés dans la loi du 15 juin 1935 concernant l'emploi des langues en matière judiciaire et modifiant le Code d'instruction criminelle (déposée par Mme Karine Lalieux et consorts, doc. Chambre, nº 52-0997).

L'Orde van Vlaamse Balies trouve la proposition de loi prématurée; il estime impossible de scinder les deux statuts et trouve qu'il faut les examiner de manière cohérente. La lecture de la proposition de loi montre justement la nécessité de conférer une base légale au statut des traducteurs jurés (et, le cas échéant, non jurés).

Parallèlement aux garanties fondamentales auxquelles les deux statuts doivent être subordonnés, il convient d'imposer en outre un critère de qualité. Les intéressés doivent impérativement être titulaires d'un diplôme de traducteur-interprète et posséder une expérience professionnelle pertinente. Il va sans dire que l'absence de critères de qualité augmentera indéniablement le risque de traductions erronées, avec toutes les conséquences qui en découlent. En effet, une audition peut amener un juge à décerner un mandat d'arrêt.

Enfin, des problèmes pourraient également se poser au niveau de l'administration de la preuve. On peut notamment se demander comment la preuve peut être faite a posteriori qu'une déclaration verbale, faite par exemple devant la police, a été mal traduite. En outre, même si cette preuve peut être fournie, encore faut-il savoir quelle sanction y associer. La proposition de loi reste également muette à ce propos.

b) Proposition de l'Orde van Vlaamse Balies

L'Orde van Vlaamse Balies tient à souligner la nécessité de conférer une base légale au statut des traducteurs jurés. Ce statut devra garantir la protection juridique en fixant les règles indispensables pour assurer l'indépendance, l'impartialité et la qualité.

À partir de là, on pourra aussi régler, dans un même ensemble cohérent, le recours alternatif à un traducteur non juré, son fonctionnement et son statut. Dans ce contexte, la seule distinction possible entre les deux statuts sera le fait que la prestation de serment a été effectuée a priori ou de manière ad hoc.

4. Conclusion

Cette proposition illustre la désinvolture symptomatique avec laquelle sont traités les droits fondamentaux dans le cadre du fonctionnement de nos juridictions: au lieu de s'efforcer d'assurer un fonctionnement optimal du service normal en recourant à des traducteurs jurés, l'on choisit d'ignorer les carences structurelles.

Pour les motifs exposés ci-dessus, l'Orde van Vlaamse Balies s'oppose à la proposition de loi à l'examen.

Griet LATOIR.

Juriste au Service d'étude de l'Orde van Vlaamse Balies

18 novembre 2008.