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Sénat de Belgique

Annales

JEUDI 6 NOVEMBRE 2008 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Question orale de M. Josy Dubié au vice-premier ministre et ministre de la Justice et des Réformes institutionnelles sur «une vidéo montrant le sénateur FN Delacroix chantant une chanson antisémite» (nº 4-449)

M. Josy Dubié (Ecolo). - Hier soir, en rentrant du Sénat, j'ai découvert un mail envoyé le jour même, à 15 heures 49, par un monsieur que je ne connais pas. Ce mail qui a également été reçu par plusieurs de mes collègues est rédigé comme suit : « Madame, monsieur, dans le document vidéo ci-joint, vous découvrirez avec horreur, après quelques images fixes et un blanc très court, le sénateur Michel Delacroix, président du Front national, qui chante dans un lieu public, avec le sadisme non dissimulé dont il est coutumier, en duo avec un de ses amis également néonazi, une parodie de chanson dont ils ont transformé les paroles en : "Ma petite juive est à Dachau ; elle est dans la chaux vive ; elle a quitté son ghetto pour être brûlée vive". Au nom de toutes les petites juives de Belgique et d'ailleurs, je vous demande instamment de mettre cet individu hors d'état de nuire en le faisant condamner par la justice et en le privant de son mandat politique. »

Incrédule, j'ai regardé cette vidéo qui, malheureusement, confirmait les dires de l'expéditeur du mail. Je vous avoue avoir d'abord été submergé par l'envie de vomir.

Mon collègue Philippe Moureaux a rappelé tout à l'heure, avec émotion, un souvenir de la guerre. Comme lui, bien qu'un peu plus jeune, je suis aussi un produit d'avant-guerre et un souvenir m'est revenu en mémoire.

Pendant la guerre, j'allais souvent jouer, dans mon quartier de Saint-Josse, chez une dame que l'on appelait Tante Victorine où vivait une petite fille rousse, un peu plus âgée que moi. Mon premier souvenir de la guerre est l'enthousiasme de la libération. Mon deuxième souvenir est la terreur qui s'est emparée de cette famille, au moment de l'offensive Von Rundstedt, en décembre 1944. Je n'en ai compris les raisons que bien plus tard : cette petite fille était un enfant juif caché. Elle a été cachée jusqu'en 1949, moment où sa tante, seule survivante de sa famille, est venue la chercher pour l'emmener au Canada.

Monsieur le président, il est scandaleux - et je pèse mes mots - que siège dans notre assemblée quelqu'un qui ose encore dire des choses pareilles. C'est totalement inacceptable.

Avec certains collègues, nous avons déposé plainte auprès du Centre pour l'égalité des chances, plainte qui a été reçue. Je suis convaincu que d'autres collègues en feront de même car l'unanimité de vue qui règne, à cet égard, dans notre assemblée me réjouit. Nous voulons condamner de la manière la plus formelle l'acte de cet individu.

Monsieur le ministre, j'aimerais savoir ce que vous comptez faire. En effet, l'article 151, §1er, de la Constitution vous donne le droit d'injonction positive. Les faits que je viens d'évoquer sont, me semble-t-il, clairement visés par l'article 1er de la loi du 23 mars 1995 tendant à réprimer la négation, la minimisation, la justification ou l'approbation du génocide commis par le régime nazi allemand, pendant la seconde guerre mondiale. En effet, il n'y a pas que le négationnisme et le révisionnisme qui sont des infractions ; il en va de même pour la justification de l'approbation de ces faits.

Les propos du sénateur Delacroix tombent aussi, me semble-t-il, dans le champ d'application de l'article 20, 4º, de la loi du 30 juillet 1981, dite loi Moureaux - que je félicite une fois de plus pour le vote de cette loi. Cette loi tend à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie. Le 2º précise : « Quiconque, dans l'une des circonstances indiquées de l'article 444 du Code pénal, incite à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne, en raison de l'un des critères protégés, et ce même en dehors des domaines visés à l'article 5... ».

Par ailleurs, il conviendra de réfléchir à la possibilité d'introduire dans notre droit, une dimension supplémentaire à toute législation. En droit français existe un délit d'apologie de crime de guerre. Nous devrions en faire de même.

Monsieur le ministre, comptez-vous utiliser votre droit d'injonction positive, autrement dit, allez-vous activer l'article 151, paragraphe 1er de la Constitution, pour faire en sorte que la loi s'abatte sur cet individu et qu'il paye pour ses propos ?

(Vifs applaudissements)

M. Jo Vandeurzen, vice-premier ministre et ministre de la Justice et des Réformes institutionnelles. - D'habitude, je ne communique pas d'opinions personnelles sur des faits spécifiques isolés avant que la Justice ne s'en soit occupée. Je pense toutefois devoir faire une exception dans le cas présent.

Ce matin, mon porte-parole a attiré mon attention sur une vidéo circulant sur internet. Je l'ai visionnée immédiatement et j'ai été profondément choqué par ce que j'ai vu et entendu. Les propos de M. Delacroix sont dégoûtants.

Mon cabinet a pris contact avec le procureur du Roi de Bruxelles. Celui-ci nous a signalé qu'il avait, dès ce matin, demandé à la police fédérale de prendre connaissance du film et de dresser procès-verbal. Le procureur du Roi me tiendra au courant de la suite que donneront les autorités judiciaires à ce procès-verbal.

Je constate donc que les autorités judiciaires ont réagi immédiatement et qu'elles font le nécessaire pour que cette affaire soit traitée de manière efficace et adéquate. Une enquête est officiellement ouverte et c'est exactement ce qu'il fallait faire.

M. Josy Dubié (Ecolo). - Je pense pouvoir m'exprimer au nom de tous mes collègues pour remercier le parquet d'avoir immédiatement réagi. Les citoyens de notre pays ne sauraient accepter cette attitude. Nous espérons que la Justice sévira de la manière la plus sévère possible.

M. le président. - Les faits qui nous ont été relatés sont d'une telle gravité qu'ils suscitent une réaction de la part de votre président. Sans préjudice des poursuites pénales que ces faits entraîneront, je me fais le porte-parole de cette assemblée pour condamner fermement les comportements inqualifiables du membre concerné. Le Sénat prendra toutes les mesures que la Constitution, la loi et son règlement permettront de prendre.