4-952/1

4-952/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2007-2008

7 OCTOBRE 2008


Proposition de loi modifiant le Code civil et le Code judiciaire, visant à ouvrir la procédure de séparation urgente et provisoire aux couples de fait

(Déposée par M. Philippe Mahoux)


DÉVELOPPEMENTS


Contrairement aux couples mariés et, depuis la loi du 23 novembre 1998, aux cohabitants légaux, les couples de fait n'ont pas accès à la procédure en séparation urgente et provisoire instituée par l'article 223 du Code civil.

Pour rappel, lorsque l'entente entre époux est gravement perturbée, le juge de paix peut prendre, sur base de cet article, des mesures urgentes et provisoires relatives à la personne et aux biens des époux et des enfants.

L'objectif poursuivi par cette procédure vise à offrir aux époux une véritable pause leur permettant de réfléchir à la suite qu'ils souhaitent donner à leur vie de couple.

C'est ainsi que le juge de paix saisi n'a pas à se prononcer sur la question de la responsabilité de la situation ou sur l'urgence de cette situation; il constate simplement que l'un des époux manque gravement à ses devoirs, tels que définis dans le Code civil ou, plus simplement encore, qu'il y a mésentente au sein du couple, pour prononcer une séparation provisoire.

Il fixe alors des mesures qui sont limitées dans le temps, en sorte qu'elles ne peuvent conduire à l'organisation d'une véritable séparation de fait, inscrite dans la durée.

Cette procédure, rapide et peu onéreuse, permet ainsi d'obtenir des mesures qui peuvent notamment porter sur:

1º les résidences séparées: la séparation provisoire prononcée par le juge de paix entraîne une séparation des résidences des conjoints; le juge tranchera en fonction de différents paramètres (intérêt des enfants, situation personnelle des parties) lorsque chacun des conjoints veut rester dans la résidence commune;

2º les mesures relatives aux enfants communs: le juge fixera les modalités de l'autorité parentale, de l'hébergement et du droit aux relations personnelles, de la contribution aux frais d'entretien et d'éducation des enfants et le sort des allocations familiales;

3º la pension entre époux: le juge peut condamner l'un des époux au paiement d'une pension alimentaire mais peut également prévoir les obligations auxquelles restera tenu un des conjoints (le paiement du crédit hypothécaire, par exemple).

Mais, comme il l'a été indiqué, cette procédure n'est pas ouverte aux couples de fait, lesquels ne peuvent dès lors avoir accès qu'au président du tribunal de première instance, qui est compétent, au terme de l'article 584 du Code judiciaire, pour statuer au provisoire dans les cas dont il reconnaît l'urgence, en toutes matières, sauf celles que la loi soustrait au pouvoir judiciaire.

Cet accès au juge, — qui pourrait sembler suffisant — crée en réalité une véritable inégalité de traitement entre couples mariés, cohabitants légaux et couples de fait.

D'abord parce que la procédure en référé est nettement plus coûteuse dans la mesure où elle doit être introduite par citation, — ce qui suppose l'intervention d'un huissier de justice.

Ensuite parce que le magistrat saisi reste libre d'apprécier le caractère urgent de la demande, en sorte que les couples de fait qui entament ce type de procédure pour régler une situation de crise peuvent voir leur demande déclarée irrecevable au principe qu'elle n'est pas suffisamment urgente.

Pour l'auteur, cette inégalité de traitement paraît déplacée dans la mesure où les couples de fait constituent une véritable réalité sociale, qui mérite d'être prise en compte.

Ce faisant, l'auteur n'entend cependant pas considérer comme « couple de fait » tout couple cohabitant factuellement. Il faut qu'il existe, entre les cohabitants, une véritable communauté de vie et de projet qui justifie que le juge de paix ait à se prononcer au provisoire sur des questions délicates telles que la résidence commune ou les mesures relatives aux enfants du couple.

C'est la raison pour laquelle l'auteur a entendu fixer comme condition d'accès au bénéfice de la procédure dite « 223 », l'obligation de partager une résidence commune depuis au moins trois ans, la réalité de cette condition devant être établie par un certificat de résidence.

Sur le plan légistique, l'auteur a estimé préférable de respecter la logique déjà suivie pour la cohabitation légale et donc d'insérer, au livre III du Code civil, un titre Vter, intitulé « De la cohabitation de fait ».

Le titre offre d'abord une définition de la cohabitation de fait limitée à la stricte application du titre inséré; il propose d'ouvrir aux cohabitants de fait le bénéfice des articles 215, 220, § 1er, et 224, § 1er, soit la protection du logement familial. Ensuite, le texte fixe, à l'instar de la cohabitation légale, la compétence du juge de paix en cas d'entente sérieusement perturbée des cohabitants de fait.

Enfin, la proposition envisage la modification des articles conséquents à son contenu, tant dans le Code civil que dans le Code judiciaire.

Philippe MAHOUX.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution, à l'exception des articles 6 et 7 qui règlent une matière visée à l'article 77 de la Constitution.

Art. 2

Dans le livre III du Code civil, est inséré un titre Vter, intitulé « De la cohabitation de fait », comprenant les articles 1480 à 1482.

Art. 3

L'article 1480 du même Code, abrogé par la loi du 14 juillet 1976, est rétabli dans la rédaction suivante:

« Art. 1480. — Pour l'application du présent titre, on entend par « cohabitation de fait » la situation de deux personnes qui ne sont ni mariées, ni cohabitants légaux mais qui résident ensemble à la même adresse depuis au moins trois années.

Elle cesse dès que l'un des cohabitants dispose officiellement d'une résidence qui lui est propre. ».

Art. 4

L'article 1481 du même Code, abrogé par la même loi, est rétabli dans la rédaction suivante:

« Art. 1481. — Les dispositions du présent article qui règlent les droits, obligations et pouvoirs des cohabitants de fait sont applicables par le seul fait de la cohabitation de fait.

Les articles 215, 220,§ 1er et 224, § 1er, 1., s'appliquent par analogie à la cohabitation de fait. ».

Art. 5

L'article 1482 du même Code, abrogé par la même loi, est rétabli dans la rédaction suivante:

« Art. 1482. — Si l'entente entre les cohabitants de fait est sérieusement perturbée, le juge de paix ordonne, à la demande d'une des parties, les mesures urgentes et provisoires relatives à l'occupation de la résidence commune, à la personne et aux biens des cohabitants et des enfants, et aux obligations légales et contractuelles des deux cohabitants.

Le juge de paix fixe la durée de validité des mesures qu'il ordonne. En toute hypothèse, ces mesures cessent de produire leurs effets au jour de la cessation de la cohabitation de fait, telle que prévue à l'article 1480, alinéa 2.

Après la cessation de la cohabitation de fait, et pour autant que la demande ait été introduite dans les trois mois de cette cessation, le juge de paix ordonne les mesures urgentes et provisoires justifiées par cette cessation. Il fixe la durée de la validité des mesures qu'il ordonne. Cette durée ne peut excéder un an.

Le juge de paix ordonne ces mesures conformément aux dispositions des articles 1253ter à 1253octies du Code judiciaire.

Si un cohabitant de fait a commis à l'encontre de l'autre un fait visé aux articles 375, 398 à 400, 402, 403 ou 405 du Code pénal ou a tenté de commettre un fait visé aux articles 375, 393, 394 ou 397 du même Code, ou s'il existe des indices sérieux de tels comportements, ce dernier se verra attribuer, sauf circonstances exceptionnelles, la jouissance de la résidence commune s'il en fait la demande. ».

Art. 6

À l'article 594, 19º, du Code judiciaire, remplacé par la loi 14 juillet 1976 et modifié par la loi du 23 novembre 1998, le chiffre « 1482 » est inséré entre le chiffre « 1479 » et les mots « et 1421 du Code civil ».

Art. 7

À l'article 628, 18º, du même Code, inséré par la loi du 23 novembre 1998, les mots « et de fait au sens de l'article 1480 » sont insérés entre les mots « cohabitants légaux » et les mots « lorsqu'il s'agit d'une demande visée à l'article 1479 » et les mots « ou 1482 » sont insérés entre les mots « l'article 1479 » et les mots « du Code civil. ».

3 juillet 2008.

Philippe MAHOUX.