4-945/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2007-2008

7 OCTOBRE 2008


Proposition de loi réglant les conséquences de l'hébergement égalitaire des enfants chez les deux parents après la séparation

(Déposée par M. Guy Swennen)


DÉVELOPPEMENTS


La législation a toujours une longueur de retard sur la réalité sociale, car on assiste continuellement à l'apparition de nouveaux comportements, de nouveaux modes de vie et de nouvelles normes.

Il est évident que le législateur ne peut ni ne doit modifier la loi au gré de chacune de ces évolutions. Dans les cas où la loi n'offre aucune solution à un problème donné, c'est à la jurisprudence et à la doctrine qu'il appartient de combler les lacunes en se fondant sur les principes généraux du droit.

Un problème se pose toutefois lorsqu'un fossé particulièrement grand se creuse entre la loi et la réalité sociale. Dans ce cas, la jurisprudence et la doctrine ne sont pas en mesure de réglementer de manière uniforme les nouvelles réalités sociales, avec toute l'insécurité juridique et le non-droit qui en découlent.

Le droit belge de la famille est l'illustration parfaite de cette situation, lui qui a été remanié en profondeur au fil des réformes successives ces dernières décennies. Le très large fossé entre la loi et la réalité sociale a ainsi pu être en grande partie comblé. Les exemples ne manquent pas: les divers assouplissements de notre droit du divorce, l'élaboration d'un statut pour les cohabitants légaux, la mise en place d'un nouveau droit de la filiation, une égalité de droits très avancée en faveur des homosexuels et des lesbiennes, etc.

Notre droit de la famille, encore très ancré dans les principes de l'époque napoléonienne, présentait un visage austère, mais on lui a apporté la modernisation qui s'imposait.

Une autre illustration nous est donnée par la réglementation légale en matière d'hébergement et d'autorité sur les enfants après la séparation des parents. Depuis plusieurs décennies, l'explosion du nombre de divorces est une réalité incontestable. Dans le même temps, de nouvelles formes de vie commune (cohabitation hors des liens du mariage) se sont progressivement développées. Cependant, il a fallu attendre la loi du 13 avril 1995 avant que la réglementation compte une première disposition significative concernant les règles d'autorité et d'hébergement pour les enfants mineurs de parents non cohabitants. Cette loi a été largement perçue comme « la loi qui instaurait la coparentalité ».

Cette perception était à la fois justifiée et injustifiée, car la coparentalité est une notion qui recouvre deux aspects différents. Lorsqu'on parle de « coparentalité », la grande majorité des gens pensent immédiatement à « une semaine chez la mère et une semaine chez le père ». Telle est donc la perception habituelle, au sein de la société, de la notion de coparentalité, tant avant qu'après la loi du 13 avril 1995.

Comme les juristes et beaucoup d'autres ont baptisé cette loi « la loi sur la coparentalité », cette notion de « coparentalité » peut également être considérée comme synonyme d'« exercice conjoint de l'autorité parentale », qui renvoie au principe consacré par la loi précitée en l'érigeant au rang de nouvelle norme universellement applicable. La première grande innovation fut d'instaurer la co-autorité parentale en tant que principe général, en vertu duquel l'autorité parentale est exercée conjointement, que les parents cohabitent ou non, qu'ils soient divorcés on non et qu'ils soient séparés de fait ou non. Cette règle générale de co-autorité parentale implique le droit de codécision et l'implication permanente des deux parents dans l'éducation de leurs enfants, y compris après la séparation ou le divorce.

Une deuxième innovation importante de la loi du 13 avril 1995 consistait à conférer une base juridique au droit de visite consacré par la jurisprudence, et que le législateur allait appeler « droit aux relations personnelles ».

En revanche, la loi en question restait muette à propos de la garde alternée, c'est-à-dire de l'hébergement égalitaire de l'enfant chez chacun des parents après la séparation. Il allait encore falloir patienter plus de onze ans avant que le législateur n'intègre dans notre Code civil des dispositions réglant cette question. Entre-temps, les cours et les tribunaux étaient tout à fait libres d'accepter ou de rejeter une demande de garde alternée, formulée ou non par les parents en instance de séparation ou de divorce.

Durant cette période, tout comme avant la loi du 13 avril 1995, les problèmes de garde alternée étaient légion. De nombreux juges voyaient les demandes d'hébergement égalitaire ou de double résidence d'un oeil particulièrement critique et méfiant.

Pour preuve de cette méfiance, certains juges refusaient systématiquement les conventions de divorce par consentement mutuel au motif qu'elles contenaient un accord entre les parents prévoyant la double résidence ou une variante de celle-ci. Dans de nombreux autres cas, le juge se contentait du refus d'un des parents pour constater que la garde alternée n'était pas possible. Certains juges refusaient même systématiquement toute demande à ce propos, sans tolérer la moindre discussion ou la moindre argumentation.

C'est à la mi-2006 que la législation novatrice vit enfin le jour.

La loi du 18 juillet 2006 tendant à privilégier l'hébergement égalitaire de l'enfant dont les parents sont séparés et réglementant l'exécution forcée en matière d'hébergement d'enfant (Moniteur belge du 4 septembre 2006), est entrée en vigueur le 14 septembre 2006. Elle inscrit dans notre Code civil le principe important selon lequel, après la séparation, l'enfant doit garder des contacts équilibrés avec ses deux parents et il faut par conséquent examiner prioritairement la possibilité d'un hébergement égalitaire chez chacun des parents.

L'article 374 du Code civil alors en vigueur (la co-autorité parentale ou l'exercice conjoint de l'autorité parentale) a été complété par un § 2 fixant les principes à suivre en matière d'hébergement de l'enfant. Ces principes prônent la culture de l'accord en prévoyant que l'accord des parents en la matière est prioritaire, sauf s'il est « manifestement contraire à l'intérêt de l'enfant ». L'accord en question peut inclure toutes les formules possibles, donc aussi bien celle du « droit de visite » que celle de la « résidence partagée », cette dernière pouvant également être « non égalitaire ».

À défaut d'accord entre les parents, le juge doit examiner « prioritairement », à la demande d'un des parents au moins, la possibilité de fixer l'hébergement de l'enfant de manière égalitaire entre ses parents. Toutefois, s'il estime que l'hébergement égalitaire n'est pas la formule la plus appropriée, il peut décider de fixer un hébergement non égalitaire.

Exemples de cas dans lesquels l'hébergement égalitaire n'est pas la formule la plus appropriée:

— lorsque l'enfant a moins de trois ans, étant donné le lien évident qui le rattache à sa mère;

— lorsque les parents habitent trop loin l'un de l'autre, ce qui rend l'hébergement égalitaire impossible dans la pratique.

Une disposition très importante — et vraiment novatrice — est celle qui prévoit l'obligation pour le juge de motiver spécialement sa décision, en tenant compte des circonstances concrètes de la cause et de l'intérêt des enfants et des parents. Il s'ensuit que le juge ne peut pas décider arbitrairement, ni utiliser arbitrairement la formule de style bien connue « pas dans l'intérêt de l'enfant ». Une décision dûment argumentée est indispensable.

La loi du 18 juillet 2006 ne se contente donc pas de sortir la garde alternée de son isolement historique; elle en a fait légalement le mode d'hébergement qui bénéficie de la priorité de principe et qui doit, à ce titre, être examiné prioritairement.

Dans la pratique donc, la garde alternée ou l'hébergement égalitaire dans le temps des enfants chez leurs parents après la séparation continuera assurément à s'étendre.

Difficultés et problèmes pratiques liés à la garde alternée

Si le législateur a donné l'impulsion décisive afin que le système de la garde alternée soit instauré, il a toutefois omis jusqu'à présent de régler les nombreuses conséquences que ce système peut avoir dans la pratique. La présente proposition de loi entend y remédier.

Le système de la garde alternée pose en effet une série de difficultés et problèmes pratiques concrets — par exemple, dans des branches de la législation autres que celles relatives au droit de la famille — qui sont une source de tensions et de conflits. S'il veut faire en sorte que le système de la garde alternée ait toutes ses chances de devenir le principe préférentiel, y compris dans la pratique, le législateur doit procéder au plus vite à quelques adaptations.

Fiscalité

En ce qui concerne l'impôt des personnes physiques, il convient de signaler qu'à partir de cette année, celui-ci tiendra compte du système de l'hébergement égalitaire. À partir de l'année de revenus 2007/exercice d'imposition 2008, la législation fiscale antérieure, qui tenait déjà compte du système de la garde alternée, subira un certain nombre de modifications.

— Non seulement la quotité exemptée, mais aussi le supplément accordé pour les enfants de moins de 3 ans ainsi que le supplément pour contribuable isolé pourront désormais être répartis entre les deux parents (à la condition, bien entendu, que ceux-ci soient isolés et n'aient pas droit au supplément majoré). Le supplément pour enfant de moins de 3 ans ne peut se cumuler à la déduction des frais de garde de cet enfant.

— Pour que le nouveau régime fiscal de la garde alternée soit applicable, il faut qu'au 1er janvier de l'exercice d'imposition, les parents aient conclu une convention enregistrée ou homologuée (l'acte de divorce par consentement mutuel doit préciser expressément qu'ils sont d'accord sur le partage des suppléments) ou qu'une décision judiciaire ait été rendue en la matière.

— Les parents ne sont plus tenus d'introduire chaque année une demande (de répartition) conjointe, mais ils doivent en revanche indiquer dans la déclaration qu'un ou plusieurs des enfants relèvent du système de l'hébergement égalitaire.

— Le parent peut choisir de déduire les frais de garde qu'il a payés pour son enfant s'il estime que l'opération est fiscalement plus avantageuse pour lui que de réclamer la moitié des suppléments à la quotité du revenu exemptée d'impôt (il y a donc une possibilité de choix entre les deux systèmes).

Cela étant, toutes les « disparités fiscales » n'ont pas encore disparu.

Les intérêts et les amortissements en capital d'emprunts hypothécaires donnent droit à un avantage fiscal. Le montant de la déduction des intérêts et des amortissements en capital d'emprunts hypothécaires dépend du nombre d'enfants à charge.

Pour les emprunts hypothécaires contractés après le 1er janvier 2005, une déduction fiscale supplémentaire est accordée si l'emprunteur a trois enfants à charge au 1er janvier de l'année suivant celle au cours de laquelle il a contracté son emprunt.

Pour les emprunts hypothécaires conclus avant le 1er janvier 2005, le nombre d'enfants à charge au 1er janvier de l'année suivant celle au cours de laquelle l'emprunt a été contracté est également déterminant, en ce sens que le montant des amortissements en capital remboursés susceptible d'entrer en ligne de compte pour une déduction fiscale dépend du fait qu'au 1er janvier de l'année suivant celle de la conclusion de l'emprunt, le contribuable n'avait pas d'enfants à charge ou en avait un, deux, trois ou plus.

À cet égard, le fisc considère que pour être considéré comme étant à charge, l'enfant doit être domicilié à la même adresse que le contribuable.

En ce qui concerne la déduction fiscale des rentes alimentaires, force est de constater que le partage des avantages fiscaux liés à l'adresse du domicile, comme visé plus haut, n'est pas autorisé dans le chef du parent chez qui les enfants ne sont pas domiciliés et qui verse une rente alimentaire à l'autre parent. Dans la pratique, il s'avère que les parents en question ne demandent pas le partage de l'avantage fiscal mais qu'ils se mettent d'accord sur une répartition de manière que le parent chez qui les enfants sont domiciliés reçoit l'avantage fiscal et que l'autre parent bénéficie de la déduction fiscale de la pension alimentaire (80 %). Dans la présente proposition de loi, cette possibilité de choix est maintenue.

En matière de précompte immobilier (impôt régional), la réglementation prévoit une réduction du montant à payer qui est proportionnelle au nombre d'enfants à charge, à condition que le contribuable ait au moins deux enfants à charge et que ceux-ci soient domiciliés à la même adresse que lui. L'adresse où les enfants sont domiciliés permet une réduction du précompte immobilier, dont le montant varie suivant la Région. Dans notre système institutionnel actuel, il est logique que le régime de précompte immobilier applicable aux parents d'un enfant soit celui de la Région où ceux-ci ont leur domicile.

Statut VIPO et statut Omnio/ calcul des prestations de maladie

Le législateur prévoit que les personnes dont le revenu annuel est inférieur à un certain montant peuvent bénéficier du statut VIPO ou du statut Omnio qui leur donnent droit à certaines interventions majorées dans le secteur des soins de santé. Ce droit est donc fonction du revenu annuel brut du ménage et les maxima autorisés varient suivant le nombre de personnes à charge. La réglementation applicable en l'espèce considère comme étant à charge la personne qui est domiciliée chez le demandeur du statut en question.

Outre les « avantages financiers directs » qu'ils génèrent, le statut VIPO et le statut Omnio comportent encore d'autres avantages.

Citons la carte de réduction SNCB mais aussi les différents types de primes, d'avantages et de mesures prévus par les communes (prime pour l'achat de langes, règlements relatifs aux taxes sur les services généraux de base, etc.), étant entendu que la situation de la famille est déterminée en fonction du nombre de personnes domiciliées à la même adresse.

Cette condition liée au domicile vaut aussi lors de la fixation du montant de la prestation maladie qu'une personne relevant de la mutuelle perçoit après avoir fait une déclaration de maladie: il s'agit donc du droit à une indemnité comme chef de famille ou comme isolé.

Allocation de chômage

Il semble que l'ONEm tienne compte de l'existence éventuelle d'une convention en matière de garde alternée pour déterminer si une personne a droit à une allocation de chômage comme chef de famille ou isolé.

Concrètement, il faut que l'intéressé produise un document attestant du jugement rendu et que l'enfant ou les enfants habitent chez lui un nombre minimum de jours. L'intéressé est alors considéré comme « chef de famille », ce qui change totalement la donne, il va de soi.

Équipements d'intérêt général

Tant la « Vlaamse Maatschappij voor Watervoorziening » que les fournisseurs d'électricité livrent chaque année une quantité d'eau et d'électricité gratuite à chaque habitation connectée à leur réseau. La quantité de mètres cubes d'eau et de kilowattheures fournis gratuitement est calculée sur la base du nombre d'enfants ayant leur domicile à l'adresse de livraison.

Logement

En matière de logement aussi, diverses interventions sont accordées par les autorités fédérales, flamandes, provinciales et communales. À cet égard, la situation familiale, qui est établie en fonction des personnes domiciliées à l'adresse concernée, joue un rôle décisif.

L'on peut notamment citer l'assurance flamande revenu garanti (il s'agit d'une assurance offerte gratuitement par les autorités flamandes, qui prévoit une intervention dans le remboursement du prêt hypothécaire dans certaines circonstances où l'emprunteur ne dispose que d'un revenu limité pendant une certaine période, pour des raisons indépendantes de sa volonté, telles qu'un accident, un licenciement, une maladie), les primes d'adaptation de la Région flamande et des administrations provinciales, etc.

De même, les candidats à la location d'un logement social rencontrent souvent des difficultés pour s'inscrire comme candidats auprès d'une société de logements sociaux.

Le logement social qui pourrait éventuellement être attribué est choisi en fonction de la composition du ménage, c'est-à-dire sur la base du nombre de personnes inscrites au domicile. Ce critère sert à déterminer le nombre de chambres dont le logement doit disposer.

Pensions

Les personnes qui ont droit à une pension de retraite peuvent percevoir, en sus de leur pension, un revenu de travail complémentaire, limité à un plafond maximum annuel.

Ce maximum est déterminé en fonction du nombre de personnes/d'enfants à charge. Seuls les personnes/enfants ayant leur domicile sous le même toit que le retraité peuvent être considérés comme étant « à charge ».

Carte SIS

Toute personne qui réside en Belgique dispose d'une carte SIS et peut l'utiliser à des fins diverses dans le cadre des soins de santé/de la sécurité sociale. Cette carte personnelle est délivrée sur la base de l'adresse du domicile. Cela signifie que la carte SIS des enfants de parents ayant opté pour la coparentalité se trouve toujours chez le parent où les enfants ont leur domicile. Par conséquent, chaque fois que l'enfant réside chez son autre parent, il doit emporter sa carte SIS. Mais il arrive très souvent que le parent oublie de remettre cette carte à l'enfant, si bien que l'autre parent doit payer le prix plein par exemple chez le pharmacien ou à l'hôpital. Certes, les sommes peuvent être récupérées ultérieurement, mais seulement par l'intermédiaire du parent qui a l'enfant à sa charge (du point de vue de la mutuelle), ce qui crée également de nombreux problèmes.

En attendant que ce problème soit résolu par la réforme structurelle projetée, qui prévoit que tous les prestataires de soins seront connectés au réseau de la BCSS, ce qui leur permettra de savoir à l'aide d'une clef (numéro national) si le patient est en règle d'assurance-maladie (ce qui pourrait entraîner à terme la disparition de la carte SIS, étant donné que la seule donnée que le patient aura encore à connaître sera son numéro national, qui figure sur les vignettes de mutuelle ou sur la carte d'identité), il s'impose de trouver de toute urgence une solution permettant de remédier aux difficultés rencontrées dans la pratique.

Interrogées à ce sujet, les instances ad hoc affirment que la délivrance d'une deuxième carte SIS sur la base d'un second domicile n'est pas une solution praticable parce qu'il faut pouvoir mettre à jour la carte SIS et que l'on court alors le risque que la copie soit mise à jour alors que l'original ne l'est pas et ainsi de suite. C'est pourquoi les auteurs de la présente proposition ont choisi de résoudre le problème en introduisant la carte de coparentalité, notion qui sera développée ci-dessous. Le parent qui ne dispose pas de la carte SIS pourra se rendre à la mutuelle avec la facture payée au prix plein, et pourra récupérer l'intervention de la mutuelle en présentant la carte de coparentalité, sans que le second parent ait à intervenir, ce qui permettra d'éviter ainsi bien des problèmes.

Allocations familiales

De même, sur le plan des allocations familiales, il y a une discrimination flagrante entre les parents mariés ou cohabitants légaux et les parents divorcés qui ont opté pour le régime de la garde alternée.

Les allocations familiales sont généralement versées à la mère, sauf lorsqu'elle n'élève pas réellement l'enfant. Dans ce cas, les allocations familiales sont versées à la personne qui assume effectivement l'éducation de l'enfant.

Ce régime s'applique également en cas de garde alternée. Dans ce cas, les allocations familiales sont versées intégralement à la mère. Si l'enfant est domicilié chez son père, ce dernier peut demander que les allocations familiales lui soient intégralement versées.

Une troisième possibilité consiste à faire verser les allocations familiales sur un compte séparé (ouvert au nom de l'enfant ou au nom des deux parents).

Lorsque les deux parents ne parviennent pas à s'entendre sur le bénéficiaire des allocations familiales, celui-ci est désigné par le juge compétent.

Cette situation met clairement en évidence une lacune réglementaire: le législateur devrait prévoir une quatrième possibilité de versement des allocations familiales, celle où les deux parents toucheraient le montant des allocations familiales de façon partagée en vertu d'un accord réciproque ou d'une décision du tribunal compétent, de manière à refléter les dépenses exposées par chacun d'eux pour l'éducation de l'enfant.

Mais jusqu'à présent, c'est toujours l'adresse où sont domiciliés les enfants qui détermine la personne qui percevra les allocations familiales (sauf, bien sûr, si les parents ont opté pour un compte commun).

La loi du 18 juillet 2006 tendant à privilégier l'hébergement égalitaire de l'enfant dont les parents sont séparés et réglementant l'exécution forcée en matière d'hébergement d'enfant, a érigé l'hébergement égalitaire des enfants chez les deux parents en solution à privilégier pour les enfants en cas de divorce, mais elle a en même temps ignoré certaines conséquences pratiques que cet hébergement égalitaire entraîne ou risque d'entraîner. Comme en atteste la liste non exhaustive donnée ci-dessus des écueils et problèmes liés à l'application concrète de la garde alternée, il s'agit surtout d'implications financières, fiscales et sociales liées à l'hébergement égalitaire.

Au fond, cela revient à considérer que la législation actuelle encourage les arrangements à l'amiable et la coparentalité pour éviter ainsi les conflits entre ex-conjoints, mais d'un autre côté, elle crée toutes les conditions pour rendre ces conflits entre ex-conjoints inévitables à cause des nombreuses règles inadaptées à la réalité des « familles recomposées » et des « nouvelles situations familiales ».

Si les autorités veulent vraiment rendre la garde alternée attractive d'un point de vue financier, fiscal et psychologique, il convient que ce régime de garde traite les deux ex-conjoints sur le même pied que le parent qui, dans le cas d'un hébergement non égalitaire des enfants après divorce, obtient la garde matérielle principale de l'enfant.

Nous pensons qu'il est dès lors absolument indispensable que les autorités prennent leurs responsabilités et qu'elles soutiennent et encouragent la garde alternée, non seulement en théorie, mais aussi dans la pratique, dans la réalité quotidienne de notre société.

Comme nous l'avons déjà indiqué ci-dessus, la réglementation que l'ONEm applique pour fixer le montant de l'allocation de chômage (en tant qu'isolé ou en tant que chef de famille) d'un chômeur est pour ainsi dire l'exception qui confirme la règle. Depuis le 1er janvier 2003 déjà, l'ONEm applique la règle qui prévoit qu'en cas de garde alternée entre les deux parents, le chômeur isolé (c'est-à-dire celui chez qui l'enfant n'est pas domicilié) est considéré comme chef de famille s'il est prouvé que l'enfant cohabite régulièrement avec la personne isolée, c'est-à-dire en moyenne au moins deux jours civils par semaine. Pour le calcul de la moyenne, on tient compte du nombre de jours civils de présence de l'enfant, même s'il n'est pas présent durant toute la journée (en ce compris les samedis et les dimanches).

Récemment, la société flamande de transports en commun De Lijn a pris les mesures nécessaires pour que les parents qui éduquent leurs enfants sous le régime de la garde alternée puissent bénéficier de la réduction familiale sur le Buzzy Pazz, l'abonnement proposé aux jeunes.

TROIS MODIFICATIONS LÉGISLATIVES VISANT À STIMULER AUSSI LA GARDE ALTERNÉE DANS LA PRATIQUE

1. EN CAS DE GARDE ALTERNÉE, L'ENFANT EST DOMICILIÉ AUTOMATIQUEMENT AUX DEUX ADRESSES

Comme nous l'avons vu, quantité de problèmes sont liés au fait que, dans le cadre de la garde alternée, l'enfant ou les enfants ne peuvent être inscrits qu'à une seule adresse, au domicile du père ou de la mère. La solution est évidente: la loi doit permettre une inscription aux deux adresses.

La présente proposition de loi propose dès lors d'ajouter à l'article 374, § 2, du Code civil qu'en cas d'hébergement égalitaire, les enfants sont inscrits dans le registre de la population à l'adresse de chacun des deux parents. Nous optons donc délibérément pour une mesure automatique faisant suite au prononcé d'un jugement ou d'un arrêt. Si l'on décidait de rendre cette mesure facultative, le recours ou non à cette possibilité resterait un motif de discorde.

La modification législative proposée solutionne nombre de problèmes pratiques qui se posent dans le cadre de la garde alternée. Il ressort de l'énumération non limitative faite ci-dessus qu'il s'agit surtout d'implications financières, fiscales et sociales liées à l'hébergement égalitaire des enfants chez leurs parents après le divorce. Mais il y a plus: l'objectif premier de la garde alternée est de réaliser pleinement dans la pratique l'implication égale et complète des deux parents dans l'éducation de leurs enfants après le divorce. À cet égard, l'obligation d'avoir son domicile et, partant, sa résidence principale l'un des parents est en porte-à-faux avec cette réalité et aussi avec la symbolique qui y est inévitablement liée. C'est donc une source de discussions pénibles et de frictions. La solution des deux adresses — mesure qui est appliquée en France depuis un certain temps déjà — permet d'éviter désormais une pomme de discorde classique. En outre, les parents qui appliquent le régime de la garde alternée en vertu d'un jugement auront donc les mêmes avantages que le parent soumis à un régime de garde sans hébergement égalitaire et chez lequel l'enfant ou les enfants résident à titre principal.

La présente proposition prévoit un certain nombre de nouvelles dispositions dans la législation fédérale afin de prévenir toute contestation, même après l'instauration du régime des deux adresses de domicile. Une mesure a ainsi d'ores et déjà été prise au moyen des articles proposés en matière d'interventions pour les soins de santé et de déduction des charges hypothécaires dans le CIR. Le Roi est habilité à régler ces différents points de manière complète et correcte dans la législation ad hoc. Voilà aussi pourquoi une période de transition d'un an est prévue avant l'entrée en vigueur de la loi.

2. INTRODUCTION DE LA CARTE DE COPARENTALITÉ

Dans la pratique, l'inscription des enfants à deux domiciles pour cause de garde alternée résoudra un grand nombre de problèmes. La série de difficultés et de problèmes évoqués ci-dessus n'est évidemment pas exhaustive et il va sans dire que plusieurs cas n'ont pas été évoqués. Nous pensons, par exemple, à la réduction des frais de garderie, mais aussi à l'obtention du grabbelpas et d'une carte de bibliothèque, points sur lesquels nous reviendrons plus en détail par la suite. Pour ne pas devoir sombrer dans la paperasserie au moindre problème (nous pensons ici par exemple et principalement à l'obligation de présenter un extrait d'un jugement à la moindre contestation), il est proposé que les services de la population et de l'état civil communaux et de la ville délivrent une carte de coparentalité conformément aux modalités décrites ci-dessus.

Concrètement, cela signifie que lorsqu'un parent se rend au service de la population de la commune ou de la ville pour inscrire un enfant à l'adresse de son domicile dans le cadre de la garde alternée (c'est-à-dire après un jugement), il se voit alors délivrer une carte de coparentalité. Le Roi fixe la forme et les modalités de délivrance de cette carte de coparentalité. Cette preuve permanente de coparentalité est censée servir dans la pratique à faire immédiatement la clarté lorsque surviennent des contestations ou que se posent des questions. Nous avons déjà donné un exemple concret ci-dessus au sujet du régime pratique proposé pour la carte SIS.

Les exemples ne manquent pas de cas dans lesquels cette carte permettra d'éviter bien des tracas et des problèmes.

À l'heure actuelle, le parent chez qui l'enfant n'est pas inscrit ne reçoit ni grabbelpas ni carte de bibliothèque. La vérification de l'inscription dans la commune reste nécessaire même lorsque l'enfant est domicilié à deux adresses. Cette démarche pourrait être évitée sur simple présentation de la carte de coparentalité. Force est de reconnaître d'une manière générale qu'aucun document ne prouve actuellement l'existence d'une garde alternée, sinon le jugement. Or, un jugement contient toujours toute une série d'autres arrangements entre les ex-partenaires/époux et il est particulièrement gênant pour la vie privée des intéressés que différentes instances aient à en prendre connaissance rien que pour constater l'existence d'un régime de garde alternée. L'introduction d'une carte de coparentalité est une façon simple et fiable de résoudre ce problème. Si cette carte mentionne un numéro contrôlable grâce au Registre national, il suffira de présenter une copie de la carte de coparentalité pour bénéficier de la quasi-totalité des avantages énumérés dans la présente proposition de loi. Et il ne sera plus nécessaire de devoir s'adresser chaque fois au service communal compétent pour obtenir un certificat de domicile.

3. ALLOCATIONS FAMILIALES ENCORE PLUS ADAPTÉES À LA GARDE ALTERNÉE

Pour l'heure, les ex-partenaires/conjoints disposent de trois possibilités en ce qui concerne les allocations familiales. La présente proposition de loi crée une quatrième possibilité: les deux parents qui appliquent conjointement le régime de la garde alternée peuvent faire verser la moitié des allocations familiales sur un compte de leur choix sur présentation de la carte de coparentalité.

Guy SWENNEN.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

L'article 374, § 2, du Code civil est complété par un alinéa 5, rédigé comme suit:

« Si le tribunal décide l'hébergement égalitaire des enfants, le greffe du tribunal envoie le jugement dans le mois à l'officier de l'état civil du domicile des deux parents qui inscrit les enfants à l'adresse de chacun de ces derniers. »

Art. 3

Dans le même Code est inséré un article 374bis, rédigé comme suit:

« Art. 374bis . — L'officier de l'état civil remet aux parents une attestation, appelée carte de coparentalité, au moment où les enfants sont inscrits à l'adresse de chacun des parents conformément à l'article 374, § 2.

Le Roi fixe les modalités de délivrance de cette attestation. ».

Art. 4

Sur présentation de l'attestation visée à l'article 374bis du Code civil, les mutuelles remboursent au parent qui ne dispose pas d'une carte SIS pour l'enfant concerné les frais qu'il a payés en trop.

Art. 5

À condition de joindre une copie de l'attestation visée à article 374bis du Code civil, chaque parent a le droit de mentionner l'enfant concerné dans la déclaration pour l'impôt des personnes physiques en ce qui concerne la déclaration des charges hypothécaires pour l'habitation unique conformément au Code des impôts sur les revenus 1992.

Art. 6

L'article 69, § 1er, alinéa 3, troisième phrase, des lois coordonnées du 19 décembre 1939 relatives aux allocations familiales pour travailleurs salariés, modifiées par les lois du 20 janvier 1999 et du 20 juillet 2006, est complété par le membre de phrase suivant:

« ou pour moitié sur le compte de chacun des parents séparément, sur présentation de l'attestation visée à l'article 374bis du Code civil ».

Art. 7

Le Roi est habilité à modifier et à adapter en fonction de la présente loi les lois relatives aux allocations familiales et aux mutuelles ainsi que les dispositions du Code des impôts sur les revenus 1992.

Art. 8

La présente loi entre en vigueur au plus tard un an après sa publication au Moniteur belge.

26 septembre 2008.

Guy SWENNEN.