4-920/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2007-2008

16 SEPTEMBRE 2008


Proposition de loi modifiant, en ce qui concerne les mineurs, l'article 3 de la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie

(Déposée par MM. Jean-Jacques De Gucht, Paul Wille, Patrik Vankrunkelsven et Mme Martine Taelman)


DÉVELOPPEMENTS


La loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie, entrée en vigueur le 20 septembre 2002, autorise l'euthanasie sur des patients conscients, atteints d'une affection incurable, qui éprouvent une souffrance insupportable.

La loi offre au patient une protection et lui garantit une mort douce et humaine. Elle procure également la sécurité juridique au médecin qui pratique l'euthanasie.

Parallèlement à la loi qui garantit le droit à l'euthanasie pour les personnes majeures, la loi prévoyant des soins palliatifs de qualité est entrée en vigueur.

Aujourd'hui, la pratique nous oblige toutefois à conclure que la législation actuelle présente des imperfections qui appellent des précisions et des adaptations spécifiques.

Il en résulte dès lors qu'il convient d'adapter notamment l'élément suivant.

La législation actuelle s'adresse aux individus capables d'exprimer leur volonté. Ceci implique que la demande d'euthanasie ne peut être formulée que par des personnes majeures, en ce compris les mineurs émancipés qui sont capables d'exprimer leur volonté ou qui ont rédigé une déclaration anticipée.

Étant donné que les maladies incurables et leur cortège de douleurs peuvent survenir à tous les âges, il semble indiqué d'adapter la loi actuelle, notamment sur ce plan. Autrement dit, nous ne pouvons que constater le caractère totalement arbitraire de la limite d'âge et du traitement actuels.

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 2

Selon des estimations, entre 100 et 200 enfants mourraient chaque année d'une affection terminale. Seule une petite minorité d'entre eux demande l'euthanasie. Mais certaines situations sont tellement aiguës qu'une adaptation s'impose, même si ce ne devait être que pour un seul enfant (1) .

Les enfants âgés de moins de 18 ans sont légalement incapables, mais ils sont souvent à même de comprendre les informations données sur leurs affections médicales, y compris le diagnostic, le traitement et le pronostic éventuel. La pratique nous apprend en effet que les enfants qui se trouvent dans une situation sans espoir ont beaucoup de maturité, en particulier par rapport aux enfants en bonne santé.

Par conséquent, il est totalement arbitraire de prévoir un âge minimum. Quelqu'un qui se situe juste en dessous de cet âge minimum devrait également pouvoir demander l'euthanasie si les conditions sont remplies. Un enfant peut éprouver une souffrance sans issue tout comme un adulte et être également pleinement conscient du problème de l'euthanasie.

En l'occurrence, nous choisissons de ne mentionner explicitement aucun âge et d'introduire la notion de « capacité de discernement ». Généralement, on considère que les jeunes sont capables de discernement à l'âge de 12 ans. Cependant, comme on l'a dit, nous constatons également que la maturité vient bien plus tôt à des enfants qui souffrent sans aucune perspective de guérison et que des enfants de moins de 12 ans peuvent également posséder une capacité de discernement.

La modification proposée en l'occurrence concerne uniquement les mineurs conscients et ne porte donc pas sur des situations où ils ne seraient plus capables d'exprimer leur volonté.

Dans un avis de mars 2002, le « Kinderrechtencommissariaat » exprime du reste des vues similaires. En voici un extrait: « Les mineurs peuvent également se retrouver dans une situation, si dramatique et si rare qu'elle soit, où une demande d'euthanasie peut être justifiée. Si le législateur permet aux adultes de formuler pareille demande à certaines conditions, les mineurs qui se trouvent dans la même situation doivent bénéficier également de la possibilité de mourir dignement. En pareilles circonstances, et uniquement en ce qui concerne les personnes capables d'exprimer leur volonté, l'âge objectif joue un rôle secondaire. » (traduction) (2) . Citons encore d'autres passages intéressants: « Le Kinderrechtencommissariaat estime toutefois en l'occurrence qu'il faut être très prudent en ce qui concerne la position des incapables ou des mineurs dénués de capacité de discernement. » (3) « En ce qui concerne les mineurs qui sont capables d'évaluer raisonnablement leurs intérêts, on ne saurait exclure la possibilité d'une euthanasie. » (4) (traduction)

L'ordre des médecins s'exprime aussi en des termes similaires dans un avis récent: « Du point de vue déontologique, l'âge mental d'un patient est plus à prendre en considération que son âge civil. » (5)

Un troisième élément qui étaye ce raisonnement est l'article 12 de la Convention internationale des droits de l'enfant, qui prévoit que « les États parties garantissent à l'enfant qui est capable de discernement le droit d'exprimer librement son opinion sur toute question l'intéressant, les opinions de l'enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité. »

Pour éviter de méconnaître le rôle des parents par rapport au droit « limité » du mineur à demander l'euthanasie, on accorde également une certaine importance à leur avis. Cette position est elle aussi dans le droit fil de l'avis précité du « Kinderrechtencommissariaat »: « Les parents (ou le tuteur) doivent être associés à cette décision, sans toutefois avoir le dernier mot. » (traduction) (6) . Concrètement, il faudrait établir une distinction à partir de l'âge limite de 16 ans. Si le mineur a moins de 16 ans, le médecin traitant est tenu de demander l'autorisation de l'enfant et du ou des parents ou du tuteur. Si le mineur a plus de 16 ans, le médecin traitant doit demander l'avis non contraignant du ou des parents ou du tuteur, mais le mineur garde dans ce cas le dernier mot.

Jean-Jacques DE GUCHT.
Paul WILLE.
Patrik VANKRUNKELSVEN.
Martine TAELMAN.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

À l'article 3 de la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie sont apportées les modifications suivantes:

1º le paragraphe 1er, alinéa 1er, est remplacé comme suit:

« — le patient est une personne majeure et capable, ou une personne mineure réputée capable de juger raisonnablement de ses intérêts, et qui est consciente au moment de sa demande; »;

2º le § 2 est complété par un point 7º, rédigé comme suit:

« 7º s'il s'agit d'un mineur qui n'a pas encore atteint l'âge de 16 ans et qui est réputé capable de juger raisonnablement de ses intérêts, demander l'autorisation des parents, du parent qui exerce l'autorité sur le mineur, ou du tuteur, en plus de celle du mineur lui-même. S'il s'agit d'un mineur qui a atteint l'âge de 16 ans et qui est réputé capable de juger raisonnablement de ses intérêts, il doit demander un avis non contraignant aux parents, au parent qui exerce l'autorité sur le mineur, ou au tuteur. Le mineur qui a atteint l'âge de 16 ans dispose néanmoins du droit de décision final ».

21 mai 2008.

Jean-Jacques DE GUCHT.
Paul WILLE.
Patrik VANKRUNKELSVEN.
Martine TAELMAN.

(1) Van Sweevelt, Th., « De euthanasiewet: de ultieme bevestiging van het zelfbeschikkingsrecht of een gecontroleerde keuzevrijheid ? », T. Gez., 2003, p. 234.

(2) Avis « Euthanasie en minderjarigen » du « Kinderrechtencommissariaat » de mars 2002, rendu à l'occasion de la discussion du projet de loi relatif à l'euthanasie (doc. Chambre, nº 50-1488), p. 10.

(3) Ibid., p. 10.

(4) Ibid., p. 10.

(5) Ordre des médecins, Avis relatif aux soins palliatifs, à l'euthanasie et à d'autres décisions médicales concernant la fin de vie, 22 mars 2003.

(6) Avis « Euthanasie en minderjarigen », l.c., p. 10.