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Sénat de Belgique

Annales

MERCREDI 30 AVRIL 2008 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Question orale de Mme Christiane Vienne au vice-premier ministre et ministre des Finances et des Réformes institutionnelles sur «le report de l'application du protocole d'accord concernant le statut des travailleurs transfrontaliers» (nº 4-262)

Mme Christiane Vienne (PS). - J'ai appris, à la lecture d'un article de presse, que M. Yves Leterme, premier ministre, avait proposé au premier ministre français, M. Fillon, de postposer de trois ans l'application du nouveau protocole d'accord belgo-français sur le statut des travailleurs transfrontaliers.

Je rappelle que le protocole en question prévoit de mettre fin à la convention du 10 mars 1964 signée entre la Belgique et la France et prévoyant un régime fiscal spécifique pour les travailleurs transfrontaliers, imposés dans leur pays de résidence et non pas selon leur lieu d'activité.

Cette convention de 1964 n'obéit pas au modèle de l'OCDE, selon lequel l'imposition s'exerce selon le lieu d'activité. De plus, les régimes fiscaux sont différents en Belgique et en France : si le travailleur transfrontalier français et, dans une certaine mesure, l'entrepreneur belge y trouvent un avantage, cette situation est particulièrement calamiteuse pour le travailleur belge, victime d'une véritable concurrence déloyale.

Je suis consternée d'apprendre que l'application du nouveau protocole d'accord, qui prévoit déjà une période transitoire énorme de 25 ans, sera postposée de trois ans et je suis indignée quand ce report s'explique par la volonté d'éviter aux entreprises flamandes une pénurie de main-d'oeuvre.

La Wallonie picarde compte 19.000 demandeurs d'emploi ; or 17.000 emplois sont proposés par le VDAB en Flandre occidentale. Par ailleurs, la collaboration croissante entre le Forem et le VDAB, sur la formation, notamment linguistique, et sur la mobilité est en train de prouver son efficacité sur le terrain. Vingt pour-cent des salariés qui résident dans l'arrondissement Mouscron-Comines travaillent déjà en Flandre. En 2007, sur 1.300 offres de travail flamandes traitées par le Forem et le VDAB dans le cadre des accords de collaboration, vingt pour-cent ont été décrochées par des demandeurs d'emploi wallons. La question de pénurie me semble donc inappropriée.

Pourquoi ce report supplémentaire d'une mesure déjà dilatoire ? Pourquoi prendre en compte les seuls intérêts des entreprises en Flandre sans prendre en compte ceux de tous les travailleurs de notre pays ?

M. Didier Reynders, vice-premier ministre et ministre des Finances et des Réformes institutionnelles. - Madame Vienne, je dois d'abord vous rappeler deux éléments concrets.

Le premier est que depuis de très longues années, nous tentons de renégocier cette convention. J'ai pu obtenir une nouvelle convention avec l'Allemagne, les Pays-Bas, le Luxembourg. Dès avant les années 90, nous avons essayé de la renégocier avec la France, sans aboutir.

Tous les efforts ont été faits et nous avons réussi à signer un avenant à la convention, le 13 décembre dernier. Cet avenant permet de régler l'essentiel des problèmes que vous avez soulevés, y compris le statut fiscal d'un certain nombre de travailleurs qui souhaitent être imposés sur le lieu de leurs prestations ; c'est le cas de travailleurs frontaliers belges qui vont travailler en France. Il ne faut pas perdre de vue le nombre de travailleurs qui sont dans ce cas.

Le deuxième élément que vous ne devez pas perdre de vue quand vous citez la situation dans le nord et dans le sud du pays est que la plupart des travailleurs frontaliers français travaillent dans le Hainaut. Ce n'est donc pas par hasard que l'on se préoccupe dans la province de cette situation.

Nous avons signé un avenant pour modifier les règles applicables aux frontaliers et cela a provoqué de vives réactions chez certains chefs d'entreprise qui sont allés jusqu'à menacer de délocaliser leur activité.

Lorsqu'on est confronté à cette situation, cela vaut la peine de s'interroger sur l'avenant. En effet, si une entreprise installée en Flandre décide de quitter la région, non seulement des travailleurs flamands et des travailleurs frontaliers français seront concernés mais peut-être aussi des travailleurs venant du Hainaut.

C'est assez logiquement avec l'appui du gouvernement que j'ai négocié une modification, avec le premier ministre Verhofstadt à l'époque, et avec Yves Leterme ensuite. Nous avons envisagé de demander une prolongation de un à trois ans du délai d'embauche de travailleurs frontaliers par les entreprises concernées, donc de prolonger la période transitoire.

Lors d'une rencontre le 4 avril dernier avec le premier ministre français François Fillon, M. Leterme a demandé de conclure un avenant complémentaire pour retarder uniquement cette partie de la convention.

Une nouvelle réunion avec le président Sarkozy est prévue le 5 mai. J'espère que nous pourrons conclure en ce sens. À cet effet, il faut obtenir non seulement l'accord des autorités françaises mais aussi la ratification par une majorité au sein du parlement. Ni l'un ni l'autre n'ont été possibles pendant de très longues années. Nous avons à présent un texte approuvé du côté français et, moyennant cet amendement, il pourrait aussi l'être en Belgique. J'espère que ce sera le cas après la réunion du premier ministre avec M. Sarkozy.

Pour le surplus, il a été convenu, comme M. Leterme l'a rappelé à la Chambre, que des mesures favorisant la mobilité interrégionale entreraient en vigueur pendant la période transitoire. Si le délai de trois ans est prolongé, les régions qui ont entamé ce travail pourront peut-être renforcer les mesures améliorant la mobilité des travailleurs en Belgique et non uniquement des travailleurs frontaliers.

J'ai pris note des bonnes nouvelles annoncées par Mme Vienne sur les efforts accomplis actuellement et les succès rencontrés en la matière. J'espère qu'ils se renforceront encore dans les mois et les années à venir.

Mme Christiane Vienne (PS). - L'accord qui a été signé en 2007 est à mes yeux un bon accord, sauf qu'il prévoit un phasing out de 25 ans. Ce délai est considérable en matière de politique de l'emploi. Le report est une mauvaise chose et n'a pas de sens.

Les Belges qui travaillent en France sont bien moins nombreux que les Français qui travaillent en Belgique, et ce sont essentiellement des cadres. En outre, la mobilité concerne surtout les travailleurs les moins qualifiés et ceux qui ont le plus besoin de travailler. L'argument me semble donc intellectuellement indéfendable.

Par ailleurs, j'attire l'attention sur le fait que cette forme de concurrence déloyale est basée sur une menace de délocalisation. Mais personne n'y croit. Les analyses du marché de l'emploi confirment que, dans un bassin d'emploi transfrontalier, les pénuries sont les mêmes que partout ailleurs et concernent les mêmes catégories d'emploi. Penser qu'une entreprise ira de Tourcoing à Courtrai, ou de Courtrai à Mouscron, est une erreur. Lorsque l'on habite dans un mouchoir de poche, on ne déménage pas aussi facilement.

Les trois années de report de la convention vont peser lourdement sur la mobilité des travailleurs belges qui auront des difficultés à trouver du travail dans leurs propres entreprises.

C'est à la fois une erreur économique et politique.

M. Didier Reynders, vice-premier ministre et ministre des Finances et des Réformes institutionnelles. - Je prends bonne note de votre analyse selon laquelle il n'y a aucun risque de délocalisation.

Je vous rappelle toutefois que le secteur principalement concerné dans cette région est le secteur textile et que le nombre d'entreprises qui ont déjà quitté la Flandre occidentale pour aller s'installer, non pas de l'autre côté de la frontière, mais en Afrique du nord, en Turquie et dans d'autres régions du monde, est impressionnant.

Vous me rassurez puisque vous m'annoncez que les délocalisations ne sont pas une réalité. Ce n'est pas ce que me disent les nombreux travailleurs que je rencontre.

Par ailleurs, ne confondons pas. Les 25 ans, c'est la période durant laquelle celles et ceux qui bénéficient, aujourd'hui, du statut de frontalier pourront continuer à en bénéficier.

Vous me dites que c'est une erreur. Lors de la prochaine réunion organisée par la FGTB en Hainaut, je vous inviterai à m'accompagner pour expliquer aux personnes concernées que l'on s'est trompé en leur garantissant qu'ils pourront conserver leur statut pendant 25 ans.

Mme Christiane Vienne (PS). - Très volontiers.

M. Didier Reynders, vice-premier ministre et ministre des Finances et des Réformes institutionnelles. - La prolongation de trois ans, c'est une tentative de pouvoir enfin mettre un terme à ce système.

Vous pouvez me dire que ce n'est pas réaliste. Je constate simplement que c'est la seule façon d'arriver à obtenir une majorité au sein du parlement belge. Si vous arrivez à convaincre l'ensemble de nos collègues de travailler sur la base du texte que j'ai signé au mois de décembre, cela ne me pose aucun problème. Je constate simplement que, sans cet amendement, il n'y a pas de volonté de soumettre ce texte au parlement. On arrive donc à une solution équilibrée comme ce fut le cas avec les Pays-Bas, l'Allemagne et le Luxembourg.

En outre, je rappelle que cette convention prévoit une compensation, versée par les autorités françaises, aux communes qui, normalement, devraient percevoir des additionnels à l'IPP et qui n'en perçoivent pas. C'est donc une bonne chose.