4-705/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2007-2008

17 AVRIL 2008


Proposition de loi organisant une épargne-pension socialement responsable à dimension solidaire

(Déposée par M. Philippe Mahoux)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition de loi a pour objectif d'apporter une dimension sociétale et solidaire aux produits d'épargne-pension individuelle. L'objectif est de favoriser, à travers le système de l'épargne-pension, le financement des entreprises qui entendent assumer leur responsabilité sociétale.

L'épargne-pension est née il y a vingt ans. L'objectif du gouvernement était à l'époque d'encourager l'épargne privée comme complément de la pension légale (premier pilier) et de l'assurance de groupe (deuxième pilier).

Il fallait à l'époque assurer une pension convenable aux citoyens belges, les deux piliers risquant de ne plus pouvoir être en mesure de rencontrer les besoins auxquels les aînés devraient faire face après leur carrière. Les pouvoirs publics ont donc proposé un troisième pilier: les pensions complémentaires individuelles.

Les pensions complémentaires du troisième pilier s'adressent à tous les contribuables, quel que soit leur statut social. Les salariés et les indépendants peuvent donc accéder à celui-ci et combiner cette formule avec les autres systèmes du second pilier.

L'épargne-pension est un capital constitué par des versements annuels plafonnés qui donnent droit à des réductions d'impôt en fonction du montant investi. Par ce biais, le législateur fiscal invite le contribuable à se constituer une provision, en contrepartie de quoi il bénéficiera, sous certaines conditions, d'un avantage fiscal.

L'épargne-pension — qui se définit avant tout de manière fiscale — se décline en deux versions: le compte épargne-pension (individuel ou collectif), souscrit auprès d'une banque ou d'une société de bourse et l'assurance épargne-pension, conclue auprès d'une compagnie d'assurances.

L'épargnant peut choisir de souscrire une assurance épargne-pension auprès d'une compagnie d'assurances. Il bénéficie alors d'un rendement annuel minimum garanti. De plus, l'assurance-épargne peut donner lieu à une participation bénéficiaire qui dépendra essentiellement des résultats financiers de la compagnie d'assurances. En contrepartie de cette sécurité d'investissement, les rendements sont peu élevés.

Côté bancaire, il existe deux types de produits. Il y a d'abord le compte épargne-pension individuel, mais il est très peu utilisé. Les institutions financières n'aiment pas devoir gérer une multitude de petits portefeuilles. Elles proposent donc généralement des comptes-épargne collectifs, mieux connus sous le nom de fonds d'épargne-pension.

Contrairement à l'assurance-épargne, l'épargnant qui choisit de souscrire à un fonds d'épargne-pension ne bénéficie d'aucun rendement annuel minimum garanti. Un tel fonds — qui n'est en réalité qu'un fonds de placement mixte — repose en effet sur des actions et des obligations dont l'intérêt dépend uniquement de l'évolution du cours de bourse. Le rendement n'étant pas garanti, le risque boursier est bien plus présent que pour l'assurance-épargne.

C'est le régime fiscal privilégié des fonds d'épargne-pension qui a fait leur succès. Pour autant que les conditions prévues par la loi soient respectées, les fonds d'épargne-pension donnent droit à une réduction d'impôts qui représente, selon l'importance des revenus, 30 à 40 % d'un montant plafonné à 590 euros par an (830 euros pour l'exercice d'imposition 2008).

Lorsque le contrat d'épargne-pension va jusqu'à son terme, c'est-à-dire jusqu'au moment de la liquidation du capital qui correspond à l'âge légal de la pension (65 ans), ce capital sera imposé à 10 ou 16,5 % en fonction du moment auquel les versements ont été effectués. Si l'épargnant décide de bénéficier du capital avant l'âge légal de la pension, celui-ci sera alors imposé au taux marginal de 33 %.

Par le dépôt de cette proposition de loi, son auteur entend ajouter une dimension sociétale aux produits d'épargne-pension. L'idée n'est pas neuve, puisque le 21 décembre 2006, le Conseil des ministres marquait son accord sur un plan d'action qui avait pour objectif de stimuler la responsabilité sociétale des entreprises. Ce plan faisait partie du plan fédéral de développement durable 2004-2008.

Le gouvernement avait approuvé à l'époque une proposition de principe de la secrétaire d'État au Développement durable, Els Van Weert, visant à rendre l'épargne-pension plus avantageuse pour les placements éthiques, par le biais d'une déduction fiscale différenciée.

Pour le gouvernement de l'époque, la responsabilité sociétale des entreprises est un processus d'amélioration dans le cadre duquel les entreprises intègrent dans leur gestion, de manière volontaire, systématique et cohérente, des considérations d'ordre éthique, social, environnemental et de bonne gouvernance, et ce, en concertation avec les parties prenantes ou les intéressés.

Un des moyens retenus par ce plan était de favoriser les placements et investissements éthiques en Belgique, au travers d'une réduction fiscale différenciée de l'épargne-pension.

Concrètement, la proposition de Mme Els Van Weert signifiait que ceux qui choisissaient une épargne-pension éthique pourraient investir un montant plus important de manière fiscalement avantageuse. Cet avantage vaudrait tant pour les comptes d'épargne collectifs et individuels que pour l'assurance épargne.

Pour des raisons d'ordre budgétaire, d'opportunité politique et sous la pression de l'industrie bancaire, le précédent gouvernement n'a finalement pas mis en œuvre cette décision de principe prise le 21 décembre 2006. La proposition a toutefois eu le mérite d'exister; elle a d'ailleurs suscité de nombreuses réactions, souvent critiques. Ces réactions provenaient essentiellement des acteurs du monde de l'investissement socialement responsable.

Des associations comme Netwerk Vlaanderen ou le Réseau Financement alternatif (RFA infra) se sont déclarées plutôt favorables à « un remplacement progressif des avantages fiscaux existants par des avantages ayant des composantes sociales, environnementales et éthiques. Cela se traduirait, par exemple, non pas par des avantages fiscaux pour l'épargne-pension éthique, mais par le retrait progressif des avantages liés à l'épargne-pension classique combiné au maintien des avantages existants pour l'épargne-pension éthique. »

Dans sa note sur l'épargne-pension durable du 16 octobre 2007, le Forum belge pour l'investissement durable et socialement responsable (Belsif) « recommande également que l'avantage fiscal actuel de l'épargne-pension soit remplacé par un système dans lequel seule l'épargne pension durable bénéficierait d'un avantage fiscal. »

Comme le rappelait Bernard Bayot, directeur de RFA, « la question qui se pose ici n'est pas de savoir si l'état doit encourager fiscalement les entreprises qui agissent de manière sociétalement responsable. La question est plutôt de savoir si l'état doit encore favoriser fiscalement l'investissement dans des entreprises qui n'assument pas leur responsabilité sociétale. Poser la question, c'est y répondre. Faire une différenciation fiscale au sein de l'épargne-pension, selon qu'elle soit éthique ou pas, est certainement justifié au regard du souci du gouvernement de favoriser la responsabilité sociétale des entreprises, mais elle doit se comprendre plutôt en terme de condition mise à l'obtention de l'avantage existant qu'en terme d'avantage supplémentaire. »

La présente proposition de loi entend poursuivre le même objectif que celui du Conseil des ministres du 21 décembre 2006, mais la voie empruntée est tout autre. L'intention de l'auteur n'est, en effet, pas de différencier par un traitement fiscal plus avantageux l'épargne éthique de l'épargne classique. L'auteur propose plutôt qu'à l'avenir, seuls les produits d'épargne-pension socialement responsable à dimension solidaire puissent bénéficier de l'avantage fiscal actuellement accordé aux produits d'épargne-pension classique.

Au-delà des considérations d'ordre éthique soulevées par les acteurs de l'ISR, auxquelles l'auteur souscrit entièrement, accorder aujourd'hui un avantage fiscal supplémentaire n'entrerait pas dans le cadre des priorités budgétaires du gouvernement qui sont essentiellement orientées vers une revalorisation du pouvoir d'achat de nos concitoyens.

L'auteur du présent texte propose également qu'une partie des actifs investis dans l'épargne-pension socialement responsable soit affectée à l'épargne solidaire. L'épargne solidaire vise à favoriser la cohésion sociale par le financement, grâce à la solidarité, d'activités de l'économie sociale. Selon Bernard Bayot, « épargner solidaire, c'est investir en conséquence dans des entreprises qui font de la responsabilité sociétale, non l'appendice d'une activité lucrative, mais l'essence même de leur engagement. »

Il y a en effet un besoin réel de financement des personnes ou des groupes qui entendent sortir de la précarité. Il est important de favoriser l'émergence d'activités et de projets (environnement, éducation, action sociale, réinsertion, etc.) pour lesquels il est difficile d'obtenir un financement auprès des bailleurs de fonds classiques.

Actuellement, une réduction d'impôts est accordée en cas de souscription d'obligations émises par le fonds de l'économie sociale et durable, mais, par contre, les particuliers qui utilisent les outils traditionnels de financement de l'économie sociale et durable, comme la coopérative Crédal par exemple, ne se voient pas accorder un avantage fiscal similaire. Or, s'il existe bien un type de produit éthique pour lequel un avantage fiscal se justifie plus que pour tout autre, c'est bien pour l'épargne solidaire.

L'actualité récente a également rappelé l'impérieuse nécessité de redéfinir le rôle des marchés financiers. En effet, à travers la crise des « subprimes » ou le scandale de la « Société générale », c'est tout l'édifice financier qui doit entamer une remise en question profonde.

La fonction première des marchés financiers est en effet de mettre en contact ceux qui disposent d'une capacité d'épargne (les ménages essentiellement) et ceux qui sont à la recherche d'un financement à plus long terme pour planifier leur développement (entreprises, gouvernement).

Or, on assiste ces trois dernières décennies à un dévoiement de cette fonction première. Les marchés financiers n'apparaissent plus en effet comme un moyen de tendre vers le développement économique mais comme une fin en soi. Les marchés financiers sont de plus en plus utilisés selon une logique de court terme, où la rentabilité et le profit constituent un facteur déterminant des choix et des décisions en matière d'investissement.

L'objet de la présente proposition de loi est de rappeler que les investissements ne doivent pas uniquement répondre à des critères financiers, mais qu'ils doivent également intégrer des préoccupations sociales éthiques, environnementales et de bonne gouvernance.

Contrairement à une idée reçue entretenue par une partie du monde financier, investissement éthique ne signifie pas absence de retour sur investissement. De récentes études ont en effet démontré que les performances enregistrées par les placements intégrant une dimension sociétale sont comparables à celles des placements classiques. Ces études montrent qu'il est possible, à long terme, d'atteindre un return financier équivalent à celui d'un produit classique.

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 2

Cet article définit l'épargne-pension socialement responsable à dimension solidaire.

Article 3

Cet article fixe les critères d'éligibilité à l'épargne-pension socialement responsable à dimension solidaire. Dans cette optique, le Conseil de l'investissement socialement responsable a un rôle important à jouer. Il doit en effet déterminer les activités qui sont contraires à la responsabilité des entreprises (critères négatifs); il doit ensuite fixer des critères minimaux auxquels doivent répondre les investissements (critères positifs) et il doit enfin tracer les contours de l'épargne solidaire.

Ce Conseil n'existe pas encore, mais il fait l'objet d'une proposition de loi déposée par l'auteur du présent texte. Nous renvoyons donc à cette proposition de loi pour de plus amples explications sur la nécessité de créer un tel instrument.

Article 4

Cet article organise dans le Code des impôts sur les revenus 1992 la transition d'une épargne-pension classique vers une épargne pension socialement responsable à dimension solidaire.

Article 5

Cet article prévoit qu'au moins 0,5 % des actifs investis dans l'épargne-pension socialement responsable soient investis dans des produits d'épargne solidaire.

Philippe MAHOUX.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

Pour l'application de la présente loi, on entend par « produit d'épargne-pension socialement responsable à dimension solidaire »:

un produit qui tient compte non seulement de critères financiers mais également de critères éthiques, sociaux, environnementaux et de bonne gouvernance tout en y intégrant une dimension solidaire.

Art. 3

§ 1. Pour qu'un produit d'épargne-pension soit considéré comme produit d'épargne-pension socialement responsable à dimension solidaire, il est interdit aux institutions d'épargne-pension de procéder, pour ce produit, à des investissements ou à des placements qui sont directement ou indirectement liés à une ou plusieurs activités contraires au principe de la responsabilitié sociétale des entreprises.

Sur avis du Conseil de l'investissement socialement responsable institué par la loi du ..., le Roi dresse la liste des activités visées à l'alinéa 1er. Cette liste est adoptée par voie d'arrêté délibéré en Conseil des ministres.

Après avis ou sur proposition du même Conseil, le Roi peut préciser, compléter, modifier ou supprimer, par voie d'arrêté délibéré en Conseil des ministres, la liste figurant à l'alinéa 2.

§ 2. Le Roi fixe également, après avis ou sur proposition du même Conseil, d'autres critères, notamment positifs, auxquels les produits d'épargne-pension doivent au minimum répondre afin d'être considérés comme répondant aux exigences de la présente loi.

§ 3. Le Roi fixe enfin, après avis ou sur proposition du Conseil de l'investissement socialement responsable les produits d'épargne qui sont considérés comme solidaire.

§ 4. Pour bénéficier de l'avantage fiscal prévu à l'article 145/11, 5º, du Code des impôts sur les revenus 1992, les produits d'épargne-pension sociétalement responsable à dimension solidaire doivent répondre cumulativement aux conditions prévues aux trois paragraphes précédents.

Art. 4

À l'article 145/11, du Code des impôts sur les revenus 1992 les modifications suivantes sont apportées:

1º à l'alinéa 1er, le mot « visés » est remplacé par les mots « socialement responsables à dimension solidaire au sens de la loi du ... organisant une épargne-pension socialement responsable à dimension solidaire »;

2º à l'alinéa 1er, le « 4º » est remplacé par le « 5º »;

3º l'article est complété par l'alinéa suivant:

« 5º 0,5 % au moins des actifs détenus doivent être investis dans des produits d'épargne solidaire. ».

Art. 5

La présente loi entre en vigueur le 1er janvier de l'année qui suit celle au cour de laquelle elle aura été publiée au Moniteur belge.

26 février 2008.

Philippe MAHOUX.