4-16

4-16

Sénat de Belgique

Annales

JEUDI 14 FÉVRIER 2008 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Proposition de résolution sur le résultat des élections au Kenya (de Mme Marleen Temmerman et consorts, Doc. 4-536)

Discussion

(Pour le texte adopté par la commission des Relations extérieures et de la Défense, voir document 4-536/3.)

M. le président. - La parole est à Mme Zrihen pour un rapport oral.

Mme Olga Zrihen (PS), rapporteuse. - Depuis plusieurs semaines, la stabilité de la société kenyane, par ailleurs reconnue à l'échelon international, a fortement vacillé, au point de nous rappeler certaines heures douloureuses vécues sous d'autres latitudes du continent africain.

Les violences qui déchirent le Kenya ont choqué, et cela d'autant plus qu'elles ont été attisées par le référent ethnique.

Pour rappel, de vives tensions politico-ethniques ont resurgi à la suite de la proclamation des résultats des élections présidentielles et législatives du 27 décembre dernier. Le scrutin présidentiel et le décompte des votes en particulier semblent avoir été la proie de multiples manipulations et irrégularités.

En janvier 2008 fut déposée une proposition de résolution ayant trait aux événements tragiques qui suivirent les élections du 27 décembre.

Par cette proposition, les auteurs, Mmes Temmerman et Hermans, MM. Roelants du Vivier, Dallemagne et Dubié, ont voulu exprimer dans un texte destiné au gouvernement belge ainsi qu'à l'Union européenne, leur préoccupation au sujet des ces troubles qui risquent de porter un coup sérieux à la relativement jeune démocratie kenyane.

La résolution comporte deux axes : tout d'abord, lancer des pistes visant à faire respecter la régularité du processus électoral, ensuite, exprimer le souci des sénateurs de voir mettre en oeuvre une méthodologie qui puisse arrêter la violence naissante.

Cette proposition fut portée à l'ordre du jour de la réunion de la commission des Relations extérieures et de la Défense du 12 février dernier. Différents amendements y furent déposés par les auteurs et par moi-même, pour affiner le texte.

La commission a unanimement considéré qu'étant donné l'urgence, il fallait voter le texte amendé le 13 février pour que l'assemblée plénière puisse se prononcer ce jour.

Le groupe socialiste avait également déposé une proposition de résolution allant dans le sens d'un arrêt immédiat des actions violentes, d'une saisie par le Conseil de sécurité de la crise politique et humanitaire secouant le Kenya, d'une recherche d'un apaisement et d'une résolution pacifique de la crise, et de la volonté de prévenir tout risque de génocide.

Face à l'urgence de la situation, nous avons donc soutenu la proposition émanant du groupe sp.a tout en l'étoffant considérablement d'amendements, partagés au final par l'ensemble de nos collègues.

Le texte définitif tel qu'il a été adopté par la commission vous a été communiqué et j'ose espérer que le Sénat l'adoptera tel quel. Cela nous permettra d'émettre un signal fort, tendant à soutenir et à renforcer les efforts que notre gouvernement, la Communauté européenne et la communauté internationale accomplissent afin de rétablir la paix et la démocratie dans ce pays. Le Kenya et la société kenyane possèdent les éléments démocratiques suffisants et méritent de redevenir, comme notre présidente de commission l'a rappelé, la perle à la couronne de l'Afrique.

M. François Roelants du Vivier (MR). - La situation politique et humanitaire qui sévit actuellement au Kenya est tragique, comme vient de le souligner Mme Zrihen.

C'est tout un pays, tout un peuple, qui bascule dans une violence sans limite, une violence qui pourrait d'ailleurs remettre en cause les efforts de développement de ce pays.

Nous avons la chance de compter parmi nous une experte de la question en la personne de la présidente de la commission des Relations extérieures et de la Défense, Mme Temmerman, qui se dit d'ailleurs elle-même à moitié kenyane, compte tenu de l'expérience de vie qu'elle a eue dans ce pays. Le groupe MR a donc appuyé sa résolution, amendée par l'ensemble des groupes politiques.

Comment comprendre les ressorts de cette crise et quelles sont les questions pertinentes auxquelles nous devons répondre ?

Le point de départ de cette crise se trouve au coeur du processus électoral de la fin de 2007. La campagne électorale a été tendue en raison de l'utilisation systématique de l'administration en faveur des sortants, en empêchant des meetings de l'opposition, en protégeant les exactions, les violences des équipes proches du pouvoir et en pratiquant la censure de certains médias.

De plus, à cette époque, malgré l'absence de conflits ethniques préélectoraux, les violences ont été nombreuses et ont occasionné, selon les associations des droits de l'homme, plusieurs dizaines de morts. Autre élément défavorable, des tensions ont repris dans les zones habituelles de crise de la Rift Valley. Tout au long de 2007, les conflits entre communautés ont provoqué un certain nombre de morts et les élections ont alimenté ces antagonismes, sans toutefois en être en la cause.

En revanche, le scrutin s'est correctement déroulé, contrairement aux élections de 1997 ou de 2002. C'est vraiment au moment du décompte des voix que les choses se sont détériorées.

Qui a gagné ces élections ? Il est aujourd'hui très difficile de démontrer avec certitude que ces élections ont été gagnées par Mwai Kibaki ou Raila Odinga. Les résultats comportent trop de distorsions, dans de nombreuses circonscriptions, entre les résultats aux élections législatives et les élections présidentielles. Pour parler simplement, les tricheries ont été manifestes, ce que confirme le rapport des observateurs pour l'Europe.

À la suite de ce scrutin, de nombreuses violences ont été constatées, sans que l'on puisse encore parler de planification. Néanmoins, ces violences ne sont pas le fruit d'accidents.

D'une part, on a constaté des nettoyages ethniques, une vaste catégorie qui recouvre des phénomènes divers pas toujours très comparables et des pratiques qui provoquent des contre-violences de la part des populations agressées. D'autre part, les violences policières sont également à l'origine d'un grand nombre de morts, des violences qui ont été d'autant plus intenses que les policiers sont assurés de ne pas être poursuivis judiciairement. Tout au long du régime du président Kibaki, ils ont bénéficié d'une impunité totale, alors que leurs pratiques étaient de plus en plus dénoncées. Le pays est malheureusement gangrené par la privatisation de la sécurité à l'échelle de presque tout le pays. Il y aussi une culture de milices de jeunes.

Dans une situation de crise économique grave à laquelle s'ajoute une démographie déséquilibrée où les moins de quarante ans sont très nombreux, les jeunes hommes se voient de plus en plus contraints de rejoindre ces milices qui constituent de rares opportunités d'emploi.

Je pense que des observateurs avertis auraient pu aisément prévoir ces violences post-électorales - même si l'alternance réussie de 2002 laissait croire que la culture démocratique de la classe politique était réelle et sincère -, ce qui aurait peut-être permis de les éviter.

Le refus de l'alternance a provoqué un bain de sang et l'approfondissement de clivages qui menacent l'idée même de citoyenneté kenyane, et ce dans un des seuls pays africains où l'identité nationale est forte, en dépit de l'ethnicisation de la vie politique, en particulier depuis le retour au multipartisme en vigueur depuis 1992.

Je soulignerai également que les musulmans du Kenya ont tendance à se considérer comme des citoyens de seconde zone, que la capitale déconsidère et oublie systématiquement lorsqu'il s'agit d'investir de l'argent public. Ce ressenti tend à devenir un sentiment de persécution, quand l'application des lois antiterroristes visent uniquement ces populations.

En conclusion, le Kenya était jusqu'à présent perçu comme un pays relativement stable, démocratique, une sorte de modèle de développement économique qui contrastait avec les pays qui l'entourent, à l'exception de la Tanzanie. Or, nous constatons aujourd'hui une société particulièrement violente, une insécurité rampante dans tout le pays, un nombre d'emplois salariés très insuffisant, avec des diplômés qui ont du mal à trouver et garder un travail, une croissance économique non partagée, un État partial et corrompu, dont le sommet n'inspire pas confiance.

Bref, cette situation devait malheureusement mener à ce que nous avons vu.

Notre pays doit vraiment soutenir la médiation de Kofi Annan. Je suis heureux d'apprendre qu'il est parvenu à imposer un accord entre les deux leaders. Cet accord qui sera rendu public demain mettra fin, je l'espère, aux violences, prévoira un partage du pouvoir ou une grande coalition capable de résoudre la crise politique du pays.

Ce gouvernement pourrait permettre d'opérer les changements nécessaires pour apporter une solution aux problèmes et organiser par la suite des élections pacifiques et transparentes. En attendant ce dénouement, il faut bien entendu fournir une aide humanitaire aux personnes déplacées dans le centre et l'ouest du pays - elles sont plus de 600.000 - afin de soulager les écoles et le système de santé.

Le souhait de mon groupe est que le Kenya ne s'inscrive pas dans une liste déjà trop longue de crises africaines, comprenant le Liberia, la Sierra Leone, le Congo, la Côte d'Ivoire, le Tchad, le Soudan, le Zimbabwe. Face à l'expression du ras-le-bol d'une frange importante de la population locale contre le pouvoir en place, celui-ci n'a malheureusement trouvé comme parade que la falsification du décompte des voix du scrutin présidentiel de décembre 2007.

Or, ce pays était l'un des rares pays africains à garder encore de vrais attributs étatiques. Son budget est financé pour environ 88% par une taxation intérieure acceptée par ses citoyens, l'aide extérieure étant dérisoire. Son économie affiche un taux de croissance de 6% et la marque Kenya est connue et respectée dans le monde entier. On est donc loin d'une guerre pour les ressources naturelles entretenue par des considérations ethnicistes parfaitement orchestrées. Nous sommes face à un vrai combat démocratique que nous devons soutenir sans relâche.

Mevrouw Marleen Temmerman (sp.a-spirit). - Ik dank de rapporteurs voor hun uitstekende verslag. Ik heb lang in Kenia gewoond en ben nog altijd nauw betrokken bij het land. Ik was dan ook in het land toen de verkiezingen werden gehouden en ik heb de toestand zien verslechteren.

Hopelijk werpen de inspanningen van de Kenianen en de internationale gemeenschap vruchten af en keert de stabiliteit terug. Ik hoop dat alle fracties het voorstel van resolutie goedkeuren waarin we de Belgische regering, de Europese Commissie en de internationale gemeenschap oproepen om het vredesproces blijvend te steunen. Ik roep de ministers van Ontwikkelingssamenwerking en Buitenlandse Zaken nogmaals op om de humanitaire hulp vanuit België te steunen.

M. Georges Dallemagne (cdH). - Comme M. Roelants du Vivier l'a dit, un accord semble avoir été conclu aujourd'hui entre les camps rivaux de la crise kenyane. C'est le médiateur spécial, Kofi Annan, qui l'a annoncé. Il dévoilera les détails de l'accord demain après-midi. Si cette information devait être confirmée dans les faits, ce serait un énorme soulagement pour la communauté internationale, pour les pays de la région mais surtout pour les millions de Kenyans durement touchés par cette crise, notamment les milliers de blessés et les 600.000 personnes déplacées, dont le nombre augmente tous les jours.

Il faut en effet que le cycle de la violence et des représailles cesse très rapidement, avant qu'il ne soit trop tard, avant que la haine, la brutalité et le chaos ne s'installent durablement au Kenya et que le pays ne soit emporté dans une tragique confrontation ethnique.

Notre résolution exerce une pression bienveillante mais ferme sur les responsables mais aussi sur les fauteurs de violences. Elle réclame notamment une enquête. Même si Kofi Annan a déjà quelque peu devancé nos attentes à ce sujet, il importe que notre pression continue à s'exercer. En effet, ce qui se joue au Kenya, au-delà des terribles souffrances humaines actuelles, c'est d'abord la nature du régime politique qui pourrait se mettre en place, c'est l'acceptation de l'alternance, des résultats du suffrage universel, de la démocratie et du respect du peuple.

Le deuxième élément qui me semble important est la coexistence pacifique, telle qu'elle existait jusqu'alors, de groupes ethniques qui se retrouvent aujourd'hui manipulés par des forces politiques. Les boutefeux irresponsables qui transforment les différences ethniques en antagonismes violents doivent être arrêtés.

Le troisième élément important est évidemment la question de la stabilité régionale. Comme certains de mes collègues, j'étais récemment à Kampala. Nous y avons vu à quel point la situation au Kenya pouvait exercer une influence énorme sur les pays de la région. C'est pourquoi il faut arrêter le feu tant qu'il en est encore temps.

Je voudrais remercier la présidente de la commission, Marleen Temmerman, pour avoir attiré l'attention du Sénat sur cette question.

J'espère que notre message de fermeté quant aux principes de démocratie, de respect des droits de l'homme, de recherche de solutions pacifiques aux divergences politiques, de sanctions à l'encontre des responsables de violences sera porté par notre gouvernement et entendu au Kenya. Dans ce pays, comme dans d'autres conflits en Afrique, des violences particulières s'exercent à l'encontre des femmes. Les violences sexuelles sont utilisées là, comme ailleurs, comme arme de guerre. C'est un sujet de préoccupation particulièrement important.

Je souhaite que notre gouvernement soutienne le contenu de cette résolution et j'espère que nous pourrons être informés rapidement des démarches entreprises et de l'évolution de cette crise majeure.

-La discussion est close.

-Il sera procédé ultérieurement au vote sur l'ensemble de la proposition de résolution.