4-485/2

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2007-2008

30 JANVIER 2008


Proposition de résolution relative aux viols et aux violences sexuelles contre les femmes à l'est de la République démocratique du Congo


RAPPORT

FAIT AU NOM DU COMITÉ D'AVIS POUR L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES PAR

MME HERMANS


I. Introduction

La proposition de résolution relative aux viols et aux violences sexuelles contre les femmes à l'est de la République démocratique du Congo a été déposée le 19 décembre 2007. Conformément à l'article 86, § 4, du règlement du Sénat, le Comité d'avis pour l'égalité des chances entre les femmes et les hommes a pris l'initiative de donner un avis à la commission des Relations extérieures et de la Défense.

Le Comité d'avis a examiné cette proposition de résolution lors de ses réunions des 16 et 30 janvier 2008. Il a organisé des auditions le 16 janvier 2008, en présence des personnes suivantes: Mme Christine De Schryver, Gesellschaft für technische Zusammenarbeit; Mme Françoise Guillitte, responsable du Programme Droits des Femmes d'Amnesty International Belgique francophone; M. Kris Berwouts, directeur d'EurAC; la Dr Marleen Bosmans, International Centre for Reproductive Health (Ugent) et Mme Maddy Tiembe, Action des Femmes pour le Développement.

Sur la base des éléments recueillis lors de ces auditions, le Comité d'avis a élaboré un avis qui a été discuté et adopté lors de la réunion du 30 janvier 2008.

II. Exposé introductif de Mme Smet, auteur de la proposition de résolution

Au cours des dernières années, des viols de femmes et de jeunes filles ont été perpétrés dans la région du Kivu, à une échelle inimaginable. Les auteurs de ces viols sont issus non seulement des milices et des groupes armés, essentiellement rwandais, mais aussi de l'armée gouvernementale et de la police.

Il est difficile d'obtenir les chiffres exacts de ces violences sexuelles. Selon les estimations des Nations unies, le Nord-Kivu connaîtrait à lui seul 25 000 cas de violence sexuelle chaque année. Au Sud-Kivu, il serait question de 27 000 cas par an. Ces chiffres sont probablement en deçà de la réalité, car de très nombreux cas ne sont pas signalés. 60 % des victimes se situeraient dans la tranche d'âge de 11 à 17 ans. Selon le Dr. Denix Mukwege, gynécologue à l'hôpital Panzi de Bukavu, l'âge des victimes varie de 3 à 75 ans. Ces informations sont d'ailleurs également attestées par le documentaire « Le viol, une arme de guerre au Congo », diffusé sur ARTE le 15 novembre 2007.

M. Stephen Lewis, ancien envoyé spécial de l'ONU pour le VIH/SIDA en Afrique, décrit la situation en ces termes: « Dans les conflits armés, il est fréquent que les parties belligérantes aient délibérément recours aux viols et aux violences sexuelles contre les femmes et les jeunes filles comme arme de guerre stratégique, mais l'ampleur inégalée et la cruauté inouïe des faits qui se commettent dans l'est du Congo dépassent l'entendement. Dans l'est du Congo, les viols sont généralement suivis ou précédés de blessures infligées délibérément (seins tranchés, par exemple) et de tortures, y compris des tortures à caractère sexuel, comme le viol à la baïonnette ou à l'aide d'un fusil, de barres de fer ou de bâtons, parfois jusqu'à la mise à mort de la victime. Les cruautés ont lieu en public et sous les yeux des membres de la famille des victimes. Dans certains cas, des hommes sont contraints, sous la menace d'une arme à feu, de violer leur propre fille, leur mère ou leur soeur. Des femmes et des filles sont violées en groupe. D'autres, enfin, sont emmenées comme esclaves sexuelles. »

Les blessures physiques infligées aux victimes nécessitent des soins. Chez de nombreuses victimes, la paroi entre les organes génitaux et l'anus est déchirée. Elles ne pourront plus avoir d'enfants, ni se soulager normalement. Elles ont besoin non seulement d'une assistance physique, mais aussi d'un soutien psychologique. Les pères et les frères des victimes devraient, eux aussi, bénéficier d'un tel soutien psychologique.

Les conséquences de la situation au Kivu, que d'aucuns considèrent comme le grenier à blé du Congo, sont dramatiques. En première instance, l'intégrité des femmes est détruite. Après ce qu'elles et leurs enfants ont vécu, un certain nombre de femmes ne sont plus à même de continuer à vivre. Par conséquent, certaines femmes ne peuvent plus rien faire. La famille est elle aussi détruite, et il en va de même de l'économie, car ce sont les femmes qui se chargent des travaux des champs et des récoltes. En outre, l'état de guerre fait que la population n'est plus en sécurité nulle part. Des centaines de milliers de réfugiés tentent de se mettre à l'abri dans les forêts.

Que fait la communauté internationale dans ce contexte ? Les Nations unies ont mis en place une mission au Congo: la MONUC. Selon la dernière résolution de l'ONU (21 décembre 2007), la présence des troupes et des forces de police serait portée à 19 000 unités environ. Mais vu l'étendue de la région, ces effectifs sont insuffisants. Le Sud-Kivu est, à lui seul, grand comme l'Irlande.

La commission des Relations extérieures et de la Défense, au sein de laquelle est également discutée la proposition de résolution qui fait l'objet du présent rapport, consacrera l'essentiel de ses travaux à ce que fait réellement la MONUC. On dit notamment que la présence de ces 19 000 personnes ne change rien à la situation. Faut-il modifier le mandat de la MONUC ? La Belgique doit-elle fournir des efforts dans ce sens ?

En outre, des négociations de paix sont organisées à intervalles réguliers: en septembre 2007 avec l'Ouganda et en novembre 2007 avec le Rwanda. Ces négociations se déroulent sous la houlette des Nations unies, en présence des États-Unis et de l'Europe. Toutefois, les communiqués qui sont signés dans ce cadre restent le plus souvent lettre morte. Du 9 au 17 janvier 2008, une conférence de paix se tient à Goma, en présence d'un représentant de la Belgique. Cette conférence a été mise en place à l'initiative du Congo; le Président Kabila devrait également y assister.

La Belgique finance en outre, avec la Commission européenne, les Pays-Bas et le Royaume-Uni, le programme REJUSCO visant à restaurer les capacités juridictionnelles. Le fait que personne ne soit puni pose un sérieux problème. Tant que la justice n'aura pas été restaurée et que l'armée n'interviendra pas comme elle le devrait, la situation perdurera.

L'Union européenne a aussi lancé deux programmes destinés à soutenir le renforcement des services de sécurité au Congo: un programme de réforme de l'armée et un autre visant à réformer la police.

III. Auditions

III.1. Exposé de Mme Christine De Schryver, Gesellschaft für technische Zusammenarbeit

En tant que militante des droits de l'homme, Mme De Schryver souhaite avant tout dire que la situation des femmes au Congo est devenue insupportable. Quelques semaines avant l'audition, elle a été confrontée au cas d'une petite fille de trois ans qui a été violée dans des conditions extrêmement cruelles. Cette situation dure depuis plus de dix ans.

Une des premières victimes en 1998 était une jeune métisse, amie de Mme De Schryver. Après l'avoir emmenée à l'hôpital et suite à cette expérience traumatisante, Mme De Schryver a eu une arythmie cardiaque. Depuis dix ans, elle participe à de nombreuses conférences et rencontre plusieurs personnalités internationales, telles que John Holmes et Louise Arbour.

Aujourd'hui, les femmes congolaises demandent à la communauté internationale de reconnaître qu'en 1996 ont été ramené les « génocidaires » au Congo. La communauté internationale a par conséquent une part de responsabilité dans la situation actuelle. De plus, le gouvernement congolais, légitime, et le président élu démocratiquement ont un rôle à jouer.

Dans la province du Sud-Kivu, l'on compte plus de 100 000 victimes, mais personne ne dispose de chiffres exacts. Vu que le viol est un sujet tabou au Congo, il est difficile de savoir exactement combien de femmes ont été victimes de viols. Les femmes qui acceptent de se faire enregistrer et qui ont le courage de se rendre à l'hôpital, sont souvent celles qui sont les plus détruites. Ces victimes, qui ont entre 6 mois et 86 ans, ont besoin de chirurgie réparatrice.

Que peuvent attendre les femmes de la conférence de paix qui a lieu à Goma du 9 au 17 janvier ? Comme d'autres conférences similaires, elle se tient sous pression internationale. Les Congolaises sont assez pessimistes quant aux résultats de la conférence. Elles ont depuis longtemps l'impression que tous ceux qui ont des intérêts au Congo préfèrent plutôt maintenir la fragmentation du pays et les petites rébellions afin de mieux protéger leurs propres intérêts. Selon Mme De Schryver, il s'agit avant tout d'une guerre économique.

Aujourd'hui, nombreux sont ceux qui ont l'impression que les Africains sont en train de s'entretuer, de se violer. Pourtant, l'intervenante ne parle plus de viol, mais de terrorisme sexuel. Les personnes qui se sont déjà rendues dans un des hôpitaux au Kivu doivent se rappeler l'odeur de la mort et de la chair en putréfaction, doivent se souvenir des femmes blessées. L'on ne peut plus rester indifférent.

Au Congo, tout le monde a perdu un degré d'humanisme minimal. En tant que Belge, Mme De Schryver se demande ce qu'elle fait encore au Congo. Il n'est plus possible de faire semblant de ne rien voir. Tout le monde est concerné. Elle souhaite que les sénateurs aident les Congolais à retrouver la paix en exerçant une pression sur tous ceux qui ont des intérêts économiques au Congo.

Le Congo ne demande pas d'argent, ni des programmes de développement qui ne bénéficient qu'à des villes telles que Bukavu, Goma ou encore Kinshasa. Il faut développer l'intérieur de la province du Kivu, qui vit d'aide alimentaire extérieure. Mme De Schryver qualifie cela de crime contre l'économie: les populations ne cultivent plus les champs. Quand bien même elles sèment, ce sont les bandes armées qui récoltent.

III.2. Exposé de Mme Françoise Guillitte, responsable du Programme Droits des Femmes, Amnesty International Belgique francophone

Mme Guillitte remercie les sénateurs pour leur initiative concernant les violences sexuelles contre les femmes au Congo. Il est en effet temps d'agir efficacement et de se donner les moyens d'agir. La volonté politique est indispensable. Par conséquent, beaucoup d'espoirs sont fondés sur ce texte.

Comme Mme Smet l'explique dans les développements précédant la proposition de résolution, des dizaines de milliers de femmes et de jeunes filles ont été victimes de viols et d'agressions sexuelles commis de manière systématique par les forces combattantes au cours du conflit armé qui affecte l'est de la République démocratique du Congo (RDC). Les chiffres dont nous disposons sont d'ailleurs loin de la réalité.

Des femmes et des jeunes filles ont été agressées chez elles, dans les champs ou alors qu'elles entreprenaient leurs activités quotidiennes. Beaucoup d'entre elles ont été violées à plusieurs reprises ou ont été victimes de viols commis par plusieurs combattants. Ces viols ont parfois été accompagnés ou suivis de graves blessures, d'actes de torture ou même de meurtres. Ce sont souvent des actes commis en public et devant des membres de la famille de la victime, notamment des enfants. Certaines femmes ont même été violées près des cadavres de membres de leur famille. L'âge des victimes montre qu'il s'agit véritablement d'un climat d'horreur et d'insupportable.

Le viol a été utilisé de manière délibérée et stratégique pour attaquer les valeurs fondamentales de la communauté, afin de terroriser et d'humilier les personnes soupçonnées de soutenir un groupe ennemi et d'imposer la suprématie d'un groupe sur un autre.

En raison des préjugés, de nombreuses femmes ont été abandonnées par leur mari et exclues de leur communauté, ce qui les a condamnées, ainsi que leurs enfants, souvent issus du viol, à une extrême pauvreté. Le système judiciaire est malheureusement réduit à l'impuissance; il n'y a ni justice ni réparation pour les crimes subis. Le climat d'insécurité permanente implique que ces femmes vivent dans la peur de nouvelles attaques ou de représailles si elles venaient à briser le silence pour accuser leurs agresseurs.

Ces constats ne sont pas des cas isolés mais constituent bien une réalité quasi quotidienne et actuelle dans certains villages. Toutes les ONG spécialisées sur la question sont unanimes sur ce point: la situation dans l'est du Congo est peut-être pire que celle actuellement vécue au Darfour.

Au-delà des motivations individuelles, le viol semble avoir été fréquemment utilisé en RDC comme une stratégie délibérée de guerre. Ces actes ont été perpétrés au moins dans certains cas avec l'encouragement ou sur l'ordre de commandants militaires. En ayant recours à la violence sexuelle, les groupes armés ont cherché à déstabiliser les forces qu'ils combattaient en terrorisant et humiliant les hommes, les femmes et les enfants de la communauté à laquelle, croyaient-ils, leurs adversaires appartenaient.

Le viol est également utilisé à titre de représailles contre des personnes, des familles ou des communautés. Cela a parfois conduit les groupes armés à commettre des exactions, notamment des viols, contre des membres de leur propre communauté. Les auteurs de ces viols ont également cherché à attaquer les valeurs fondamentales et la structure sociale de la communauté notamment en humiliant et en rabaissant au maximum la victime et les témoins de ces actes. De nombreux cas font état du viol d'une mère et de ses filles, perpétré devant leur famille, de viols de masse, de viols en public ou de victimes contraintes d'avoir des relations sexuelles avec des membres de leur famille. Des brutalités et des cruautés inimaginables accompagnent souvent ces viols.

Les auteurs de ces violences graves sont des miliciens, des militaires mais aussi des civils. Malgré la dimension spectaculaire du phénomène de la violence sexuelle en RDC, presque aucun auteur présumé n'a eu à répondre de ses actes. Cette situation d'impunité quasi totale encourage la perpétration de nouveaux viols puisque les auteurs de ces actes savent presque à coup sûr qu'ils ne seront pas poursuivis. À la connaissance d'Amnesty International, peu d'auteurs présumés ont été traduits en justice et aucun gradé n'a fait l'objet de poursuites judiciaires ou de mesures disciplinaires pour un viol commis par lui-même ou par des soldats placés sous ses ordres. Seuls quelques cas de viols ont été instruits par des tribunaux militaires.

La guerre a transformé l'est du Congo en une zone de non droit, caractérisée par une défaillance quasi totale du système judiciaire. Dans la plupart des provinces, les juridictions civiles ne fonctionnent plus normalement, et, dans de nombreuses régions, il n'y a même plus de personnel judiciaire, d'avocats, d'officiers de police judiciaire, ni d'enquêteurs. Les institutions judiciaires doivent faire face à une pénurie de moyens financiers, et même de textes de loi essentiels, comme les codes juridiques nationaux. Le personnel judiciaire n'a pas été payé depuis des mois, ce qui ne l'incite pas à remplir sa tâche. Les magistrats ont rarement reçu une formation en droit international et en droits humains. Il y a pénurie de matériel de bureau. Les bâtiments, y compris les prisons et les structures de détention, sont délabrées, ce qui entraîne de fréquentes évasions. Dans tout le pays, le système judiciaire souffre d'un manque d'indépendance. Il est contrôlé ou influencé par les autorités politiques et militaires, y compris par les groupes armés, qui exercent une autorité de facto.

Les victimes rencontrent d'autres obstacles quand elles cherchent à exercer leur droit à un recours effectif, y compris des obstacles d'ordre financier. Il revient en effet aux victimes de payer les frais d'assignation et de procédure, qui sont beaucoup trop élevés pour une majorité de Congolais. Les victimes indigentes n'ont en principe pas à payer ces frais, mais beaucoup ne le savent pas. Cette ignorance est entretenue par le personnel judiciaire qui dépend des frais de justice pour survivre. Par conséquent, il est question d'un cercle vicieux.

Pendant ce temps, certains Congolais tiennent réellement à ce que justice soit faite et à ce que les victimes de viol obtiennent un jour réparation. Ils continuent de rassembler des informations sur des cas de viols et à transmettre des dossiers aux autorités judiciaires.

Amnesty International demande au gouvernement de la RDC et aux bailleurs de fonds internationaux de faire de la reconstruction et de la réforme du système judiciaire une de ses priorités principales. Il est également urgent de répondre aux autres besoins des victimes de viols surtout au niveau médical et dans le cadre de la lutte contre le SIDA. Le gouvernement du Congo doit prendre ses responsabilités afin de prévenir, punir et éradiquer la violence sexuelle.

Il faut en priorité coordonner les efforts aux niveaux national et international afin d'améliorer la sécurité à l'est du pays, notamment en renforçant la présence et le mandat de la force de maintien de la paix des Nations unies dans cette région et en déployant ses unités afin de protéger les femmes dans les zones où elles sont les plus vulnérables aux attaques.

Amnesty international soutient les recommandations présentées dans le projet de résolution et ajoute et insiste sur les points suivants:

— Il faut prendre des mesures pour que les lois, les arrêtés, les règlements et les ordres militaires interdisent la violence contre les femmes et prévoient des peines adéquates pour les auteurs de tels actes. La législation nationale doit être conforme au droit international et aux définitions des délits données par celui-ci, notamment la définition du viol donnée par le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI).

— Il est indispensable d'agir avec plus de vigueur pour mettre fin à l'impunité dont bénéficient les auteurs de viols et pour permettre aux victimes de violence sexuelle d'obtenir réparation devant les tribunaux, dans le cadre d'une réforme plus générale et de la reconstruction du système judiciaire national.

— Il faut donc former les avocats, les magistrats, les officiers de police judiciaire et le personnel judiciaire, et surtout équiper les tribunaux afin que les autorités judiciaires puissent constituer des dossiers sur des cas de violence sexuelle et entamer des actions en justice au nom des victimes.

— Il est impératif de mettre en place des mécanismes de protection des victimes et des témoins dans le cadre des procédures d'enquête et judiciaires et de s'assurer qu'ils ne craignent ni intimidation, ni représailles.

— Il faut promulguer, en ce qui concerne la CPI, des lois pour permettre la mise en œuvre effective du Statut de Rome de la CPI et fournir à la CPI l'aide la plus complète possible dans les domaines de la protection des victimes, des témoins et des enquêteurs de la CPI, de la mise en commun et la sauvegarde des informations, et de la protection des sources au cours des enquêtes, en arrêtant et en livrant sans délai les personnes inculpées par la CPI. Il est important que les responsables de haut niveau sachent qu'un jour, ils auront à répondre de ces actes devant la CPI.

— Il faut également se préoccuper des conditions réservées aux enfants et particulièrement aux jeunes filles et fillettes enrôlées par les forces gouvernementales et les différents groupes armés. Que deviennent ces jeunes filles ? On le sait, très peu passent par les centres de réinsertion. Elles en sont parfois rejetées car le centre est inadéquat pour les accueillir. Que deviennent « les accompagnantes » ? Ces femmes et ces jeunes filles qui étaient les « compagnes-esclaves sexuelles » des combattants et qui n'ont pas été considérées dans le processus de DDR (démobilisation, démilitarisation et réhabilitation), sont maintenant abandonnées souvent avec les enfants issus de viols et rejetées par leur famille, portant la honte sur elles.

Il est impératif de leur offrir un soutien émotionnel, de favoriser leur réinsertion dans la société civile, tant au niveau de l'éducation que de l'emploi. Il est également nécessaire de porter une attention particulière aux besoins des jeunes filles et fillettes souvent désavantagées par la stigmatisation sociale.

Il faut prendre immédiatement des mesures, pour faire cesser les recrutements qui malheureusement continuent encore aujourd'hui et veiller à ce que les jeunes déjà enrôlés ne soient plus directement impliqués dans les hostilités. Il faut que les autorités coopèrent réellement avec les initiatives qui sont prises pour leur démobilisation et leur réinsertion dans les communautés locales. Le processus DDR n'est pas suffisamment efficace actuellement.

Mais il est également important de ne pas négliger le sort des enfants soldats qui ont tué, massacré, commis des viols et autres atrocités souvent sous la contrainte puis qui se sont trouvés pris dans un engrenage. Que deviennent ces jeunes psychologiquement ? Quel avenir s'offre à eux ?

— Le rôle de la société civile locale est conséquent en ce qui concerne la réhabilitation et la réinsertion des victimes. Il est impératif de renforcer ce rôle par un soutien effectif. La réintégration des victimes en dépend.

Enfin, Mme Guillitte insiste sur la nécessité absolue d'évaluer qualitativement et quantitativement toute action et tout projet en cours ou terminé afin de ne pas disperser et gaspiller un soutien et une aide si vitale pour les femmes et la population en général dans ce beau pays.

III.3. Exposé de M. Kris Berwouts, directeur EurAC

M. Berwouts, directeur d'EurAC, le réseau d'ONG européennes pour le plaidoyer sur l'Afrique Centrale, accorde plus d'attention à la violence sexuelle dans le contexte d'insécurité afin de faire quelques recommandations au gouvernement belge.

L'Afrique centrale est marquée par une dynamique régionale très complexe avec des clivages locaux et des conflits nationaux qui ont pris des dimensions transfrontalières. Chaque pays de la région a une situation intérieure compliquée et un passé récent violent, où les contradictions internes se sont polarisées et entremêlées avec celles des pays voisins. À la fin de la guerre froide, cette dynamique régionale s'est accélérée en avalanche meurtrière et destructrice dans les années 90. Lors des deux guerres au Congo (1996-1997 et 1998-2002), la RDC et notamment les provinces du Kivu sont devenues le champ de bataille de « la première guerre mondiale africaine ». La richesse des ressources naturelles congolaises a joué un rôle prédominant dans ces guerres. Le résultat est un état démantelé, une impunité totale et surtout une population martyrisée. Près de quatre millions de personnes y ont perdu la vie: soit le conflit le plus meurtrier depuis la Seconde Guerre Mondiale. Ni la transition, ni les élections, ni la mise en place des institutions n'ont pu ramener la paix et la sécurité au Kivu.

Le gouvernement de transition n'a pas pu terminer le processus de brassage de l'armée. La poursuite de la difficile intégration des forces nationales, ainsi que la mise en place de la police nationale, demeurent pour EurAC des priorités absolues pour le nouveau gouvernement dans son effort de refonder l'État et de rétablir la confiance de la population. La présence continue de groupes armés non-brassés sur le terrain reste la source principale de l'insécurité dont souffre la population.

Le problème du viol en Afrique centrale ne trouve pas ses racines dans les guerres civiles dans lesquelles la région est plongée à partir des années 90, même s'il est certain que ces guerres ont contribué à augmenter cette violence de façon exponentielle. Selon l'intervenant, les violences sexuelles se sont manifestées en trois phases. Dans une première phase, le viol est un dérapage des hostilités qui fait partie du droit du vainqueur. Une milice qui entre dans un village vaincu consomme sa victoire en pillant les maisons, en égorgeant les chèvres, en buvant la bière et en violant les femmes.

Dans une deuxième phase, le viol devient une arme de guerre qui est déployée de manière très systématique contre une communauté, pour la désintégrer et la frapper dans son être le plus vulnérable. Les conséquences physiques, psychologiques et émotionnelles sont très lourdes à supporter pour la victime et sa famille; les stigmates sociaux sont énormes puisque beaucoup de femmes et de filles violées sont rejetées par leur mari ou leur père. La violence sexuelle instaure un climat dans lequel les femmes ne peuvent plus aller aux champs, où les filles n'osent plus aller à l'école. Par conséquent, elle détruit la cohésion sociale et économique de la société.

Dans la troisième phase, au moment où le conflit semble évoluer vers une solution, le viol constitue la seule forme de violation des droits de l'homme qui ne diminue pas. C'est une situation très inquiétante. Ceci signifie que toute cette violence sexuelle a causé un dégât terrible au niveau des valeurs et qu'elle s'est installée pendant le conflit dans la culture même. L'acte sexuel devient quelque chose qu'on prend quand on en sent le besoin, et la femme est réduite à un consommable à jeter après usage. Les auteurs de ces crimes ne sont plus seulement les parties combattantes ou des milices pas toujours identifiables, mais les forces de l'ordre régulières et de plus en plus des acteurs non-armés, comme des membres de familles, des voisins, des amis ou des enseignants. Des filles de plus en plus jeunes sont victimes de viol. Cette tendance est d'ailleurs renforcée par le mythe bien ancré que des rapports sexuels avec une vierge peuvent prévenir ou guérir le SIDA.

Il n'y a pas de solutions rapides aux viols. Un accord de paix ou de cessez-le-feu ne met pas fin à la violence sexuelle. Le Congo doit être soutenu dans la réhabilitation de ses instruments d'État de droit, dont une armée unifiée crédible, performante et disciplinée ainsi qu'un appareil judiciaire qui fonctionne.

M. Berwouts fait quelques recommandations aux sénateurs:

1. EurAC plaide pour la continuation de l'engagement fort de l'Union européenne dans les Réformes du Secteur de Sécurité (RSS) en général et dans l'unification de l'armée en particulier. Il pense qu'il s'agit là d'un dossier primordial: l'État a besoin de ses instruments d'état de droit. Il existe un double problème de cohérence:

a) Cet engagement nécessite une approche commune entre l'UE et ses États membres. En dépit des efforts de concertation et de coordination en matière de RSS, nous constatons que certains projets bilatéraux des États membres (dont la Belgique) ne répondent pas entièrement à la logique et à la démarche collectives. Ceci affaiblit la crédibilité et l'impact de l'engagement de l'UE. EurAC demande à la Belgique de s'inscrire strictement dans les limites de l'approche européenne. Certains pays cherchent une certaine visibilité, ce qui peut être nuisible au niveau de la cohérence de l'engagement commun.

b) De même, la cohérence entre l'approche européenne et l'approche onusienne pose des problèmes: elles ne sont pas compatibles. L'UE travaille dans une vision à long terme alors que la MONUC vise un impact beaucoup plus immédiat. EurAC plaide pour un seul plan d'accompagnement de la part de la communauté internationale sur la sécurité au Congo avec une vision à long terme, une division de tâches claires et une complémentarité entièrement capitalisée entre l'UE et l'ONU. La Belgique en tant que membre de l'UE actif en RDC et membre provisoire du Conseil de sécurité des Nations unies est bien placée pour plaider pour une plus grande cohérence entre l'approche onusienne et l'approche européenne.

2. La communauté internationale a joué un rôle constructif important pendant la transition par un équilibre délicat entre, d'un côté, un soutien loyal et des financements importants, et de l'autre côté, une pression politique sur les différents acteurs qui retardaient le processus. L'Union européenne, dont la Belgique, doit continuer à chercher un nouveau ton, une nouvelle forme et un nouveau contenu pour un dialogue politique structuré entre la RDC et l'ensemble de ses partenaires bilatéraux et multilatéraux afin de contribuer au renforcement de cette démocratie embryonnaire.

3. La polarisation et les confrontations des derniers mois de 2007 ont eu comme conséquence une augmentation importante du nombre de victimes de violences faites aux femmes. Comme l'option militaire pour régler le conflit au Nord-Kivu contient beaucoup de risques de dérapages, il est important que la Belgique s'investisse dans l'identification et la mise en application d'une solution négociée.

4. EurAC se rend compte que la MONUC est un acteur important sur le terrain et aura, certainement à court terme, un rôle indispensable à jouer pour protéger le processus de paix et de démocratisation. Un retrait de la MONUC impliquera une augmentation immédiate de l'insécurité et des violations des droits de l'homme. Pour que la MONUC joue ce rôle de manière crédible, il est important que:

a) elle adopte une attitude beaucoup plus proactive dans la manière dont elle remplit son mandat. EurAC pense que la MONUC ne capitalise pas entièrement les marges de son mandat;

b) elle s'investisse dans une communication beaucoup plus efficace sur son mandat, ses objectifs, son fonctionnement et ses actions. En effet, les populations n'apprécient pas vraiment la MONUC, ce qui l'empêche de bien travailler.

c) elle dispose d'effectifs bien formés, entraînés, équipés et encadrés. Des soldats onusiens venant des pays où l'armée joue un rôle problématique dans le processus de démocratisation dans le pays en question, diminuent la crédibilité de la MONUC. M. Berwouts cite les casques bleus pakistanais;

d) elle fasse preuve d'une tolérance zéro vis-à-vis du comportement de son personnel, surtout dans les domaines de l'exploitation sexuelle et des pillages des ressources naturelles.

5. EurAC plaide pour que les auteurs des violations des droits de l'homme, des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité, des violences sexuelles contre les femmes et du recrutement d'enfants soldats soient identifiés, dénoncés, poursuivis et punis conformément au droit national et au droit international.

6. Le rétablissement de la cohésion sociale et la disparition de la violence sexuelle dans la culture nécessitent le développement d'une nouvelle dynamique communautaire à partir de la base. La société civile en général, et plus particulièrement le mouvement des femmes, aura un rôle clé à jouer. Les organisations de base et leurs réseaux existent, les femmes-leaders également. Avec un peu d'encadrement et des moyens, elles peuvent faire la différence.

III.4. Exposé de Mme Marleen Bosmans, Centre international de santé reproductive (International Centre for Reproductive Health — ICRH)

Les études sur la violence sexuelle et celles visant à améliorer les interventions dans les domaines de l'aide aux victimes et de la prévention de la violence sexuelle constituent une des grandes priorités du Centre international de santé reproductive.

Mme Bosmans souhaite faire part aux sénateurs des résultats d'une étude sur les droits sexuels et reproductifs des enfants en situation de guerre, qui a été réalisée en 2003-2004 pour la Coopération belge au développement. Une étude a été faite sur le terrain, à Kinshasa et Bukavu, à l'invitation du Centre Olame de Bukavu. Les résultats de l'étude ont ensuite été discutés au cours d'un séminaire organisé à Bukavu. Il est impossible d'évoquer la question des droits sexuels dans les zones de conflit sans aborder le thème de la violence sexuelle.

L'intervenante souligne qu'au Congo, la violence sexuelle est souvent assimilée au viol. Or, la violence sexuelle recouvre toutes les formes de service sexuel obtenu par la coercition. Si l'on se base sur cette définition de l'Organisation mondiale de la santé, la violence sexuelle au Congo et la lutte contre la violence sexuelle englobent non seulement la lutte contre le viol, mais aussi la lutte contre toutes les formes possibles d'abus sexuel et d'exploitation sexuelle, la prostitution forcée et les grossesses forcées, l'esclavage sexuel et les avortements forcés.

Au Congo, la violence sexuelle est utilisée comme arme de guerre. Les auteurs d'actes de violence sexuelle risquent donc une condamnation pour crime de guerre et crime contre l'humanité. Mais il faut pour cela que plusieurs conditions soient remplies: il doit être démontré devant la Cour internationale de justice qu'il s'agit d'un recours délibéré, systématique et généralisé à la violence sexuelle comme arme de guerre.

Bien que le Congo vive officiellement en situation de paix, il subsiste des poches de conflit dans l'est du pays. En ce qui concerne l'aide aux victimes et la lutte contre l'impunité, il importe de tenir compte de la relative inefficacité de l'administration congolaise, qui est le résultat d'années de guerre et de corruption. Le système national de santé, par exemple, ne fonctionne presque plus comme il le devrait. Le tableau est identique pour le système judiciaire, à cause de la pénurie de matériel, du non-paiement des salaires et du manque d'effectifs.

Mme Bosmans souligne que le statut juridique, politique et social des femmes congolaises est, lui aussi, incroyablement précaire. Il n'y a pas d'égalité sociale entre les hommes et les femmes. C'est d'ailleurs un des éléments qui expliquent l'augmentation dramatique de la violence sexuelle envers les femmes et les conséquences qui vont de pair.

L'intervenante souligne aussi que la violence sexuelle est utilisée comme arme de guerre au Congo par toutes les parties au conflit, donc tant par les troupes congolaises que par les troupes étrangères. Surtout dans le Sud-Kivu, le recours à la violence sexuelle est le fait des Rwandais. Mais on oublie très souvent — ou on ne veut pas l'admettre — qu'il y a aussi des Congolais qui violent des femmes congolaises. Les Congolais disent souvent que les viols de femmes sont absents de leur culture.

De plus, les violences sexuelles ne sont pas uniquement le fait d'hommes armés en uniforme; des civils (membres de la famille, voisins, amis et sauveteurs) participent également aux viols. D'autres formes de violences sexuelles, comme l'abus sexuel d'enfants ou les agissements de fillettes qui monnaient leurs charmes en échange d'une aide matérielle, sont presque considérées comme des choses normales. L'impunité dont jouissent les auteurs de ce type de violence est la conséquence logique du fait que très souvent, l'identité des auteurs des viols n'est pas connue.

En ce qui concerne les victimes, Mme Bosmans fait une distinction entre les victimes directes et les victimes indirectes. On ne dispose pas encore de chiffres exacts concernant le nombre de victimes directes. Certains viols ont lieu « en public », devant la famille, le village ou la communauté. Ces témoins forcés sont les victimes indirectes, car ils sont eux aussi traumatisés par cette expérience atroce.

L'on a toutefois constaté que les programmes d'assistance dans le domaine de l'aide aux victimes se focalisent souvent sur les victimes directes et beaucoup moins sur l'assistance aux victimes indirectes, la gestion de leur traumatisme et l'octroi à ces personnes d'une aide économique. Cela pourrait être une des causes de la forte augmentation de toutes sortes de violence sexuelle.

Vu le piètre statut qui est dévolu aux femmes, les victimes sont souvent stigmatisées et exclues de leur communauté. Comme le statut de la famille est déterminé en partie par les femmes, une atteinte à l'honneur de la femme éclabousse l'honneur de l'époux et de la famille. La seule possibilité pour la femme de réintégrer sa famille est de s'offrir en victime expiatoire afin de laver l'honneur de ladite famille. Bon nombre de programmes d'aide ne tiennent pas suffisamment compte de cette donnée.

Par ailleurs, on constate une perte générale des valeurs et des normes socioculturelles. D'autres pays, comme le Rwanda et le Burundi, sont également confrontés à ce problème qui a des répercussions considérables sur la population et en particulier sur les femmes.

Mme Bosmans souligne qu'il faut accorder une attention particulière au sort des jeunes filles victimes de viols. Le Congo n'a pas de système de sécurité sociale comme en Belgique. La sécurité sociale des femmes est fortement liée à leur mariage. Les jeunes filles violées n'ont plus la possibilité d'aller à l'école et sont répudiées. Leurs perspectives d'avenir sont réduites à néant, car elles ne sont plus mariables. Leur seule perspective d'avenir est de devenir la maîtresse de quelqu'un ou d'être donnée en mariage à un veuf âgé. L'aide aux victimes ne doit pas se limiter à l'aide médicale et à la lutte contre l'impunité. Elle doit également offrir à ces femmes des perspectives d'avenir à long terme.

Il importe dès lors d'offrir plusieurs types d'aide. Outre l'aide médicale, il faut aussi, d'une part, apporter une aide psychosociale, économique et juridique et, d'autre part, assurer la protection et la sécurité des victimes. Toutefois, il est particulièrement compliqué d'organiser cette aide dans un pays où l'appareil social fonctionne encore mal. Beaucoup d'initiatives d'aide se concentrent sur un ou deux aspects, mais rares sont celles qui proposent une approche globale.

L'intervenante cite l'exemple des victimes répudiées qui vivent dans la rue et qui se prostituent pour survivre. Ce faisant, elles sont à nouveau victimes de violences sexuelles. L'aide s'intéresse rarement à cet aspect du problème: la victime bénéficie d'une aide médicale à l'hôpital, mais il n'est pas tenu compte des facteurs environnants.

Comment un hôpital peut-il organiser l'aide aux victimes s'il reste dépendant de l'aide humanitaire ? L'aide humanitaire est fondée sur une perspective à court terme de 3 à 6 mois au maximum. Un hôpital qui doit fonctionner en permanence avec des budgets de trois mois, ne peut rien planifier à long terme.

En vue de la reconstruction de la société, l'aide psychosociale apportée à la victime et aux membres de sa famille doit avoir le même niveau de qualité que l'aide médicale. L'aide économique est capitale pour les femmes qui ont été répudiées par la communauté villageoise.

La situation est beaucoup plus complexe pour ce qui est de l'aide juridique. L'appareil judiciaire fonctionne encore à peine: on entend beaucoup de beaux discours, mais rien ne bouge. Les auteurs de viols ne sont pas connus de la justice et la classe supérieure de la société est rarement citée à comparaître devant un juge. Dans ce contexte, ne faut-il pas plutôt rechercher d'autres modes d'application du droit ?

Enfin, il faut assurer la protection et la prise en charge des victimes. En effet, les victimes qui peuvent retourner dans leur village sont souvent de nouveau livrées aux exactions des troupes armées. Il convient également de faire comprendre aux communautés villageoises que toute forme de violence sexuelle est à proscrire.

Mme Bosmans souligne pourtant que tout n'est pas négatif. Tant au niveau national qu'international, on est conscient de l'ampleur du problème de la violence sexuelle dans l'est du Congo et de l'aberration qu'il représente. Les autorités congolaises en sont elles aussi convaincues, comme en atteste le fait que la lutte contre la violence sexuelle est devenue une des priorités dans la nouvelle Constitution. Les agences internationales des Nations unies et les ONG locales sont elles aussi actives sur le terrain.

L'intervenante conclut son exposé en présentant quelques grands défis à relever dans le domaine de l'aide. Il convient avant tout d'adopter une approche holistique de l'aide. Ensuite, il faut oeuvrer au renforcement de la capacité locale en se basant sur la culture locale. Des changements doivent intervenir au Congo, aussi bien au niveau de l'aide aux victimes que de la prévention de toute forme de violence sexuelle.

D'autre part, il y a lieu de prendre des mesures de sensibilisation et de conscientisation en vue de lutter contre l'impunité à l'échelle régionale et au niveau des communautés. Enfin, les programmes d'aide doivent s'inscrire clairement dans le processus de conscientisation en matière d'égalité des droits pour les femmes et les enfants.

III.5. Exposé de Mme Maddy Tiembe, Action des Femmes pour le Développement

Mme Tiembe commence par remercier les sénateurs de lui avoir demandé de prendre la parole au nom d'Action des Femmes pour le Développement et de tous les Congolais et les Congolaises qui sont victimes des exactions. Ces personnes — enfants, adolescents, adultes, parents, grands-parents — vivent ou ont vécu dans des conditions abominables et contraires à la dignité humaine.

Depuis plus d'une décennie, le destin de la République Démocratique du Congo a été bouleversé par une tragédie sans nom. Des familles ont été amputées, les cœurs et les corps des fillettes et des femmes ont été mutilés dans le but de leur ôter toute humanité et, par là, de s'attaquer au tissu social et économique du Congo.

Bien que la guerre à l'est du Congo compte parmi les conflits les plus meurtriers depuis la Seconde Guerre mondiale, les médias belges et internationaux ne parlent que très peu des combats qui y font rage depuis le mois d'août 2007 entre la milice de Laurent Nkundabatware et les Forces armées congolaises. Entre 1996 et 2003, cette guerre a coûté la vie à près de 4 millions de personnes. De nombreux civils ont trouvé la mort suite aux combats, sont morts de faim, de déshydratation due à leur longue marche dans la forêt ou ont succombé à diverses maladies (choléra, peste, méningite, malaria, etc.). La situation humanitaire et sanitaire dans ce pays parmi les plus riches du monde en ressources naturelles est catastrophique.

L'on compte aujourd'hui environ un million de personnes vivant avec le VIH. Les Nations unies font état de près de 400 000 réfugiés congolais dans les pays voisins et plus de 1,7 millions de civils obligés de se déplacer pour fuir les combats ou les zones de non-droit à l'intérieur du pays, avec 800 000 déplacés internes dans le Nord-Kivu.

Dans la région de l'est du Congo, les différents groupes armés se livrent à des représailles contre les populations locales. La MONUC a signalé des recrutement forcés d'enfants dans les camps de déplacés. Les centres de santé et les hôpitaux, la société civile ainsi que les hauts responsables des agences humanitaires alertent régulièrement l'opinion congolaise et internationale sur l'ampleur, la brutalité et les conséquences à long terme des viols dans cette région où l'âge des victimes varie entre 3 et 85 ans. Un bébé de 10 mois, violé par les groupes armés, a même été recueilli en avril 2007 dans un hôpital à Bukavu. Des faits de cannibalisme ont également été signalés par les rescapés qui ont pu se soustraire des camps établis dans la forêt où les milices les détiennent arbitrairement.

Mme Tiembe confirme que tant les groupes armés présents dans la région que les forces gouvernementales (soldats congolais ou officiers des services de l'ordre) se rendent coupables de viols. Des cas de violences sexuelles contre des mineures seraient même perpétrés par la MONUC. De plus, l'augmentation des agressions sexuelles perpétrées par des civils constitue un nouveau phénomène. Le programme de DDR (désarmement, démobilisation et réinsertion) comporte donc des faiblesses, surtout au niveau de la réinsertion des démobilisés ainsi que de la cohabitation de ceux-ci avec les populations locales dans un climat de violence généralisée et de circulation d'armes de toutes sortes.

De tous les crimes commis, les crimes sexuels comptent parmi les plus atroces: l'horreur est exacerbée jusqu'à transformer le corps des femmes en arme de guerre.

L'intervenante cite quelques chiffres. En Ituri, où la paix s'est installée plus ou moins durablement, 2 700 cas de viols ont été enregistrés depuis le mois de janvier 2006. Au Sud-Kivu, environ 27 000 cas d'agressions sexuelles ont été recensés. Dans la province du Nord-Kivu, il serait question de près de 2 700 cas. Parmi tous ces cas, 16 % des victimes seraient des enfants. Ce sont essentiellement des femmes et des jeunes filles qui en sont victimes, mais on a aussi compté entre 2 et 4 % d'hommes et de jeunes garçons victimes de ces pratiques. On constate actuellement une hausse significative d'admissions d'enfants dans les centres de santé, suite notamment aux agressions commises par les civils.

À ce jour, presque rien n'a été prévu pour assurer la protection des populations congolaises qui paient un lourd tribut aux conflits armés menés sur leur territoire depuis près de 13 ans. Les petits enfants — filles et garçons — sont enrôlés de force comme porteurs, combattants, espions, esclaves sexuels, petites mains dans les camps, cuisiniers. Des milliers de familles sont obligées de fuir, prises en étau lors des combats. Malheureusement, les habitations, les centres de santé, les hôpitaux et les écoles ont été détruits, brûlés ou pillés. Les familles se trouvent privées d'eau, d'abri et de services de base. Nombreux sont ceux qui doivent fuir une deuxième, voire une troisième fois avec les familles qui les ont accueillis. Ces personnes à la recherche d'un refuge ont souvent été victimes de pillages, d'atteintes à leur intégrité physique ou de violences sexuelles. En outre, le manque d'enseignants et d'accès aux écoles ainsi que des niveaux élevés de violences sexuelles et sexistes sont également signalés dans les camps de déplacés.

Cette violence est une violation généralisée des droits fondamentaux et un obstacle de taille à l'égalité des sexes, au développement et à la paix au Congo. Dans la poursuite des auteurs de viols, la justice congolaise a montré ses faiblesses et rien ne semble être prévu pour venir en aide aux victimes.

La loi sur les violences sexuelles a été promulguée en juin 2006. L'on déplore toutefois sa méconnaissance par les cours et les tribunaux congolais ainsi que sa non-vulgarisation. Seules 6 provinces la mettent en application. En matière de preuve, les avocats et les magistrats congolais déplorent le manque de médecins légistes, en plus de nombreuses autres carences relatives au délai de poursuite imposé par la loi, à la liberté provisoire accordée à l'auteur des violences lorsqu'il paie une caution, au manque de moyens pour ordonner des enquêtes, aux plaintes ainsi qu'au traitement judiciaire qui en découle, ou encore au suivi de la poignée de condamnations obtenues.

À ce jour, seules six condamnations effectives pour viol utilisé comme arme de guerre ont été recensées. Néanmoins, leurs auteurs se retrouvent rapidement dans la nature, après s'être évadés de prison qui se trouve dans un état de délabrement partiel ou total. Au Congo, l'interférence des autorités militaires et politiques dans l'administration de la justice est une pratique fort répandue. Cela n'encourage pas les victimes à porter plainte.

Thomas Lubanga et Germain Katanga — anciens rivaux dans la lutte pour la conquête de la riche province orientale d'Ituri — sont les deux seuls prisonniers congolais transférés à la Cour pénale internationale uniquement pour enrôlement d'enfants soldats, mais pas pour des crimes sexuels, bien que la CPI reconnaisse le viol comme un crime de guerre et un crime contre l'humanité. Elle est le premier tribunal permanent compétent pour juger le génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité. Elle a ouvert en juin 2004 une enquête sur les violences commises dans l'est de la RDC, mais jusqu'à présent le travail est très insuffisant.

Lorsque l'État ne parvient pas à punir les auteurs des violences sexuelles, il s'établit dans la société une impunité qui entraîne d'autres violences. En outre, cela véhicule notamment l'idée que la violence contre les femmes et les filles est acceptable et normale. Il est donc de la responsabilité de l'État congolais de protéger ces personnes contre la violence sexuelle, d'amener les coupables à répondre de leurs actes et d'assurer la justice et la réparation aux victimes.

Par conséquent, Mme Tiembe trouve qu'il est essentiel de mettre en évidence la question sécuritaire, qui est la cause profonde du problème congolais. Elle constitue le prétexte à l'exploitation illégale des ressources naturelles que la RDC possède et au trafic d'armes lié à la présence de différents groupes armés sur le territoire congolais. Cette guerre s'autofinance elle-même. Comme en Angola, où le Mouvement populaire pour la Libération de l'Angola et l'Union nationale pour l'indépendance totale de l'Angola ont profité respectivement du pétrole et du diamant pour financer leur armement, les belligérants au Congo ont les moyens pour financer une guerre longue. Le pillage et l'exploitation illégale des ressources naturelles leur permettent d'acheter des armes et d'attaquer des villages.

Les pays limitrophes de la RDC, tel le Rwanda, continuent à invoquer l'impératif sécuritaire pour brandir le spectre de l'incursion armée sur le sol congolais. L'on estime qu'entre 10 000 et 40 000 hommes sont ainsi arrivés sur le territoire congolais grâce à l'opération Turquoise. Déjà en 1994, Médecins sans Frontières s'est retiré des camps de déplacés en raison de la forte présence d'armes dans ces camps.

Mme Tiembe est troublée par le constat suivant: les milices locales et étrangères présentes sur le territoire congolais consacrent plus de moyens et d'énergie à exploiter les régions minières où elles se trouvent et à terroriser les populations locales qu'à essayer de faire régner la paix. Selon la zone d'occupation, lorsque les militaires et/ou les miliciens n'exploitent pas directement les minerais, ils soumettent les mineurs au paiement d'une taxe. Il en est ainsi tant pour le pétrole du lac Albert que pour la forêt congolaise et les larges étendues de pâturages qui suscitent des convoitises des pays voisins et des multinationales en quête de ressources.

Leurs ambitions ne se limitent pas au pillage de minerais facilement accessibles et commercialisables, comme l'or et le diamant. Le sous-sol de l'est du Congo recèle des minerais utilisés dans l'industrie de pointe comme le niobium et le coltan. Ces minerais rares sont extrêmement résistants au froid et à la chaleur et peuvent être utilisés dans des alliages très ductiles. Leur exploitation et leur commercialisation se trouvent sous le monopole d'une poignée de Congolais, protégés par les militaires et plusieurs compagnies internationales dénoncées dans différents rapports d'experts de l'ONU ainsi que par la commission d'enquête « Grands Lacs » du Sénat belge en 2002.

Pour toutes ces raisons, il paraît primordial de mobiliser l'opinion belge et internationale sur la situation sanitaire et humanitaire en RDC et sur la question des violences sexuelles en particulier. Il faut réveiller les consciences et de saisir l'opportunité de la présence de la Belgique au Conseil de sécurité des Nations unies pour faire des propositions concrètes. De plus, il faudrait veiller à l'application de la résolution 1325 du Conseil de sécurité de l'ONU qui considère les femmes comme des actrices de paix et met les droits humains des femmes à l'agenda des négociations de paix et de la reconstruction post-conflits.

L'AFEDE demande au Sénat belge:

— de mobiliser toute la communauté internationale afin qu'une action concertée soit mise en place pour désarmer et rapatrier ces milices rwandaises arrivées sur le territoire congolais après le génocide de 1994. Cela permettrait déjà d'éliminer une des causes avérées des atteintes à l'intégrité physique des populations congolaises et en particulier des femmes victimes de viols;

— de soutenir la mise sur pied d'un Tribunal pénal international pour le Congo (TPIC), compétent pour juger des faits antérieurs à 2002, ce que la CPI ne peut actuellement pas;

— d'aider à la réhabilitation du pouvoir judiciaire congolais dans ses missions afin de garantir son indépendance dans la mise en application rigoureuse de la loi, notamment en abandonnant la pratique des amendes transactionnelles en matière de violences sexuelles;

— de faire des pressions pour obtenir la sanction de l'action des sociétés occidentales dans l'exploitation et la commercialisation des richesses congolaises tels que repris dans les différents rapports susmentionnés;

— d'engager l'État congolais dans la mise en place d'une agence congolaise pour porter assistance aux personnes déplacées et identifier ceux qui sont hors des frontières. Son rôle sera de protéger les citoyens contre les déplacements arbitraires, tout en garantissant leurs droits pendant les déplacements mais aussi et surtout faciliter le retour volontaire et la réinstallation des familles dans leur milieu;

— d'écouter les femmes congolaises (en diaspora et sur le terrain) afin de les aider à vulgariser la loi sur les violences sexuelles et à financer notamment la création des centres pour femmes et enfants, véritables espaces d'écoute, d'autonomisation et de promotion de leurs droits;

— de favoriser une approche communautaire en vue de lutter contre la stigmatisation des survivantes et le rejet dont elles sont victimes par la société.

Mme Tiembe cite Jens Hesemann, le porte-parole du Haut Commissariat pour les Réfugiés en RDC, qui disait en janvier 2007: « Je crois que les Congolais méritent plus que les tentes en plastique qu'ils avaient reçues durant les dix dernières années: ce qui est nécessaire maintenant, c'est la restauration des services publics avec l'appui des partenaires internationaux car les agences humanitaires seules ne sont pas suffisantes pour résoudre les problèmes ».

Il faut rendre hommage aux survivantes, ainsi qu'à toutes les ONG et associations de terrain qui soutiennent ces victimes traumatisées et blessées ainsi que toutes les familles déplacées. L'AFEDE lance aujourd'hui cet appel à la mobilisation générale de la communauté internationale pour l'éradication des crimes sexuels en RDC. L'année 2008 est celle du soixantième anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme. Il est indispensable de mettre fin aux crimes contre l'humanité.

IV. Échange de vues

M. Dallemagne remercie l'ensemble des intervenants pour leurs témoignages bouleversants. La situation au Congo est totalement intolérable et insupportable. Le Sénat belge devrait prendre l'engagement de ne pas se dessaisir de cette question tant que la communauté internationale n'aura pas avancé considérablement dans la résolution du problème.

En ce qui concerne la sécurité et la paix, le sénateur est convaincu qu'une solution négociée est essentielle. Dans quelle mesure la Belgique, l'Europe et la communauté internationale peuvent-elle contribuer à cette solution négociée ?

Pour ce qui est de la MONUC, il s'agit de l'intervention de paix de la communauté internationale la plus importante actuellement en place. Elle travaille dans le cadre du chapitre 7 de la Charte des Nations unies. La MONUC a un mandat qui devrait lui permettre de bien remplir sa mission. Aujourd'hui, une véritable hypocrisie entoure toutefois la MONUC, qui fait semblant de protéger les civils qui lui font confiance. Il faudrait aborder sérieusement cette question.

M. Dallemagne propose d'avoir une discussion avec le gouvernement belge en matière de stratégie et de sécurité au Congo. Il a déjà été question de l'armée congolaise et des forces armées en général. Certaines personnes qui ont bénéficié de la coopération militaire belge au Congo des dernières années se retrouvent aujourd'hui accusées ou incriminées de violences (sexuelles) à l'égard de la population. Il faudrait établir quelles sont les responsabilités belges dans les stratégies développées pour instaurer la stabilité et la paix au Congo.

Au niveau de l'impunité, certains intervenants ont insisté sur l'importance de la Cour pénale internationale. Dans quelle mesure le recueil des preuves est-il systématisé ? Quel est le véritable statut de la Cour pénale internationale, qui est caractérisé par une véritable prudence quand il s'agit d'incriminer les responsables des actes de violence au Congo ?

En outre, il existe un terrible délabrement moral de la société civile, ainsi qu'une banalisation des violences. Dans ce domaine, il faudrait soutenir le travail de la société civile et des associations de femmes. Les médias ont également un rôle important à jouer dans la reconstruction du droit et des normes. De plus, il est essentiel de poursuivre en urgence avec l'aide aux victimes.

Enfin, M. Dallemagne regrette que les recommandations de la commission d'enquête parlementaire « Grands Lacs » en 2002 n'aient jamais été prises en compte afin de s'attaquer au fondement économique de la guerre au Congo.

Mme Hermans souhaite faire quelques remarques, bien qu'elle soit d'avis que les sénateurs ne trouveront pas la solution miracle pour remédier dans l'immédiat à la situation au Congo. En revanche, elle pense qu'il faut trouver le ciment qui scellera les différentes pierres de l'édifice de la reconstruction, afin de clore le chapitre de cette situation épouvantable. Il y va d'ailleurs de la responsablitité de la Belgique de s'engager pleinement dans le processus de paix, le désarmement et le respect des femmes.

Selon l'intervenante, il est urgent d'évaluer les événements dans leur ensemble et les mesures qu'ils appellent. Elle se dit véritablement choquée d'apprendre que même la MONUC est également pointée du doigt dans les violences. Il n'est donc que normal que la population locale se méfie des Casques bleus.

De même, il faut oeuvrer à l'amélioration du statut social précaire de la femme. Il serait intéressant d'entendre les responsables de la MONUC à cet égard. La sénatrice se demande si la MONUC compte aussi des femmes dans ses rangs et dans quelle proportion.

En ce qui concerne le désarmenent, il convient aussi d'analyser la situation économique.

Aux yeux de Mme Temmerman, il importe que la Belgique continue à stigmatiser le problème de cette « tragédie silencieuse ». D'ailleurs, la santé sexuelle et reproductive, les droits reproductifs et la violence sexuelle figurent également dans la note stratégique de la politique belge de développement.

En sa qualité de présidente de la commission des Relations extérieures et de la Défense, la sénatrice souligne que la sécurité, l'impunité et la MONUC font l'objet d'une grande attention. Le suivi de ces points continuera en commission. Elle demande au comité d'avis pour l'égalité des chances entre les femmes et les hommes de rédiger un avis dans les plus brefs délais.

Mme Temmerman signale qu'une coordination des donateurs est nécessaire. Les efforts consentis par les différents acteurs sont souvent le fruit d'initiatives désordonnées. À cet égard, la Belgique peut tenter de jouer un rôle facilitateur de telle sorte que les actions soient plus concertées.

M. Roelants du Vivier félicite Mme Smet d'avoir pris l'initiative de cette résolution qui amène les sénateurs à se préoccuper d'un phénomène profond qui a lieu depuis un certain temps au Congo et qui est extrêmement préoccupant. C'est un combat de longue haleine dans lequel le Sénat belge doit être un fer de lance. Le rôle que la Belgique joue au niveau des instances européennes et des Nations unies lui permet de maintenir cette préoccupation au premier rang de l'agenda politique international.

Un certain nombre de sénateurs se rendront très prochainement au Congo, dont le Nord-Kivu: ces auditions leur permettent de bien préparer leurs questions aux responsables politiques sur place.

Lors de la réunion de la Commission des Relations extérieures et de la Défense, le ministre de la Coopération au Développement a en outre déclaré que la lutte contre l'exploitation sexuelle et l'utilisation d'enfants soldats était une priorité personnelle.

L'intervenant souhaite obtenir certains éclaircissements. Lors de son intervention, Mme Guillitte a déclaré que des jeunes filles étaient enrôlées par les forces gouvernementales. Il semble qu'elles subissent le même sort que lorsqu'elles sont enrôlées par les bandes armées. Est-ce que cela se poursuit ? Quel est le nombre estimé de ces jeunes filles ? A-t-elle l'impression que la Belgique joue un rôle pour empêcher ou réduire ce phénomène ?

D'après M. Berwouts, certains projets bilatéraux belges en matière de sécurité ne s'inscrivent pas dans les limites de l'approche européenne. Peut-il développer cette affirmation ? De même, M. Berwouts, ainsi que Mme Tiembe, ont parlé du rôle peu positif joué par les soldats de la MONUC. Alors que l'exemple devrait venir de la MONUC, il semblerait que ses soldats commettent également des viols. Est-ce que des chiffres exacts sont disponibles ?

Mme Stevens constate qu'au Congo, la situation ne cesse de se dégrader. En tant que personne handicapée, elle a le sentiment que l'on accorde peu d'attention à la souffrance des personnes handicapées. Le Congo ne dispose, par exemple, d'aucune infrastructure adaptée. L'accès à l'enseignement est déjà difficile pour les enfants qui ne sont pas handicapés, alors que dire de ceux qui le sont, des filles et des garçons atteints de surdité ? Serait-il possible d'en savoir plus à ce sujet ? Les Congolais atteints d'un handicap bénéficient-ils également d'une aide ?

Mme Stevens est d'avis que les femmes atteintes de surdité courent beaucoup plus de risques d'être violées. Elles ont de surcroît un problème de communication. Les prestataires de soins ne pourraient-ils pas être attentifs aussi aux personnes présentant un handicap ?

En outre, il ne faut pas oublier qu'en Afrique, les personnes handicapées font de toute façon l'objet de discriminations. Ce sont des victimes invisibles. Dispose-t-on de chiffres en la matière ?

Mme Tindemans estime qu'il est important que la Belgique respecte pleinement son engagement envers le Congo.

Mme Guillitte précise qu'elle s'est aussi posé la question de savoir pourquoi la Cour pénale internationale se montrait si prudente et ne se saisissait pas du dossier. S'agit-il d'un manque de moyens financiers ? Est-ce une absence de volonté politique internationale ? La Belgique mise à part, la place de ce conflit sur la scène internationale est malheureusement quasi nulle. C'est sur ce point qu'elle a voulu insister: il faut donner les moyens en aidant les victimes, en soutenant les témoins, en incitant la Cour pénale internationale à agir et à intervenir.

Concernant les jeunes filles enrôlées à titre « d'accompagnantes », ce phénomène existe toujours. On les rencontre fréquemment dans les centres d'anciens soldats démobilisés. La Belgique a joué un rôle pour réduire ce phénomène dans la mesure où elle a permis d'organiser certaines formations pour les soldats et les militaires haut placés sur l'aide aux victimes et sur l'interdiction des violences sexuelles. L'intervenante sait de source sûre que ces formations ont eu des effets réels et que les choses bougent sans toutefois pouvoir les quantifier ou les chiffrer.

Mme De Schryver revient sur les viols qui seraient commis par des membres de la MONUC au Kivu: elle estime qu'il s'agit plutôt d'abus sexuels. Les militaires envoyés sur place pour de longues périodes se livrent parfois, pour assouvir leurs besoins physiques, à des actes de pédophilie sur de très jeunes filles qui se prostituent. Une fille qui se livre à la prostitution demande, pour un rapport sexuel, entre 0.2 et 0.5 dollars. Pour ces actes, les troupes uruguayennes et sud-africaines sont les plus ciblées dans la province du Sud-Kivu.

Selon l'intervenante, les troupes pakistanaises ont le comportement le plus respectueux envers les femmes dans le Sud-Kivu. Elles ont toujours prêté leur concours pour lutter contre les abus sexuels et les viols.

Il est donc essentiel d'éviter les amalgames et de déclarer que les troupes de la MONUC violent. Il y a bien des abus sexuels mais généralement avec des prostituées. De plus, lorsque les auteurs d'abus sont confondus, les sanctions sont très sévères: bien souvent, ils sont carrément renvoyés.

M. Berwouts souscrit totalement aux dires de Mme De Schryver: de plus, il faut souligner que l'image de la MONUC auprès de la population congolaise est très négative. Il est clair que beaucoup de Congolais pensent que les troupes de la MONUC violent alors qu'il s'agit d'exploitations sexuelles dont la gravité est moins importante qu'un viol. La terminologie employée est donc très importante.

La MONUC devrait s'inscrire dans un plan d'action à long terme, couplé au renforcement d'une armée performante. Un retrait graduel doit être planifié dans un seul plan d'accompagnement de la communauté internationale. L'Union européenne et la Belgique ont de grandes ambitions à cet égard.

Concernant la cohérence des mesures prises, l'Union européenne a investi beaucoup d'énergie dans l'unification de l'armée. Certains États membres couplent leur engagement européen à des mesures bilatérales avec les autorités congolaises. C'est là que réside le problème de cohérence et d'uniformité en termes de formation et de méthodologie.

L'intervenant craint que ces incohérences, issues des différentes démarches, ne soient encore renforcées à l'avenir vu la difficultés de dialogue entre la communauté internationale et les autorités congolaises. L'on risque ainsi de réduire la volonté politique de certains États membres à venir en aide au Congo et par voie de conséquence, d'augmenter les initiatives bilatérales d'autres états membres.

Mme Tiembe détaille davantage ses affirmations sur les abus sexuels et les viols commis par la MONUC: elle s'appuie en réalité sur une étude de 2007 menée par deux enquêtrices internationales, Mmes Fileau et Plante qui ont fait état de viols sur des mineures de 9 à 16 ans dans le Nord-Kivu. Certains agents de la MONUC auraient fait usage de substances chimiques sur des mineures pour les enlever et s'adonner à des rapports sexuels non consentants.

Dans le rapport international de 2007 cité ci-avant, les deux enquêtrices recommandent d'ailleurs expressément de faire un filtrage efficace dans le recrutement du personnel lors de l'enrôlement des forces de maintien de la paix, que ce soit au Congo ou ailleurs. Elles recommandent aussi que les Nations unies puissent imposer une sanction pénale envers les auteurs de viols avérés.

Mme Bosmans souhaite intervenir à propos de la question des relations sexuelles avec des mineurs. En Belgique, elles sont assimilées à des viols si le mineur n'a pas atteint l'âge légal de la majorité sexuelle. Au Congo, où l'âge légal du mariage est fixé à 14 ans pour les filles, certaines formes de violence sexuelle sont tolérées parce que l'on considère que c'est une manière de fournir un service aux personnes concernées. Les relations sexuelles avec des filles de moins de 14 ans y sont assimilées à des viols.

Le Secrétaire général des Nations unies a édicté des directives claires à l'intention de la MONUC ainsi que des autres organisations des Nations unies et de leurs partenaires. Toute forme de contact sexuel avec la population locale ou avec des collaborateurs de ces organisations est interdite et, par conséquent, punissable. Toutefois, entre les directives sur papier et la réalité, il y a un gouffre.

En ce qui concerne les enfants-soldats, l'intervenante se demande une fois encore dans quelle mesure les donateurs sont prêts à fournir une aide de qualité. Les programmes de démobilisation et de réinsertion des enfants-soldats prévoient un suivi de ceux-ci au sein de leur famille durant une période de trois mois à peine. C'est bien trop court pour remédier en profondeur aux traumatismes subis par ces enfants. Pour cela, il faut un accompagnement à plus long terme et ce, aussi bien pour les enfants que pour leur famille.

Enfin, Mme Bosmans cite les propos d'un jeune garçon qui a séjourné dans un centre de transit pour enfants-soldats démobilisés. Lorsqu'elle lui a demandé s'il connaissait des cas de filles et d'amis qui avaient été contraints d'avoir des relations sexuelles non consentantes, il lui a répondu qu'il est un soldat et que si une fille lui plaît, il la prend. Aborder la problématique de la violence sexuelle dans l'accompagnement visant à réinsérer les enfants dans la société demeure donc une tâche très difficile, y compris dans le cadre des programmes soutenus par les Nations unies.

V. Discussion de l'avis

V.1. Proposition d'avis

Sur la base des auditions et des éléments dont il a eu connaissance à cette occasion, le Comité d'avis a élaboré l'avis suivant:

1. Le Comité d'avis constate que des dizaines de milliers de femmes et de filles ont été victimes de viols et de cruautés sexuelles systématiques, perpétrés par des milices, des rebelles et des forces armées dans le cadre du conflit armé qui sévit dans l'est de la République démocratique du Congo. Les viols et les violences sexuelles y sont délibérément utilisés comme arme de guerre stratégique.

2. Le Comité d'avis prend connaissance du fait inquiétant que la violence sexuelle a entre-temps gagné la population civile et qu'en conséquence, des civils congolais se rendent eux aussi coupables de viols et de violences sexuelles.

3. Le Comité d'avis constate que, dans de nombreux cas, les viols sont commis avec une violence telle qu'ils entraînent de graves mutilations génitales. Les victimes subissent également des traumatismes psychologiques permanents et elles sont en outre très souvent exclues de leur famille et de leur communauté.

4. Le Comité d'avis constate que les victimes directes souffrent d'un manque d'aide médicale immédiate et de secours. Outre l'accompagnement strictement médical, il y a également de grands besoins en matière de soutien psychologique en faveur des victimes et de leur entourage, d'aide judiciaire et d'aide à la réintégration sociale des victimes.

Parallèlement à l'aide médicale directe à court terme, il est indispensable de dégager des moyens suffisants pour le traitement et les soins aux victimes à long terme. Les violences sexuelles ont en effet entraîné une augmentation spectaculaire du nombre de cas de contamination par le virus HIV dans la région du Kivu. En outre, vu le caractère extrêmement violent de nombreux viols, certaines femmes souffrent de graves lésions génitales.

5. Le Comité d'avis constate que les auteurs de violences sexuelles jouissent d'une impunité totale, en dépit du vote de la loi congolaise sur la violence sexuelle en 2006.

6. Le Comité d'avis estime que, eu égard au lien particulier qui unit la Belgique et le Congo et compte tenu du fait que la Belgique siège actuellement au Conseil de sécurité des Nations unies, notre pays peut largement contribuer à l'éradication de la violence sexuelle dans l'est du Congo.

7. Le Comité d'avis appelle le gouvernement belge à inciter le gouvernement congolais à mettre fin aux viols et aux violences sexuelles dans le pays.

8. Le Comité d'avis insiste pour que le mandat formel de la MONUC soit rendu contraignant sur le terrain et que la MONUC protège effectivement la population civile.

9. Le Comité d'avis propose que le gouvernement congolais prenne les mesures nécessaires pour mettre fin à l'impunité dont jouissent les auteurs de violences sexuelles et en appelle à la Belgique et à la communauté internationale pour qu'elles aident le Congo à reconstruire son système judiciaire.

10. Le Comité d'avis estime que la Belgique doit, en collaboration avec l'Union européenne et la communauté internationale, oeuvrer au développement de capacités d'accueil et de possibilités d'encadrement suffisantes pour les victimes et leurs proches. Il y a lieu dans ce contexte de coordonner l'action des pays donateurs afin d'harmoniser les efforts des différents acteurs.

11. Le Comité d'avis espère que les actes d'engagement pour le Nord et le Sud-Kivu, qui ont été signés le 25 janvier 2008, constitueront un revirement et déboucheront à terme sur une paix durable dans l'est du Congo, mettant ainsi fin aux viols et à la violence sexuelle à l'encontre des femmes.

Le Comité d'avis soutient la proposition de résolution relative aux viols et aux violences sexuelles contre les femmes dans l'est de la République démocratique du Congo.

V.2. Discussion

Mme Hermans tient avant tout à remercier Mme Smet d'avoir collaboré à la proposition d'avis. La sénatrice voudrait ajouter au point 11 que les actes d'engagement ont été signés « à Goma ».

À propos du point 7, la présidente remarque qu'il faudrait d'abord demander au gouvernement congolais de reconnaître les viols.

Mme Hermans répond que cela a été fait récemment.

Au point 10, Mme Tilmans est d'avis qu'il faudrait également intégrer « la réinsertion économique des femmes ».

Mme Smet est d'accord avec Mme Tilmans.

Mme Zrihen propose d'ajouter à la fin du dixième point « pour entre autres favoriser l'intégration économique des femmes ».

Outre la réinsertion économique, Mme Tilmans indique qu'il ne faut pas oublier la prise en charge psychologique de la famille. Il faudrait peut-être aider ces femmes à devenir des porte-drapeaux.

Mme Smet propose d'insérer après le point 10 un point 10bis nouveau, formulé de la manière suivante: « Le Comité d'avis constate que les victimes n'exercent généralement plus d'activité économique. Il demande dès lors la mise sur pied de projets de réinsertion économique de la femme. ».

Elle ajoute que les Belges veulent mettre en place des centres de référence pour la réfection des fistules vaginales. Il serait utile de l'indiquer également dans l'avis. La Belgique devrait subventionner de tels centres. Deux ou trois centres se sont déjà portés candidats en Belgique. Cet élément pourrait être inséré à part après le point 4, étant donné qu'il y est déjà question de soins médicaux. Ce point (4bis) serait alors formulé de la manière suivante: « le subventionnement de centres de référence pour la réfection de fistules ».

Mme de Bethune attire l'attention sur le fait qu'il s'agit de centres de référence. En effet, des experts sont déjà présents sur le terrain, mais l'Afrique de l'Est dispose d'un seul centre de référence pour l'ensemble de la région. L'Afrique centrale a également besoin d'un centre de référence pour le traitement et la réfection de fistules. La Belgique doit donc apporter un soutien ou des subventions pour la mise en place d'un ou de plusieurs centres de référence pour la réfection de fistules.

Mme Zrihen est d'avis qu'il faudrait reprendre cette idée au point 10, vu que cela pourrait constituer une collaboration de partenaires entre la Belgique et l'Union européenne.

Mme Smet insiste sur le fait qu'il existe en Belgique deux ou trois centres candidats. Par conséquent, c'est la Belgique qui veut devenir le centre de référence.

Mme Zrihen propose d'ajouter au texte « la chirurgie réparatrice des fistules ».

En ce qui concerne le point 10, Mme de Bethune fait remarquer qu'il faudrait mentionner explicitement le soutien que la Belgique apporte au projet dit FNUAP des Nations unies par le biais de l'aide multilatérale au développement. Il s'agit d'un projet auquel collaborent trois agences des Nations unies: le Fonds des Nations unies pour la population, l'UNICEF et le Haut Commissariat aux droits de l'homme. Cette aide doit se poursuivre.

La sénatrice propose d'ajouter la phrase suivante: « Le Comité d'avis plaide pour que la Belgique continue à soutenir le projet multilatéral des Nations unies FNUAP pour la prise en charge et le soutien des victimes de violences sexuelles. » Pendant le débat sur la violence dans l'est du Congo, organisé lors de la séance plénière du 24 janvier 2008, le ministre de la Coopération au Développement a promis qu'il augmenterait de 2 millions d'euros l'aide apportée par la Belgique. Il est important de répéter la volonté de poursuivre ce projet.

D'autre part, l'intervenante évoque le problème suivant: la mobilisation de moyens importants pour ce projet multilatéral a interrompu le financement de projets de base. Il y a quelques années, la Belgique a par exemple financé le Centre Olame de Bukavu, qui est un foyer d'accueil pour victimes de violences sexuelles. Aujourd'hui, le foyer Olame ne reçoit plus de subventions, ni de la Belgique, ni du projet multilatéral. La majeure partie de l'aide financière est surtout consacrée à la recherche et à la formation, et non aux projets sur le terrain.

Dans le cadre de la coopération bilatérale au développement, il serait donc utile de continuer à soutenir plusieurs projets de base, de même que des projets ciblant les femmes. Mme de Bethune souhaite dès lors ajouter la phrase suivante au point 10: « D'autre part, la Belgique doit aussi continuer à soutenir les projets de base et les projets ciblant les femmes, dans le cadre de la coopération bilatérale au développement. ».

Mme Zrihen est d'avis qu'il faut également inclure les enfants. La situation économique des femmes implique que la situation des enfants devient de plus en plus dramatique. Exclues des réseaux sociaux et familiaux, elles se retrouvent comme seule personne en capacité de pouvoir porter la charge familiale. La sénatrice propose donc d'ajouter à la fin du point 9: « et à soutenir les familles dans toutes leurs composantes ».

La présidente remarque que le point 9 est surtout axé sur le volet judiciaire. Elle propose d'ajouter cela plutôt au point 10.

Mme Hermans trouve que la remarque de sa collègue Mme Zrihen est fondée. Elle signale néanmoins que cet élément est déjà exprimé au point 10 par les mots « pour les victimes et leurs proches ».

La sénatrice Smet propose d'expliciter malgré tout le point 10: « pour les victimes et leurs proches, et en particulier les enfants. »

Afin d'attirer l'attention également sur les enfants, M. Procureur propose de les nommer dès les premiers points (2 ou 3). Il faudrait insister sur le fait que les violences sexuelles ont aussi des conséquences pour les enfants.

La présidente indique que le point 2 fait état de l'extension de la violence sexuelle, notamment par les civils, tandis que le point 3 se concentre plus spécifiquement sur les viols.

M. Procureur dit qu'il est également possible d'ajouter un point après le troisième paragraphe.

Mme Smet insiste sur l'importance des femmes dans cette problématique des viols comme arme de guerre.

Mme Hermans partage l'avis de sa collègue Mme Smet: il faudrait parfois focaliser l'attention sur les enfants plutôt que sur les femmes. Le point 10 a d'ailleurs déjà été adapté dans ce sens.

Mme Zrihen explique pourquoi elle voudrait que l'on inclue également les enfants en plus d'être. Les femmes subissent une double pénalité: elles-mêmes exclues, elles ne sont plus capables d'aider leurs propres enfants.

Mme Tilmans propose de compléter la deuxième phrase du point 3 de la façon suivante: « Les victimes et leurs enfants ... ».

La sénatrice Zrihen remarque qu'au point 8 il est question de la MONUC, à laquelle il est demandé de protéger effectivement la population civile. Lors des auditions, certains témoignages ont associé la MONUC aux violences sexuelles. Il est donc important de le signaler au premier point: « ... des forces armées, dont parfois les forces de la MONUC, ... ».

Mme de Bethune souligne que le point 4 énonce aussi bien un constat qu'une recommandation. Il faut insérer le second paragraphe, ainsi que le point 4bis nouveau, après les constatations. Le second paragraphe du point 4 devient le point 7bis et le point 4bis devient par conséquent le point 7ter.

En ce qui concerne le point 9, un projet belge soutient la restauration de la justice congolaise. La coopération technique belge n'est cependant pas mandatée pour résoudre le problème des crimes de guerre, et donc des viols. D'après l'expert de la CTB sur place, la MONUC dispose actuellement d'un mandat implicite pour constituer des dossiers sur des viols et recueillir des éléments de preuve. Le Comité d'avis devrait donc pouvoir mettre l'accent sur le recueil de témoignages et d'éléments de preuve.

L'intervenante propose de compléter le point 9 de la manière suivante: « ... et que la communauté internationale veille à rassembler les éléments prouvant l'existence de viols systématiques. Il est impératif que les viols systématiques fassent l'objet d'une instruction, pour que justice puisse être rendue ultérieurement. »

Mme Zrihen propose une autre formulation, afin de compléter le point 9: « Il (le Comité d'avis) insiste pour que la Belgique et la communauté internationale aident le Congo à rassembler et à préserver tous les éléments de preuve nécessaires pour un traitement judiciaire utile. »

VI. Avis

Sur la base des auditions et des éléments dont il a eu connaissance à cette occasion, le Comité d'avis a élaboré l'avis suivant:

1. Le Comité d'avis constate que des dizaines de milliers de femmes et de filles ont été victimes de viols et de cruautés sexuelles systématiques, perpétrés par des milices, des rebelles et des forces armées, dont parfois les forces de la MONUC, dans le cadre du conflit armé qui sévit dans l'est de la République démocratique du Congo. Les viols et les violences sexuelles y sont délibérément utilisés comme arme de guerre stratégique.

2. Le Comité d'avis prend connaissance du fait inquiétant que la violence sexuelle a entre-temps gagné la population civile et qu'en conséquence, des civils congolais se rendent eux aussi coupables de viols et de violences sexuelles.

3. Le Comité d'avis constate que, dans de nombreux cas, les viols sont commis avec une violence telle qu'ils entraînent de graves mutilations génitales. Les victimes et leurs enfants subissent également des traumatismes psychologiques permanents et ils sont en outre très souvent exclus de leur famille et de leur communauté.

4. Le Comité d'avis constate que les victimes directes souffrent d'un manque d'aide médicale immédiate et de secours. Outre l'accompagnement strictement médical, il y a également de grands besoins en matière de soutien psychologique en faveur des victimes et de leur entourage, d'aide judiciaire et d'aide à la réintégration sociale des victimes.

5. Le Comité d'avis constate que les auteurs de violences sexuelles jouissent d'une impunité totale, en dépit du vote de la loi congolaise sur la violence sexuelle en 2006.

6. Le Comité d'avis estime que, eu égard au lien particulier qui unit la Belgique et le Congo et compte tenu du fait que la Belgique siège actuellement au Conseil de sécurité des Nations unies, notre pays peut largement contribuer à l'éradication de la violence sexuelle dans l'est du Congo.

7. Le Comité d'avis appelle le gouvernement belge à inciter le gouvernement congolais à mettre fin aux viols et aux violences sexuelles dans le pays.

8. Le Comité d'avis demande au gouvernement belge de dégager des moyens suffisants pour le traitement et les soins aux victimes à long terme. Les violences sexuelles ont en effet entraîné une augmentation spectaculaire du nombre de cas de contamination par le virus HIV dans la région du Kivu. En outre, vu le caractère extrêmement violent de nombreux viols, certaines femmes souffrent de graves lésions génitales.

9. Le Comité d'avis appelle le gouvernement belge à subventionner des centres de référence pour la réfection de fistules.

10. Le Comité d'avis insiste pour que le mandat formel de la MONUC soit rendu contraignant sur le terrain et que la MONUC protège effectivement la population civile.

11. Le Comité d'avis propose que le gouvernement congolais prenne les mesures nécessaires pour mettre fin à l'impunité dont jouissent les auteurs de violences sexuelles et en appelle à la Belgique et à la communauté internationale pour qu'elles aident le Congo à reconstruire son système judiciaire. Il insiste pour que la Belgique et la communauté internationale aident le Congo à rassembler et à préserver tous les éléments de preuve nécessaires pour un traitement judiciaire utile.

12. Le Comité d'avis estime que la Belgique doit, en collaboration avec l'Union européenne et la communauté internationale, œuvrer au développement de capacités d'accueil et de possibilités d'encadrement suffisantes pour les victimes et leurs proches, et en particulier les enfants. Il y a lieu dans ce contexte de coordonner l'action des pays donateurs afin d'harmoniser les efforts des différents acteurs.

Le Comité d'avis plaide pour que la Belgique continue à soutenir le projet multilatéral des Nations unies FNUAP pour la prise en charge et le soutien des victimes de violences sexuelles. D'autre part, la Belgique doit aussi continuer à soutenir les projets de base et les projets ciblant les femmes, dans le cadre de la coopération bilatérale au développement.

13. Le Comité d'avis constate que les victimes n'exercent généralement plus d'activité économique. Il demande dès lors la mise sur pied de projets de réinsertion économique de la femme.

14. Le Comité d'avis espère que les actes d'engagement pour le Nord et le Sud-Kivu, qui ont été signés à Goma le 25 janvier 2008, constitueront un revirement et déboucheront à terme sur une paix durable dans l'est du Congo, mettant ainsi fin aux viols et à la violence sexuelle à l'encontre des femmes.

Le Comité d'avis soutient la proposition de résolution relative aux viols et aux violences sexuelles contre les femmes dans l'est de la République démocratique du Congo.

VII. Votes

L'avis a été adopté à l'unanimité des 9 membres présents.


Confiance a été faite à la rapporteuse.

La rapporteuse, La présidente,
Margriet HERMANS. Dominique TILMANS.