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Sénat de Belgique

Annales

JEUDI 24 JANVIER 2008 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Question orale de M. Josy Dubié au ministre de la Justice sur «les révélations du rapport du Comité R concernant l'affaire Kimyongür» (nº 4-109)

M. Josy Dubié (Ecolo). - Monsieur le ministre, lors de la législature précédente, j'ai, à cette tribune, accusé votre prédécesseur Mme Onkelinx, sur la base du rapport secret d'une réunion de hauts fonctionnaires dont j'avais eu connaissance, d'avoir organisé l'arrestation aux Pays-Bas d'un citoyen belge. J'ai ce rapport sous la main et je puis donc le transmettre à ceux qui seraient intéressés.

M. le président. - Ce rapport est secret, monsieur Dubié.

M. Josy Dubié (Ecolo). - Effectivement, monsieur le président mais, dans ce pays, les secrets finissent toujours par tomber dans les mains de ceux qui peuvent en faire usage pour dénoncer des choses inacceptables.

M. le président. - Une commission parlementaire a été mise sur pied à cet effet, monsieur Dubié. Mais vous n'en faites pas partie et ce document ne devrait pas être entre vos mains.

M. Josy Dubié (Ecolo). - Monsieur le président, si je n'avais pas eu ce document, personne n'aurait eu connaissance de cette affaire. Or, ce dont je parle m'apparaît de plus en plus comme une affaire d'État, et je pèse mes mots.

L'arrestation de M. Bahar Kimyongür a été organisée en vue de l'extradition de ce dernier vers la Turquie où il risquait d'être torturé, voire pire.

Lorsque je l'avais interpellée, Mme Onkelinx m'avait répondu que je disais n'importe quoi.

Il apparaît, aujourd'hui, à la lumière du rapport du comité R dont je dispose, que mes accusations étaient fondées. Elles sont d'ailleurs reprises in extenso et dans les mêmes termes dans le rapport. Une phrase y est toutefois ajoutée : « De nombreux membres de la Sûreté de l'État, qui ont participé d'une manière ou d'une autre à l'opération, ont déclaré lors de leur audition par le service d'enquête R avoir été choqués par la nature de leur mission. Une personne a exprimé son étonnement comme suit : le scénario proposé lors de la réunion du centre de crise était machiavélique. »

J'avais demandé à plusieurs reprises qu'une enquête soit menée par le Comité R sur cette affaire. M. le président s'en souviendra.

Il y a donc bel et bien eu, le 26 avril 2006, une réunion de hauts fonctionnaires en vue de violer la loi, puisque l'extradition d'un citoyen belge, ce qui est bien le cas de M. Bahar Kimyongür, est interdite. Je précise que je ne partage absolument pas les idées politiques de ce dernier, mais il s'agit d'un citoyen belge qui a failli être extradé à partir des Pays-Bas vers la Turquie où, on le sait, la torture est pratiquée.

La réunion secrète à laquelle je fais allusion était présidée par la chef de cabinet adjointe de la ministre de la justice de l'époque, Mme Pascale Vandernacht. Vous sentez-vous solidaire, monsieur le ministre, des décisions qui ont été prises à cette réunion ?

Quelles mesures comptez-vous prendre face à cette violation flagrante d'une disposition légale par des fonctionnaires, violation qui aurait pu entraîner des conséquences dramatiques pour l'un de nos concitoyens ?

M. Jo Vandeurzen, ministre de la Justice. - Il ne m'appartient pas d'être solidaire ou non de décisions prises lors d'une réunion qui s'est tenue à une époque où je n'étais pas ministre de la Justice et à laquelle je n'ai pas participé.

Selon mes informations, cette réunion n'était pas présidée par la directrice adjointe du précédent cabinet de la Justice.

Vous affirmez, monsieur Dubié, que la réunion du 26 avril 2006 a eu lieu en vue de violer la loi, plus particulièrement l'interdiction d'extrader un citoyen belge. Il est exact que la Belgique interdit l'extradition de ses citoyens, même s'il existe des exceptions.

À la lecture du rapport d'activités 2006 du Comité permanent R, en particulier du compte rendu de la réunion du 26 avril 2006, je constate qu'il n'était pas question de violer le principe de l'interdiction d'extradition mais bien d'informer les autorités néerlandaises de l'éventuelle présence de M. Bahar Kimyongür sur leur territoire et de la possibilité de procéder à son arrestation provisoire en vue de son extradition.

Je voudrais toutefois rappeler le contexte de l'époque. M. Bahar Kimyongür avait été condamné à quatre ans d'emprisonnement sans sursis en tant que membre d'une association responsable d'attentats et de participation aux activités d'un groupe terroriste.

Par ailleurs, les autorités néerlandaises nous auraient reproché une absence de communication si nous n'avions rien fait. Il s'agit clairement d'un conflit d'intérêts entre, d'une part, la protection que la Belgique doit assurer à ses ressortissants et, d'autre part, le devoir de communication à l'égard d'un État membre de l'Union européenne avec lequel la Belgique entretient des relations très étroites.

Dans leurs conclusions communes, les comités R et P ont estimé que les services de police belges n'avaient commis aucune faute, qu'il n'y avait eu aucun dysfonctionnement dans leurs actions, que celles-ci s'inscrivaient entièrement dans le cadre légal et réglementaire en vigueur et que la Sûreté de l'État avait un intérêt légitime dans le suivi de M. Bahar Kimyongür.

Ledit rapport constate cependant que les conditions de communication et d'information aux services étrangers ne sont pas définies, ce qui peut mettre la Sûreté de l'État dans une situation difficile lorsqu'elle est obligée de collaborer avec ces services. C'est sans doute là que se situe le noeud du problème. Si, comme je viens de le dire, la Sûreté et, plus largement, les autorités belges n'avaient pas averti les autorités néerlandaises de la présence imminente de M. Bahar Kimyongür aux Pays-Bas, celles-ci l'auraient sans doute reproché aux autorités belges.

M. Josy Dubié (Ecolo). - Je remercie le ministre, mais je suis désolé de devoir m'inscrire en faux contre ce qu'il vient de dire.

Je cite une phrase extraite du rapport du comité R : « Er zal door OA3 » - la police antiterroriste - « en het Federaal Parket contact opgenomen worden met de Nederlandse autoriteiten teneinde hen te wijzen op de eventuele aanwezigheid van Kimyongür in Nederland en de mogelijkheid betrokkene aan te houden op basis van de Interpolseining van de Turkse autoriteiten ter fine van voorlopige aanhouding met het oog op zijn uitlevering naar Turkije ».

C'est écrit noir sur blanc dans le rapport. Je maintiens donc mon point de vue, il s'agissait bien de livrer notre concitoyen aux Pays-Bas en vue de son extradition vers la Turquie. C'est totalement inacceptable.

Enfin, je m'inscris en faux lorsque vous dites que la réunion n'était pas présidée par Mme Vandernacht. Je vous lis ici la première phrase du rapport : « Deze vergadering heeft plaats op initiatief van het Kabinet Justitie. De ADCC stelt haar infrastructuur ter beschikking om een coördinatie mogelijk te maken. De voorzitter van de vergadering is de Adjunct-Directeur Kabinet Justitie, mevrouw P. Vandernacht ».

Contrairement à ce que vous dites, il y a bel et bien eu coalition de fonctionnaires pour envisager la possibilité de livrer à la Turquie l'un de nos concitoyens à partir des Pays-Bas.