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21 DÉCEMBRE 2007
La présente proposition de loi vise à interdire une pratique indigne d'une démocratie comme la nôtre: l'enfermement d'enfants en centres fermés.
Pour les auteurs de cette proposition, il est plus que nécessaire de lancer en Belgique aujourd'hui un grand débat global et structurel sur le concept de migration, afin d'élaborer une politique d'avantage novatrice et cohérente en la matière. Dans ce cadre, le principe même d'existence des centres fermés devrait selon nous être remis en cause. Les auteurs de cette proposition estiment qu'il y a en tout état de cause urgence à légiférer sans délai afin que la Belgique se conforme aux accords internationaux qu'elle a signé et qu'enfin cesse le scandale qui consiste actuellement à enfermer derrière les grilles des centres fermés des mineurs d'âge, au mépris de leur bien-être et de leur développement psychologique.
Le cas récent de la petite Angelica a remis à la une de l'actualité cette triste problématique, mais ce sont bien des centaines d'enfants qui ont été directement concernés au cours des dernières années. Autant de parcours si peu connus ou reconnus et qui devraient toutefois faire réfléchir aujourd'hui les membres de notre honorable assemblée.
En 1999 déjà, à la demande du tribunal de première instance de Bruxelles, le Centre de guidance de l'ULB (1) avait étudié le cas des enfants détenus en centres fermés. La conclusion était sans appel: la détention d'un enfant au motif de la situation administrative de ses parents n'est pas acceptable et peut s'assimiler à de la « maltraitance psychologique ». Ainsi, le rapport énumérait les nombreux symptômes observés chez ses enfants (énurésie, eczéma, déprime ...) qui étaient apparus en raison des « seules conditions de vie des centres fermés ». Il montrait comment l'identité familiale est « ébranlée par l'échec, la culpabilité, l'absence d'avenir envisageable ». Les conséquences de cet enfermement sur le développement de l'enfant sont considérées comme « inévitables ».
Malgré la prise de conscience temporaire qu'a entraîné ce rapport, le gouvernement a persisté dans sa dangereuse confusion entre politique d'asile et politique de gestion des flux migratoires. L'enfermement était pensé avant tout comme une mesure dissuasive: « il faut montrer clairement que la détention est possible pendant toute la durée nécessaire à l'expulsion. Ce signal doit être clair si l'on veut que la politique d'éloignement soit crédible » (2) . Pourtant, pour être conforme au prescrit de l'article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, tel qu'interprété par la Cour européenne des droits de l'homme dans l'arrêt Amuur/France, la législation en cette matière doit n'autoriser la détention qu'aux seules fins admises par la convention, à savoir: l'éloignement du territoire (3) .
Ce cas de figure n'est évidemment pas applicable aux demandeurs d'asile, quel que soit leur mode d'entrée sur le territoire. En effet, les détenir en vue de leur expulsion alors qu'ils sont en cours de procédure équivaudrait à préjuger des suites réservées à leur demande d'asile. Ce paradoxe se comprend facilement, par analogie avec le principe de la présomption d'innocence qui prévaut en matière de détention préventive. Cette analogie reste toutefois limitée; en effet, les demandeurs d'asile ne peuvent se voir reprocher aucun type d'infraction à la loi. Il faut au contraire bien comprendre que les personnes qui se déclarent réfugiées dans les délais prescrits et demandent l'asile sont en séjour régulier jusqu'à ce qu'il soit statué sur leur demande (4) .
L'allongement de la durée de détention avait aussi pour objectif d'inciter l'étranger détenu à collaborer avec les autorités belges et étrangères à son propre rapatriement: « il faut faire comprendre qu'un étranger qui refuse toute collaboration avec les autorités compétentes ne sera pas récompensé par une libération » (5) .
La Cour constitutionnelle considère toutefois que l'absence de collaboration de l'étranger ne peut justifier une prolongation de la privation de liberté, et que le principe de prolongations illimitées en nombre des mesures de détention ou de maintien en un lieu déterminé d'étrangers constitue une atteinte disproportionnée à la liberté individuelle (6) .
En outre, ce raisonnement aboutissant à placer en détention en centres fermés les étrangers demandeurs d'asile, ne prend pas en compte le fait que les demandeurs d'asile ont connu dans leur pays d'origine des expériences traumatisantes. Ils sont dès lors placés devant un choix impossible: retourner d'où ils viennent au risque de subir des traitements inhumains et dégradants, ou être placés en détention en centre fermé.
Six ans après cette étude du Centre de guidance de l'ULB (avril 2005), c'est à une situation semblable qu'a réagi le CIRE, en dénonçant la présence de nombreux enfants dans les centres fermés (une quarantaine à l'époque, répartis dans les centres 127 et 127bis). En juin 2003, à son entrée en fonction, le gouvernement Verhofstadt II avait déclaré que « ne seront plus accueillis dans les centres fermés à la frontière des mineurs non-accompagnés qui demandent l'asile à la frontière ». Cette pratique est pourtant restée d'application.
Le 27 mai 2005, une série d'associations (CIRE, VWV, JRS, Aide aux Personnes Déplacées, Centre Social Protestant, Caritas, Service Droit des Jeunes, la Ligue des Droits de l'Homme et le MRAX) ont voulu alarmer les parlementaires à propos de cette question et ont organisé une visite parlementaire au centre 127bis. Ce fut l'occasion pour le Délégué général aux droits de l'enfant de la Communauté française de souligner à nouveau la position prise dans son rapport (7) , selon laquelle « le 127bis n'est pas un lieu adapté au bien- être et au bon développement d'un enfant, et que donc aucun enfant ne devrait s'y trouver ». Il mettait d'ailleurs en garde contre l'éventuelle séparation des enfants de leurs parents comme « solution » à cette problématique.
La rencontre avec ces enfants privés soudain de scolarité (un droit constitutionnel), enfermés entre barbelés et vigiles et soumis à un régime carcéral strict (horaire de promenade, ambiance stressante et déprimante ...) ne manque pas d'émouvoir. Ainsi comme l'affirme le CIRE, « il suffit d'imaginer le parcours de ces enfants pour percevoir le non-sens que représente leur enfermement. De l'humiliation des parents au moment de l'arrestation, surtout lorsque l'enfant est « récupéré » à l'école, à la détention en tant que telle, le traumatisme est profond. Dans les centres fermés, au fil des semaines, on voit les enfants s'user, devenir taciturnes, perdre l'envie du jeu et de la découverte ... Le centre fermé abîme chaque année la vie de centaine d'enfants, sans que personne ne s'en émeuve » (8) .
Pourtant, malgré l'indignation collective qui a suivi cette visite, rien n'a changé; la politique délibérée du gouvernement est restée celle d'un recours systématique à l'enfermement des familles.
La recherche d'alternatives n'a pas non plus semblé être une priorité. Pire même, l'arbitraire des décisions de placement en centre fermé montre que ces centres ont avant tout une fonction symbolique: témoigner de la « dureté » de la politique d'asile et décourager des candidats à l'exil vers la Belgique. Il ressort de plusieurs auditions effectuées par la commission de l'Intérieur du Sénat, préalablement à la rédaction de son rapport sur la politique gouvernementale à l'égard de l'immigration, qu'un « arbitraire absolu » (...) se manifeste en ce qui concerne le choix des personnes à détenir.
Il n'y a en effet aucune répartition des illégaux en catégories, selon un degré de priorité. Il en découle que c'est le fait du hasard qu'un tel se retrouve enfermé, tandis qu'un tel autre, qui se trouve dans les mêmes conditions, est libéré lorsqu'une rafle s'opère. » (9) .
On sait que les conditions de détention en centres fermés ont valu à la Belgique plusieurs condamnations et rapports défavorables d'instances comme le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations unies (10) , Amnesty International (11) , le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (12) ou encore la Fédération internationale des droits de l'homme (13) .
Le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations unies adressa une lettre aux partis politiques en mai 2007 recommandant que « l'enfermement des demandeurs d'asile n'est en tout cas pas souhaitable, surtout lorsqu'il s'agit de personnes vulnérables notamment d'enfants, de mineurs non accompagnés ou de personnes ayant besoin de soins médicaux ou psychologiques (...) » (14) .
L'article 3 de la Convention internationale des droits de l'enfant stipule que « dans toutes les décisions qui concernent les enfants, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale » (15) . Cette notion d'intérêt supérieur de l'enfant doit donc bien être centrale dans l'approche politique de la question de l'enfermement des enfants. Et en l'occurence, les témoignages et prises de position qui dénoncent le caractère inacceptable de la politique menée aujourd'hui en la matière se multiplient depuis plusieurs années dans notre pays.
Dans son tout récent rapport intitulé « Le coût humain de la détention. Centres fermés pour étrangers en Belgique », Médecins Sans Frontières identifie des catégories de personnes qu'il est « impossible de maintenir en détention », que ce soit pour raisons médicales ou psychologiques. Les enfants se retrouvent dans cette catégorie, au même titre que les patients souffrant de maladies graves et les femmes enceintes.
Les équipes de MSF ont examiné au cours de l'année écoulée des enfants souffrant de troubles divers allant de la psychose aux troubles développementaux, anxio-dépressifs et d'adaptation. Des cas de retards mentaux, de pensées suicidaires et une tentative effective de suicide ont aussi été constatés.
Dans 60 % des cas, les problèmes psychiques observés étaient directement liés à la détention et au stress qui en découle. MSF explique ce taux élevé comme suit: « Les enfants ont besoin de contacts avec d'autres enfants de leur âge, et ont besoin d'aller à l'école: deux choses quasi impossibles dans les centres fermés. Les enfants y sont plus dépendants encore des parents, ont des comportements régressifs, sont moins curieux et dépérissent d'ennui. (...). Un problème supplémentaire est celui de la forte dilution du rôle parental. Les parents ont pour tâche d'éduquer leurs enfants, de leur inculquer les valeurs et de mettre des limites à leur comportement. Élever des enfants dans ces centres est une tâche impossible. Le parent n'est plus « le chef ». Ce rôle est transféré sur le personnel qui indique aux parents ce qu'ils peuvent et ne peuvent pas faire au sein du centre. (16) »
Dans son rapport « Heen en retour, kinderrechten op de vlucht » (17) , la Commissaire flamande aux droits de l'enfant, Ankie Vandekerckhove formule une série de recommandations afin d'améliorer le sort des enfants sans papiers dans notre pays. La toute première de ces recommandations concerne l'enfermement des enfants qui est à proscrire, vu les conditions de vie abominables dans les centres fermés où les enfants souffrent souvent de maladies psychosomatiques (dépression, apathie, chute de cheveux ...). La Commissaire s'oppose également à toute possibilité d'aménagements spécifiques des centres fermés visant à améliorer les conditions d'accueil des enfants dans la mesure où il est pour elle tout bonnement inconcevable que des enfants se retrouvent enfermés.
Le 8 août 2007, c'est le Délégué général aux droits de l'enfant francophone, Claude Lelièvre, qui était tout aussi explicite dans le rapport rédigé suite à la visite du Centre 127bis le 28 juillet dernier puisqu'il y affirme: « Je maintiens que l'établissement fermé 127bis n'est pas un lieu adapté au bien-être et au bon développement d'un enfant, et que donc aucun enfant ne devrait s'y trouver » (18) .
Enfin, la récente étude réalisée par SumResearch à la demande de l'Office des étrangers et portant sur les alternatives à la détention des familles avec enfants dans les centres fermés précise aussi clairement dans son introduction que « le principe de départ est que l'on n'enferme pas un enfant. Il existe une très grande indignation éthique face à la détention d'enfants, et il existe un consensus social qui ne tolère pas la détention des enfants. Tant du point de vue des droits de l'enfant que de son bien-être, la détention est difficile à justifier ». SumResearch dénonce aussi le fait que « sur la base de l'étude, (...) la détention d'enfants est actuellement pratiquée de manière plutôt arbitraire (...) ». Les auteurs de l'étude précisent et rappellent enfin que selon eux tout doit être mis en œuvre pour éviter que des enfants soient enfermés et précise qu' « il s'agit là non seulement d'un devoir moral, mais aussi d'une conviction fondamentale: enfermer un enfant en raison de l'illégalité du séjour de ses parents est disproportionné et néfaste pour l'épanouissement de cet enfant » (19) .
Aujourd'hui, ce sont donc des organismes officiels, des conventions internationales, des ONG mais aussi des médecins et des avocats qui attendent de l'État belge qu'il mette un terme à l'indigne et à l'inacceptable: des situations d'enfermement préjudiciables au bien-être et au développement d'enfants innocents.
Carine RUSSO Guy SWENNEN Freya PIRYNS. |
Article 1er
La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.
Art. 2
Un article 74/9, rédigé comme suit, est inséré dans la loi du 15 décembre 1980 relative à l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers:
« Art. 74/9 — Aucun mineur, au sens de la Convention relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989, ne peut être placé ou mis en détention en application d'une disposition de la présente loi.
Les mineurs ne peuvent en aucun cas être séparés de leurs parents sur base d'une disposition de la présente loi. ».
27 novembre 2007.
Carine RUSSO Guy SWENNEN Freya PIRYNS. |
(1) Rapport d'expertise dans l'affaire Awada/État belge, élaboré par le Centre de guidance de l'ULB le 24 septembre 1999.
(2) Réponse du ministre de l'Intérieur, Doc. Chambre, nr. 364/7-95/96, p. 30.
(3) S. Saroléa, « La jurisprudence récente de la Cour européenne des droits de l'homme en matière d'éloignement et de détention des étrangers au départ de l'arrêt Chahal », Revue du Droit des Étrangers, 1997, n° 92, p. 27 et S. Saroléa, « Contrôler la détention des étrangers en séjour irrégulier: comment et pourquoi ? », Revue du Droit des Étrangers, 1997, n° 93, p. 207.
(4) J.-Y. Carlier et S. Saroléa, « L'érosion du droit des étrangers. À propos des avant-projets de loi modifiant la loi du 15 décembre 1980, plus particulièrement en matière d'asile », Revue du Droit des Étrangers, 1995, p. 356.
(5) Discussion générale, Doc. Chambre, n° 364/7-1995/1996, p. 71.
(6) C. Arb. n° 43/98, 22 avril 1998, JLMB, 1998, p. 884 à 900.
(7) Délégué général aux droits de l'enfant, groupe de travail relatif à la détention des mineurs, accompagnés et non accompagnés, dans les centres fermés pour étrangers en situation illégale, rapport — recommandations, 15 décembre 1999.
(8) Les centres fermés ne sont pas un jardin d'enfants, Carte blanche publiée dans La Libre Belgique, 23 mai 2005 pour le CIRE.
(9) Audition de M. Cornil, directeur adjoint du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme, 6 octobre 1999.
(10) Voir La Libre Belgique, 9 décembre 2005.
(11) Vincent Forest, président, Détention d'enfants mineurs au centre 127bis: lettre au ministre de l'Intérieur du 23 décembre 2005. Rapport annuel 2004, nombreuses notes mensuelles d'actualité en matière d'asile.
(12) Rapport du 18 juin 1998 suite à des visites dans 22 lieux de détention effectuées en septembre 1997.
(13) « Les centres fermés: l'arrière cour de la démocratie », Rapport sur la situation des étrangers et en particulier des demandeurs d'asile retenus dans les centres fermés, mai 1999.
(14) Note adressée aux partis politiques concernant la protection des réfugiés, bénéficiant de la protection subsidiaire et des apatrides en Belgique, UNHCR, mai 2007.
(15) Convention internationale des droits de l'enfant, adopté par l'Assemblée générale des Nations unies, novembre 1989.
(16) « Le coût humain de la détention. Centres fermés pour étrangers en Belgique », Rapport publié par MSF en septembre 2007, p. 28.
(17) Voir I, 2 octobre 2007.
(18) Rapport suite à la visite du centre 127bis du 28 juillet 2007 du Délégué général de la Communauté française aux droits de l'enfant, 8 août 2007.
(19) « Étude portant sur les alternatives à la détention de familles avec enfants dans les centres fermés en vue de leur éloignement », SumResearch, avril 2007, p. 19.