4-383/1

4-383/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2007-2008

12 NOVEMBRE 2007


Proposition de loi modifiant la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur et la loi du 11 mars 2003 sur certains aspects juridiques de la société de l'information, en vue d'améliorer les dispositions protectrices des jeunes consommateurs

(Déposée par M. Georges Dallemagne et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition de loi reprend le texte d'une proposition qui a déjà été déposée au Sénat le 19 janvier 2006 (doc. Sénat, nº 3-1518/1 - 2005/2006).

La présente proposition de loi a pour objet d'insérer, dans la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur, des dispositions relatives à la publicité faisant référence aux fêtes enfantines et des dispositions visant à protéger les consommateurs mineurs en général.

En outre, la proposition instaure une prohibition stricte de toute publicité personnalisée adressée par courrier à un mineur de moins de 12 ans. Elle modifie également la loi du 11 mars 2003 sur certains aspects juridiques de la société de l'information, afin d'interdire la publicité par voie de courrier électronique à l'égard des mineurs de moins de 12 ans.

Dans une société où la consommation se voit assigner pour objectif majeur de maintenir le dynamisme du système économique, la publicité occupe une place centrale. Les enfants et les jeunes constituent un public cible faisant l'objet d'une grande attention de la part des annonceurs. Or, certaines publicités s'adressent davantage à l'enfant qu'à ses parents, sachant que le premier orientera le choix d'achat du second. Face à ces stratégies publicitaires prenant pour cibles directement ou indirectement des consommateurs mineurs, il nous apparaît important de compléter les dispositions en matière de publicité de la loi sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur.

Dans le rapport d'évaluation du 27 juin 2001 du Conseil de la Consommation relatif à la « période des fêtes enfantines », les organisations de consommateurs, présentes au sein du conseil évoquaient ce phénomène: « Les pressions commerciales exercées sur les enfants sont de plus en plus fortes, d'autant que les formes déguisées de publicité se multiplient. Les enfants sont en effet une cible de choix des spécialistes du marketing, car ils représentent un potentiel commercial énorme: d'une part, ils constituent un marché à part entière car ils ont de l'argent à dépenser pour satisfaire des besoins et des désirs qui leur sont propres, d'autre part, ils constituent un marché de prescripteurs car ils orientent les décisions d'achats du ménage. Enfin, les enfants constituent un marché futur car ils finiront à leur tour par acheter leurs propres produits et services » (1) . Du fait de cet attrait du « trois en un », les spécialistes du marketing considèrent le marché des enfants comme celui dont le potentiel est le plus important.

Les communications de marketing adressées aux enfants ne se limitent plus à la publicité à la télévision ou dans d'autres médias (magazines, journaux et radios). D'autres techniques permettent de cibler les enfants avec beaucoup plus de précision: émissions télévisées ou magazines pour enfants, clubs d'enfants créés par les fabricants, gadgets en série « offerts » à l'achat d'un produit, marchandisage basé sur un personnage, création d'une gamme de produits associée à un film, concours et loteries, parrainage des émissions ou événements pour enfants, publi-reportages dans les magazines pour enfants, marketing à l'école (valisettes « pédagogiques », jeux « scientifiques », échantillons gratuits, distributions de dépliants publicitaires, sponsoring de matériel scolaire, raccordement gratuit à l'Internet, ordinateurs gratuits, séminaires pour professeurs dans des hôtels très prisés, ...), marketing à distance (télé-achat, publipostage, téléphone, Internet, ...), etc. »

La loi sur les pratiques du commerce constitue l'arsenal réglementaire applicable en matière de publicité. Force est toutefois de constater que rien n'existe dans cette loi en vue de protéger les mineurs contre des pratiques publicitaires et/ou marketing douteuses. Il nous semble que cette question de la publicité et du marketing à l'égard des jeunes ne peut être uniquement laissée à l'autorégulation des différents secteurs économiques (banques, grande distribution, ...) mais que le cadre minimal doit être inscrit dans la loi sur les pratiques du commerce. Une telle réglementation protectrice des jeunes consommateurs correspond aux revendications de plusieurs associations de consommateurs dont celles de Test-Achats.

En vue de combler cette lacune, la présente proposition de loi intègre dans la loi sur les pratiques du commerce (LPC), les critères minimaux auxquels les messages publicitaires doivent répondre afin de ne pas causer préjudice aux mineurs (article 3 introduisant un article 23ter dans la LPC). Il importe, en effet de s'assurer que les publicités s'adressant aux enfants excluent tout risque de tromperie et que leur présentation soit claire, loyale et suffisante en termes d'information quant aux offres commerciales qu'elles véhiculent et aux objectifs économiques auxquels elles répondent. Les critères repris dans la présente proposition sont une transposition de la plupart des critères dégagés par le Conseil de la Consommation dans son avis « sur la publicité et le marketing bancaire à l'égard des jeunes » du 28 avril 2004 en vue d'être intégrés dans le Code de conduite de l'Association belge des banques. En outre, la présente proposition renforce les obligations d'information à l'égard du consommateur mineur d'âge « compte tenu de son âge et de son inexpérience » (article 5 complétant l'article 30 de la LPC).

Eu égard à une dérive qui ne fait que s'amplifier, consistant en l'étalement dans le temps manifestement abusif, des campagnes publicitaires précédant certaines fêtes annuelles, il apparaît nécessaire de réglementer les périodes au cours desquelles ces campagnes peuvent être menées (voir l'article 2 introduisant un 15º à l'article 23 de la LPC). Cette nécessité de légiférer en cette matière ressort du succès mitigé du mécanisme d'autorégulation du secteur de la distribution par rapport à cette problématique (2) .

Les mineurs sont régulièrement sollicités par la voie de courriers non sollicités qui leurs sont adressés soit par courriers ou e-mails personnalisés. De telles démarches commerciales agressives posent particulièrement problème quand elles prennent pour cible des enfants de moins de 12 ans qui n'ont pas encore atteint une pleine capacité de discernement et qui donc peuvent ne pas apprécier correctement le caractère publicitaire de tels messages. Il apparaît donc nécessaire de légiférer sur ce point.

La présente proposition instaure une prohibition stricte de toute publicité personnalisée adressée par courrier à un mineur de moins de 12 ans (voir l'article 2 introduisant un 16º à l'article 23 de la LPC).

Afin d'éviter la sollicitation des mineurs de moins de 12 ans par voie de courrier électronique, la présente proposition instaure une prohibition stricte de toute publicité par courrier électronique à leur intention (voir l'article 6). Ceci aura pour effet de faire échapper ce cas de figure au régime dérogatoire instauré par l'arrêté royal du 4 avril 2003 instaurant une dispense de l'obligation de recueillir le consentement préalable à l'envoi de publicités par courrier électronique. Cette exception au régime dérogatoire va de soi puisqu'un mineur âgé de moins de 12 ans ne dispose pas du discernement pour consentir à l'envoi de mailing par courrier électronique, tel que l'exige l'article 14 la loi du 11 mars 2003 sur certains aspects juridiques de la société de l'information.

Pour mémoire, il est rappelé que par application de l'article 1123 et 1124 du Code civil, les mineurs ne disposent pas de la capacité juridique qu'à partir de 18 ans. Ils ne peuvent donc en principe contracter qu'à partir de 18 ans, exception faite des opérations liées à l'épargne visées par la loi du 30 avril 1958.

En vue de permettre une meilleure prise en compte des intérêts des consommateurs mineurs d'âges, la présente proposition de loi crée également une commission d'avis ad hoc au sein du Conseil de la Consommation (article 4), chargée d'émettre des avis et des recommandations au sujet de la protection des consommateurs mineurs d'âge et rédiger un rapport annuel sur ses activités.

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 2

L'article 23 de la loi sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur contient les formes de publicités interdites. La disposition proposée y ajoute un 15º et un 16 o.

La première disposition proposée (nouvel article 23, 15º) vise a restreindre l'étalement dans le temps des campagnes publicitaires engagées par rapport à certaines fêtes. Les événements concernés sont les fêtes d'Halloween, de Saint-Martin, de Saint-Nicolas ainsi que Pâques et Noël. Elle prévoit que les campagnes publicitaires faisant référence à ces fêtes ne pourront plus se dérouler avant le vingt-et-unième jour précédant l'événement. Pour Noël, les campagnes publicitaires sont autorisées à partir du 7 décembre, soit un délai légèrement plus court afin d'éviter le chevauchement avec les campagnes de Saint-Nicolas.

La second disposition proposée (nouvel article 23, 16º) interdit la publicité personnalisée adressée par courrier aux mineurs de moins de 12 ans.

Article 3

Cet article intègre dans la loi sur les pratiques du commerce les critères minimaux auxquels les messages publicitaires doivent répondre afin de ne pas causer de préjudice moral ou physique aux mineurs. Ces critères sont inspirés des recommandations du Conseil de la Consommation « sur la publicité et le marketing bancaire à l'égard des jeunes » (C.C. 317 du 28 avril 2004).

Article 4

Cet article crée une commission d'avis au sein du Conseil de la Consommation, chargée d'émettre des avis et des recommandations au sujet de la protection des consommateurs mineurs d'âge. Sa composition partiaire doit permettre d'asseoir ses avis et recommandations sur une large concertation. Cette commission rédige un rapport annuel sur ses activités.

Article 5

Cet article renforce les obligations d'information à l'égard du consommateur mineur d'âge « compte tenu de son âge et de son inexpérience ».

Article 6

Cet article introduit un article 14bis dans la loi du 11 mars 2003 sur certains aspects juridiques de la société de l'information en instaurant une prohibition stricte de toute publicité par courrier électronique adressé aux mineurs de moins de 12 ans. Cette disposition a pour effet de faire échapper ces mineurs au régime dérogatoire instauré par l'arrêté royal du 4 avril 2003 instaurant une dispense de l'obligation de recueillir le consentement préalable à l'envoi de publicités par courrier électronique. Cette modification est rendue nécessaire par la portée générale du régime dérogatoire.

L'infraction à ce nouvel article 14bis est punie des peines visées à l'article 26, § 4, de cette même loi. Ce texte est adapté afin de faire figurer une référence à ce nouvel article.

Georges DALLEMAGNE
Anne DELVAUX
Jean-Paul PROCUREUR
Francis DELPÉRÉE
Marc ELSEN.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

L'article 23 de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur, modifié par les lois du 25 mai 1999 et du 11 mars 2003, est complété par un 15º et un 16º, rédigés comme suit:

« 15º qui fait directement ou indirectement référence aux fêtes d'Halloween, de Saint-Martin, de Saint-Nicolas ou de Pâques ainsi qu'à la rentrée des classes plus de vingt-et-un jours avant la date de chacun de ces événements et, pour ce qui concerne la fête de Noël avant le 7 décembre;

16º qui est adressée nominativement par voie de courrier personnalisé à un mineur de moins de 12 ans. ».

Art. 3

Un article 23ter, rédigé comme suit, est inséré dans la même loi:

« Art. 23ter. — § 1er. La publicité ne peut causer de préjudice moral ou physique aux mineurs et doit dès lors satisfaire aux critères de protection suivants:

1º elle ne peut exploiter l'inexpérience, l'absence de discernement ou la crédulité des mineurs;

2º elle ne peut inciter directement le mineur à persuader son représentant légal ou des tiers d'acheter un produit ou service qui fait l'objet de la publicité;

3º elle ne peut exploiter la confiance particulière inspirée au mineur par son représentant légal ou d'autres figures d'autorité tels les enseignants, ni jeter un discrédit sur l'autorité, la responsabilité ou le jugement de ceux-ci, compte tenu des valeurs sociales généralement admises;

4º elle ne peut suggérer que la seule détention ou utilisation d'un produit ou service donnera au mineur un avantage physique, social ou psychologique sur les autres mineurs de son âge ou que la non-détention de ce produit ou service aurait un effet contraire;

5º elle ne peut présenter des contenus qui pourraient amener des mineurs à reproduire des comportements qui pourraient avoir pour effet de les entraîner dans des situations ou des activités menaçant gravement leur santé ou leur sécurité;

6º elle ne peut présenter des contenus comprenant de la violence gratuite, ni porter atteinte au respect de la dignité de la personne, ni contenir une incitation à la haine ou à la discrimination basée sur le sexe, la religion ou la nationalité ou l'appartenance sociale. ».

Art. 4

Dans la même loi est inséré un article 29ter, rédigé comme suit:

« Art. 29ter. — § 1er. Le Roi crée, au sein du Conseil de la Consommation et aux conditions qu'Il détermine, une commission d'avis chargée d'émettre des avis et des recommandations au sujet de la publicité qui, explicitement ou implicitement, cible des consommateurs mineurs d'âge, de l'étiquetage spécifique des produits et services destinés au consommateur mineur d'âge ainsi que toute autre mesure de nature à assurer la correcte information du consommateur mineur d'âge.

§ 2. Avant de proposer un arrêté concernant la publicité ou l'étiquetage des produits et services destinés à des consommateurs mineurs d'âge en application de la présente loi, le ministre qui a les Affaires économiques dans ses attributions consulte la Commission visée au § 1er. Le ministre fixe le délai dans lequel l'avis de la commission doit être donné. Passé ce délai, l'avis n'est plus requis.

§ 3. Après avis de la Commission et à l'initiative du ministre qui a les Affaires économiques dans ses attributions, le Roi peut imposer un code de déontologie relatif à la publicité qui, explicitement ou implicitement, cible des consommateurs mineurs d'âge.

§ 4. Le Roi détermine la composition de la commission. Celle-ci doit compter parmi ses membres un représentant d'associations de protection des consommateurs, un représentant d'un organisme représentatif du secteur économique de la publicité et des représentants invités des conseils communautaires de l'audiovisuel.

§ 5. Cette commission fait annuellement un rapport de ses activités et en informe le Parlement. ».

Art. 5

L'article 30 de la même loi est complété par un alinéa 2, rédigé comme suit:

« Lorsque le consommateur est mineur, les informations visées à alinéa 1er doivent être adaptées, notamment compte tenu de l'âge du consommateur et de son inexpérience ».

Art. 6

Dans la loi du 11 mars 2003 sur certains aspects juridiques de la société de l'information sont apportées les modifications suivantes:

A. il est inséré un article 14bis, rédigé comme suit:

« Art. 14bis. — L'utilisation du courrier électronique à des fins de publicité est interdite à l'égard des mineurs de moins de 12 ans. »;

B. l'article 26, § 4, est complété in fine par les mots « et 14bis. ».

23 octobre 2007.

Georges DALLEMAGNE
Anne DELVAUX
Jean-Paul PROCUREUR
Francis DELPÉRÉE
Marc ELSEN.

(1) Conseil de la Consommation, Rapport d'évaluation relatif à la période d'attente des fêtes enfantines, 27 juin 2001, p. 8.

(2) Ceci est attesté par la réponse du ministre de l'Économie à une question parlementaire le 6 novembre 2002 en Commission de l'Économie de la Chambre (CRABV 50, COM 867, p. 6) ainsi que par les différents avis et rapports d'évaluation des mécanismes d'autorégulation relatif à la période d'attente enfantine du Conseil de la Consommation (avis no 220 du 27 juin 2000; avis no 249 du 27 juin 2001; avis no 271 du 13 juin 2002; avis no 294 du 19 juin 2003).