4-372/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2007-2008

7 NOVEMBRE 2007


Proposition de loi visant à recourir à de courts stages en entreprises pour lever les préjugés et lutter contre les discriminations à l'embauche

(Déposée par M. Marc Elsen)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition de loi reprend le texte d'une proposition qui a déjà été déposée à la Chambre des représentants le 11 avril 2006 (doc. Chambre, nº 51-2406/001).

1. Contexte

Le marché du travail belge semble rencontrer de grandes difficultés à intégrer certains demandeurs d'emploi, en particulier:

— les personnes d'origine étrangère qui font l'objet de discriminations à l'embauche;

— les jeunes qui manquent d'expérience professionnelle;

— les chômeurs de longue durée qui ne sont plus en phase avec le marché du travail.

En ce qui concerne ces trois catégories de demandeurs d'emploi, la Belgique est plutôt mal située par rapport aux autres pays européens.

Le rapport 2005 de la Banque nationale (pages 78 et 79) met, en particulier, en évidence les difficultés rencontrées dans notre pays par les personnes d'origine étrangère.

Taux d'emploi en 2005 (%) Bruxelles Flandre Wallonie Belgique UE-15
Total 53,9 64,9 56,1 61,0 65,0
Nationaux 55,4 65,4 56,8 61,9 67,0
Autres UE-15 63,2 63,3 54,7 59,8 67,2
Non-UE-15 34,8 44,6 25,8 37,0 55,6

Au sein de la catégorie dite de l'UE15 (c'est-à-dire les 15 pays de l'Union européenne), l'écart moyen entre le taux d'emploi des nationaux (67,0 %) et celui des non-UE15 (55,6 %) est de 9,4 %. En Belgique cet écart s'élève à 24,9 % (61,9 — 37,0) !

On notera aussi que le taux d'emploi, qui est en moyenne de 65,0 % au sein de l'UE15, n'est pour les non-UE15 que de 37,0 % en Belgique et 25,8 % en Wallonie ...

Au niveau du taux de chômage, il est en Belgique environ deux fois plus élevé pour les non-UE15 que pour les belges et autres UE15.

Le chômage en Belgique se décompose comme suit:

— autochtones: 7,1 %

— citoyens UE: 11,7 %

— belges d'origine étrangère: 16,3 %

— turcs et marocains: 36,5 %

— autres citoyens non-UE: 28,3 %

(Source: Steunpunt WAV)

Le niveau de qualification globalement moins élevé des travailleurs non-européens ne peut expliquer la totalité de ces différences. Il apparaît en conséquence clairement qu'un certain nombre de travailleurs non-européens sont victimes de discriminations à l'embauche.

Le gouvernement précédent en était conscient et tentait différentes initiatives ou propositions:

— en décembre 2002, la ministre de l'Emploi, Laurette Onkelinx, pousse les partenaires sociaux à convenir d'une discrimination positive en faveur des jeunes d'origine étrangère, en les comptabilisant pour deux unités dans l'obligation d'engagement de 3 % de travailleurs Rosetta. De nombreux travailleurs, tant allochtones qu'autochtones, estimaient cependant que l'idée du « Rosetta-immigré » était de nature à susciter des sentiments de rejet plutôt que de contribuer à l'intégration des jeunes d'origine étrangère. Ce gouvernement avait prévu de renforcer les réductions ONSS pour les jeunes d'origine étrangère (1000 euros durant 16 trimestres, au lieu de 8);

— en 2005, le ministre de l'Intégration sociale, Christian Dupont, proposait au gouvernement de mettre en œuvre des « tests de situation »; l'idée était d'engager des personnes d'origine étrangère et de les envoyer se présenter dans des entreprises qui recrutent; ces demandeurs d'emploi fictifs seraient censés dénoncer les employeurs montrant des réserves à engager, pour des raisons supposées liées à la couleur de la peau, l'accent, etc.; l'idée ne passait jamais la rampe du partenaire libéral et était vivement critiquée par le monde patronal;

— début 2006, le nouveau ministre de l'Emploi, Peter Vanvelthoven (le 3e en 3 ans), proposait d'instaurer des quotas d'embauche de travailleurs allochtones; cette idée était, de la même manière, vivement critiquée.

Nous pensons qu'aborder les employeurs par des contraintes et des sanctions ne conduira pas très loin. En cette matière, nous estimons plus adéquat de présenter des formules positives et incitatives.

2. L'expérience des entreprises de formation par le travail

Depuis de nombreuses années, certaines entreprises d'économie sociale recourent avec bonheur à des formules de stage en entreprise. En Wallonie, il s'agit des 74 EFT (entreprises de formation par le travail) agréées; à Bruxelles, ces initiatives sont appelées AFT (ateliers de formation par le travail; il y en a une dizaine). Leur cadre réglementaire permet le recours aux stages en entreprise.

Cette formule est, en particulier, utilisée en fin de formation avec des stagiaires allochtones. En effet, bon nombre d'EFT accompagnent les stagiaires dans leur recherche d'emploi et constatent les difficultés plus aiguës rencontrées par les candidats d'origine étrangère. Un stage court est alors proposé à l'employeur, de manière souple et peu onéreuse (l'indemnité étant de 1 euro par heure). Ce stage permet de lever les préjugés; souvent, il conduit à un engagement sous contrat salarié, au terme du stage.

La formule est autorisée par l'Office National de l'Emploi (ONEM) et les centres publics d'action sociale (CPAS), à condition que l'indemnité ne dépasse pas 1 euro par heure. Par ailleurs, l'ONEM et les CPAS sont informés des formations en EFT/AFT avant le début de celles-ci.

3. Etendre les possibilités de stage

La présente proposition de loi vise à étendre les possibilités de stage, de manière à faciliter les opportunités de contact entre des demandeurs d'emplois discriminés et des employeurs, dans des conditions les moins contraignantes possibles.

L'idée n'est pas, dans le cas présent, de permettre à un étudiant de parfaire sa formation par une expérience de quelques semaines — voire de quelques mois — au sein d'un milieu professionnel. L'objectif ici est plutôt de faciliter le recrutement en permettant aux employeurs de mieux apprécier les qualités objectives des demandeurs d'emploi visés. Nous pensons, notamment, qu'une confiance mutuelle peut naître de la capacité pour l'employeur d'apprécier l'intégration d'un candidat au sein du milieu professionnel de l'entreprise.

La proposition de loi prévoit que le stage est ouvert aux demandeurs d'emploi tant autochtones qu'allochtones. Nous ne souhaitons pas, en effet, viser explicitement les demandeurs d'emploi allochtones afin d'éviter toute stigmatisation et toute contestation juridique basée sur le principe constitutionnel d'égalité des citoyens devant la loi.

Nous optons plutôt pour cibler, dans le champ d'application, les demandeurs d'emploi selon l'âge et la durée d'inactivité. Les trois publics cibles décrits ci-dessus sont ainsi pris en considération.

La présente proposition contribue donc, dans le même temps, à répondre aux difficultés rencontrées par les jeunes demandeurs d'emploi auxquels il est fréquemment reproché de manquer d'expérience professionnelle. Elle offre aussi une opportunité aux demandeurs d'emploi de longue durée, sachant qu'après un certain temps ceux-ci ont souvent le sentiment de décrocher du marché du travail. Enfin, tous les bénéficiaires du revenu d'intégration sociale et/ou d'une aide sociale financière, équivalente ou non au revenu d'intégration, ont accès à la mesure.

Autant nous souhaitons que la formule de stage soit la plus souple et la plus praticable possible, autant nous sommes soucieux de prévoir les balises évitant d'abuser du dispositif.

En particulier:

— la durée est limitée à deux semaines;

— une convention de stage écrite doit être établie, selon un modèle type, et comporter une série de mentions obligatoires;

— une personne de référence est désignée dans l'entreprise;

— la proposition de loi précise les modalités d'indemnisation du stagiaire;

— au moins une fois sur deux (en moyenne), le stage doit donner lieu à un engagement sous contrat de travail salarié à l'issue du stage;

— les modalités en matière d'assurance, de règlement de travail, de sécurité, etc. sont également précisées.

Marc ELSEN.

PROPOSITION DE LOI


Section 1ère

Disposition générale

Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Section 2

Définitions

Art. 2

Pour l'application de la présente loi, on entend par:

1º stage: un stage en entreprise de courte durée dont le but est de permettre à un employeur de prendre connaissance des capacités d'un demandeur d'emploi dans le but d'un engagement sous contrat de travail salarié à l'issue du stage;

2º stagiaire: tout demandeur d'emploi inoccupé répondant aux conditions d'accès visées à l'article 3 et qui effectue un stage en entreprise;

3º entreprise: tout employeur du secteur privé ou du secteur public.

Section 3

Public cible

Art. 3

Ont accès au stage visé par la présente loi les demandeurs d'emplois suivants:

1. ceux, âgés de moins de 26 ans, qui sont inscrits comme demandeurs d'emploi inoccupés auprès du service régional de l'emploi et qui y ont été inscrits au moins 2 mois au cours des 3 derniers mois calendrier;

2. ceux, âgés de 26 ans ou plus, qui sont inscrits comme demandeurs d'emploi inoccupés auprès du service régional de l'emploi et qui y ont été inscrits au moins 5 mois au cours des 6 derniers mois calendrier;

3. ceux qui sont inscrits comme demandeurs d'emploi inoccupés auprès du service régional de l'emploi et qui bénéficient du revenu d'intégration sociale ou d'une aide sociale financière équivalente au revenu d'intégration.

Section 4

Convention de stage

Art. 4

Le stage fait l'objet d'une convention de stage écrite, selon un modèle défini par le Roi, établi en doubles exemplaires originaux, signés par l'employeur et le stagiaire avant le début du stage. Cette convention mentionne notamment les dispositions suivantes:

1. la date de début du stage;

2. la date de fin du stage, sachant que la durée d'un stage ne peut dépasser deux semaines et que chacune des parties peut décider à tout moment d'anticiper la fin du stage;

3. le montant de l'indemnité et des frais de déplacement visés à l'article 5;

4. les modalités du recrutement éventuel à l'issue du stage, notamment: fonction, type de contrat, régime de travail, rémunération, commission paritaire;

5. le nom de la personne de référence chargée de l'accueil et du suivi du stagiaire dans l'entreprise;

6. la mention de la police d'assurance de l'employeur en matière de responsabilité civile et d'accident du travail.

Avant le début du stage, l'employeur transmet une copie de la convention de stage:

1º à l'Office National de l'Emploi si le stagiaire bénéficie d'une allocation de chômage ou d'attente;

2º au centre public d'action sociale concerné si le stagiaire bénéficie du revenu d'intégration sociale ou d'une aide sociale financière.

L'employeur informe au préalable l'institution chargée de la perception des cotisations de sécurité sociale du début et de la fin de l'occupation d'un stagiaire, à l'aide d'une déclaration immédiate d'emploi.

Section 5

Indemnité et frais de déplacement

Art. 5

Durant la période de stage, l'entreprise verse au stagiaire une indemnité d'un montant de 1 euro par heure. Ce montant est lié à l'indice des prix à la consommation. L'indemnité est cumulable avec une allocation de chômage, un revenu d'intégration sociale ou une aide sociale financière. L'indemnité ne fait pas l'objet de cotisations sociales et est exempte d'impôts.

Les frais de déplacement sont à charge de l'entreprise selon les mêmes modalités que pour un travailleur salarié.

Section 6

Obligation minimale d'engagement

Art. 6

§ 1er. L'employeur est tenu à l'obligation d'engager sous contrat de travail salarié au moins la moitié, arrondie à l'unité inférieure, des stagiaires avec lesquels il conclut une convention de stage. Cette obligation est comptabilisée sur base d'une moyenne trimestrielle.

§ 2. En cas de non-respect de cette obligation, l'employeur est tenu de verser à l'Office National de Sécurité Sociale (ONSS) ou à l'Office National de Sécurité Sociale des administrations provinciales et locales (ONSSAPL) un montant équivalent à des cotisations sociales patronales calculées, sans réduction, sur base des salaires qui auraient été octroyés aux stagiaires occupés au cours du trimestre concerné s'ils avaient été occupés sous contrat de travail salarié.

En outre, en cas de non-respect de l'obligation au cours du trimestre suivant, l'employeur ne peut plus bénéficier des dispositions de la présente proposition de loi au cours des quatre trimestres qui suivent.

L'ONSS et l'ONSSAPL sont chargés du contrôle de l'application du présent article.

Section 7

Dispositions diverses

Art. 7

L'entreprise doit disposer d'une police d'assurance en matière de responsabilité civile et d'accident du travail, couvrant les stagiaires au même titre qu'un travailleur salarié de l'entreprise.

Le stagiaire est notamment tenu de respecter le règlement de travail de l'entreprise, dont un exemplaire lui est remis par l'employeur au moment de la signature de la convention de stage.

Les stages sont notamment soumis aux dispositions de l'arrêté royal du 21 septembre 2004 relatif à la protection des stagiaires. En particulier, l'employeur effectue, conformément à l'article 3 de l'arrêté royal du 3 mai 1999, une analyse des risques, auxquels les stagiaires peuvent être exposés et détermine les mesures de prévention à respecter.

Les stagiaires sont soumis aux dispositions des conventions collectives de travail en vigueur dans le secteur de l'entreprise en ce qui concerne les règles de prévention et de sécurité.

29 octobre 2007.

Marc ELSEN.