4-338/1

4-338/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2007-2008

25 OCTOBRE 2007


Proposition de loi modifiant la loi du 22 mars 1995 instaurant des médiateurs fédéraux, afin d'assurer une protection légale aux fonctionnaires qui dénoncent des irrégularités

(Déposée par M. Wouter Beke et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition de loi reprend le texte d'une proposition qui a déjà été déposée au Sénat le 5 juillet 2005 (doc. Sénat, nº 3-1288/1 — 2004/2005).

La présente proposition de loi vise à instaurer une réglementation pour les cas où des fonctionnaires auraient constaté que des irrégularités ont été commises au sein des services publics fédéraux au sens large et où la dénonciation de celles-ci auprès d'un supérieur ou du service d'audit interne n'aurait pas eu pour effet d'y mettre fin.

La faculté est accordée aux fonctionnaires concernés de dénoncer dans ces cas-là les irrégularités en question aux médiateurs fédéraux ou au médiateur que la loi spéciale rend compétent pour un service public déterminé et qui reçoit les plaintes des particuliers conformément à la législation actuelle. Le fonctionnaire qui fait usage de la faculté de dénonciation à une instance externe devient une sorte de sycophante ou d'informateur. La présente proposition prévoit que le médiateur compétent lui accordera une protection temporaire contre les sanctions disciplinaires et les appréciations négatives si les soupçons qu'il nourrit paraissent fondés et si l'on est en droit de craindre que d'éventuelles représailles puissent avoir des conséquences négatives pour sa carrière.

Cette réglementation s'inspire de législations étrangères et permet d'assurer la protection définie dans plusieurs conventions d'organisations internationales, comme les Nations unies, l'OCDE et le Conseil de l'Europe. Par ailleurs, pour ce qui est de l'exécution pratique, l'auteur s'est inspirée du décret flamand en la matière.

L'intention de l'auteur est, notamment, de signaler clairement à l'opinion publique nationale et internationale que, même si elle est exceptionnelle, toute forme de corruption ou d'influence pernicieuse est interdite dans le cadre de la prise de décisions par des instances publiques.

1. Commentaire général

Ces dernières années, on a vu, à divers niveaux de pouvoir, des membres du personnel dénoncer à une instance externe des irrégularités ou des abus qui avaient été commis au sein de leur administration. Ils ont joué ainsi un rôle de « sonneur d'alarme » (whistleblowers). Le terme néerlandais « klokkenluider », qui désigne, selon le dictionnaire Van Dale, une personne qui dénonce publiquement des abus constatés dans son entreprise ou organisation, a été imaginé en 1987 par un étudiant de l'université de Leiden, Marc Bovens, qui travaillait à un doctorat concernant l'assertivité des fonctionnaires. Marc Bovens, qui est devenu depuis professeur à l'université d'Utrecht, cherchait un équivalent néerlandais du terme « whistleblower » qui sert à désigner, aux États-Unis, le type d'informateur en question. Le verbe « klokkenluiden » exprime l'action par laquelle un (ancien) membre d'une organisation dévoile des informations, sans avoir été chargé ou autorisé à le faire, ou les porte à la connaissance du public dans le but d'attirer l'attention sur un abus dont il a pris connaissance dans le cadre de l'exercice de ses fonctions au sein de l'organisation (définition du professeur Bovens, voir également Frank Ornelis, « Klokkenluiders vinden voortaan gehoor bij de Vlaamse ombudsman » In: Tijdschrift voor Gemeentelijk Recht, 2004, 4, 281-287).

L'attitude des membres du personnel d'une administration qui dénoncent des irrégularités dans lesquelles sont souvent impliqués des collègues ou des supérieurs est loin d'être appréciée. Il n'est pas rare qu'on les menace de mesures disciplinaires ou qu'on menace de les priver de toute chance de promotion. De plus, on les empêche souvent d'encore exercer normalement leur fonction et on va même parfois jusqu'à les licencier.

Il ressort d'études du centre de recherche universitaire IVA de Tilburg, aux Pays-Bas, que 60 % des travailleurs néerlandais qui tirent la sonnette d'alarme en subissent des conséquences négatives. Il ne faut dès lors pas s'étonner que presque la moitié des travailleurs qui découvrent des irrégularités préfèrent se taire par crainte de représailles (source: Tris Serail, Juliette Vermaas, Anja Klomps, R. van der Linden, De weg van de klokkenluider: keuzes en dilemma's. Onderzoek naar de klokkeluidersproblematiek in Nederland, 1er novembre 2001, Elsevier bedrijfsinformatie bv, Doetinchem, 135 pp.)

Le fait que les informateurs s'exposent, de par leur franchise et leur souci d'équité, à toutes sortes d'effets négatifs est une chose et la constatation selon laquelle il n'y a pas de cadre de référence adéquat qui permette de contrôler l'exactitude des allégations des informateurs en est une autre. On éprouve dès lors le besoin, aux divers niveaux de pouvoir, de protéger ceux-ci de manière efficace et de mettre en place une instance centrale pouvant procéder à un premier contrôle lorsqu'il n'est pas mis fin, au niveau interne, aux pratiques dont il est permis de penser qu'elles sont irrégulières.

Les répercussions financières et les conséquences politiques de la corruption et des dérives apparentées à celle-ci, qui pourrissent l'administration publique, sont considérables. Le plus grand scandale auquel on a été confronté jusqu'à présent au niveau européen a éclaté à la suite du licenciement de Paul van Buitenen — qui avait joué le rôle d'informateur en l'espèce — et a forcé l'ensemble de la Commission européenne de Jacques Santer à démissionner en mars 1999, après qu'un conseil des sages eut publié un rapport impitoyable accablant e.a. la commissaire française Mme Edith Cresson (Politique scientifique).

Les citoyens européens considèrent que la corruption par des fonctionnaires publics et toutes les dérives qui s'y apparentent constituent un problème réel. Selon l'Eurobaromètre 2004 qu'a établi l'Office européen de lutte antifraude OLAF, 55 % des personnes sondées sont vivement préoccupées par la corruption. Elles sont toutefois plus nombreuses à s'inquiéter à propos des actes de corruption qui sont commis au sein d'administrations et d'institutions nationales ou locales qu'à propos de ceux qui sont commis au sein des institutions européennes (36 % contre 23 %). Cela ne fait que souligner que l'on a tout intérêt à prendre des mesures supplémentaires au niveau national.

Des études ont montré qu'environ 5 % de tous les politiques et fonctionnaires d'Europe occidentale sont soit corrompus et fraudent activement, soit sont sensibles à la corruption. La Belgique ne fait pas vraiment bonne figure à cet égard: selon l'étude « Corruption Perceptions Index 2003 » de l'ONG internationale Transparency International — qui s'intéresse au sujet depuis déjà des années — à laquelle ont participé des scientifiques, des analystes et des entrepreneurs, la Belgique occupe la 17e place sur l'échelle de la fiabilité et vient ainsi derrière les Pays-Bas qui occupent la 7e place. Cette situation ne s'est pas améliorée en 2004. Il est étonnant de constater que la place qu'occupe la Belgique correspond à la position géographique de notre pays en Europe occidentale. Les États membres du nord de l'Europe sont perçus comme étant relativement moins corrompus et ceux du sud de l'Europe comme étant relativement plus corrompus. Cette constatation ne peut toutefois pas servir d'excuse pour un pays qui héberge les principales institutions européennes et de nombreux organes internationaux et qui entend accueillir les établissements d'importantes entreprises internationales.

Il est très clair que la combinaison d'une procédure efficace de dénonciation d'irrégularités constatées au sein des services publics fédéraux et d'un premier examen prima facie du dossier, aura une influence positive sur la perception des choses en la matière.

2. Aperçu des législations étrangères, des législations supranationales et de la législation flamande concernant les informateurs

A) Certains États disposent d'une législation de protection

Dans certains États membres de l'Union européenne, les informateurs bénéficient d'une protection légale sous certaines conditions. Au Royaume-Uni, la « Public Interest Disclosure Act 1998 » (PIDA 1998) qui est entré en vigueur en juin 1999 permet d'assurer une protection non seulement aux fonctionnaires qui sont devenus des informateurs, mais aussi aux travailleurs d'autres secteurs que celui des services publics, comme celui des entreprises.

Aux Pays-Bas, l'article 125 a, 4, de la loi du 12 décembre 1929 sur les agents publics (Ambtenarenwet), qui a été modifiée le 1er mai 2003 (Stb. 2003,60), prévoit que le fonctionnaire qui exprime de bonne foi les soupçons d'irrégularités qu'il nourrit, et ce, conformément à une procédure fixée par le biais d'une mesure générale d'administration ou en vertu d'une telle mesure, n'aura à craindre aucun effet négatif sur son statut juridique ni au cours de cette procédure ni après celle-ci.

Aux États-Unis, les fonctionnaires fédéraux qui sont considérés comme des informateurs bénéficient aussi depuis longtemps de la protection légale que leur assure notamment le Whistleblower Protection Act de 1989. Depuis, des lois visant à protéger les informateurs ont également été votées dans bien des États.

B) L'Union européenne

Au niveau de l'Union européenne, la Commission a introduit, en 1999, une réglementation obligeant les fonctionnaires de l'UE à signaler toute présomption d'irrégularité et leur offrant les moyens de s'acquitter de cette obligation (décision 1999/396/CE, CECA, Euratom de la Commission, du 2 juin 1999, relative aux conditions et modalités des enquêtes internes en matière de lutte contre la fraude, la corruption et toute activité illégale préjudiciable aux intérêts des Communautés, JO L 149 du 16 juin 1999). Le choix de cette mesure a été motivé surtout par la considération selon laquelle les entreprises (et les pouvoirs publics) peuvent économiser beaucoup d'argent grâce aux « informateurs », en mettant fin aux pratiques frauduleuses et à la mauvaise gestion. La réglementation en question protège les fonctionnaires qui s'acquittent de bonne foi de leurs obligations en signalant toute présomption d'irrégularités graves, notamment contre les effets négatifs qui pourraient en résulter.

Dans ce cadre, l'Accord interinstitutionnel du 25 mai 1999 entre le Parlement, le Conseil et la Commission (JO L 136 du 31 mai 1999) prévoit que la responsabilité de l'Office européen de lutte antifraude (OLAF) s'étend, au-delà de la protection des intérêts financiers de la Communauté, à l'ensemble des activités liées à la sauvegarde d'intérêts communautaires contre des comportements irréguliers susceptibles de poursuites administratives ou pénales. L'OLAF est donc le point de contact indiqué pour un fonctionnaire qui a pris connaissance de faits qui permettent de présumer des abus graves pouvant nuire aux intérêts de la Communauté.

La protection des informateurs était également inscrite dans le plan d'action portant réforme de la Commission (COM/2000/0010 def. — Vol. II), qui prévoyait, sous le chapitre IV, XX, la série d'actions suivantes:

« Action 46: Détermination des droits et obligations régissant la communication de manquements et la protection des personnes qui communiquent de tels faits dans le cadre des procédures en vigueur, par la filière interne, à leur supérieur hiérarchique direct, au secrétaire général et à l'OLAF.

Action 47: Au-delà des procédures existantes, définition de la filière externe de communication et protection des informateurs et des personnes suspectées.

Action 48: Examen de la nécessité de modifier les instruments juridiques créant l'OLAF et le statut.

Action 49: Sur la base de la structure existante, création d'un service central de médiation chargé de fournir une aide supplémentaire et de constituer un point de contact dans les cas qui ne concernent pas des fraudes ou actions présumées affectant les intérêts financiers de la Communauté. »

Dans le cadre de sa stratégie en matière de réformes administratives, la Commission a adopté, le 4 avril 2002, une décision spécifique à ce sujet (C/2002/845 du 4 avril 2002). Cette décision complétait le cadre législatif existant et permettait, sous certaines conditions, le signalement d'indices d'irrégularités graves à une instance extérieure à la Commission. Les fonctionnaires qui remplissent les conditions nécessaires seront protégés contre les effets négatifs de leur action. La décision s'appliquera tant que l'on n'aura pas apporté au Statut les modifications nécessaires pour que la réglementation puisse être déclarée contraignante pour les fonctionnaires de toutes les institutions européennes.

C) Les Nations unies

En 2000, l'Assemblée générale des Nations unies a chargé un comité ad hoc d'élaborer un instrument juridique international de lutte contre la corruption, à savoir la future Convention des Nations unies contre la corruption. Le 31 octobre 2003, un texte a été adopté par le biais de la résolution A/RES/58/4. Dès qu'il sera applicable, ce texte aura des conséquences majeures pour ce qui est de la lutte internationale contre la corruption.

Au cours des discussions, on est allé très loin en ce qui concerne la protection des dénonciateurs d'abus et les possibilités procédurales dont ils peuvent bénéficier, et ce, en s'inspirant de la législation américaine qui accorde, dans certains cas, aux informateurs, une partie des fonds qui ont été récupérés grâce à eux (voir le Rapport du Comité spécial chargé de négocier une convention contre la corruption sur les travaux de ses première à septième sessions, A/58/422, 7 octobre 2003, nº 42).

« La possibilité d'attribuer davantage de récompenses pour des informations permettant la restitution des avoirs d'origine illicite ou d'intenter une action civile qui tam permettant à des particuliers ou à des « dénonciateurs » de poursuivre au nom de l'État des agents publics corrompus ou autres personnes ayant escroqué les pouvoirs publics et d'obtenir ensuite une portion des avoirs d'origine illicite recouvrés au nom de l'État. »

La pratique susvisée est effectivement possible aux États-Unis où n'importe quel citoyen peut intenter une action qui tam sur la base du « Federal False Claim Act 1986 », qui autorise les citoyens qui ont la preuve d'actes frauduleux commis par des services publics à s'adresser eux-mêmes au juge au nom de l'autorité publique et qui leur accorde généralement une part oscillant entre 15 à 25 % des sommes récupérées (31 USC §§ 3729-3733).

On n'est pas allé aussi loin dans le texte adopté par les Nations unies, mais on y a obligé les États individuels à assurer une protection efficace tant aux victimes et aux témoins (article 32) qu'aux informateurs (article 33).

« Article 32

Protection des témoins, des experts et des victimes

1. Chaque État Partie prend, conformément à son système juridique interne et dans la limite de ses moyens, des mesures appropriées pour assurer une protection efficace contre des actes éventuels de représailles ou d'intimidation aux témoins et aux experts qui déposent concernant des infractions établies conformément à la présente Convention et, s'il y a lieu, à leurs parents et à d'autres personnes qui leur sont proches.

2. Les mesures envisagées au paragraphe 1 du présent article peuvent consister notamment, sans préjudice des droits du défendeur, y compris du droit à une procédure régulière:

a) établir, pour la protection physique de ces personnes, des procédures visant notamment, selon les besoins et dans la mesure du possible, à leur fournir un nouveau domicile et à permettre, s'il y a lieu, que les renseignements concernant leur identité et le lieu où elles se trouvent ne soient pas divulgués ou que leur divulgation soit limitée;

b) prévoir des règles de preuve qui permettent aux témoins et experts de déposer d'une manière qui garantisse leur sécurité, notamment à les autoriser à déposer en recourant à des techniques de communication telles que les liaisons vidéo ou à d'autres moyens adéquats.

3. Les États Parties envisagent de conclure des accords ou arrangements avec d'autres États en vue de fournir un nouveau domicile aux personnes mentionnées au paragraphe 1 du présent article.

4. Les dispositions du présent article s'appliquent également aux victimes lorsqu'elles sont témoins.

5. Chaque État Partie, sous réserve de son droit interne, fait en sorte que les avis et préoccupations des victimes soient présentés et pris en compte aux stades appropriés de la procédure pénale engagée contre les auteurs d'infractions d'une manière qui ne porte pas préjudice aux droits de la défense.

Article 33

Protection des personnes qui communiquent des informations

Chaque État Partie envisage d'incorporer dans son système juridique interne des mesures appropriées pour assurer la protection contre tout traitement injustifié de toute personne qui signale aux autorités compétentes, de bonne foi et sur la base de soupçons raisonnables, tous faits concernant les infractions établies conformément à la présente Convention. »

Conformément à l'article 68 de la convention, celle-ci entrera en vigueur le quatre-vingt-dixième jour suivant la date de dépôt du trentième instrument de ratification. À l'heure actuelle, dix-huit pays ont ratifié la convention. La Belgique est un des 118 signataires, mais elle ne l'a pas encore ratifiée. Quoi qu'il en soit, dès qu'elle aura été ratifiée par trente pays, ce qui ne saurait tarder, la protection des informateurs sera devenue obligatoire.

D) Le Conseil de l'Europe

Dès la fin du siècle dernier, les membres du Conseil de l'Europe ont pris conscience de la nécessité de protéger les informateurs, ce qui a débouché sur la Convention civile sur la corruption du Conseil de l'Europe du 4 décembre 1999, dont l'article 9 (« Protection des employés ») dispose que:

« Chaque Partie prévoit dans son droit interne une protection adéquate contre toute sanction injustifiée à l'égard des employés qui, de bonne foi et sur la base de soupçons raisonnables, dénoncent des faits de corruption aux personnes ou autorités responsables. »

La Belgique a signé cette convention le 8 juin 2000, mais ne l'a pas encore ratifiée. Celle-ci est toutefois déjà entrée en vigueur le 1er novembre 2003, après la quatorzième ratification. Entre-temps, 22 des 39 États membres du Conseil de l'Europe signataires l'ont ratifiée.

E) L'OCDE

L'Assemblée générale de l'OCDE a promulgué, le 23 avril 1998, une recommandation contenant 12 principes de base de gestion de l'éthique dans le service public (PUMA, note de synthèse nº 4, mai 1998).

Le douzième principe de base prévoit entre autres que les États doivent mettre en place, en tant qu'élément indispensable d'une infrastructure de l'éthique, des mécanismes permettant de détecter des actes répréhensibles comme la corruption et d'enquêter de manière indépendante à leur sujet, et qu'il faut disposer, pour ce faire, de procédures fiables et de ressources permettant de surveiller les manquements aux règles du service public, de les signaler et d'enquêter à leur sujet.

La réglementation proposée entend répondre à cette exigence.

F) La Flandre

En Flandre, la protection de l'informateur est régie par le décret du 7 mai 2004 modifiant le décret du 7 juillet 1998 instaurant le service de médiation flamand, en ce qui concerne la protection de fonctionnaires qui dénoncent des irrégularités (Moniteur belge du 11 juin 2004).

Le gouvernement flamand a élaboré, en concertation avec le médiateur flamand, un protocole visant à définir la teneur du décret du 7 mai 2004, qui est entré en vigueur le 1er janvier. Il a approuvé ce projet de protocole le 28 janvier 2005, sous réserve de vérification technique.

Ce décret place sous la protection du médiateur flamand les membres du personnel statutaires et contractuels ainsi que les stagiaires occupés au sein d'un service public flamand qui lui dénoncent des irrégularités (négligence, abus ou délit).

Le protocole s'applique aux services publics flamands, c'est-à-dire au ministère de la Communauté flamande, aux organismes publics flamands et aux établissements scientifiques flamands.

Un membre du personnel peut demander la protection du médiateur flamand, qui examinera si l'auteur de la dénonciation a agi de bonne foi et qui déterminera si la dénonciation est recevable et n'est pas manifestement non fondée.

Le médiateur flamand fait savoir au membre du personnel qu'il le place sous sa protection et il en informe le supérieur hiérarchique de l'intéressé.

La protection prend cours lors de la première dénonciation de l'irrégularité par le membre du personnel et prend fin deux ans après la clôture de l'enquête menée par le médiateur flamand sur l'irrégularité dénoncée.

Les modalités de la protection sont les suivantes:

— Durant la période de protection, l'autorité compétente ne peut prendre, à l'égard du membre du personnel en question, aucune peine disciplinaire ni aucune autre forme de sanction publique ou cachée (comme le licenciement, la suspension dans l'intérêt du service, le retrait de compétences, le transfert vers un autre service, le refus de congé ou l'attribution d'une mention inférieure à « suffisant » lors de l'évaluation fonctionnelle) pour des raisons liées à la dénonciation de l'irrégularité.

— Si le membre du personnel présume que l'autorité a pris une mesure à son égard pour des raisons liées à la dénonciation de l'irrégularité, il peut demander au médiateur flamand d'enquêter sur ce lien présumé. Le médiateur flamand demandera alors à l'autorité compétente de prouver qu'il n'existe aucun lien entre la mesure prise et la dénonciation de l'irrégularité.

— Si, au terme de son enquête, le médiateur flamand conclut qu'il y a un lien possible entre la mesure et la dénonciation, il invite l'autorité compétente à revoir la mesure (par exemple, en revenant sur la décision de licenciement, en accordant le congé refusé, en adaptant la description de fonction, en reconsidérant l'évaluation fonctionnelle ou en annulant la suspension dans l'intérêt du service).

— Si l'autorité compétente n'est pas d'accord, si elle ne répond pas dans les 20 jours ouvrables ou si elle n'exécute pas la demande, le médiateur flamand fait rapport à ce sujet au ministre flamand qui a la politique générale en matière de personnel et d'ingénierie d'organisation dans ses attributions. Celui-ci prend alors position dans les plus brefs délais, en concertation avec le ministre flamand fonctionnellement compétent, et en informe le médiateur flamand ainsi que le supérieur hiérarchique du membre du personnel.

— À partir de la date à laquelle le membre du personnel demande à être placé sous la protection du médiateur flamand, toutes les procédures disciplinaires ouvertes à son encontre sont automatiquement suspendues jusqu'à la fin de l'enquête du médiateur flamand. Il en va de même pour les procédures disciplinaires qui sont entamées durant la période de protection.

— Si le médiateur flamand estime, à l'issue de son enquête, qu'il n'existe aucun lien entre la procédure disciplinaire et la dénonciation de l'irrégularité, l'autorité compétente peut poursuivre la procédure.

3. Autres initiatives législatives en vue de sanctionner la corruption et le trafic d'influence

Certains organes de l'autorité publique ne disposent pas d'un médiateur, parce que cela serait contraire à leur nature même. Ainsi, il serait impensable qu'un tiers — par exemple un médiateur, même indépendant, — désigné par le gouvernement contrôle le fonctionnement du pouvoir judiciaire, reçoive les plaintes sur l'exercice de la fonction juridictionnelle et statue sur celles-ci. Eu égard à la stricte indépendance dont jouit le pouvoir judiciaire, c'est à lui, et lui seul, qu'incombe cette évaluation. C'est pourquoi l'article 409 du Code judiciaire dispose que l'instruction des faits est prise en charge par le Conseil national de discipline, composé de magistrats, l'article 412 du même code énumère les cours compétentes pour prononcer une peine disciplinaire et l'article 414 énumère les membres du pouvoir judiciaire qui sont habilités à engager une enquête disciplinaire à l'égard de leur personnel. Les instances d'appel font elles aussi partie du pouvoir judiciaire, sauf en ce qui concerne la compétence qui, dans un nombre limité de cas, est attribuée au ministre de la Justice (voir l'article 415 du Code judiciaire).

Dans l'hypothèse où un tiers — un parlementaire, par exemple — serait impliqué dans un trafic d'influence à l'égard d'un magistrat dans l'exercice de sa fonction juridictionnelle, il serait impensable que ce dernier, vu l'indépendance de son siège et celle de la magistrature en général, laisse à un médiateur le soin de se prononcer sur les faits en question.

C'est dans cette optique que les sénateurs Hugo Vandenberghe et Tony Van Parys ont déposé leur proposition de loi nº 4-21/1, qui vise à insérer dans le Code pénal un article 317 très proche du concept du « contempt of court » tel qu'il figure dans la loi britannique « Contempt of court » de 1981 ainsi que de l'application de ce concept dans la jurisprudence britannique. Cet article inflige une amende à quiconque, par ses propos, ses actes ou son abstention, fait courir volontairement à la procédure un risque important susceptible de la perturber gravement ou de l'entraver. La peine proposée peut être infligée pour des comportements adoptés dans le cadre d'une procédure civile, administrative ou pénale et ne doit pas être confondue avec les sanctions en matière de procédures vexatoires et téméraires. Contrairement à ce que prévoit la réglementation britannique, la peine sera infligée, non par le juge saisi de l'affaire, mais par le juge pénal saisi par la voie ordinaire. De cette façon, la procédure pourra être intentée aussi bien par le ministère public que par le biais de la constitution de partie civile. Ce procédé doit permettre d'éviter que l'on n'inflige trop facilement des peines en la matière.

Toutefois, la proposition des sénatrices De Schamphelaere et de Bethune visant à modifier le règlement du Sénat et à instituer un code de déontologie pour les sénateurs (doc. Sénat 3-1287/1) prévoit également qu'un magistrat qui prend connaissance d'une telle ingérence d'un sénateur peut en informer le président du Sénat, lequel est tenu de transmettre à son tour l'information à la commission de déontologie. Outre à une condamnation au pénal sur la base de la proposition Vandenberghe, le sénateur concerné s'expose donc à un blâme public prononcé par ses pairs et, le cas échéant, à une retenue sur son indemnité parlementaire.

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 2

A) Le § 2 proposé complète la mission des médiateurs fédéraux en y ajoutant l'examen des dénonciations par des membres du personnel de l'État d'irrégularités qui n'ont pas pu être supprimées à la suite de l'audit interne ou par des membres du personnel de l'État qui craignent qu'elles puissent avoir des conséquences néfastes pour leur vie professionnelle.

L'article donne aussi la définition la plus large possible des services publics fédéraux, de manière qu'y soient inclus aussi bien l'ensemble des services ou des divisions d'un service public fédéral que toutes les personnes morales de droit public.

B) Le § 4 proposé prévoit que, lorsque la loi a désigné des médiateurs particuliers pour certains services publics, ceux-ci sont tenus de suivre la procédure de dénonciation définie dans la loi instaurant des médiateurs fédéraux.

Article 3

Cet article complète l'intitulé du chapitre III afin d'y inclure précisément les dénonciations d'irrégularités.

Article 4

Cet article consacre le principe fondamental selon lequel tout membre du personnel peut dénoncer des irrégularités aux médiateurs ou au médiateur particulier créé par la loi, aux conditions définies à l'article 2.

Article 5

Cet article prévoit qu'après une enquête préliminaire, les médiateurs concernés peuvent déclarer l'affaire en question recevable et fondée (c'est-à-dire conforme à l'article 2, § 2) ou non. L'irrecevabilité et le bien-fondé doivent être motivés. Si une procédure judiciaire est pendante, on se borne à examiner si les circonstances commandent d'assurer la protection du membre du personnel, et ce, afin de prévenir des décisions contradictoires sur le fond.

Article 6

Cet article définit les mesures de protection qui peuvent être prises à la requête du membre du personnel. Il appartient au Roi de fixer la durée de la période de protection, sachant qu'elle doit être de deux ans au moins après la conclusion du dossier ou, le cas échéant, après une condamnation judiciaire définitive. Le Roi définit aussi les mesures de protection qui doivent se traduire au moins par la suspension des procédures disciplinaires et la fixation de règles d'attribution de la charge de la preuve.

Au gouvernement fédéral est confiée la mission d'inscrire les dispositions de l'arrêté royal dans les règlements relatifs aux droits du personnel des services publics (les règlements du personnel).

L'article prévoit en outre que, lorsqu'une mesure de protection est prise, le supérieur hiérarchique du membre du personnel concerné doit en être informé sans délai.

Article 7

Cet article fixe l'entrée en vigueur de la présente loi au 1er janvier 2008, ce qui laisse au Roi le temps de prendre les mesures d'exécution requises.

Wouter BEKE.
Dirk CLAES.
Sabine de BETHUNE.
Nahima LANJRI.
Els SCHELFHOUT.
Hugo VANDENBERGHE.
Luc VAN DEN BRANDE.
Tony VAN PARYS.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

Dans la loi du 22 mars 1995 instaurant des médiateurs fédéraux sont apportées les modifications suivantes:

A) Entre l'article 1er, alinéa 1er, dont le texte actuel formera le § 1er, et l'article 1er, alinéa 2, dont le texte actuel formera le § 3, est inséré un § 2, rédigé comme suit:

« § 2. Les médiateurs fédéraux ont également pour mission d'examiner des dénonciations de la part de membres du personnel des autorités administratives des pouvoirs publics fédéraux qui, dans l'exercice de leur fonction, ont constaté des abus ou des délits au sein de l'autorité administrative où ils sont occupés, dénommés ci-après « irrégularités », et qui estiment soit:

— qu'après notification à leur supérieur hiérarchique et puis à l'audit interne, il n'a pas ou pas suffisamment été donné suite à leur communication dans un délai de trente jours;

— pour la seule raison de la publication ou dénonciation de ces irrégularités, qu'ils sont ou seront soumis à une peine disciplinaire ou une autre forme de sanction publique ou déguisée.

Par service public fédéral, on entend tout service ou division d'un service public fédéral ou un organisme public. Est considérée comme un organisme public fédéral, toute personne morale de droit public constituée en vertu d'une loi, qui relève de la compétence des pouvoirs publics fédéraux. »;

B) Il est ajouté un § 4 rédigé comme suit:

« § 4. Si des dispositions légales particulières à certaines autorités administratives prévoient un médiateur propre à ces autorités, les dénonciations visées au § 2 sont faites à ce dernier et sont traitées conformément à la procédure définie dans la présente loi »;

C) Les alinéas 3 et 4 actuels deviennent respectivement les §§ 5 et 6.

Art. 3

L'intitulé du chapitre II de la même loi est complété par les mots « et dénonciations ».

Art. 4

Il est inséré dans la même loi un article 14bis rédigé comme suit:

« Art. 14bis. — Tout membre du personnel attaché à une autorité administrative telle que visée à l'article 2, peut dénoncer par écrit ou oralement auprès des médiateurs, ou, si une disposition légale particulière le prévoit, auprès du médiateur créé spécifiquement pour une autorité administrative déterminée en vertu d'une disposition légale particulière, des négligences, des abus ou des délits tels que visés à l'article 2, § 2, et aux conditions y décrites. »

Art. 5

Il est inséré dans la même loi un article 14ter rédigé comme suit:

« Art. 14ter. — Les médiateurs examinent le bien-fondé de la dénonciation d'une irrégularité telle que visée à l'article 2, § 2. S'ils estiment, après un examen préliminaire, que la dénonciation est recevable et n'est pas manifestement non fondée, ils poursuivent l'examen des faits selon les dispositions des articles 10 à 14 inclus. Dans le cas inverse, ils communiquent par écrit au membre du personnel concerné les motifs pour lesquels ils estiment que l'affaire est irrecevable ou manifestement non fondée.

En cas d'instruction ou d'information sur l'irrégularité dénoncée, l'action des médiateurs se limite à un examen sommaire en vue de la mise sous protection du membre du personnel concerné.

Art. 6

Il est inséré dans la même loi un article 24quater rédigé comme suit:

« Art. 14quater. — Le membre du personnel dont la dénonciation d'une irrégularité est une dénonciation qui est recevable et qui n'est pas manifestement infondée telle que visée à l'article 2, § 2, est placé, à sa demande, sous la protection des médiateurs. Le Roi fixe la durée de la période de protection, qui doit être de deux ans au moins à dater de la conclusion du dossier ou, le cas échéant, d'une condamnation judiciaire définitive. Le Roi définit aussi les mesures de protection qui doivent se traduire au moins par la suspension des procédures disciplinaires et la fixation de règles d'attribution de la charge de la preuve. Le gouvernement fédéral prévoit, dans ses réglementations relatives au statut du personnel, des dispositions visant à exécuter l'arrêté royal.

Dès qu'ils reprennent l'affaire, les médiateurs informent sans délai le supérieur hiérarchique du fonctionnaire concerné de cette protection. »

Art. 7

La présente loi entre en vigueur le 1er janvier 2008.

12 juillet 2007.

Wouter BEKE.
Dirk CLAES.
Sabine de BETHUNE.
Nahima LANJRI.
Els SCHELFHOUT.
Hugo VANDENBERGHE.
Luc VAN DEN BRANDE.
Tony VAN PARYS.