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26 OCTOBRE 2007
La présente proposition de loi reprend le texte d'une proposition qui a déjà été déposée au Sénat le 4 juillet 2005 (doc. Sénat, nº 3-1277/1 — 2004/2005).
Du 25 avril 1996 au 30 avril 1997, la commission d'enquête parlementaire instituée dans le but d'élaborer une politique en vue de lutter contre les pratiques illégales des sectes et le danger qu'elles représentent pour la société et pour les personnes, particulièrement les mineurs d'âge, a consacré un examen approfondi au phénomène des « sectes », à leur fonctionnement, aux différentes méthodes de recrutement et aux pratiques utilisées par les organisations sectaires.
Les dangers que les activités des sectes représentent pour la société en général et pour les mineurs en particulier, et les abus déjà constatés ont eux aussi été largement évoqués dans le rapport de la commission d'enquête parlementaire du 28 avril 1997 (1) .
I. UN PHÉNOMÈNE MULTIFORME À LA DANGEROSITÉ ÉVOLUTIVE
La commission d'enquête sur les sectes a donné les définitions suivantes de la notion de « secte »:
— La secte stricto sensu: un groupe organisé de personnes qui ont la même doctrine au sein d'une religion.
Dans une telle acception, la « secte » en soi traduit un usage de la liberté religieuse et d'association garantie par la Constitution belge. Dans cette acception, la notion de « secte » se confond avec la formulation proposée par les sociologues des religions: les « nouveaux mouvements religieux ».
— Les organisations sectaires nuisibles: un groupement à vocation philosophique ou religieuse, qui, dans son organisation ou sa pratique, se livre à des activités illégales dommageables, nuit aux individus ou à la société ou porte atteinte à la dignité humaine.
Parmi les « sectes », certaines, soit par leur conception philosophique de base, soit par leur organisation, soit par une évolution dérivante de leur comportement et de leurs activités, se livrent à des pratiques nuisibles ou illégales. Elles mettent ainsi en cause les droits et les libertés garantis par la Déclaration universelle des droits de l'homme.
Certaines personnes ou certains groupements, ayant des objectifs dans le domaine de la santé, de l'alimentation et des méthodes thérapeutiques, et sans avoir de références philosophiques ou religieuses, peuvent avoir un comportement qui s'assimile à celui des organisations sectaires nuisibles.
— Les associations de malfaiteurs: outre les mouvements sectaires « inoffensifs » et les organisations « nuisibles », la commission d'enquête distingue également des mouvements qui utilisent une façade « sectaire » ou de pseudo-mouvement religieux pour dissimuler leurs pratiques illégales. Il s'agit dans ces cas sans aucun doute d'organisations criminelles déguisées en sectes.
La commission d'enquête a, à l'époque, énuméré dans son rapport une liste de critères permettant de qualifier de « nuisible » une organisation sectaire:
— des méthodes de recrutement trompeuses ou abusives: de nombreuses organisations ne dévoilent pas, du moins dans un premier stade, leurs véritables objectifs. Ainsi, les groupes qui visent l'exploitation financière ne dévoileront pas leurs véritables intentions. D'autres mouvements recrutent de nouveaux membres en recourant à des « organisations-écrans » (des organisations qui ne portent pas le nom du mouvement, mais qui opèrent sur ses ordres). En effet, celles-ci organisent souvent des activités annexes qui, à première vue, n'ont rien à voir avec leur objectif final. Des questionnaires de personnalité, des conférences culturelles, des cours de yoga ou d'arts martiaux, des formations professionnelles, etc., sont des exemples de ce type d'activités.
Ces activités se déroulent généralement en des endroits renommés ou prestigieux, comme de grands hôtels, des locaux universitaires, des lieux de culte reconnus, etc. De cette manière, ces activités acquièrent aux yeux du public une certaine respectabilité, voire une légitimité. Ce n'est qu'assez longtemps après avoir pris connaissance des « activités annexes » de l'organisation que l'adepte est confronté au véritable profil du mouvement. Les organisations sectaires utilisent donc un éventail d'écrans qui facilitent les conversions: masques religieux, culturel, écologique, médical, scientifique, etc.
— la manipulation mentale: les membres sont soumis et rendus disposés à répondre aux besoins totalitaires du groupe ou de son chef. En s'aidant de méthodes psychologiques adéquates, le groupe et le chef visent à se rendre maîtres de la conscience des membres. Très souvent, les membres n'ont pas conscience d'être victimes de manipulation. Ils ne sont dès lors pas toujours en mesure de déployer des stratégies de défense suffisantes;
— mauvais traitements physiques ou mentaux infligés aux adeptes ou à leur famille: certains aspects physiques, par exemple les habitudes de sommeil et les habitudes alimentaires, permettent au groupe à la fois d'exprimer son identité spécifique et de s'attacher définitivement l'adepte. La privation de sommeil et une alimentation insuffisante peuvent miner la résistance de l'adepte à un point tel que toute résistance s'en trouve étouffée dans l'oeuf;
— la privation de soins médicaux adéquats: certaines organisations rejettent avec force la médecine classique et optent pour des pratiques médicales alternatives. Bien que la médecine alternative ait quelque mérite, la commission a constaté que de nombreuses organisations rejettent par définition la médecine classique, avec toutes les conséquences qui s'ensuivent (elles refusent par exemple le recours à la chimiothérapie pour le traitement du cancer);
— le recours aux violences (sexuelles);
— l'obligation imposée aux adeptes de rompre avec leur famille et avec l'entourage familier: sous la pression du groupe et de son chef, les membres réduisent progressivement les contacts avec leur famille, leurs amis et leur cercle professionnel. Cette rupture est indispensable pour que le groupe puisse entièrement s'attacher le membre;
— l'enlèvement de mineurs: certains mouvements prévoient une éducation à l'étranger pour les très jeunes enfants dont les parents ont adhéré au groupe. Dans la majorité des cas, le jeune enfant part seul à l'étranger et n'a plus de contact avec ses parents ou avec sa famille (par exemple les grands-parents);
— des exigences financières disproportionnées: l'adhésion à certains mouvements représente un coût important. Le nouveau membre qui veut suivre un cours se trouve parfois contraint de payer un prix prohibitif;
— l'exploitation des membres sur le plan du droit du travail: la commission a constaté qu'il n'est pas rare que les membres d'une organisation sectaire soient forcés de fournir un nombre considérable de prestations en faveur du groupe et de son chef, bénévolement ou en échange d'une rémunération dérisoire. Celles-ci peuvent prendre la forme de travaux d'entretien des bâtiments appartenant au groupe ou d'une quelconque activité commerciale;
— rupture avec la société entière, diabolisation de celle-ci: il semble que ce soit le groupe qui statue en dernier ressort sur le monde psychique et physique des membres et des non-membres. Tous ceux qui ne peuvent pas ou ne veulent pas partager le message sont mauvais; ils sont à éviter et à éliminer. Si les profanes ne peuvent pas être convaincus de se joindre au groupe, ils peuvent être punis, voire anéantis. Cette réaction génère chez les membres un antagonisme à l'égard des non-membres et suscite chez eux de l'angoisse. Leur propre existence dépendra en effet de leur obéissance au groupe. On en arrive ainsi progressivement à l'identification totale de l'individu et de la doctrine;
— la volonté de destruction de la société;
— le recours à des méthodes illégales pour acquérir le pouvoir.
II. MÉTHODES DE RECRUTEMENT DE MOUVEMENTS SECTAIRES
Le recrutement
Des auditions et des études scientifiques ont clairement fait apparaître les éléments suivants:
— Il n'existe pas de profil psychologique type qui mènerait inéluctablement à l'adhésion à une secte et, à l'inverse, personne n'est immunisé contre l'influence exercée par un mouvement sectaire. Quasi tout le monde peut, dans certaines conditions, tomber sous l'influence de groupements sectaires. Les stéréotypes selon lesquels les recrutements se font essentiellement parmi les jeunes, les névrotiques et les personnes psychologiquement instables sont démentis par les faits. La plupart des recrues sont des personnes bien équilibrées, voire animées d'ambitions professionnelles, issues de familles unies, douées d'une intelligence normale et souvent idéalistes.
— Il y a certes des facteurs de vulnérabilité qui accroissent le risque d'influençabilité. Le risque de recrutement peut augmenter sensiblement en présence de certains traits de personnalité spécifiques, à savoir:
— la dépendance: manque d'assurance, désir d'appartenance à un groupe social;
— le manque d'assertivité: absence d'esprit critique, impossibilité de dire non;
— la crédulité: manque de capacité à remettre en question les informations rapportées et observées;
— la faible tolérance à l'ambiguité: besoin de réponses absolues et immédiates;
— le stress et les troubles psychiques à la suite de déceptions éprouvées dans la vie;
— l'idéalisme naïf;
— le désir de donner une dimension spirituelle à l'existence;
— la réceptivité aux états de transe;
— la méconnaissance des techniques de recrutement utilisées par de tels groupes;
— le désir de vivre en communauté.
— Les sectes et les groupes sectaires utilisent des techniques très diverses pour recruter de nouveaux membres. Toutefois, les techniques de recrutement utilisées par les organisations sectaires nuisibles présentent certains traits caractéristiques:
— des apparences trompeuses: les mouvements sectaires ne dévoilent pas ou guère leurs véritables objectifs, organisent les contacts introductifs dans des lieux qui ne présentent aucun caractère « suspect » et recourent à des organisations-écrans, qui apparaissent comme les véritables organisateurs;
— le « love-bombing »: les recrues potentielles sont entourées d'amour et d'affection de sorte qu'elles croient être dans un environnement idéal;
— l'appel à l'amour-propre: on donne aux recrues potentielles le sentiment qu'elles sont des êtres de grande valeur dans la mesure où elles ont de grandes exigences éthiques et religieuses et qu'elles ne se satisfont pas des réponses que la société apporte à leurs questions;
— les mesures de contrôle: les organisations sectaires tentent de contrôler leurs membres au maximum afin d'éviter à tout prix qu'ils ne puissent converser avec des personnes intéressées.
Les stratégies de persuasion et l'endoctrinement
Les mouvements sectaires nuisibles s'efforcent d'influencer leurs membres et leurs groupes dans la société dans le but d'établir certaines opinions et institutions par le biais de moyens psychologiques intensifs. Un élément crucial à cet égard est l'endoctrinement par lequel les disciples sont rendus dépendants du groupe de diverses manières. Les membres du groupe doivent être assujettis aux besoins totalitaires du groupe ou de son chef et à leur satisfaction.
Les organisations sectaires nuisibles sont pointées du doigt non pas parce qu'elles propagent de temps à autre des théories bizarres ou ésotériques mais parce qu'elles imposent ce mode de comportement et de pensée à leurs membres (potentiels), et ce, à l'aide de stratégies de persuasion qui font fi de tout libre arbitre. Ces stratégies et techniques peuvent être définies comme une forme de contrainte mentale.
III. PRATIQUES DES MOUVEMENTS QUE LA COMMISSION D'ENQUÊTE PARLEMENTAIRE A IDENTIFIÉES
Aspects de la vie au sein d'une secte
— travail au sein d'une organisation sectaire: certains mouvements font travailler leurs membres gratuitement ou à un tarif dérisoire. Toutefois, la majorité des mouvements n'ont pas recours à de telles pratiques. En outre, les motivations sous-tendant ces pratiques peuvent être très diverses. Cette mise au travail dans un groupe thérapeutique peut remplir au premier chef une fonction thérapeutique. Les efforts physiques et certains travaux manuels occupent d'ailleurs une place importante dans de nombreux programmes thérapeutiques.
— aspects physiques de la vie au sein des sectes: alimentation, sommeil, habillement et soins corporels: les groupements sectaires possèdent souvent leur propre mode d'alimentation, des habitudes de sommeil typiques et d'autres formes de comportements par lesquels ils veulent accentuer la particularité et la supériorité de leur mode de vie. Un des objectifs cachés de ces aspects physiques est toutefois également d'attacher l'adepte à la secte, ces aspects étant utilisés comme les éléments d'un processus de conditionnement.
— soins médicaux: certains groupements optent ouvertement pour des formes de médecine alternative ou douce et déconseillent à leurs membres la médecine classique ou les empêchent d'y recourir. La croyance aveugle en certaines techniques naïves de la médecine dite alternative a déjà été à l'origine de plusieurs drames.
— pratiques sexuelles: certains mouvements sont accusés de propager des formes de comportement sexuel contraires à la législation pénale. D'autres groupes prônent une sexualité très libre. Enfin, il y a des organisations dans lesquelles le gourou abuse du pouvoir que lui confère sa fonction de chef pour entretenir des relations sexuelles avec des adeptes. Toutefois, la commission a également pu constater que certaines organisations respectent une morale très stricte.
— vie en communauté: les membres de groupements sectaires peuvent vivre en communauté ou en milieu familial.
— prosélytisme: les mouvements sont contraints d'attirer de nouveaux adeptes pour se perpétuer. Dès lors que la raison d'être du groupe est d'ordre financier, l'arrivée de nouveaux membres est synonyme de nouveaux revenus.
La rupture avec l'entourage
Certains mouvements essayent de provoquer la rupture avec le partenaire, la famille et les proches. Régulièrement, les contacts entre les membres et les personnes extérieures, et entre les membres eux-mêmes, sont sévèrement contrôlés. C'est une manière pour le mouvement de maintenir les disciples dans la secte et de leur inculquer l'idéologie du groupe. Par ailleurs, la commission a pu constater que, souvent, l'organisation tente d'empêcher les membres de la quitter. Après avoir quitté le mouvement qui leur est familier, les ex-membres sont souvent harcelés, du moins par certains groupes.
Les enfants et la secte
Non seulement des adultes, mais aussi des enfants se retrouvent dans des organisations sectaires. D'ailleurs, le nombre de mineurs d'âge dans ces sectes croît à vue d'œil. Tout comme les adultes, ils continuent à participer activement aux activités du groupe qu'ils connaissent depuis l'enfance.
Les groupements sectaires diffèrent par la place qu'ils accordent aux enfants en leur sein. Dans plusieurs d'entre eux, il n'y a pas ou guère de place pour les mineurs d'âge. D'autres groupements, en revanche, s'intéressent beaucoup aux enfants, à des fins qui ne sont pas toujours nobles.
Les enfants qui grandissent au sein d'une communauté évoluent dans un système social qui réduit autant que possible les contacts avec le monde extérieur. Tout comme aux adultes, on inculque aux enfants des valeurs univoques et un mode de vie présentant toutes les caractéristiques de la pensée totalitaire: un monde caractérisé par un système de valeurs propre, des conceptions et des règles de vie propres, une mentalité d'opposition au monde extérieur, l'opposition entre la bienveillance du monde intérieur et la malveillance du monde extérieur, le secret, l'isolement, l'élitisme et la peur du monde extérieur. Il en résulte que la communauté vit repliée sur elle-même, a peu de contacts avec l'extérieur et développe son propre système d'enseignement. En revanche, si les parents mènent une vie de famille normale, les enfants peuvent subir une forte influence de l'organisation sectaire.
Si le mineur décide à un certain âge de quitter le groupe, cela peut poser des problèmes dans la mesure où il se trouve brutalement confronté à un monde étranger, régi par des valeurs et des habitudes différentes. Une telle situation peut engendrer une forme d'aliénation, la méfiance et la crainte.
Les aspects financiers
Les groupements étudiés par la commission d'enquête tirent leurs revenus de trois sources:
— la vente de biens et de services, par exemple livres, périodiques, camelote, médicaments alternatifs, cours, formation ou thérapie,
— le travail gratuit pour le mouvement,
— les dons et donations.
Dans certains cas, ces objectifs financiers constituent la raison d'être du mouvement sectaire; dans d'autres cas, ils sont secondaires.
IV. LES ABUS CONSTATÉS
1. Sur le plan de la législation économique et fiscale
Les revenus qui sont affectés à l'exercice d'un culte public sont en principe soumis aux règles normales en matière d'impôt sur les revenus. La seule exception à la règle générale est constituée par le revenu des biens immobiliers. En vertu des articles 12 et 253 du Code des impôts sur les revenus 1992, le revenu cadastral des (parties de) biens immobiliers qu'un contribuable a affectés, sans but de lucre, à l'exercice d'un culte public est exonéré du précompte immobilier. La qualité de cette affectation est toutefois soumise à l'appréciation souveraine des juridictions. En Belgique, les Témoins de Jéhovah et l'ASBL « Assemblée spirituelle des Baha'is » bénéficient de cette exception.
En Belgique, un grand nombre d'organisations sectaires adoptent la forme juridique de l'association sans but lucratif. Aux termes de l'article 1er de la loi du 27 juin 1921, la personnalité juridique est accordée à l'ASBL (et aux établissements d'utilité publique). Conformément à la loi, l'ASBL est une association qui ne se livre pas à des opérations industrielles ou commerciales et qui ne cherche pas à procurer à ses membres un gain matériel. Si l'association remplit ces deux conditions, elle est considérée comme une ASBL et est soumise à l'impôt des personnes morales. Si elle ne les remplit pas, elle est considérée comme une société et est soumise à l'impôt des sociétés. Selon la jurisprudence, les ASBL peuvent avoir une activité lucrative si la totalité des bénéfices est affectée à la poursuite du but désintéressé qu'elles se sont donné pour fin. Les moyens ainsi procurés doivent dès lors être nécessaires à cette poursuite. Conformément à ladite réglementation, il y a donc peu d'ASBL qui sont redevables de l'impôt des sociétés.
La commission a constaté que de nombreuses organisations sectaires nuisibles enfreignent la législation fiscale. En effet, nombre de ces organisations déploient, à côté de leurs buts religieux, philosophiques ou culturels, diverses activités parallèles de nature commerciale qui deviennent prioritaires: ventes d'ouvrages ou d'objets divers, vente de remèdes « miracles », etc. La surveillance exercée sur les activités des ASBL semble nettement insuffisante.
En matière d'impôt des personnes physiques aussi, on constate pas mal d'abus. Ainsi, certains mouvements emploient des volontaires qui travaillent à temps plein pour l'organisation. Inutile de dire que cela représente un important manque à gagner pour le Trésor.
Certains mouvements sectaires se rendent également coupables d'évasion fiscale. Certaines organisations, généralement à vocation internationale, posséderaient un vaste patrimoine qui échapperait à la législation fiscale par l'intermédiaire de sociétés écrans ou de structures financières établies dans des paradis fiscaux. La commission a également attiré l'attention sur les groupements qui transfèrent leurs capitaux vers leur maison-mère située dans un pays où ils bénéficient de l'exonération fiscale, ayant été reconnus comme « église » ou « culte public ».
Enfin, les organisations sectaires recourent souvent à des pratiques liées au blanchiment de capitaux.
2. Sur le plan de la législation sociale
Il a déjà été souligné que, dans certains cas, une communauté formée autour d'une organisation sectaire est gérée, pour ainsi dire, par des membres qui travaillent bénévolement ou contre une rémunération dérisoire. L'ampleur des tâches imposées et la durée du travail peuvent être importantes et conduire à une véritable exploitation des membres.
Dans certains cas, il y a absence du versement de cotisations sociales et d'impôt sur les revenus, avec toutes les conséquences néfastes que cela entraîne ultérieurement pour les membres qui ont travaillé pendant des années pour l'organisation.
3. Sur le plan du droit civil
En ce qui concerne le respect des dispositions de droit civil, la commission a épinglé les problèmes suivants:
— la structure juridique des organisations sectaires: comme il a déjà été souligné, la plupart des organisations adoptent la forme juridique d'une ASBL. L'avantage de cette figure juridique est notamment la facilité avec laquelle l'ASBL peut être constituée et dissoute. Le fait de pouvoir rapidement dissoudre une ASBL et la faire renaître permet aux associations de se rendre pour ainsi dire invisibles en cas de poursuites judiciaires. De plus, les ASBL portent une dénomination qui ne fait pas directement référence à l'organisation sectaire en tant que telle. De cette manière, elles servent souvent de couverture au groupement sectaire.
— infractions au droit familial: certains mouvements obligent leurs adeptes à se marier avec une personne membre de leur propre mouvement. Souvent, les adeptes ont perdu toute forme de libre arbitre et d'esprit critique à la suite des techniques de manipulation utilisées par les dirigeants. D'autre part, ces derniers n'hésitent pas à obliger leurs membres à divorcer lorsque leur conjoint refuse d'adhérer à l'organisation en question.
— l'attribution du droit de garde des enfants (Code judiciaire): l'adhésion d'un des deux parents à une organisation sectaire a des conséquences pour l'enfant. Celles-ci sont trop souvent minimisées par les instances judiciaires. Si le droit de garde est confié au parent membre d'une organisation sectaire, le mineur d'âge se verra lui aussi soumis à une dépendance, tant matérielle que mentale.
— l'exercice de l'autorité parentale: l'adhésion du (des) parent(s) peut avoir pour effet que les relations affectives nécessaires à l'épanouissement de l'enfant ne sont plus entretenues.
— adoption: certaines organisations incitent leurs adeptes à adopter des enfants sans que cette adoption soit forcément fondée sur de « justes motifs » ou présente des « avantages pour l'enfant qui en fait l'objet ». L'adoption devient souvent un moyen (juridique) de recruter un nouvel adepte. Elle peut aussi être un moyen permettant aux dirigeants de la secte de s'approprier à terme l'héritage de ses adeptes.
— droit patrimonial: comme il a déjà été souligné, de nombreuses associations sectaires exigent de leurs adeptes de très importantes contributions financières, et les obligent à se départir de leurs biens immobiliers au profit du mouvement. Dans certains cas, les dons faits à l'organisation sectaire peuvent être d'une importance telle qu'ils constituent une violation du droit à la réserve héréditaire.
— reconnaissances de dettes, chèques en blanc et emprunts: pour faire face aux exigences financières de l'organisation, les dirigeants incitent parfois certains adeptes à signer des reconnaissances de dettes ou des chèques en blanc, ou encore à recourir à l'emprunt. Dans de nombreux cas se pose la question du consentement de l'intéressé.
— recouvrement de paiements: le financement des cours et autres services offerts par l'organisation s'effectue souvent par anticipation. Des litiges naissent au moment où l'adepte revendique la restitution des sommes versées, soit parce qu'il estime avoir été grugé par l'organisation, soit parce qu'il souhaite renoncer à son engagement après avoir pris connaissance du contenu ou de l'identité véritable du mouvement.
4. Sur le plan du droit pénal
La commission d'enquête sur les sectes constate que de nombreuses organisations foulent aux pieds les diverses dispositions pénales. En voici un aperçu succinct:
Les infractions punies par le Code pénal
Le problème se situe sur le plan de l'application de la législation en vigueur. Une application correcte implique indubitablement une connaissance suffisante du phénomène des sectes.
Parmi les infractions les plus courantes commises par un ou plusieurs membres d'une organisation sectaire à l'égard de tiers figurent:
les faux en écritures, commis avec une intention frauduleuse ou à dessein de nuire;
— l'abus de confiance;
— les extorsions;
— le recel;
— les vols;
— la calomnie et la diffamation.
Les autres infractions commises directement à l'encontre des membres du groupe par des dirigeants ou d'autres membres peuvent être considérées comme des « mesures » de participation, d'éducation ou de discipline au sein du groupe:
— les vols et fraudes;
— les infractions visant la protection des enfants mineurs;
— les atteintes à l'intégrité physique.
Dans leur grande majorité, ces infractions sont donc déjà passibles de sanctions pénales. La législation actuelle ne permet cependant pas de réprimer l'atteinte à l'intégrité « mentale » de l'individu. Dans l'état actuel de la législation, il n'est pas possible de protéger la dignité de la personne humaine s'il y a au sein d'un groupe abus d'une discipline associative qui déstructure à un degré intolérable la personnalité des adeptes. Enfin, l'incitation au suicide n'est actuellement pas réprimée par une disposition spécifique.
5. Les pratiques médicales ou pseudo-médicales abusives
Le domaine médical constitue un terrain privilégié pour le développement des activités sectaires. Des médecins ou d'autres membres du corps médical peuvent être liés à l'une ou l'autre organisation sectaire et distribuer à leurs patients des brochures de présentation de cette association. En outre, certains médecins pratiquent les méthodes de traitement prônées par ces groupements, souvent opposées à la médecine traditionnelle. Dans ces deux cas, le médecin manque à la déontologie de son ordre.
6. Autres types d'infractions
Enfin, la commission constate que des infractions sont commises à des lois pénales particulières:
— les infractions en matière de stupéfiants;
— les infractions à la législation portant réglementation de la fabrication, du commerce et du port des armes et munitions;
— les infractions à la loi du 29 juillet 1934 interdisant les milices privées;
les infractions à la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie.
V. LA PRÉSENCE CONCRÈTE DE SECTES DANS NOTRE SOCIÉTÉ
Deux faits qui se sont produits en décembre 1995 en France se trouvent à l'origine directe de la création de la commission d'enquête sur les sectes en Belgique:
— la publication, par l'Assemblée nationale française, du rapport d'une commission d'enquête analogue;
— le suicide collectif de membres de l'Ordre du Temple solaire au Vercors, en France.
L'assassinat et le suicide de membres de l'Ordre du Temple solaire en Suisse, au Canada et en France en 1994 et 1995 ont été orchestrés par les deux dirigeants du mouvement, MM. J. Di Mambro et L. Jouret, qui ont également trouvé la mort. Le fait que l'un d'entre eux, Luc Jouret, et deux des victimes avaient la nationalité belge a pu faire supposer et craindre qu'un tel drame puisse également se produire dans notre pays. De plus, le mouvement gardait également un siège dans la région bruxelloise.
C'est pour ces raisons que le premier président de la cour d'appel de Bruxelles a chargé le juge d'instruction Bruno Bulthé de procéder à des devoirs d'instruction concernant l'Ordre du Temple solaire.
Le juge d'instruction Bulthé s'est rapidement rendu compte que relativement peu de fonctionnaires de police avaient entendu parler du phénomène des « sectes ». Sur le plan juridique, le phénomène était quasiment inconnu. C'est pourquoi le juge d'instruction a choisi de faire appel aux services de la Sûreté de l'État, au Service général du renseignement et de la sécurité, à la Brigade spéciale de recherche de la gendarmerie de l'époque et à un certain nombre d'unités locales des anciennes polices judiciaire et communale.
L'Ordre du Temple solaire n'a jamais construit de structure d'organisation en Belgique. C'est donc une organisation difficile à cerner. De plus, l'Ordre n'a pas de siège d'activités. Les chefs du mouvement ne sont pas non plus clairement identifiables.
De nombreuses personnes se situent encore clairement dans la mouvance de l'Ordre du Temple solaire. Certaines n'osent parler de leurs expériences qu'avec réticence, d'autres nient carrément avoir un jour fait partie de l'Ordre. En France aussi, certaines personnes opposaient un démenti formel à toute implication dans le mouvement. Elles ont pourtant été identifiées plus tard parmi les victimes de la tuerie (-suicide) du Vercors en décembre 1995. Partant de là, le juge d'instruction Bulthé s'est déclaré convaincu qu'en Belgique aussi, il y avait entre 10 et 20 personnes susceptibles d'accomplir le même acte que les victimes découvertes en Suisse, au Canada et en France.
De plus, d'autres organisations sectaires se sont encore signalées négativement, dans le courant de 2004 et de 2005.
— En novembre 2004, la secte « Alphamega », basée à Lommel, et qui a des liens avec le « Vlaams Verbond van Pinkstergemeenten », a été mise en cause (2) .
— L'Église de Scientologie serait déjà infiltrée dans quinze entreprises belges et aurait établi des contacts avec l'Exécutif musulman (3) .
— Il ressort d'études effectuées par le Centre d'information et d'avis sur les organisations sectaires nuisibles que les églises protestantes baptistes et évangélistes sont en progression en Belgique (4) .
— La Sûreté de l'État a récemment lancé une mise en garde contre l'infiltration de la secte « Cercle des amis de Bruno Gröning » dans les maternités de Wallonie (5) .
VI. RECOMMANDATIONS
La commission d'enquête parlementaire a formulé quatre avis dans son rapport précité (6) :
1. La nécessité de prendre des mesures au niveau fédéral (sensibilisation, formation, renforcement des moyens d'action des instances concernées et intensification de la coopération avec les instances européennes et internationales).
2. La nécessité de prendre des mesures au niveau communautaire.
3. La nécessité d'une adaptation et d'une extension de l'arsenal juridique, compte tenu des dangers que présentent les organisations sectaires nuisibles.
4. La création d'un observatoire indépendant.
En réponse à cette dernière recommandation, la loi du 2 juin 1998, modifiée par la loi du 12 avril 2004, a créé un Centre d'information et d'avis et une Cellule administrative de coordination au sein du SPF Justice, qui sont chargés:
— d'étudier le phénomène;
— d'organiser un centre de documentation accessible au public;
— d'accueillir le public et de l'informer de ses droits et obligations;
— de formuler des avis et des recommandations à l'intention des instances publiques concernées.
Il ressort de ce qui précède que la commission d'enquête parlementaire avait à l'époque proposé, par sa troisième recommandation, d'introduire dans le Code pénal de nouvelles dispositions générales et spécifiques en vue de sanctionner la déstabilisation mentale d'un individu et l'abus de la situation de faiblesse d'un individu.
À ce jour, il semble que cette recommandation soit restée lettre morte, bien que le Centre d'information et d'avis précité ait lui aussi déjà conseillé de rendre punissable la terreur psychique exercée en groupe. On a jusqu'ici uniquement institué un groupe de travail chargé du suivi des recommandations de la commission d'enquête parlementaire.
Il ressort d'ailleurs de la réponse à une demande d'explication adressée à la vice-première ministre et ministre de la Justice qu'aucune initiative législative concrète n'etait prévue (7) .
La présente proposition de loi vise dès lors à concrétiser la troisième recommandation précitée de la commission d'enquête parlementaire.
Il est en effet indispensable de disposer d'une législation réfléchie et efficace pour pouvoir aborder certaines choses. À ce jour, les services de police et les parquets ne disposent pas de l'arsenal législatif adéquat pour pouvoir lutter contre les pratiques douteuses et répréhensibles de certaines sectes.
Dans l'intervalle, il est devenu possible de sanctionner d'autres formes d'atteinte à l'intégrité physique et psychique. Les auteurs de la proposition font référence:
— à la répression des attentats à la pudeur et du viol, qui sont sanctionnés plus lourdement lorsque la victime est mineure;
— aux articles 1er et 3 de la loi du 13 avril 1995 contenant des dispositions en vue de la répression de la traite des êtres humains et de la pornographie enfantine, où il est effectivement tenu compte du critère de vulnérabilité de la personne;
— à la loi du 11 juin 2002 relative à la protection contre la violence et le harcèlement moral ou sexuel au travail, qui vise notamment à sanctionner la terreur psychique au travail;
— aux articles 442bis et 442ter du Code pénal, insérés par la loi du 30 octobre 1998, qui visent à sanctionner le harcèlement d'une personne et prévoient que la peine sera doublée notamment si la victime est mineure ou handicapée.
Dans le prolongement de toutes les dispositions légales précitées, les auteurs de la proposition souhaitent insérer dans le Code pénal une nouvelle disposition pénale à portée générale, visant à garantir l'exercice des droits constitutionnels fondamentaux. Il est également essentiel de réprimer plus spécifiquement, par analogie avec le droit pénal français, l'abus de la situation de faiblesse d'un individu et l'incitation active au suicide.
Pour ce qui est du taux de la peine, les auteurs proposent une peine analogue à celle qui est infligée en cas de harcèlement, en application des articles 442bis et 442ter précités du code pénal.
Margriet HERMANS. Guy SWENNEN. |
Article 1er
La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.
Art. 2
Il est inséré dans le Code pénal, livre II, titre VIII, un chapitre IVter, intitulé « De la déstabilisation mentale des personnes et de l'abus de la situation de faiblesse des personnes », contenant les articles 442quater et 442quinquies, rédigés comme suit:
« Art. 442quater — Sera puni d'un emprisonnement de quinze jours à deux ans et d'une amende de 50 euros à 1000 euros ou d'une de ces deux peines seulement, quiconque aura, par voies de fait, violence, menaces ou manœuvres de contrainte psychologique contre un individu, soit en lui faisant craindre d'exposer à un dommage sa personne, sa famille, ses biens ou son emploi, soit en abusant de sa crédulité pour le persuader de l'existence de fausses entreprises, d'un pouvoir imaginaire ou de la survenance d'événements chimériques, porté atteinte aux droits fondamentaux visés au titre II de la Constitution et par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Art. 442quinquies — Sera puni d'un emprisonnement d'un mois à quatre ans et d'une amende de 100 euros à 2000 euros ou d'une de ces deux peines seulement, quiconque aura fait un abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse, soit d'un mineur, soit d'une personne particulièrement vulnérable en raison de son âge, d'une maladie, d'une déficience physique ou psychique ou d'un état de grossesse, pour obliger ce mineur ou cette personne à un acte ou à une abstention, qui lui sont gravement préjudiciables, ainsi que quiconque aura incité activement au suicide un mineur ou une personne en situation de faiblesse, lorsque l'incitation a été suivie du suicide ou d'une tentative de suicide du mineur ou de la personne concernée. »
Art. 3
La présente loi entre en vigueur le jour de sa publication au Moniteur belge.
6 septembre 2007.
Margriet HERMANS. Guy SWENNEN. |
(1) Rapport de l'enquête parlementaire visant à élaborer une politique en vue de lutter contre les pratiques illégales des sectes et le danger qu'elles représentent pour la société et pour les personnes, particulièrement les mineurs d'âge, A. Duquesne et L. Willems, Chambre, 28 avril 1997, doc. no 313/7-95/96, partie I, et no 313/8-95/96, partie II, 670 pp.
(2) Het Belang van Limburg, 9 novembre 2004.
(3) De Tijd, 13 septembre 2004 et De Morgen, 27 novembre 2004.
(4) De Standaard, 18 janvier 2005.
(5) De Morgen, 7 avril 2005.
(6) Rapport de l'enquête parlementaire, partie II, pp. 219-226.
(7) Demande d'explications no 3-484, 22 décembre 2004, Sénat de Belgique, Annales, no 3-90.