4-191/1

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Sénat de Belgique

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2007

19 SEPTEMBRE 2007


Proposition de loi spéciale modifiant l'article 87 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, ainsi que l'article 79 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises, en vue d'accroître le rôle des assemblées parlementaires dans l'organisation de l'administration et des cabinets ministériels

(Déposée par Mme Isabelle Durant et M. Josy Dubié)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition de loi spéciale reprend le texte d'une proposition qui a déjà été déposée au Sénat le 28 avril 2005 (doc. Sénat, nº 3-1151/1 — 2004/2005).

La séparation des pouvoirs est un principe fondamental de la démocratie. Il en va particulièrement ainsi entre le pouvoir politique et le pouvoir judiciaire: l'indépendance de la justice est une condition première de l'État de droit. Cette séparation des pouvoirs implique cependant des mécanismes de contrôle et de contrepoids réciproques pour éviter les dérives: cet équilibre entre les pouvoirs est une seconde condition de l'État de droit. Check and balance, comme disent les Anglo-saxons. Mais notre démocratie implique aussi la primauté du pouvoir législatif, seul détenteur de la légitimité populaire. Le Parlement est dès lors la source première de l'autorité des deux autres pouvoirs et le lieu privilégié de leur contrôle.

À l'heure où le pouvoir exécutif est devenu le véritable moteur de la décision politique, il importe de raffermir la légitimité et l'équilibre démocratique en renforçant les pouvoirs du Parlement dans sa fonction de contrôle et de contrepoids par rapport au gouvernement. De récentes affaires, largement médiatisées, ont montré que le contrôle parlementaire devait être accru, par exemple sur les dépenses et les missions des cabinets ministériels. Une société démocratique et soucieuse d'une gestion transparente des finances publiques doit en effet exiger des cabinets des ministres un travail efficace, rigoureux, et basé sur une véritable coopération avec les administrations. Pour réinstaurer la confiance dans le fonctionnement des cabinets ministériels, un arrêté du gouvernement ne saurait plus suffire. Et encore moins un code de bonne conduite ou un simple règlement d'ordre intérieur.

Il ne s'agit pas pour autant d'alimenter une certaine phobie de l'État. Les cabinets des ministres ont leur utilité. Ils ont pour rôle d'impulser les grandes orientations gouvernementales; de préparer les décisions; d'assurer l'interface avec la société par la concertation, la négociation, et in fine la communication des décisions prises. En cela, le cabinet du ministre permet à ce dernier d'assumer la responsabilité ultime des politiques menées. Parce qu'ils concentrent le pouvoir et constituent le lieu de la prise de décision finale, les cabinets ministériels doivent dès lors être soumis à des règles claires de gestion et à un contrôle parlementaire renforcé.

Pour emblématique qu'il soit, le dossier des cabinets ministériels n'est qu'un exemple parmi d'autres. Les domaines de l'organisation administrative sont trop nombreux dans lesquels le législateur ne peut jouer son rôle de garde-fou. Car les ministres et leurs cabinets passent, tandis que les administrations restent. Dépositaires de l'expertise, de la mémoire et du savoir, les services de l'administration sont de plus en plus écartés de la prise de décision. Coexistent alors de manière autonome d'une part des cabinets qui définissent les politiques et, d'autre part, des services administratifs qui assurent l'exécution des mesures. La coopération dans la loyauté doit redevenir la règle. L'administration doit retrouver, au-delà de la mise en œuvre au quotidien des politiques publiques, un rôle prépondérant dans l'aide à l'élaboration des décisions.

La présente proposition vise dès lors à rééquilibrer les rapports entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif concernant l'organisation, les missions et le fonctionnement de l'administration et des institutions gouvernementales, en ce compris les cabinets ministériels. L'objectif de cette réforme consiste à autoriser la fixation par les assemblées parlementaires d'un cadre et des limites à l'intérieur desquelles les ministres et les membres de leurs cabinets évolueront à l'avenir. Ce faisant, la présente proposition s'inscrit dans la droite ligne d'autres réformes récentes en matière de rééquilibrage des pouvoirs, comme l'introduction des mécanismes du parlementarisme rationalisé axé sur la motion de méfiance constructive ou la révision de la procédure de nomination des magistrats via le Conseil supérieur de la Justice.

La réforme proposée ici ne concerne toutefois que les entités fédérées que sont les régions et les communautés. Au niveau fédéral, le siège de la matière réside en effet dans l'article 107 de la Constitution, lequel n'est actuellement pas soumis à révision. Le renforcement du rôle des assemblées régionales et communautaires en matière d'organisation et de fonctionnement de l'administration et des institutions de leurs gouvernements respectifs pourra ultérieurement être étendu au niveau fédéral, comme ce fût le cas par le passé en matière de parlementarisme rationalisé (cf. à cet égard, Michel Leroy, « Les Régions et les Communautés, bancs d'essai de réformes nationales », dans l'« À l'enseigne de la Belgique nouvelle », Éditions de l'ULB, 1989, pp. 137 et suivantes.)

Si elle vise un élément important de notre équilibre des pouvoirs, tel que défini à l'article 87 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, la présente proposition de loi spéciale reste cependant extrêmement mesurée et souple. Il ne s'agit en effet pas, par exemple, que l'assemblée fédérée intervienne elle-même dans la nomination des agents de l'administration, comme le faisait jusqu'il y a peu le Parlement fédéral en matière de nomination des magistrats. Le pouvoir exécutif doit continuer à nommer seul le personnel de ses services administratifs et des institutions gouvernementales (article 2, B): c'est à la fois une question de principe (au vu de la séparation des pouvoirs, justement) et de bon sens.

Le rééquilibrage consiste plutôt à permettre au législateur décrétal d'adopter certaines règles de droit qui doivent régir ces nominations, ainsi que, de manière plus générale, l'organisation et le fonctionnement des organes administratifs, des institutions gouvernementales et des cabinets ministériels de la région ou de la communauté. La présente proposition de loi spéciale ne fait ainsi que transposer à l'égard des pouvoirs exécutifs fédérés le contrepoids législatif qui existe depuis toujours au niveau fédéral par rapport au pouvoir judiciaire: la loi règle l'organisation, les attributions et le fonctionnement des cours et tribunaux (cf. notamment, l'article 157 de la Constitution). Les décrets ainsi adoptés garantiront dès lors une plus grande stabilité des règles statutaires qu'ils contiendront.

Le dispositif proposé ici est au demeurant encore plus souple qu'en matière judiciaire, dans la mesure où il permet à chaque parlement fédéré de régler lui-même la matière ou d'en déléguer la compétence à son gouvernement (article 2, A). L'objectif de cette proposition est que le décret puisse fixer des balises et laisser ensuite à l'exécutif la latitude de préciser les règles de fonctionnement, le cadre et le financement des cabinets ministériels et des services administratifs. Chaque région ou communauté pourra ainsi définir l'équilibre qu'elle jugera le plus approprié entre les règles législatives de principe et les dispositions réglementaires d'application concernant son administration et ses institutions gouvernementales. La prééminence de chaque assemblée parlementaire est dès lors restaurée, dans une mesure qu'elle déterminera elle-même.

Au surplus, tant qu'un décret en la matière n'aura pas été adopté, l'équilibre entre les pouvoirs restera inchangé. La présente proposition de loi contient en effet une disposition dérogatoire qui maintient de manière transitoire la compétence actuelle du pouvoir exécutif en matière administrative (article 4). Les règles statutaires de nature réglementaire existantes, prises sous l'empire de l'actuel article 87 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, continueront donc à s'appliquer, même en l'absence de base décrétale. La sécurité juridique des agents de toutes les administrations et institutions régionales et communautaires est ainsi préservée.

La présente proposition de loi spéciale s'applique de la même manière à la Région bruxelloise et à la Communauté germanophone, dans la mesure où l'article 87 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles leur est rendu applicable par les articles 40 et 55 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises et par l'article 54 de la loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone. En revanche, l'article 79 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises doit également être revu pour rendre cette réforme identiquement applicable aux Commissions communautaires bruxelloises (article 3).

Par cette importante réforme, les auteurs de la présente proposition de loi spéciale entendent donc renforcer le rôle des assemblées parlementaires dans l'organisation de l'administration et des cabinets ministériels, et ainsi moderniser l'équilibre entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif au sein des régions et des communautés.

Isabelle DURANT
Josy DUBIÉ.

PROPOSITION DE LOI SPÉCIALE


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 77 de la Constitution.

Art. 2

À l'article 87 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, modifié par les lois spéciales du 8 août 1988 et du 16 juillet 1993, sont apportées les modifications suivantes:

A) le § 1er est complété par un alinéa 2, rédigé comme suit:

« Sans préjudice du § 2, l'organisation, les missions et le fonctionnement, en ce compris le cadre organique et les règles de recrutement du personnel, de cette administration et de ces institutions, en ce compris les cabinets ministériels, sont définis par ou en vertu du décret. »

B) au § 2, alinéa 1er, la première phrase est remplacée par la disposition suivante:

« Chaque gouvernement procède aux nominations du personnel de son administration. »

Art. 3

L'article 79, § 1er, de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises, est remplacée par la disposition suivante:

« § 1er. L'article 87 de la loi spéciale est applicable à chaque Commission communautaire, moyennant les adaptations nécessaires. »

Art. 4

Par dérogation à l'article 87, § 1er, alinéa 2, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, et jusqu'à l'entrée en vigueur du décret qui y est visé, chaque gouvernement fixe le cadre du personnel de son administration et procède aux nominations.

L'alinéa 1er est applicable, moyennant les adaptations nécessaires, à la Région de Bruxelles-Capitale, ainsi qu'aux commissions communautaires visées à l'article 60 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises.

Art. 5

La présente loi entre en vigueur le jour de sa publication au Moniteur belge.

12 juillet 2007.

Isabelle DURANT
Josy DUBIÉ.