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26 JUILLET 2007
La présente proposition reprend le texte du DOC 51 1707/001.
Dans le domaine de l'infiniment petit, on va de plus en plus loin. Aujourd'hui, la nanotechnologie permet la conception et la réalisation atome par atome de minuscules structures. On est dans l'ordre du millionième de millimètre ou nanomètre !
Ces nanostructures possèdent de nouvelles propriétés qui permettent des applications nouvelles dans des domaines très diversifiés comme la médecine, l'électronique, la biotechnologie, l'informatique, la communication, l'optique, ...
En terme de compétition et de concurrence, les nanotechnologies représentent à la fois un enjeu industriel et technologique important (certaines parlent même de révolution industrielle) mais aussi un réel défi au niveau intellectuel et culturel.
Quelques exemples:
— Industrie automobile et aéronautique: conception de microcapteurs sensibles à l'accélération capables de contrôler le déclenchement des coussins gonflables dans les voitures, de peinture extérieure sur laquelle la saleté n'a pas de prise, de pneus renforcés par des nanoparticules d'une durée de vie plus longue et recyclables.
— En médecine, création de systèmes de diffusion des médicaments qui ciblent les endroits précis dans le corps, de nanomatériaux permettant la régénération des os et des tissus ....
— Dans le domaine optique, il existe un système à base de micro-miroirs qui permet de perfectionner la résolution des images numériques.
— Dans le domaine de la défense: Élaboration des systèmes de surveillance miniaturisés, de textiles légers qui se réparent d'eux-mêmes, des matériaux et recouvrements nanostructurés plus résistants ...
Implications et risques:
Bien que la recherche dans le domaine de la nanotechnologie n'en soit qu'à ses prémices, ce nouveau domaine d'intérêt a déjà un impact important à plusieurs niveaux.
Les nanotechnologies effrayent. En effet, pris au niveau atomique les matériaux peuvent présenter des propriétés complètement différentes — et c'est ce qui fait d'ailleurs tout leur intérêt — susceptibles d'entraîner des effets imprévisibles. Plus précisément, c'est la petite taille des particules ainsi que la compression des électrons des atomes dans un espace restreint qui suscitent une variation des propriétés chimiques, thermiques, optiques ....
Des études en toxicologie ont ainsi évoqué les risques liés à l'interaction des nanomatériaux avec le vivant. La santé humaine et l'environnement sont donc directement concernés. C'est par exemple le cas pour les nanotubes de carbone qui figurent déjà dans les voitures et les raquettes de tennis. On ignore encore si les ressemblances structurelles entre ces nanotubes et l'amiante ne sont pas sources de danger.
Au niveau éthique, les applications de la nanotechnologie suscitent également de vives réactions. C'est notamment le cas avec la possibilité que donnent les nanotechnologies d'introduire des nanorobots dans le corps (on retrouve ici le même débat que celui suscité par les manipulations génétiques).
La question du droit à l' « intimité génétique » est également soulevée.
À ces risques s'ajoutent les menaces posées en termes de vie privée: les nanotechnologies vont permettre de créer des caméras ou des micros de surveillance nanoscopiques et donc invisibles. Quid du droit à la vie privée ? Quelles limites ?
Enfin, les applications militaires de ces nanotechnologies réveillent, elles aussi, des controverses. L'armée américaine est un des plus gros investisseur dans le domaine. Une application possible serait la constitution de nanorobots capables de détruire des blindages ennemis ...
Mais, le scénario le plus appréhendé par les opposants au développement de ces nouvelles technologies est celui de la « gelée grise » qui consiste en une prolifération incontrôlée de nanorobots ! ! ! ! Pour fonctionner ces nanorobots doivent être très nombreux et dotés d'une capacité d'auto-reproduction.. Fiction ou réalité plus ou moins lointaine, ce risque éventuel fait de plus en plus débat.
Quelques chiffres
En 2000, le Président Clinton lance la National Nanotechnology Initiative — NNI — (voir infra). Le budget de celle-ci avoisina les 270 millions de dollars pour l'année 2001. Pour l'année 2002, l'effort de recherche fédéral américain dans le cadre du NNI s'est élevé à 604 millions de dollars. En 2003, 710 millions de dollars y seront consacrés par l'État., soit une hausse de 17 %. En 2004, le budget fut de 961 millions de dollars. Pour 2005, la demande de crédits s'élève à 982 millions de dollars, soit une augmentation de 2 %.
Dans son 6e programme-cadre, l'Union européenne consacre 1300 millions d'euros aux nanotechnologies, ce qui revient à environ 216 millions d'euros par an pour le budget européen.
Plus de 30 % des sommes investies pour les nanotechnologies dans le monde par les États sont donc le fait des États-Unis, à égalité avec le Japon. L'Europe arrive en troisième position.
Il est difficile de chiffrer la part de financement du secteur privé au niveau de la recherche et du développement de ces nouvelles technologies. Néanmoins, des estimations ont été réalisées. Selon celles-ci, le financement privé serait de l'ordre de 66 % au Japon et aux États-Unis et de 56 % en Europe.
La lutte contre le terrorisme passant par les nanosciences, les investissements militaires officiels en la matière sont considérables. Le ministère de la Défense américain (DoD) soutient nombre d'activités des laboratoires civils.
Le champ d'investigation des nanosciences est immense. La question se pose de savoir si les pouvoirs publics doivent exercer une quelconque responsabilité dans le développement de ces recherches.
Les réactions à cette interrogation sont loin d'être univoques.
Ainsi afin de prévenir les risques liés à l'application des nanotechnologies, il a été proposé aux États-Unis de créer un comité regroupant différentes agences gouvernementales sur la recherche et le développement en nanotechnologie. Ce comité établit une sorte de contrôle sur les différents projets utilisant des nanotechnologies.
L'idée sous-jacente est la suivante: le développement des nanotechonologies doit être contrôlable et traçable ».
D'autres songent à une réglementation fixant une sorte de « quota » — « seuil » de production pour répondre aux effets néfastes de l'utilisation des nanotechnologies sur l'environnement et la santé.
D'autres encore réclament un moratoire pour la recherche sur les nanotechnologies.
Comme pour d'autres domaines de recherches, notamment sur le vivant, l'auteur de la présente proposition estime qu'un tel moratoire ne constitue pas une solution pertinente car il retarderait les recherches et donc les effets bénéfiques que la société pourrait en tirer. Cette attitude serait, comme le souligne la Commission européenne, contre-productive. D'autant que des recherches seront alors menées en dehors de tout cadre réglementaire et donc en dehors de tout contrôle.
Par ailleurs, l'idée de quotas doit aussi être écartée, le critère à retenir ne devant pas être celui de la quantité mais bien davantage celui de la pertinence et des risques encourus.
La Commission européenne a proposé une vision plus réaliste dans sa communication du 13 mai 2004 (1) .
Elle prévoit et recommande plusieurs pistes.
Elle souligne tout d'abord que « les nanotechnologies doivent être développées de manière sûre et responsable. Les principes éthiques applicables doivent être observés ».
La Commission appuie le besoin de recenser les problèmes de sécurité, de prendre en compte de manière plus soutenue la question des risques potentiels sur la santé, l'environnement, les consommateurs, ... au niveau de la recherche et du développement dans les domaines concernés.
Il convient dès lors d'encourager, en parallèle de la recherche scientifique, des études visant à mesurer l'éventuelle toxicité et l'impact sur l'environnement et la santé de l'application des nanotechnologies.
Plus concrètement la Commission encourage chaque état à promouvoir l'adaptation des procédures d'évaluation des risques afin de tenir compte des problèmes particuliers posés par l'application des nanotechnologies. L'intégration de l'évaluation des risques pour la santé humaine, l'environnement, les consommateurs et les travailleurs dans toutes les étapes du cycle de vie de la technologie.
Cette même communication affirme qu'une « réglementation adaptée dans le domaine de la santé publique, de la protection des consommateurs et de l'environnement est primordiale ». Les modalités d'utilisations des nanotechnologies posent en effet la question d'éventuelles adaptations des législations en vigueur dans les domaines comme la protection de la vie privée, l'espionnage, les enregistrements, ...
De fait, l'utilisation des nanobiotechnologies à des fins de localisation ou de contrôle des individus peut se révéler intéressante dans certaines circonstances mais également fortement dangereuse en cas d'utilisation orientée par des intentions moins louables. (ex: puces dans la peau, utilisation des « poussières intelligentes » — composées de minuscules capteurs, ces poussières seraient capables d'établir par exemple le bilan précis d'une situation d'incendie ou de séisme par exemple — à des fins d'espionnage, ...).
La Commission évoque également la nécessité d'établir un système d'infrastructures cohérent.
Afin de déterminer avec une certitude raisonnable les risques potentiels d'application dévoyée des recherches en nanotechnologie, il paraît nécessaire de poursuivre la réflexion sur un plan scientifique et éthique.
Cette réflexion serait également nécessaire au regard de l'information du public. La communauté scientifique a en effet un devoir de communication et de dialogue afin que le citoyen puisse se faire une opinion objective des risques et des avantages que représentent les recherches dans ce domaine. Le degré de risque doit être publiquement connu et reconnu et il ne doit pas s'agir d'une acceptation a posteriori. Cette publicité est d'autant plus difficile que les nanotechnologies sont imperceptibles à l'œil nu ...
Le manque de communication ne fera qu'alimenter les scénarios de science-fiction tel que celui de la « gelée grise ».
C'est pourquoi nous proposons de créer un groupe d'étude pluridisciplinaire chargé de rédiger un rapport sur l'état actuel des connaissances dans le domaine ainsi que sur les diverses implications relatives à l'application des recherches en nanotechnologie dans tous les secteurs concernés.
Les propositions du groupe d'experts pourraient, si nécessaire, concerner d'éventuelles modifications législatives ou réglementaires. Les conclusions seraient communiquées au Parlement qui organiserait un débat public et tirerait les conséquences de cette étude.
Le rapport devrait être rédigé dans un délai d'un an.
En Belgique
Vu le potentiel important que représentent les nanotechnologies, un certain nombre de pays se sont déjà dotés de programmes de recherches et de développement prévoyant des investissements dans la matière.
À la demande de la Région wallonne, le Professeur Issi de l'UCL a réalisé en 2001 une étude sur le potentiel wallon en matière de nanotechnologies.
Cette étude concluait que l'activité scientifique importante dans la région wallonne n'entraîne pas une reconnaissance de la Wallonie en tant que région développant une activité dans le secteur. Pourtant durant les 10 dernières années, la Communauté française a enregistré un accroissement sensible des recherches dans le domaine de la science des matériaux et plus particulièrement dans le domaine des systèmes à dimensionnalité réduite et celui des nanosystèmes.
Le rapport recommandait donc que soit lancé un programme mobilisateur visant à encourager les recherches dans ce domaine.
Cela fut fait. Le « programme nanotechnologie » a été lancé avec les objectifs suivants:
— développer des projets de recherche en vue de constituer des socles de compétences dans le domaine des nanotechnologies sur lesquelles les industries peuvent s'appuyer pour développer de nouveaux produits et par-là contribuer au développement économique régional;
— renforcer le potentiel scientifique et technologique des unités de recherche universitaire, des hautes écoles et des centres de recherche en Région wallonne;
— favoriser la collaboration entre universités, hautes écoles et/ou centres de recherche dans des domaines complémentaires axés sur la nanotechnologie telle que définie par le prochain programme cadre de l'Union européenne;
— soutenir la création de réseaux wallons en nanotechnologie de manière à favoriser l'intégration de ceux-ci au sein de l'Espace Européen de la Recherche et de l'Innovation.
En septembre 2001, la région a lancé un appel aux propositions. Résultat: octroi par la direction Générale des Technologies, de la Recherche et de l'Énergie de 13 109 097,25 euros à 7 projets retenus sur 19 introduits. Les projets retenus se répartissent de la manière suivante:
Technologische domeinen. — Domaines technologiques | Chimic-Materialen. — Chimic-Matériaux | Uitrustingsgoederen. — Biens d'équipement | Menselijke gezondheid. — Santé humaine | Technologieën in verband met het leven en de voedingsmiddelenindustrie. — Technologies du vivant et Agroalimentaires |
Aantal projecten. — Nombre de projets | 3 | 1 | 2 | 1 |
Begroting (in euro). — Budget en euros | 5 066 665,50 | 2 335651,00 | 3 841 549,75 | 1 865 231,00 |
Répartition par domaine technologique du budget octroyés au programme « NANOTECHNOLOGIES « en 2002.
Ces projets s'étendent sur une période de 4-5 ans et font l'objet d'une évaluation semestrielle.
Au plan européen
— Il a fallut attendre le sixième programme-cadre 2002-2006 de la Commission européenne pour que l'importance des nanotechnologie soit reconnue. Et ce, même si le quatrième et le cinquième programme-cadre avaient déjà financé certains projets.
L'objectif de ce programme-cadre, dans son volet nanotechnologies et nanosciences, est « d'aider l'Europe à se doter des capacités nécessaires pour développer et exploiter les nanotechnologies et les nanosciences afin de créer de nouveaux matériaux, dispositifs ou systèmes, pour le contrôle de la matière à l'échelle atomique ». Ce programme met en place de nouveaux instruments comme les projets intégrés et les réseaux d'excellence.
Le budget consacré au volet « nanotechnologie » est de 1 300 millions d'euros qui se répartissent sur trois grands domaines d'action:
— nanotechnologie et nanoscience: l'objectif est d'encourager la mise en place d'une industrie européenne autour des nanotechnologies et de stimuler son développement;
— matériaux multifonctionnels basés sur la connaissance: encourager le développement des nouveaux matériaux qui seront le moteur de l'innovation industrielle;
— nouveaux procédés et moyens de production: objectif est de développer des systèmes industriels comprenant une conception du cycle de vie des produits.
— Le 13 mai 2004, la Commission européenne a adopté une stratégie visant à renforcer les investissements, les infrastructures et les activités de recherche et développement dans le domaine des nanotechnologies. Elle recommande une approche européenne intégrée dans la matière.
Aux États-Unis
Il existe le « Nanotechnology Research and Developement Act of 2003 » don't le but est d'établir un programme national d'investissements dans la recherche et l'éducation et accélérer les applications commerciales dans le secteur privé. Cette loi autorise la dépense de 3,7 milliards de dollars de subventions fédérales sur trois ans à partir de 2005 pour financer des projets menés sous l'égide de la National Nanotechnology Initiative (NNI).
Ce programme repose sur une vingtaine d'agences et organismes fédéraux travaillant dans les domaines de l'environnement, de l'agriculture, de la sécurité nationale, de la santé publique et de l'espace.
Ce financement devrait permettre de créer une institution permanente, le NNRP: National Nanotechnology Research Program, pour remplacer le programme NNI (National nanotechnology Initiative) déjà en place. Ce nouveau programme servira à coordonner les différentes agences encourageant la recherche nanotechnologique dans les domaines des matériaux, électronique, médecine, santé, chimie, biotechnologie, etc ...
Le programme servira aussi à établir des centres où les différentes agences nationales pourront interférer pour partager leurs connaissances, renforçant les centres préexistants.
Philippe MONFILS. |
Le Sénat,
A. Considérant que les recherches sur l'infiniment petit (nanotechnologie) ouvrent des perspectives de progrès et de développement dans de nombreux domaines tels que l'informatique, la santé et la biotechnologie, les communications, l'aéronautique, la défense;
B. Considérant que comme dans tout nouveau champs de recherche, il convient, sans nuire à la liberté scientifique, de prévenir tout risque disproportionné pour l'être humain et de garantir le respect des libertés fondamentales comme le droit à la vie privée;
C. Considérant que l'installation d'un moratoire sur ces recherches priverait la société de toutes perspectives de progrès dans les domaines concernés et qu'un tel moratoire refléterait l'impuissance des états démocratiques à baliser ce champ d'expérimentation pour en éliminer les effets négatifs tout en valorisant les avantages apportés par ces nouvelles technologies;
D. Considérant néanmoins que les nanotechnologies risquent d'avoir un impact important sur les modes de vie des générations futures;
E. Considérant qu'il est opportun, dans l'état actuel des connaissances d'analyser en profondeur cet impact et d'informer dès maintenant les citoyens de ce nouveau champ d'investigations comme des conséquences des applications industrielles de ces recherches;
demande au gouvernement:
1. de constituer un groupe d'étude constitué d'experts de toutes les disciplines concernées chargé de déterminer l'état actuel des connaissances et de la recherche en nanotechnologie;
2. d'analyser leur importance présente et future dans les différents secteurs, leurs implications sociétales et éthiques;
3. de proposer le cas échéant les modifications législatives ou réglementaires nécessaires que demanderait l'application des nanotechnologies pour éviter toutes conséquences nuisibles sur l'être humain et les libertés fondamentales;
4. de veiller à ce que ce groupe d'étude rende son rapport dans un délai d'un an. Ce rapport sera communiqué aux Chambres législatives et aux parlements communautaires et régionaux.
12 juillet 2007.
Philippe MONFILS. |
(1) Communication de la Commission — Vers une stratégie européenne en faveur des nanotechnologies (COM 2004/338 (final)).