4-34/1

4-34/1

Sénat de Belgique

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2007

12 JUILLET 2007


Proposition de loi relative à la parenté sociale

(Déposée par M. Christophe Collignon et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition de loi reprend le texte d'une proposition qui a déjà été déposée au Sénat le 22 novembre 2006 (doc. Sénat, nº 3-1934/1 — 2006/2007).

La présente proposition de loi crée au sein des familles une nouvelle institution: la parenté sociale.

Les réalités des familles sont multiples et diverses, suite à l'émergence, à côté de la famille dite traditionnelle (parents et enfant(s)), d'autres types de familles: familles monoparentales; familles recomposées, éventuellement plusieurs fois; et familles homoparentales. Les enfants sont dans certains cas éduqués par des personnes qui ne sont pas leur(s) parent(s) biologique(s). Il s'agit le plus souvent du nouveau conjoint du parent biologique, qui s'occupe parfois des enfants de son partenaire comme s'il s'agissait des siens.

Parallèlement, certains membres de la famille proche — grand-parent, tante ou oncle, sœur ou frère, ... — peuvent également prendre une place considérable dans l'éducation d'un enfant, pour des raisons diverses. Ils apportent dans certains cas une aide importante au(x) parent(s) biologiques ayant des difficultés d'ordre divers (problème de santé physique ou mentale, décrochage social, ...) ou n'exerçant plus de facto leurs responsabilités de parents.

L'objectif de la présente proposition de loi relative à la parenté sociale est de reconnaître socialement et protéger juridiquement les liens existant entre une personne n'étant pas le parent biologique de l'enfant et ce dernier, (1) lorsque cette personne — le parent social — s'implique effectivement dans l'exercice des responsabilités parentales, (2) lorsqu'il existe une relation affective spécifique entre l'adulte et l'enfant et (3) lorsque la parenté sociale sert au mieux l'intérêt de l'enfant. Il peut par exemple s'agir du nouveau conjoint ou partenaire d'un parent, qui s'est occupé pendant des années des enfants de celui-ci, ou de la tante qui a véritablement pris en main l'éducation des enfants de sa sœur parce celle-ci ne pouvait ou ne voulait l'assumer.

L'établissement de la parenté sociale vise entre autres à répondre à une demande de certaines familles confrontées à des difficultés pratiques dans leur vie quotidienne. À l'heure actuelle, le parent social ne dispose en effet d'aucun droit ou d'obligation à l'égard de l'enfant dont il s'occupe, avec les problèmes qui peuvent en résulter. Par exemple, ce parent ne peut pas, en principe, signer le bulletin de l'enfant, aller le chercher à l'école sans autorisation spécifique de l'autre parent ou emmener l'enfant en vacances à l'étranger.

Si les chiffres de l'Institut national de statistique ne permettent pas d'établir avec précision le nombre d'enfants élevés dans des familles recomposées ou par un parent non biologique (en dehors des cas d'adoption), divers facteurs permettent de mesurer l'étendue du phénomène. Les couples divorcent davantage que par le passé et de plus en plus tôt (il y a eu en Belgique en 2005 43 182 mariages et 30 844 divorces; un mariage sur trois environ termine par un divorce). Les familles monoparentales sont également en augmentation (ces familles représentent de 12 % à 14 % de l'ensemble des ménages). On estime, en France, qu'un mariage sur trois est un remariage aboutissant à la création d'une famille recomposée.

L'auteur considère, au vu de ce contexte, qu'il convient de répondre aux différentes demandes émanant de la société civile et des associations et prévoir une structure proposant une solution claire aux besoins exprimés. Le présent texte constitue une avancée par rapport aux autres propositions de loi existantes, qui soit comportent des erreurs juridiques, soit sont incomplètes parce qu'elles ne règlent pas, notamment, les hypothèses de conflits entre le(s) parent(s) et le parent social ou le sort de la parenté sociale en cas de décès d'un des parents, social ou non.

Le parent social peut être de deux ordres: soit le partenaire du parent, à condition qu'il cohabite effectivement avec l'enfant pendant au moins trois ans; soit un membre de la famille proche (grand-parent, tante ou oncle, sœur ou frère). Comme indiqué ci-dessus, il est important de reconnaître, dans certains cas, le rôle que les membres familiaux peuvent jouer dans l'éducation des enfants.

Le texte insiste sur la nécessité de la plus-value de la parenté sociale pour l'enfant. Elle ne sera dès lors établie que si cette parenté rencontre les intérêts de ce dernier.

La présente proposition distingue ensuite deux hypothèses: lorsqu'il n'y a qu'un seul parent biologique et donc une seule personne qui exerce l'autorité parentale, suite à un décès ou dans le cas d'une famille monoparentale; et lorsqu'il y a deux parents biologiques. L'étendue des droits et obligations du parent social varieront en fonction de chacune de ces hypothèses.

Dans le premier cas, le parent social est titulaire des mêmes droits et obligations que le parent biologique, à l'exception des droits successoraux. Il s'agit des obligations d'hébergement, d'entretien, de surveillance, d'éducation et de formation (article 203 du Code civil). L'étendue des prérogatives exercées par le parent social ne pose aucune difficulté, puisqu'il n'y a au total que deux parents (le parent biologique et le parent social). L'enfant, quant à lui, a une obligation alimentaire à l'égard du parent social (article 205 du Code civil). Les donations ou les dispositions testamentaires entre le parent social et l'enfant bénéficient d'un régime successoral favorable (les droits de succession en ligne directe s'appliquent).

Les droits et obligations du parent social sont beaucoup plus limités lorsque l'enfant a deux parents qui exercent conjointement l'autorité parentale. Cette hypothèse vise principalement les familles recomposées. Cette limitation est cohérente dans la mesure où la création de la parenté sociale ne vise en aucun cas à (re)mettre en cause l'autorité parentale du/des parent(s) biologique(s) ou à en diminuer l'importance. C'est la raison pour laquelle le présent texte prévoit expressément que le parent social détient uniquement les droits et obligations liés à l'hébergement de l'enfant. Il s'agit en fait de l'ensemble des décisions liées à la vie quotidienne de celui-ci, à l'exclusion des décisions importantes relatives à sa santé, son éducation, sa formation, ses loisirs ou son orientation religieuse ou philosophique. Ces décisions continuent de relever de la compétence conjointe des deux parents biologiques. Le texte prévoit une exception: les droits et obligations du parent social peuvent être étendus lorsque l'autre parent biologique (c'est-à-dire le parent qui n'assure pas l'hébergement de l'enfant) s'est désintéressé de l'enfant depuis au moins deux ans à dater de l'introduction de la demande de parenté sociale. La proposition de loi prévoit également des solutions en cas de rupture entre le parent et le parent social qui vit avec ce dernier. Le droit d'entretenir des relations personnelles, tel que prévu à l'article 375bis du Code civil, s'applique.

La parenté sociale est une nouvelle institution juridique qui ne peut être établie que par le tribunal de la jeunesse. La demande doit être introduite par le parent biologique et le candidat à la parenté social. Lorsque l'enfant a ses deux parents biologiques qui exercent l'autorité parentale, le consentement du parent biologique non-demandeur est requis. De même, l'accord de l'enfant âgé de plus de 12 ans est obligatoire. Il est en effet essentiel, pour l'auteur de la proposition de loi, de ne pas s'immiscer dans les relations familiales et de prévoir l'accord exprès de toutes les personnes concernées, afin que la parenté sociale soit véritablement bénéficiaire pour toutes les parties. À nouveau, le texte prévoit dans ce cadre une exception: le consentement du parent non-demandeur n'est pas exigé lorsqu'il s'est désintéressé de l'enfant depuis au moins deux ans à partir de la date de l'introduction de la demande.

La proposition de loi prévoit spécifiquement de limiter la parenté sociale à une demande maximum par parent, afin d'éviter la multiplication ou la coexistence à outrance de parents sociaux et de compliquer inutilement les structures familiales. Elle autorise cependant une seconde parenté sociale dans l'hypothèse du décès du premier parent social.

La parenté sociale peut être modifiée ou supprimée, à la demande d'un parent biologique, du parent social ou du procureur du Roi.

Christophe COLLIGNON.
Philippe MAHOUX
Sfia BOUARFA.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

Il est inséré dans le livre premier du Code civil, un titre IXbis, comprenant les articles 387quater à 387octies, rédigés comme suit:

« Titre IXbis. De la parenté sociale

Art. 387quater. — § 1. La parenté sociale peut être accordée par décision judiciaire à une personne autre que le parent, qui s'implique de manière effective dans l'exercice des responsabilités parentales de l'enfant.

§ 2. Peut être parent social:

— le partenaire du parent, pour autant qu'il cohabite effectivement avec ce dernier et l'enfant depuis au moins trois ans à la date de l'introduction de la demande de parenté sociale;

— l'ascendant au deuxième degré;

— le collatéral au deuxième ou au troisième degré.

Dans tous les cas, le tribunal doit constater qu'il existe un lien d'affection particulier entre l'enfant et le candidat à la parenté sociale et que l'établissement de la parenté sociale sert au mieux les intérêts de l'enfant.

Art. 387quinquies. — Lorsque l'autorité parentale est exercée par un seul parent, le titulaire de la parenté sociale exerce conjointement avec le parent les droits et obligations inhérents à l'autorité parentale à l'égard de l'enfant.

Les dispositions du présent livre, titre IX, et les articles 203, 203bis, 205 et 207 à 211 s'appliquent.

Les libéralités entre vifs ou à cause de mort entre le titulaire de la parenté sociale et l'enfant et ses descendants sont soumises aux dispositions du droit successoral s'appliquant aux héritiers en ligne directe.

En cas de décès du parent, le juge de paix désigne le parent social comme tuteur, sauf si cette désignation est contraire à l'intérêt de l'enfant. Si le parent décédé a désigné une autre personne comme tuteur, le juge de paix décide en fonction de l'intérêt de l'enfant.

En cas de rupture entre le parent et le parent social, visé à l'article 387ter, § 2, premier tiret, l'autorité parentale est exercée conjointement par les deux parents conformément à l'article 374.

Art. 387sexies. — Lorsque l'autorité parentale est exercée conjointement par les deux parents, le parent qui assure l'hébergement de l'enfant peut déléguer au parent social tout ou une partie des droits et obligations dont il est titulaire à l'égard de l'enfant.

La parenté sociale ne peut en aucun cas porter préjudice à l'exercice de l'autorité parentale de l'autre parent.

La délégation ne peut porter que sur les droits et obligations liées à l'hébergement de l'enfant. Elle ne peut porter sur les décisions importantes concernant les autres compétences visées à l'article 374, alinéa 2, sauf si le parent non-demandeur s'est désintéressé de l'enfant depuis au moins deux ans à partir de la date d'introduction de la demande de parenté sociale.

Le parent demandeur et le candidat à la parenté sociale peuvent préciser, dans leur demande, les modalités relatives à l'entretien de l'enfant par le parent social.

L'article 373, alinéa 2, s'applique, en ce qui concerne les droits et obligations visés au § 1er.

En cas de rupture entre le parent et le parent social visé à l'article 387ter, § 2, premier tiret, l'article 375bis s'applique. Lorsque la délégation porte sur d'autres compétences que celles de l'hébergement, conformément au § 3 du présent article, les droits délégués continuent à être exercés conjointement par le parent et le parent social, conformément à l'article 374.

En cas de décès du parent-demandeur, le parent social reste titulaire des droits délégués conjointement avec le parent non-demandeur.

La délégation ne peut être demandée qu'une seule fois par le parent délégant.

Art. 387septies. — La demande d'obtention de la parenté sociale est introduite par le parent et le candidat à la parenté sociale devant le tribunal de la jeunesse du lieu du domicile de l'enfant, conformément aux articles 1034bis et suivants du Code judiciaire.

Lorsque l'autorité parentale est exercée conjointement par les deux parents, le consentement préalable du parent qui n'a pas introduit la demande est requis, sauf si ce dernier s'est désintéressé de l'enfant depuis au moins deux ans à partir de la date d'introduction de la demande de parenté sociale.

Le consentement préalable de l'enfant âgé de plus de douze ans est requis. L'enfant qui dispose du discernement requis est entendu, conformément à l'article 931, alinéas 3 à 7, du Code judiciaire.

Le tribunal de la jeunesse convoque en chambre du conseil les parents à l'égard desquels la filiation est établie et le candidat à la parenté sociale. Il vérifie si les accords requis aux §§ 2 et 3 sont rencontrés.

Il requiert l'avis du ministère public. Il peut ordonner la comparution en chambre du conseil de toute personne qu'il estime utile d'auditionner.

Le tribunal rejette la demande s'il constate, par décision motivée, que l'attribution de la parenté sociale serait préjudiciable à l'intérêt de l'enfant ou à l'exercice de l'autorité parentale.

Après le décès du parent social, une deuxième demande de parenté sociale peut être introduite conformément aux dispositions du présent titre.

Art. 387octies. — Le tribunal peut, à la demande d'un parent, du parent social ou du procureur du Roi, décider, modifier ou supprimer, dans l'intérêt de l'enfant, toute disposition relative à la parenté sociale.

12 juillet 2007.

Christophe COLLIGNON.
Philippe MAHOUX
Sfia BOUARFA.