3-2463/1

3-2463/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2006-2007

30 AVRIL 2007


Proposition de loi complétant l'article 18 du Code judiciaire et l'article 3 du titre préliminaire du Code de procédure pénale en vue de permettre des actions collectives

(Déposée par MM. Bart Martens et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


I. La notion d'« intérêt propre »: exposé du problème et principe

L'article 17 du Code judiciaire dispose que l'action ne peut être admise si le demandeur n'a pas qualité et intérêt pour la former.

En vertu de l'article 18, alinéa 1er, du Code judiciaire, une action n'est recevable que si le demandeur justifie d'un intérêt né et actuel. La jurisprudence et la doctrine ont ajouté à cela que l'intérêt doit être personnel, c'est-à-dire qu'il doit s'agir de l'intérêt propre d'une personne physique ou morale (1) .

La version actuelle du Code judiciaire procède d'une vision atomistique et individualiste. L'évolution de la technique, entre autres, entraîne une remise en cause du modèle de procédure « un contre un ». Aujourd'hui, de plus en plus d'actes peuvent en effet avoir une incidence sur un (plus) grand groupe de personnes. Leur effet ne se limite plus à un ou à quelques individus, contrairement à ce qui était le cas il y a un demi-siècle. La complexité de la société moderne et de l'économie engendre des situations dans lesquelles certains actes peuvent porter préjudice à un grand groupe de personnes. Ce préjudice peut être si restreint pour chaque individu pris séparément qu'il ne se justifie pas raisonnablement d'intenter une action ou même qu'aucun individu ne dispose de l'intérêt requis pour ester en justice (2) . Dans un tel cas, une association pourrait agir pour la collectivité.

Pour certains groupes sociaux, l'accès à la justice est très malaisé aujourd'hui. L'accès à la justice est souvent refusé aux groupes qui vivent en marge de notre société, ce qui leur fait courir le risque d'être encore plus marginalisés. Or, ce sont précisément les personnes qui ont le plus besoin de justice qui rencontrent le plus d'obstacles pour y accéder (3) . Les groupes marginalisés ne disposent pas de possibilités et de moyens financiers suffisants pour faire pression et revendiquer l'accès à la justice.

Les associations jouent un rôle important dans une démocratie. Les associations qui défendent un intérêt général ou collectif représentent un pan important de notre système social. Elles assurent une participation accrue de la population à toutes sortes d'évolutions de société ainsi qu'un soutien plus large, au sein de la population, en faveur de toute une série d'objectifs pertinents pour la société, comme la lutte contre le racisme, l'amélioration de l'environnement, la lutte contre l'exclusion sociale de groupes défavorisés, ... (4)

La démocratie tire bénéfice de ce que les citoyens puissent assumer des responsabilités par le biais d'associations en permettant à celles-ci d'ester en justice pour défendre des intérêts qui dépassent l'intérêt individuel (5) .

Nous souhaitons mettre fin à l'inégalité de traitement dont sont victimes certains groupes sociaux et faciliter l'accès à la justice pour toutes les associations. Il y a lieu d'élaborer une réglementation générale dont toutes les associations pourraient se prévaloir, pourvu qu'elles répondent à un certain nombre de conditions (cf. infra). Il faut, à cette fin, modifier l'article 18 du Code judiciaire, qui relève du droit judiciaire commun (6) . Le choix d'aménager le droit commun plutôt que d'introduire une loi ad hoc renforce en outre l'unité et la cohérence du droit.

La présente proposition de loi ne veut pas limiter le droit d'action collectif à certaines associations, telles que des groupements écologiques, par exemple. Les associations écologiques constituent l'un des groupes les plus actifs dans le débat sur l'accès à la justice pour les associations. À plusieurs reprises, elles ont lancé un appel pour que l'on s'attelle à la transposition, en droit interne, de la Convention d'Aarhus qui a été signée par la Communauté européenne et ses États membres en juin 1998 et que la Belgique a ratifiée. En signant la Convention d'Aarhus, la Communauté européenne s'engage, dans son ensemble, à améliorer l'efficacité de sa politique environnementale. Pour atteindre cet objectif, il faut également que l'on crée les conditions pour assurer que l'acquis communautaire soit appliqué effectivement en matière environnementale. À cet effet, il convient de mieux faire respecter le droit environnemental et de donner à des groupes représentatifs qui militent pour la protection de l'environnement un meilleur accès à la justice en matière d'environnement (7) . Le 3 janvier 2005, le Bond Beter Leefmilieu Vlaanderen a introduit une communication (8) au Comité d'examen du respect des dispositions de la Convention d'Aarhus en lui demandant si la législation et la jurisprudence belges étaient conformes aux conditions de la Convention d'Aarhus. Dans ses draft findings and recommendations du 26 avril 2006, le Comité déclare; « ... the Committee is not convinced that Belgium fails to comply with the Convention. ». Les recommandations formulées par le Comité sont toutefois importantes:

« Therefore, the Committee, pursuant to paragraph 36 (b) of the annex to decision I/7, recommends the Party concerned to:

undertake practical and legislative measures to overcome the previous shortcomings reflected in the jurisprudence of the Council of State in providing environmental organisations with access to justice in cases concerning town planning permits as well as in cases concerning area plans; and promote the awareness of the Convention, and in particular the provisions concerning access to justice, in the Belgian judiciary. ».

Nous voulons, par la présente proposition de loi, donner suite aux recommandations du Comité d'examen du respect des dispositions de la Convention d'Aarhus.

II. La notion d'« intérêt propre »: une jurisprudence disparate

Le droit actuel se caractérise par une jurisprudence disparate, à laquelle le législateur a réagi de manière peu cohérente et peu uniformisante (cf. infra). La jurisprudence du Conseil d'État et de la Cour d'arbitrage est généralement moins stricte que celle de la Cour de cassation. Cela tient à l'exigence d'un intérêt « né et actuel », imposée par l'article 18 du Code judiciaire et applicable aux actions introduites devant les cours ordinaires et les tribunaux. La législation applicable à la Cour d'arbitrage (9) et au Conseil d'État (10) ne fait pas mention d'un tel intérêt.

À partir de 1982, la Cour de cassation a commencé à se démarquer de plus en plus de la jurisprudence des tribunaux inférieurs, qui accordaient plus souvent l'accès à la justice à des associations souhaitant défendre des intérêts collectifs. À cet égard, la Cour a adopté un point de vue clair, qui peut être qualifié de strict et d'atomistique. C'est ainsi que dans l'arrêt Eikendael, la Cour a refusé d'accorder l'accès à la justice à une personne morale, in casu une association qui oeuvrait pour la protection de l'environnement, si elle poursuivait un objectif purement statutaire ou un intérêt général (tel que la protection de l'environnement). La Cour a exigé que l'association démontre l'existence d'un intérêt personnel et direct, c'est-à-dire un intérêt « propre ». Selon la Cour, l'intérêt propre d'une personne morale « ne comprend que ce qui concerne l'existence de la personne morale, ses biens patrimoniaux, et ses droits moraux, spécialement son patrimoine, son honneur et sa réputation » (11) . En 1985, dans l'arrêt Neerpede, la Cour a confirmé sa jurisprudence contestée à plusieurs reprises par la doctrine (12) . Le législateur a tenu compte de la jurisprudence de la Cour en adoptant la loi du 12 janvier 1993 concernant un droit d'action en matière de protection de l'environnement.

Cette même association, qui, en 1982, devant la Cour de cassation, oeuvrait pour la protection de l'environnement, avait introduit, en 1981, un recours en annulation auprès du Conseil d'État. Cette action a été déclarée recevable. Le Conseil d'État a estimé que la reconnaissance d'intérêts collectifs, qui doivent être distingués des intérêts individualisables des membres d'un groupe, a entraîné la reconnaissance du droit qu'a ce groupe de défendre ses intérêts collectifs devant le juge, par le truchement d'une organisation qui le représente. Des associations qui oeuvrent pour la protection de l'environnement et qui sont mues par des intérêts se situant sur le plan des idées et ayant un caractère collectif plutôt que par des intérêts propres, peuvent agir pour l'intérêt général, in casu le souci de l'environnement (13) .

Dans son arrêt du 7 juin 2000, le Conseil d'État ne s'est pas prononcé sur l'existence d'un intérêt suffisant, mais a jugé que l'exposé des parties requérantes ne comportait pas suffisamment de données précises et concrètes pouvant indiquer que l'exécution immédiate de la décision attaquée pouvait leur causer un préjudice difficilement réparable dans le cadre de la réalisation de leur objet social. C'est pourquoi la demande a été rejetée (14) .

Le 28 mars 2003, le Conseil d'État a jugé qu'une fédération d'associations qui, en vertu de ses statuts, est constituée d'associations du secteur non-marchand, d'institutions dotées de la personnalité juridique et de personnes physiques représentant une association de fait dont les objectifs sont conformes à l'objet de la fédération, ne peut défendre les intérêts spécifiques de l'une des associations faisant partie de la fédération. Le Conseil a également estimé qu'à première vue, les décisions attaquées portaient uniquement atteinte à des intérêts locaux et ne pouvaient être attaquées de manière recevable par une association faîtière d'associations de protection de la nature et de l'environnement (15) .

Dans son arrêt du 18 février 1993, la Cour d'arbitrage a énuméré les conditions que doit remplir une association sans but lucratif pour pouvoir défendre un intérêt collectif devant le juge: l'objet social de l'association doit être d'une nature particulière et, dès lors, distinct de l'intérêt général, l'intérêt collectif ne doit pas être limité aux intérêts individuels de ses membres, la norme entreprise doit être susceptible d'affecter cet objet, cet objet social doit être réellement poursuivi (ce que doivent faire apparaître les activités concrètes de l'association), et l'association doit faire montre d'une activité durable, aussi bien dans le passé que dans le présent. En l'espèce, la demande a été jugée recevable (16) .

Le 4 mars 1996, la Cour d'arbitrage a jugé que l'ASBL « Mouvement contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie », l' ASBL « Ligue des droits de l'homme » et l'ASBL « Syndicat des avocats pour la démocratie » poursuivaient un objectif qui ne se confond ni avec l'intérêt général ni avec l'intérêt individuel de ses membres. La Cour d'arbitrage a déclaré la demande en annulation recevable, étant donné que l'objet social des associations était réellement poursuivi (17) .

En 2001, la Cour d'arbitrage a considéré que la preuve de l'existence d'un « lien suffisant entre l'objet social prédécrit et les dispositions attaquées pour justifier son intérêt au maintien de ces dispositions » suffisait pour justifier la recevabilité de l'action (18) .

Il ressort de ces exemples empruntés à la jurisprudence de la Cour de cassation, du Conseil d'État et de la Cour d'arbitrage que la jurisprudence des juridictions supérieures manque de cohérence. C'est également le cas en ce qui concerne les juridictions inférieures (19) .

Des jurisprudences contradictoires portent atteinte à la spécificité des associations et, partant, aux principes démocratiques si chers à notre État de droit. Les associations sont nées du besoin des hommes de s'unir pour défendre des intérêts communs. Grâce aux contacts étroits qu'elles entretiennent avec leurs membres, elles sont constamment au fait de ce qui se passe dans la société et peuvent réagir rapidement aux tendances qui s'y dessinent. Vis-à-vis de leurs membres, elles ont le devoir démocratique de dénoncer les situations injustes. Le rôle démocratique fragile qu'elles jouent dans notre société ne peut rester lettre morte. II est inacceptable qu'une association ne puisse pas faire valoir devant un tribunal son droit de défendre l'intérêt collectif qu'elle poursuit.

D'où vient cette méfiance du juge ? D'une part, une jurisprudence négative témoigne de la crainte que l'octroi d'un droit d'action aux associations ne génère un afflux d'actions de mauvaise foi. Au vu de l'expérience française, tel ne s'avère cependant pas être le cas. Le nombre d'actions intentées par des associations de défense de l'environnement y est resté limité. D'autre part, on craint que le rôle du ministère public ne soit vidé de sa substance. L'objectif n'est toutefois pas de reprendre le rôle du ministère public par le biais d'actions collectives, dès lors que les associations ne poursuivent pas l'intérêt général, mais un intérêt touchant à la fois des intérêts privés et des intérêts généraux. En outre, à l'inverse du ministère public, les associations sont plus aptes à défendre de manière dynamique les intérêts de groupements, étant donné qu'elles sont souvent plus au fait de ce qui se passe dans la société (20) .

III. Le droit d'action collectif: une législation morcelée

La législation se caractérise aussi par un manque de cohérence. Pour répondre à la demande formulée par certains groupes de la société d'instaurer un droit d'action collectif, toute une série de lois ad hoc ont vu le jour, dont la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie, qui permet aux associations jouissant de la personnalité juridique depuis au moins cinq ans et se proposant de défendre les droits de l'homme ou de combattre la discrimination, de réclamer devant le juge le respect de la loi; la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur, qui accorde un droit d'action collectif aux associations de commerçants en vue de faire cesser des actes contraires à la loi précitée; la loi du 12 juin 1991 relative au crédit à la consommation, qui introduit un droit d'action collectif au profit des associations de consommateurs, qui peuvent ainsi également demander au juge de faire cesser des actes contraires à la loi précitée; et la loi du 12 janvier 1993, qui accorde un droit d'action en cessation similaire aux associations de protection de l'environnement.

Chaque loi fixe elle-même les critères auxquels les associations doivent satisfaire pour accéder à la justice. II n'existe pas à l'heure actuelle, dans le droit belge, de réglementation globale et uniforme en matière de droit d'action des associations. L'instauration de lois particulières réglant les droits d'action collectifs entraîne un morcellement du droit et porte, par conséquent, préjudice à son unité et à sa clarté. La proposition de loi à l'examen vise à mettre le holà à cette évolution par une modification du droit judiciaire commun.

IV. Le droit d'action collectif dans les autres pays.

Plusieurs pays sont plus avancés que la Belgique en ce qui concerne l'octroi d'un droit d'action collectif aux associations, même si ce droit reste généralement limité à certains groupements.

Le 1er avril 2003, une loi permettant au fisc de régler collectivement une réclamation massive est ainsi venue renforcer l'arsenal du droit judiciaire aux Pays-Bas (21) . Le 1er juillet 1994 est par ailleurs entrée en vigueur la loi du 6 avril 1994 réglant la compétence de certaines personnes morales d'ester en justice en vue de protéger les intérêts d'autres personnes (22) . En vertu des articles 3:305a et suivants du NBW, une fondation ou une association dotée de la personnalité juridique à part entière peut introduire une action en justice tendant à protéger des intérêts similaires d'autres personnes, pour autant qu'en vertu de ses statuts, elle défende ces intérêts et que la personne touchée par le comportement incriminé ne s'y oppose pas. L'action est subsidiaire:elle peut être intentée uniquement si une action plus effective et/ou plus efficace peut être obtenue par le biais de l'action collective. L'action est recevable si les intérêts sont susceptibles d'être regroupés. La décision judiciaire s'étend aux personnes dont l'action vise à protéger les intérêts, à moins que celles-ci ne s'y opposent. Elles ne peuvent cependant pas s'opposer si la nature de la décision fait que les effets de celle-ci ne peuvent pas être exclus à l'égard de quelques personnes seulement.

Les Pays-Bas ont un des régimes les plus larges et les plus généraux d'Europe. Celui-ci est malgré tout critiquable. C'est ainsi qu'il part trop aisément du principe que toutes les personnes dupées adoptent une attitude solidaire et unissent volontairement leurs intérêts au sein d'une personne morale. Certains jugent également négatif qu'un dédommagement en espèces soit impossible. Le régime ne serait pas non plus assez contraignant, étant donné que les intéressés sont libres d'engager une procédure propre. S'il y a un grand nombre de personnes ayant subi un dommage qui ne peuvent peut-être pas tous être identifiées ou si la collaboration de l'ensemble d'entre elles est nécessaire pour établir le dommage, la figure juridique ne suffit pas (23) . La présente proposition de loi ne limite toutefois pas l'accès au juge aux personnes qui disposent de moyens suffisants pour atteindre cet objectif et donne au juge la possibilité d'infliger une sanction appropriée en fonction des circonstances concrètes de l'affaire.

En France, l'ancien président Jacques Chirac a plaidé, en 2005, pour l'instauration d'une version plus dure de l'action judiciaire collective pour les associations de consommateurs, pour que celles-ci puissent agir de manière plus effective contre les pratiques déloyales d'entreprises (24) . Dans le droit français, il existe différentes possibilités d'action, mais sa version de la class action peut être qualifiée de très douce. Grâce à l'« action en représentation conjointe » les associations de consommateurs peuvent agir au nom et pour le compte de consommateurs identifiés. Il s'agit d'une action collective en responsabilité dans le cadre de laquelle est demandée la réparation du dommage subi par certains consommateurs individuels à la suite de faits commis par un même professionnel et ayant la même origine. L'organisation de consommateurs doit cependant recevoir de deux consommateurs au moins un mandat écrit et tous les consommateurs individuels qui ont subi un dommage doivent donner en fin de compte un mandat écrit.

Par comparaison avec la législation en vigueur dans les autres pays, le droit d'action collective a évolué dans un sens défavorable en France. Si les associations de consommateurs se sont vu conférer le droit de demander un dédommagement pour le dommage causé à l'intérêt collectif du consommateur, la définition de l'intérêt collectif et la preuve du dommage causé à cet intérêt collectif ont cependant suscité des critiques. Ce n'est qu'en 1988 qu'a été donnée aux associations de consommateurs la possibilité d'intenter une action en cessation (25) . La présente initiative législative tire aussi les enseignements des expériences acquises en France. La présente proposition de loi vise à permettre l'accès effectif à la justice, sans le limiter aux actions en cessation. Elle propose en outre de donner au juge une marge d'appréciation plus large, de manière à ce qu'il puisse prononcer une mesure de réparation appropriée en fonction des circonstances concrètes de l'affaire.

En Suède, la loi relative aux actions de groupe est entrée en vigueur le 1er janvier 2003 (26) . Cette loi comporte également une class action individuelle, de telle sorte qu'en la matière, la Suède joue un rôle de pionnier en Europe. En Suisse, le Bundesgesetz über den Gerichtsstand in Zivilsachen du 24 mars 2000 comprend une disposition spécifique relative aux dommages de masse. Dans le droit anglais, une réglementation spécifique a été instaurée le 1er avril 2000, à savoir le Group Litigation Order.

Diverses réglementations ont également vu le jour en dehors de l'Europe. Trois provinces du Canada connaissent une réglementation en matière de class action. De telles réglementations sont en cours d'élaboration dans d'autres provinces (27) . Le Québec ne dispose pas seulement d'un droit d'action collectif, mais également d'un fonds de financement des actions collectives (28) . La réglementation américaine en matière de class action fait constamment l'objet de propositions d'adaptation et d'affinement. Le manuel « Manual for complex litigation » donne des directives concernant la manière d'aborder les dommages de masse, en puisant tant dans les expériences pratiques que dans les expériences technico-juridiques.

À l'occasion de la parution du Livre vert relatif à la responsabilité civile du fait des produits défectueux (1999), la Commission européenne a annoncé des mesures visant à permettre aux consommateurs d'intenter plus facilement des actions collectives. Plus encore: elle est consciente du fait qu'il est préférable de ne pas limiter les mesures au seul droit de la consommation, mais de les inscrire dans un cadre plus large. Il faudra cependant encore attendre quelque temps avant que ne soit mise sur pied une réglementation européenne sur le plan des dommages de masse (29) .

V. Le droit d'ester en justice pour les associations dans le but de défendre des intérêts collectifs

Pour les motifs exposés ci-dessus concernant la sécurité juridique et la garantie des principes démocratiques de notre État de droit, la présente proposition de loi vise à établir un droit d'ester en justice pour les associations dans le but de défendre des intérêts collectifs. Un intérêt collectif est un intérêt qui dépasse l'intérêt personnel des membres de l'association. La présente proposition de loi développe une série de critères qui, lorsqu'ils sont combinés, offrent suffisamment de garanties permettant d'empêcher que la condition de l'intérêt ne soit vidée de sa substance et que des actions malhonnêtes ou déraisonnables ne soient intentées. De plus, on met fin aux actions en justice des associations créées peu de temps avant le début de la procédure sans avoir pour objet, d'un point de vue structurel, de défendre des intérêts.

Les critères sont les suivants:

les associations qui souhaitent introduire une action d'intérêt collectif doivent être dotées de la personnalité juridique. La personnalité juridique reste, en effet, le gage d'un certain degré d'organisation et de stabilité. En outre, normalement, seuls des groupements ou des associations dotés de la personnalité juridique peuvent ester en justice. Une association de fait ne dispose pas de la qualité requise pour ester en justice. Si elle souhaite le faire, chaque membre devra agir séparément et justifier de son intérêt (l'association de fait n'étant pas considérée comme partie à la cause);

la personne morale doit être dotée de la personnalité juridique depuis plusieurs années au moment de l'introduction de l'action. Nous proposons un an;

la personne morale ne peut ester en justice que si son action s'inscrit véritablement dans la réalisation de son objet statutaire. L'objet statutaire de la personne morale ne peut être l'unique critère pour apprécier si une personne morale peut défendre un intérêt en justice. Ses activités réelles devront donner corps à la définition de l'objet statutaire de la personne morale;

l'objet statutaire de la personne morale doit être licite;

l'activité réelle de la personne morale doit être conforme à son objet social et avoir trait à l'intérêt collectif qu'elle vise à protéger. L'activité réelle peut ressortir de rapports d'activités, de procès-verbaux de réunions, de courriers adressés aux membres, de publications, de bulletins d'information et de contact, de coupures de presse, ... La condition de l'activité réelle doit s'entendre d'une manière souple et large.

L'article 2 vise à compléter l'article 18 du Code judiciaire, actuellement libellé comme suit:

« L'intérêt doit être né et actuel.

L'action peut être admise lorsqu'elle a été intentée, même à titre déclaratoire, en vue de prévenir la violation d'un droit gravement menacé. »

La présente proposition de loi prévoit un certain nombre de critères qui, combinés les uns aux autres, doivent offrir des garanties suffisantes pour éviter que l'exigence d'un intérêt ne soit vidée de sa substance et pour exclure les actions malhonnêtes ou insensées.

Ainsi, une association ne peut ester en justice que si son action poursuit la réalisation de son objet statutaire. Ses activités réelles doivent donner corps à la définition de l'objet statutaire d'une association.

Les associations qui souhaitent introduire une action d'intérêt collectif doivent être dotées de la personnalité juridique. Elles doivent avoir la personnalité juridique depuis un an au moment de l'introduction de l'action, avoir un objet statutaire licite et leurs activités réelles doivent être conformes à l'objet statutaire.

L'article 3 met l'article 18 du Code judiciaire en concordance avec l'article 3 du Titre préliminaire du Code de procédure pénale.

Bart MARTENS.
Ludwig VANDENHOVE.
Fauzaya TALHAOUI.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

L'article 18 du Code judiciaire est complété par l'alinéa suivant:

« Le demandeur est censé avoir un intérêt à l'action en défense d'un intérêt collectif s'il est une personne morale qui, au moment de l'introduction de l'action, est dotée depuis un ans au moins de la personnalité juridique, s'il agit pour défendre son objet statutaire autorisé et qu'il atteste qu'il exerce une activité réelle conforme à son objet statutaire. »

Art. 3

L'article 3 du titre préliminaire du Code de procédure pénale est complété par l'alinéa suivant:

« Une personne morale est censée avoir subi un dommage lorsque le dommage résultant de l'infraction est contraire à l'objet de cette personne morale ». La personne morale doit également satisfaire à l'article 18 du Code judiciaire »

20 avril 2007.

Bart MARTENS.
Ludwig VANDENHOVE.
Fauzaya TALHAOUI.

(1) Cass., 19 novembre 1982, Arr. Cass., 1982-83, 372, concl. E. Krings, Pas. 1983, I, 338 et R.W. 1983-84, 2029, note J. Laenens.

(2) Lemmens, P., « Het optreden van verenigingen in rechte ter verdediging van collectieve belangen », R.W., 1984, 2002-2026.

(3) Moreau, T., « L'action d'intérêt collectif dans la lutte contre la pauvreté », J.T., 1994, 493.

(4) Texte de la plate-forme « Recht op recht », appel lancé en faveur d'un meilleur accès à la justice pour les ONG, août 2000.

(5) Tavernier, J., ancien ministre de la Protection de la consommation, de la Santé publique et de l'Environnement dans le rapport de synthèse du colloque consacré à l'accès à la justice en matière d'environnement et au bilan de la loi du 12 janvier 1993 concernant un droit d'action en matière de protection de l'environnement, dix ans après son entrée en vigueur, colloque organisé par l'Association belge pour le droit de l'environnement et le ministre de la Protection de la consommation, de la Santé publique et de l'Environnement (de l'époque), Gand, octobre 2003.

(6) La proposition de loi est basée sur l'article de Wagner, K., « Collectieve acties in het Belgisch recht », Tijdschrift voor Procesrecht en Bewijsrecht, 2001-4,150-182. Ses développements reprennent également plusieurs éléments de cet article.

(7) Voir l'exposé des motifs de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à l'accès à la justice en matière d'environnement, déposée par la Commission le 24 octobre 2003, COM(2003) 624 final, 2003/0246 (COD).

(8) Communication du Bond Beter Leefmilieu ACCC/C/2005/11.

(9) Article 142, alinéa 3, de la Constitution et article 2, 2o, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.

(10) Article 19, alinéa 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d'État.

(11) Cass., 19 novembre 1982, Arr. Cass. 1982-83, concl. E. Krings, Pas., 1983, I, 338 et R.W. 1983-84, 2029, note J. Laenens.

(12) Cass., 25 octobre 1985, R.W. 1985-86, 2429, concl. E. Krings.

(13) Conseil d'État, 11 septembre 1981, VZW Werkgroep voor milieubeheer Brasschaat, R.W., 1981-1982,1876, note W. Lambrechts.

(14) Conseil d'État, 7 juin 2000, no 87 879, affaire A. 80.375/X-8447.

(15) Conseil d'État, 28 mars 2003, no 117 681, affaire A. 125.960/X-11 094.

(16) Cour d'arbitrage 18 février 1993, Moniteur belge du 3 mars 1993.

(17) Cour d'arbitrage 4 mars 1993, Moniteur belge du 25 mars 1993.

(18) Cour d'arbitrage, 7 février 2001. ASBL Vlaamse Concentratie, no 10/2001, Moniteur belge du 1er mars 2001.

(19) Le 17 février 2005, le tribunal d'Anvers statua sur l'action introduite par De Ploeg, une association réunissant sept comités de quartier, conjointement avec Staten-Generaal, contre les travaux de construction effectués à la Kievitplein à Anvers. Les demandeurs firent valoir qu'ils n'avaient pas eu voix au chapitre pour ce qui est des travaux entrepris à la Kievitplein et que le projet de bureaux en cours empêchait toute saine combinaison d'habitat et d'espaces professionnels. Il n'a toutefois pas été statué sur le fond de l'affaire. Le juge déclara l'action des comités d'habitants irrecevable faute d'intérêt suffisant. Le jugement n'a pas encore été publié.

(20) Moreau, T., « L'action d'intérêt collectif dans la lutte contre la pauvreté », J.T., 1994, 490.

(21) rt. II de la loi du 19 décembre 2002 (tot invoering in de algemene wet inzake rijksbelastingen van de mogelijkheid tot het doen van een collectieve uitspraak op massaal bezwaar), Stb. 2003, 10.

(22) Stb., année 1994, publié le 19 avril 2004.

(23) Tzankova, I.N., Afwikkeling van massaschade. Een functioneel onderzoek naar de afdoening van massale claims in het civiele recht, dissertatie in voorbereiding, 2000-2005, Schoordijk Instituut, Universiteit van Tilburg, 179-180.

(24) Maussion, C., « Clients mécontents unis au tribunal », dans Libération.fr, http://www.liberation.fr, consulté le 11 février 2005.

(25) Demuynck, I., « Rechtshandhaving door de stakingsrechter », R .W., 2001-2002, nr. 34, 1253-1256.

(26) Lagen om grupprättegung 2001/02:107, proposition de loi SOU 1994:151.

(27) Tzankova, I.N., Afwikkeling van massaschade. Een functioneel onderzoek naar de afdoening van massale claims in het civiele recht, dissertatie in voorbereiding, 2000-2005, Schoordijk Instituut, Universiteit van Tilburg, 183-184.

(28) Demuynck, I., « Rechtshandhaving door de stakingsrechter in milieuaangelegenheden », R.W. 2001-2002, no 40, 1495.

(29) Tzankova, I.N., Afwikkeling van massaschade. Een functioneel onderzoek naar de afdoening van massale claims in het civiele recht, dissertatie in voorbereiding, 2000-2005, Schoordijk Instituut, Universiteit van Tilburg, 185.