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Sénat de Belgique

Annales

JEUDI 26 AVRIL 2007 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Question orale de M. Pierre Galand au ministre de l'Économie, de l'Énergie, du Commerce extérieur et de la Politique scientifique sur «l'utilisation du concept de NAIRU par le Bureau fédéral du Plan» (nº 3-1509)

M. Pierre Galand (PS). - C'est avec une certaine émotion que je monte à la tribune. J'ai donné ce matin mon dernier cours à l'université et je vais maintenant poser ma dernière question au Sénat. C'est une journée mémorable !

Cela me donne l'occasion, chers collègues, de vous remercier du travail que nous avons pu réaliser ensemble et des excellents rapports que nous avons toujours entretenus.

Dans son rapport datant de mai 2006 et intitulé Perspectives économiques 2006-2011, le Bureau fédéral du Plan (BFP) aborde la question du marché du travail. Dans la section « Réserve de main-d'oeuvre et chômage », le BFP présente notamment les résultats du calcul du NAIRU pour la Belgique. Ce terme plutôt obscur signifie « le taux de chômage n'accélérant pas l'inflation ». Autrement dit, il désigne le taux de chômage nécessaire pour éviter des tensions sur le marché du travail qui entraîneraient une montée des salaires et, en dernier ressort, de l'inflation.

Le BFP évalue le NAIRU pour notre pays à un peu plus de 13% pour la période de 2006 à 2011. Doit-on en cela comprendre que, selon le BFP, toute baisse du chômage en deçà de 13% serait nuisible pour la compétitivité de notre pays, dans la mesure où elle risquerait d'entraîner une hausse des salaires ?

D'autres éléments semblent en tout cas confirmer cette interprétation. En effet, dans ce même rapport, l'organisme d'intérêt public souligne sa crainte de voir apparaître des tensions salariales dès 2011, « moment où la croissance de la population active commence à décliner rapidement ».

Se référant explicitement à l'analyse du BFP, le Conseil central de l'Économie en conclut dès lors qu'il convient d'encourager « la participation [au marché du travail] des groupes sociaux qui aujourd'hui connaissent un faible taux d'emploi, à savoir les jeunes, les travailleurs âgés, les travailleurs peu qualifiés, les femmes et les actifs d'origine étrangère ». Par « participation », le Conseil central de l'économie n'entend pas la réduction du chômage de ces groupes sociaux, mais bien leur mise à disposition sur le marché du travail. Ces deux organismes d'intérêt public semblent donc s'accorder sur la nécessité de maintenir un taux de chômage élevé en augmentant la concurrence entre les salariés.

Aussi, conformément aux « Lignes directrices pour l'emploi » adoptées par l'UE, le BFP et le Conseil central de l'Économie ne fixent plus d'objectifs quantifiés en matière de réduction du chômage, mais s'emploient essentiellement à préconiser l'accroissement de l'offre de travail, condition de la modération salariale et de la stabilité des prix.

Que pensez-vous, monsieur le ministre, de la référence au NAIRU dans le rapport d'un organisme d'intérêt public ? Doit-on comprendre que le gouvernement ne souhaite pas qu'on descende en dessous du seuil de 13% de chômage pour éviter des tensions salariales ? N'est-ce pas contradictoire par rapport à ses propres engagements en matière de réduction du chômage et de création d'emploi ? De même, pensez-vous qu'augmenter l'offre de travail soit une bonne mesure dans un contexte de chômage de masse ?

M. Marc Verwilghen, ministre de l'Économie, de l'Énergie, du Commerce extérieur et de la Politique scientifique. - Je tiens à apporter deux précisions méthodologiques.

Tout d'abord, la méthodologie utilisée par le Bureau fédéral du plan est celle qui est retenue par la Commission européenne dans le cadre de l'évaluation des programmes de stabilité et qui a par conséquent été entérinée par le Conseil européen.

Ensuite, la méthode est appliquée par le Bureau fédéral du plan sur un concept large de chômage, concept basé sur une définition administrative comprenant les chômeurs âgés.

En ce qui concerne la méthode elle-même, le concept du NAIRU indique simplement qu'en dessous de ce niveau, le chômage ne peut baisser durablement par l'unique fait d'une reprise conjoncturelle. D'autres facteurs sont donc nécessaires. En particulier, toutes les mesures visant à améliorer l'appariement entre l'offre et la demande de travail sont susceptibles de faire baisser le taux de chômage.

La réussite d'une telle politique doit donc rendre possible une baisse durable du chômage sans apparition de tensions inflationnistes.

Ainsi, les réformes déjà engagées dans le domaine du suivi et de l'accompagnement des demandeurs d'emploi et les mesures visant à décourager les sorties anticipées du marché du travail devraient permettre un recul tangible du taux de chômage structurel.

Cette hypothèse est d'ailleurs retenue dans les prochaines projections du Bureau fédéral du plan qui seront présentées le 11 mai 2007 aux partenaires sociaux : le NAIRU baisserait ainsi de plus de un pour-cent entre 2006 et 2012.

L'objectif des politiques visant à encourager la participation au marché du travail des groupes sociaux connaissant aujourd'hui un taux d'emploi faible n'est donc pas de maintenir un taux de chômage élevé mais au contraire de permettre une baisse durable du chômage en période de conjoncture économique favorable, comme nous en connaissons une actuellement.

M. Pierre Galand (PS). - Je remercie le ministre de sa réponse. Je voudrais néanmoins faire quelques remarques.

Aujourd'hui, le recours au NAIRU est une option des économistes. Sur le plan social, le recours à cette notion ne rencontre pas les préoccupations des organisations sociales. Mieux, il se fait que nous avons entendu M. Joseph Stiglitz en réunion de la commission sur la Mondialisation. M. Stiglitz nous a dit que l'indice NAIRU « n'est pas pertinent pour déterminer le lien entre chômage et inflation et que la foi en ce lien a pour effet d'empêcher les gouvernements de mettre en oeuvre des politiques orientées vers l'emploi ». M. Stiglitz est un économiste de renom international...

M. Josy Dubié (ECOLO). - Et prix Nobel d'économie...

M. Pierre Galand (PS). - Je suggère que la parole d'un prix Nobel soit prise en compte et que durant la prochaine législature il y ait un débat pour redéfinir le concept de NAIRU et que la Belgique puisse, au sein de l'Union européenne, faire en sorte que les notions de taux d'emploi et de NAIRU soient réétudiées et réévaluées.

M. Marc Verwilghen, ministre de l'Économie, de l'Énergie, du Commerce extérieur et de la Politique scientifique. - Le NAIRU ne fait pas l'unanimité, j'en suis bien conscient. Aussi serait-il peut être adéquat qu'au sein de l'Union européenne et plus particulièrement au Conseil, avec l'aide de la Commission, se tienne un débat rendu nécessaire par les différences d'opinion entre écoles et personnalités sur ces notions de taux d'emploi et de NAIRU.

La date du 11 mai est également une date importante puisque ce sera celle d'une discussion entre le Bureau du plan et les partenaires sociaux. Ces derniers auront l'occasion de formuler leurs remarques. Espérons que cela ouvre la possibilité d'un débat sur l'évaluation du NAIRU.