3-1610/7

3-1610/7

Sénat de Belgique

SESSION DE 2006-2007

10 AVRIL 2007


Projet de loi modifiant l'article 505 du Code pénal et l'article 35 du Code d'instruction criminelle à propos de la confiscation applicable en cas de recèlement


Procédure d'évocation


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DE LA JUSTICE PAR

M. WILLEMS


I. INTRODUCTION

Le projet de loi qui fait l'objet du présent rapport et qui relève de la procédure bicamérale facultative, a été déposé initialement à la Chambre des représentants en tant que proposition de loi par M. Éric Massin et consorts (doc. Chambre, nº 51-1603/1).

Il a été adopté par la Chambre des représentants le 9 mars 2006, par 133 voix contre 5.

Il a été transmis au Sénat le 10 mars 2006 et évoqué le 15 mars 2006.

La commission a examiné le projet de loi au cours de ses réunions des 28 mars, 23 mai, 8 et 22 novembre 2006, 10 et 16 janvier, 28 mars et 10 avril 2007.

II. EXPOSÉ INTRODUCTIF DE LA MINISTRE DE LA JUSTICE

Il est renvoyé au rapport fait au nom de la commission de la Justice de la Chambre des représentants par M. André Perpète (doc. Chambre, nº 51-1603/02).

III. DISCUSSION

M. Roelants du Vivier signale qu'il a déposé une proposition de loi visant également à modifier l'article 505 du Code pénal en ce qui concerne le recel (doc. Sénat, nº 3-39/1). La Belgique est en effet montrée du doigt comme centre de trafic international d'œuvres d'art. Une des raisons de cette situation est que la définition du recel en Belgique est aujourd'hui différente de celle appliquée en France, ce qu'elle n'était pas au départ.

L'orateur a procédé à une comparaison de l'incrimination du délit de recel en France et en Belgique.

En effet, les trafics d'œuvres d'art se font essentiellement de la France vers notre pays.

Chez nous, les receleurs « bénéficient » d'une législation avantageuse, par comparaison avec la France.

La jurisprudence des deux pays diverge quant au caractère de l'infraction: le recel est considéré en Belgique comme un délit instantané et en France comme un délit continu.

Les conséquences se situent au niveau de la prescription de l'action publique.

Depuis 1867, l'article 505 du Code pénal belge incrimine « ceux qui auront recelé, en tout ou en partie, les choses enlevées, détournées ou obtenues à l'aide d'un crime ou d'un délit, (...) ». Cet article, bref et concis dans sa rédaction initiale, a été ultérieurement complété par des insertions successives qui visent divers délits de blanchiment d'argent, le délit de recel étant cantonné actuellement au seul 1º (toujours inchangé dans sa rédaction depuis 1867) de la disposition pénale.

Les conditions du recel, telles que fixées par l'article 505 du Code pénal sont:

— la possession ou la détention d'un objet à l'aide d'un crime ou d'un délit commis par un tiers;

— la connaissance préexistante ou concomitante à la prise de possession de l'origine illicite de l'objet.

Ces conditions doivent toutefois être appréciées à la lumière de la jurisprudence de la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 2 août 1880 (Pas., 1880, I, p. 284) a établi que le recel est un délit instantané. Il suffit donc que le fait générateur ait été commis pour que l'infraction soit pénalement établie sans se préoccuper de savoir si elle a persisté ou non dans le temps. Dans le cas d'espèce, il suffit donc que le receleur ait reçu sciemment la chose volée. L'infraction existe et est entièrement « consommée » dès le moment de cette réception.

Le caractère instantané ou continu du délit de recel est, d'après la section répression du trafic d'œuvres d'art de la police judiciaire, la raison essentielle du passage et de l'implantation, en Belgique, de nombreux trafics internationaux de recel.

En effet, le point de départ de la prescription de l'infraction dépend de la qualification instantanée ou continue de cette infraction. Dans le cadre d'une infraction instantanée, le délai de prescription commence à courir lorsque les différents éléments constitutifs de l'infraction sont réunis alors qu'il ne court contre une infraction continue que du jour où la situation infractionnelle prend fin.

Ainsi, en Belgique, la prescription débute à l'encontre du receleur lorsqu'il reçoit sciemment la chose volée, alors qu'en France elle commence lorsque le receleur se débarrasse de la chose volée. En Belgique, après le délai de prescription de cinq ans, les objets volés peuvent réapparaître « légalement » sur le marché sans que les receleurs puissent encore être inquiétés puisque la prescription à leur égard est atteinte cinq ans après qu'ils aient pris possession de l'objet dans les conditions illicites. En France, par contre, tous les receleurs successifs qui ont, à un moment ou à un autre, détenu le bien illégalement acquis restent punissables puisque la prescription ne court qu'à partir du moment où le dernier receleur de la chaîne se débarrasse du bien au profit d'un acquéreur de bonne foi.

Voilà pourquoi l'orateur souhaiterait que le Code pénal soit modifié, afin que l'infraction visée au 1º de l'article 505 dudit Code subsiste pendant toute la durée de la détention illicite des choses visées.

En ce qui concerne les observations des services relatives à la traduction, l'orateur n'a aucune objection à formuler.

Quant au fond, l'observation des services est la suivante:

« Selon une jurisprudence constante, le recel n'existe que si l'on a connaissance de l'origine illégale des choses au plus tard au moment où on en prend livraison. Il n'y a donc pas d'infraction de recel, en l'état actuel des choses, si l'on n'est informé de cette origine qu'a posteriori.

Sera-ce encore le cas si le recel est considéré comme une infraction continue ? En d'autres termes, la proposition de loi a-t-elle pour objet ou pour effet de faire en sorte qu'il y ait également recel lorsque le possesseur n'a connaissance de l'origine illégale de la chose qu'après être entré en sa possession ?

Tel est déjà le cas en droit français. Comme le recel y est considéré comme une infraction continue, une personne est coupable de recel si elle a connaissance de l'origine illégale de la chose à quelque moment que ce soit de la période durant laquelle elle possède la chose.

Il semble en tout cas utile que le législateur belge précise explicitement si la modification légale projetée vise aussi à produire cet effet. Veut-on faire en sorte qu'une personne soit également coupable de recel si elle n'a connaissance de l'origine illégale de la chose qu'après être entrée en sa possession ? Le texte proposé laisse cette question sans réponse.

On pourrait aussi envisager éventuellement de modifier le texte même du 1º existant, afin d'éviter de toucher à la notion juridiquement établie de « recel » (« heling »), tout en punissant non seulement le recel (le fait de prendre possession d'une chose dont on connaît l'origine illégale, dans le but de la dissimuler à son propriétaire), mais aussi la détention (continuée) de choses après avoir pris connaissance de leur origine illégale. »

L'orateur a examiné ce qu'il en était en droit français.

Il rappelle qu'en France, l'article 460 ancien du Code pénal était libellé de manière sensiblement identique à notre article 505, 1º, du Code pénal en visant « ceux qui, sciemment, auront recelé, en tout ou en partie, des choses enlevées ... ».

Le nouveau code pénal français a introduit, à partir du 1er mars 1994 un nouvel article 321-1 selon lequel « le recel est le fait de dissimuler, de détenir, ou de transmettre une chose .... sachant que cette chose provient d'un crime ou d'un délit ».

Le nouveau texte pénal français, dans la mesure où il vise expressément la détention, est essentiel pour ce qui est de la prescription de l'action publique. En effet, il est dorénavant incontestable que le recel est un délit continu tel que « le recel prend fin lorsque le receleur se libère de l'objet recelé entre les mains d'un tiers de bonne foi » (crim. 17 mai 1983). La prescription ne commence donc à courir qu'à partir du moment où la détention punissable de l'objet concerné à pris fin. C'est précisément ce que l'orateur s'efforce d'obtenir en droit belge avec le dépôt de sa proposition de loi. En Belgique, depuis le vieil arrêt de la Cour de cassation du 2 août 1880, « le délit de recel est consommé dès que le receleur a reçu sciemment la chose volée, obtenue ou détournée frauduleusement; que le délit a donc dès lors, produit tous ses effets essentiels », de sorte que la prescription commence à courir dès la réception de l'objet concerné par le receleur.

Un problème était de savoir quel était, depuis la modification de la loi pénale française en 1994, la position de l'acquéreur de bonne foi.

Le délit de recel nécessite un élément intentionnel: il faut avoir connaissance de l'origine frauduleuse des objets concernés. Dès lors, quelle est la situation de l'acquéreur de bonne foi à partir du moment où on lui apprend (généralement par le fait de l'ouverture d'une enquête pénale) que l'objet provient d'un crime ou d'un délit. Puisqu'il détient l'objet et que l'article 321.1 du Code pénal vise la détention, cet acquéreur de bonne foi devient il à son tour receleur ?

Selon les magistrats français consultés, tel n'est pas le cas. En effet, la nouvelle loi française n'a rien changé à l'appréciation que les tribunaux doivent porter sur l'élément intentionnel de l'infraction. La loi française vise le fait de détenir en sachant que la chose provient d'un crime ou d'un délit. Mais cet élément intentionnel continue, selon les magistrats français, à s'apprécier au moment de l'acquisition du bien. C'est à ce moment en effet que les tribunaux détermineront si l'on se trouve en face d'un acquéreur de bonne foi ou de mauvaise foi en fonction des éléments propres à la cause que les tribunaux apprécient souverainement. « Les tribunaux apprécient souverainement, au vu des éléments de preuve régulièrement soumis aux débats contradictoires, la régularité de la possession dont peut se prévaloir, en application de l'article 2279, alinéa 1er, du Code civil, l'acquéreur d'un bien mobilier » (crim. 3 décembre 1984). Les commentaires du Code pénal français continuent à faire référence, malgré la modification intervenue en 1994, à toute la jurisprudence antérieure à cette nouvelle loi pour ce qui est des notions de bonne et de mauvaise foi.

Bref, celui qui a acquis de bonne foi et qui continue à détenir le bien malgré le fait qu'il ait pris connaissance de son origine illégale n'est pas susceptible d'être poursuivi comme receleur sur la base de la nouvelle loi.

Les magistrats français rappellent néanmoins que la nouvelle loi française qui légalise le caractère continu de l'infraction de recel (pour ce qui concerne les acquéreurs de mauvaise foi) présente un grand avantage sur notre loi pénale belge. En Belgique, les œuvres d'art qui ont été volées ou détournées sont « stockées » pendant 5 ans et, dès l'expiration de ce délai de prescription, réapparaissent de manière tout à fait légale et autorisée sur le marché. Cette situation n'est évidemment pas possible en France, puisque pendant tout le temps où elles sont « stockées », le délai de prescription ne court pas et que le receleur, s'il mettait l'objet sur le marché, pourrait toujours être poursuivi.

Il ne semble pas nécessaire, compte tenu de ce qui précède, d'envisager dans la proposition de loi de « scinder » les infractions en visant d'une part le recel qui concernerait l'acquisition de mauvaise foi (c'est-à-dire en sachant, dès ce moment, quelle est l'origine illégale de l'objet) et, d'autre part, le fait de continuer à détenir la chose après avoir pris connaissance de son origine illégale: cette seconde notion risquerait en effet de mettre en péril l'acquéreur de bonne foi.

M. Mahoux demande ce que devient la propriété des œuvres acquises de bonne foi, dont l'origine délictueuse apparaît tout à coup.

En l'occurrence, l'objectif semble être avant tout de protéger l'œuvre d'art, plutôt que de rechercher une sanction pénale.

Que devient le détenteur ? On peut difficilement exiger de lui une dénonciation qui lui nuira personnellement.

M. Hugo Vandenberghe renvoie à l'article 2279 du Code civil, qui prévoit qu'en fait de meubles, possession vaut titre.

Si le bien est volé et le possesseur de mauvaise foi, une action en revendication est possible pendant 30 ans.

Par contre, si le possesseur est de bonne foi et a acheté le bien sur un marché ou chez un professionnel, c'est l'article 2280 du Code civil qui s'applique, et la revendication n'est plus possible dans le délai de droit commun.

Les articles 2279 et 2280 du Code civil sont appliqués de façon restrictive.

Le vol n'est pas identifié au recel pour l'application des dispositions civiles.

Mme Nyssens rappelle que la discussion sur le caractère instantané ou continu du délit a déjà eu lieu à propos du blanchiment, dont on a fait une infraction continue, sans toucher au recel.

Elle se demande par ailleurs si la piste proposée par M. Roelants du Vivier ne crée pas ici un régime très déséquilibré par rapport au vol, qui est une infraction instantanée.

M. Chevalier se rallie à ces observations. Il estime qu'il ne faut pas nécessairement s'aligner sur le droit français.

Il faut plutôt examiner de manière approfondie le concept de recel lui-même, considéré de façon générale et pas seulement par rapport aux œuvres d'art.

IV. DEMANDE D'AVIS AU CONSEIL D'ÉTAT

L'avis du Conseil d'État a été demandé le 31 mars 2006.

Pour le texte de cet avis, il y a lieu de se reporter au document no 3-1610/2 du 31 mai 2006.

V. AUDITION DE M. ANDRÉ RISOPOULOS, ADMINISTRATEUR À L'ORDRE DES BARREAUX FRANCOPHONES ET GERMANOPHONE (OBFG)

En guise de remarque préliminaire, M. Risopoulos précise que l'Ordre des barreaux francophones et germanophone (OBFG) a demandé à être entendu sur le projet de loi modifiant l'article 505 du Code pénal et l'article 35 du Code d'instruction criminelle à propos de la confiscation applicable en cas de recèlement, non pas dans le cadre de la défense de la profession d'avocat — les avocats sont soumis à la législation réprimant pénalement le blanchiment, comme tous les citoyens et il ne saurait être question de demander en leur faveur un régime dérogatoire —, mais bien dans le cadre général de la défense des intérêts des justiciables et des droits de la défense, face à l'aggravation injustifiée de la situation du justiciable, si le projet devait devenir, tel quel, loi.

L'intervenant formule trois observations d'ordre général, sur le plan du droit pénal général et de la criminologie.

Le choix d'une exemption

Le projet introduit une exception en matière fiscale, spéciale et exclusive, à l'architecture générale de la répression du blanchiment en droit belge.

Pratiquement tous les délits (sauf sans doute, en raison de leur nature, les infractions d'omission, les délits involontaires, ou certains délits particuliers contre les personnes ou la force publique) sont susceptibles de générer un avantage patrimonial confiscable au sens de l'article 42.3 du Code pénal.

L'article 505, 2º, du Code pénal définit le blanchiment par rapport à certains actes (gérer, posséder, recevoir) relatifs à ces mêmes avantages patrimoniaux, tirés de n'importe quelle infraction.

Le projet de loi vise à enlever une certaine catégorie de délits pénaux des délits de base qui peuvent conduire à du blanchiment.

En d'autres termes, il prévoit une « exemption de blanchiment » (pour l'article 505, 2º, du Code pénal, mais pas pour l'article 505, 3º et 4º) pour un seul délit particulier, la fraude fiscale dite « simple », à savoir celle réprimée par l'article 449 du CIR et les dispositions analogues des autres codes fiscaux.

L'OBFG n'est pas opposé à l'idée de limiter la répression du blanchiment aux délits de base les plus graves. Cependant, en prévoyant une exception pour la seule fraude fiscale simple, l'OBFG se pose la question par rapport à l'équilibre général de la loi pénale et d'autres types de délinquance économique. M. Risopoulos cite les délits en matière d'urbanisme, d'environnement, les délits de droit pénal social ou de droit économique. Les violations de ces dispositions sont également sanctionnées pénalement et créent des avantages patrimoniaux. Quelle est la justification raisonnable qui permet de respecter les principes d'égalité et de prévisibilité de la loi pénale par rapport au traitement différent réservé à ces délits, qui ne sont ni plus ni moins graves que la fraude fiscale simple non organisée, et qui continueront à faire partie de l'arsenal des délits qui peuvent déboucher sur une infraction de blanchiment ?

Il est certes raisonnable de ne pas exiger des tiers, quels qu'ils soient, de scruter si dans l'argent qui leur est remis, à n'importe quel titre, une « partie » n'est pas concernée par de la fraude fiscale simple. Mais alors pourquoi ne pas accorder cette tolérance aux tiers qui seraient confrontés, sans pouvoir le déceler efficacement, à d'autres types d'avantages patrimoniaux, tirés d'infractions économiques telles que celles évoquées ci-dessus ?

L'hypothèse du délit de base commis à l'étranger

Le projet prévoit de pouvoir dorénavant poursuivre du chef de blanchiment (article 505, 2º, du Code pénal: le recel élargi) l'auteur du délit de base.

Jusqu'à présent, de façon tout à fait claire, on ne pouvait être à la fois:

a) voleur et receleur de la même chose (article 505, 1º, du Code pénal), ou

b) auteur de l'infraction de base ayant généré un avantage patrimonial et être poursuivi sur la base de l'article 505, 2º, pour avoir possédé, géré, gardé cet avantage patrimonial.

En revanche, la double incrimination est possible, en droit positif, pour les actes spécifiques prévus à l'article 505, 3º et 4º (actes positifs de blanchiment, au sens commun du terme).

La modification proposée trouve son origine (voir l'exposé des motifs) dans le cas particulier de l'auteur d'un délit de base commis à l'étranger et qui invoque cette circonstance pour échapper à la qualification de blanchiment (article 505, 2º, du Code pénal) si ce délit est commis en Belgique. Une décision de jurisprudence a en effet estimé qu'il n'était pas possible de condamner du chef de blanchiment simple en Belgique des personnes qui prétendaient avoir commis l'infraction de base à l'étranger. M. Risopoulos comprend ce problème particulier. Cependant, la solution proposée, qui consiste à considérer de manière générale que l'on peut être à la fois l'auteur de l'infraction de base et le blanchisseur, est trop radicale. On bouleverse une nouvelle fois l'équilibre de la répression du blanchiment car la solution proposée n'est pas limitée à l'hypothèse du délit de base commis à l'étranger. Le projet de loi aboutit à des effets induits considérables.

En effet, l'article 505 du Code pénal oblige à la confiscation de l'objet du blanchiment (cf. infra), si bien que l'on glisserait d'un régime de confiscation facultative par le juge du fond (articles 42, 3º, et 43bis du Code pénal) vers un régime de confiscation généralisée obligatoire.

Par définition, l'auteur d'un délit quelconque (vol, détournement, escroquerie, violation d'obligations sociales, etc.) qui a généré un avantage patrimonial a souvent la possession de cet avantage.

Si le simple fait de détenir cet avantage ou de le garder permet l'inculpation de blanchiment, pour l'auteur même du délit, on passe d'une faculté de confiscation (article 43bis du Code pénal) à une confiscation obligatoire. Or la confiscation est une peine accessoire, pour l'auteur du délit.

L'autre dérive potentielle est liée au risque de renversement de la charge de la preuve en matière pénale. Pour établir un délit de base, il faut réunir positivement la preuve de l'infraction du délit de base, en respectant les droits de la défense, le principe de la présomption d'innocence, etc. Par contre, en matière de blanchiment, il y a une atténuation de la charge de la preuve. Il est de jurisprudence constante qu'il n'est pas nécessaire pour la partie poursuivante de prouver positivement tous les éléments constitutifs de l'infraction de base qui a généré les avantages patrimoniaux. Si le droit permet d'être considéré comme blanchisseur par la simple détention des avantages patrimoniaux retirés d'une infraction qui peut avoir été commise par la même personne, il suffit d'inculper de blanchiment, et de blanchiment seulement, toute personne qui dispose de certains avoirs sans donner d'explication convaincante sur leur origine. Or, l'origine illicite des avantages, au sens de l'article 505 du Code pénal, c'est bien une origine infractionnelle. On s'éloignerait de la sorte de la nécessité de prouver l'infraction de base pour se rapprocher d'une incrimination générale de détention d'avantages patrimoniaux qui proviennent sans doute d'une infraction sans que le ministère public ne doive apporter la preuve de la réunion de tous les éléments constitutifs de l'infraction de base.

Enfin, M. Risopoulos met en garde contre une troisième dérive potentielle: le projet de loi risque de porter atteinte à tout notre régime de prescription. Dès lors que le délit de blanchiment et de possession des avantages patrimoniaux serait renouvelé à chaque usage que l'on fait de cet avantage patrimonial, la prescription ne joue plus pour le délit de base.

La confiscation obligatoire et par équivalent à charge de tous les auteurs, coauteurs et complices du délit visé à l'article 505, 2º, 3º et 4º du Code pénal

La lutte contre le blanchiment, au stade de la répression, est rendue efficace par deux types de mesures: punir l'auteur de l'infraction de blanchiment (peine de prison et amendes pénales) et confisquer l'objet du blanchiment qui est trouvé en sa possession. On peut ajouter même, en toute logique, la possibilité pour le juge de confisquer les avantages patrimoniaux tirés de l'infraction de blanchiment elle-même (le « salaire » du blanchisseur), même par équivalent s'ils ne se retrouvent pas dans le patrimoine du condamné, en vertu des articles 42, 3, et 43bis du Code pénal.

Le projet prévoit un nouveau bouleversement du système actuel en rendant obligatoire, à charge de tous les auteurs, coauteurs et complices, la peine de confiscation de l'objet du blanchiment (à ne pas confondre avec le profit du blanchiment: l'objet du blanchiment est bien le montant total cumulé de tout ce qui est passé dans les mains du blanchisseur, à quelque titre que ce soit), cette peine étant prononcée par équivalent lorsque l'objet du blanchiment ne se trouve plus dans le patrimoine des personnes condamnées.

Les deux seuls tempéraments apportés par le projet à cette lourdeur exceptionnelle de la sanction sont flous et insuffisants: pour l'article 505, 2º, en projet, la confiscation serait « proportionnelle à la participation du condamné à l'infraction » et pour l'article 505, 3º et 4º, en projet, « le juge pourrait réduire cette somme en vue de ne pas soumettre le condamné à une peine déraisonnablement lourde ». M. Risopoulos s'étonne de l'introduction d'une notion aussi subjective dans le Code pénal.

Le projet veut ainsi résoudre la controverse sur le caractère de la confiscation spéciale en matière de blanchiment (mesure ou peine) en qualifiant expressément la confiscation obligatoire de l'article 505 de peine (le mot « confiscation » est remplacé par celui de « peine » dans le texte du projet).

Mais alors pourquoi priver le juge d'un véritable pouvoir d'appréciation ?

Une confiscation facultative des choses qui ne sont plus dans le patrimoine du condamné, ce qui reste très discutable sur le plan des principes, permettrait à tout le moins de tempérer le système mis en place par le projet de loi, qui revient à une confiscation générale des biens, toujours prohibée par la Constitution.

Mais la façon la plus classique de compléter un arsenal répressif, dans le cadre d'une délinquance économique, est encore de prévoir un éventail très large pour les peines d'amende.

Il ne faut pas perdre de vue qu'en droit positif, les organisations criminelles (article 324bis du Code pénal) voient la totalité de leur patrimoine confisqué en vertu de l'article 43quater, § 4, du Code pénal. Pour ce type de délinquance, des moyens particuliers ont été mis en place par le législateur.

Échange de vues

A. Questions et observations des membres

M. Roelants du Vivier demande quelle est la position de l'OBFG par rapport à la proposition de loi modifiant l'article 505 du Code pénal en ce qui concerne le recel qu'il a déposée le 8 juillet 2003 (doc. Sénat, nº 3-39). L'auteur y vise plus particulièrement le recel des œuvres d'art, mais il n'est pas possible de prévoir un régime particulier de recèlement pour ce type d'objet.

En ce qui concerne la question de la prescription, le caractère instantané ou continu du délit de recel a une influence sur le point de départ du délai de prescription. Il est de notoriété que la Belgique est une plaque tournante du trafic des œuvres d'art parce que le recel y est considéré comme un délit instantané. Dès lors, après le délai de prescription de cinq ans, les objets peuvent refaire surface de manière « légale » sans que les receleurs puissent être inquiétés.

L'intervenant renvoie à l'avis rendu par la Cellule de traitement des informations financières (CTIF). La CTIF n'est pas négative quant à la proposition de transformer le délit de recel en délit continu. C'est un choix politique. Il est important de se donner les moyens de poursuivre plus efficacement les receleurs. Si l'on devait suivre cette voie, la CTIF fait remarquer qu'il faudrait préciser l'élément moral du délit de recel: l'inculpé devait ou aurait dû connaître l'origine illicite du bien recelé au moment de son entrée en possession.

La CTIF rappelle qu'en France, les délits de recel et de blanchiment ne sont pas autonomes. Il faut prouver l'infraction d'origine dont sont issus les biens recelés ou blanchis pour pouvoir poursuivre le receleur. En Belgique par contre, il suffit de prouver l'origine illicite sans identifier l'infraction de base.

M. Roelants du Vivier se demande s'il est plus facile de poursuivre les receleurs chez nous et si cela justifie le caractère instantané du délit de recel.

L'orateur renvoie également à l'avis du Collège des procureurs généraux, qui suit celui de la CTIF. Le collège estime que la proposition de loi nº 3-39 est motivée par une situation particulière, car le recel d'œuvres d'art en Belgique est une situation spécifique. Le problème du recel d'œuvres d'art est particulièrement visible en raison de la grande valeur financière de ces objets. D'autre part, notre pays fait l'objet de remarques de la part de nos principaux voisins, où la presse n'hésite pas à considérer la Belgique comme une plaque tournante pour le trafic d'œuvres d'art. On vole entre 10 000 et 12 000 objets d'art chaque année dans notre pays et le trafic d'œuvres d'art serait le troisième trafic le plus juteux.

En réponse à des questions parlementaires, la ministre a estimé que les moyens dont dispose la police pour poursuivre les receleurs d'œuvres d'art sont suffisants. M. Roelants du Vivier en doute, car nos services de police sont les moins pourvus d'Europe. Ils sont d'ailleurs demandeurs pour que l'on modifie l'article 505 du Code pénal afin de transformer le recel en délit continu.

L'intervenant estime que le recel n'est pas moins grave que le vol. S'il n'y avait pas de receleurs, il n'y aurait pas de voleurs.

Mme de T' Serclaes rappelle que le problème du recèlement est particulièrement complexe et technique. Les notions de recel et de blanchiment s'interpénètrent et le citoyen moyen a beaucoup de difficultés à s'y retrouver, d'autant que les points de vue des personnes concernées sont très divergents. Les pressions en vue d'une modification législative vont en sens divers. Certains plaident pour un renforcement de l'arsenal législatif pour améliorer la protection des œuvres d'art. Les banques plaident pour un assouplissement, car elles souhaitent une plus grande sécurité juridique dans le cadre des opérations courantes qu'elles accomplissent. Les parquets et les services de police plaident pour une augmentation de leurs moyens pour lutter contre le blanchiment et le recèlement.

L'intervenante pense que les modifications en projet, en raison de l'interpénétration des concepts de blanchiment et de recel, ont pour effet de remettre en question la notion même de prescription. Lors des discussions de la proposition de nouveau Code de procédure pénale (Grand Franchimont), la commission a longuement débattu du problème de la prescription. Il faudrait, sur ce point, d'abord s'accorder sur les objectifs que l'on veut atteindre en matière de prescription. Le but est-il d'arriver à ce que toute une série de délits deviennent imprescriptibles pour laisser un maximum de temps à la justice pour faire son travail ? Une telle solution n'est pas sans risques car elle laisse peser une épée de Damoclès sur la tête des gens. Il est dès lors important de d'abord se fixer sur les règles praticables que l'on veut mettre en œuvre.

La législation sur le blanchiment date du début des années 90. Cette législation, dont le but est de lutter contre l'argent de la criminalité, résulte de réflexions internationales. Petit à petit, en ajoutant des éléments, on finit par avoir des législations qui se superposent et entrent en concurrence, ce qui rend les choses ingérables sur le terrain.

Mme de T' Serclaes déplore que l'on continue à légiférer par bribes et morceaux, sans que l'on puisse évaluer toutes les conséquences des textes par rapport aux objectifs pourtant légitimes de leurs auteurs. Le projet tel qu'il a été adopté à la Chambre résulte d'une demande du secteur bancaire, qui a souhaité une exception parce que la législation sur le blanchiment pose certaines difficultés. On a profité de l'occasion pour apporter d'autres adaptations qui posent des problèmes de cohérence par rapport à l'ensemble de notre système pénal.

Il est important que les débats au Sénat apportent la clarté nécessaire. Ne faut-il pas limiter la portée du projet de loi au problème soulevé par les banques, sans y greffer d'autres questions telles que le caractère continu ou instantané du délit de recel ? L'intervenante se dit préoccupée par les conséquences du projet au niveau de la prescription. Il est mauvais, en termes de philosophie de la justice pénale, d'arriver à des délits imprescriptibles.

M. Mahoux souhaite replacer le problème du blanchiment dans une perspective historique. Il rappelle que le blanchiment vise au départ des problèmes de criminalité organisée. Le constat fait par la Commission d'enquête sur la criminalité organisée était que les produits de la criminalité organisée ne faisaient pas l'objet de mesures spécifiques permettant de lutter contre ce phénomène.

L'intervenant met en garde contre le risque de banaliser la criminalité organisée à force de mettre l'accent sur les effets collatéraux de la législation sur le blanchiment. L'appréciation que l'on peut avoir du texte en projet dépend de la volonté réelle d'atteindre les objectifs poursuivis, en tenant compte des effets collatéraux et du pouvoir d'appréciation du juge. Il ne faudrait pas que, sous prétexte d'effets collatéraux, on ne change plus rien à notre législation et que l'on s'inscrive dans une logique d'immobilisme par rapport à la criminalité organisée.

M. Risopoulos a mis en avant le fait que le projet créait une sorte de discrimination en faveur de la fraude fiscale simple car il propose une « exemption de blanchiment » pour ce seul délit économique.

Quelle solution alternative l'OBFG propose-t-il ? Faut-il élargir l'exception à tous les délits économiques ou faut-il éliminer l'exception pour la fraude fiscale simple ?

M. Mahoux évoque ensuite la question de la durée de la possession du produit du recel. C'est souvent une condition sine qua non d'efficacité du blanchiment pour la personne qui blanchit. La période d'oubli de l'origine des objets recelés est fondamentale pour que l'on perde de vue qu'il s'agit de produits de recel. Or, le moment où l'on met les objets en vente est celui où l'origine délictueuse des biens peut se révéler. Dès lors, le problème de la prescription se pose de manière différente pour le recel par rapport à l'infraction initiale car il faut que cela dure pour que le recel soit efficace.

L'intervenant pense par ailleurs que si l'on veut lutter efficacement contre ce type de trafic, il faut pouvoir empêcher la réalisation d'un avantage patrimonial tant dans le chef tant du délinquant initial que dans le chef du receleur. Si l'on ne prévoit pas la possibilité de confisquer presque systématiquement l'avantage patrimonial, on ne parviendra pas à dissuader ce type de criminalité.

M. Hugo Vandenberghe fait observer que la loi pénale vise à lutter contre des abus importants. Le danger que représente la criminalité organisée est qu'elle risque d'infiltrer la société civile; c'est d'ailleurs déjà chose faite en grande partie aux Pays-Bas où la criminalité organisée est très présente sur le marché immobilier. Si l'on ne qualifie pas explicitement le blanchiment d'infraction, on ne pourra pas réprimer ce phénomène. L'on peut donc dire que la possibilité de confisquer les avantages découlant du blanchiment constitue un moyen essentiel dans la lutte contre la criminalité organisée. Il faut toutefois pouvoir distinguer le principal de l'accessoire et mettre au point un système cohérent, sous peine de créer une insécurité juridique, ce qui ralentira à son tour le cours de la justice. L'intervenant renvoie également à l'avis du Conseil d'État à cet égard.

L'intervenant constate que l'on peut être condamné pour blanchiment sans que l'infraction principale soit prouvée. La règle de base dans notre droit dit pourtant qu'« en fait de meubles, possession vaut titre ». Ce principe est certes tempéré par une série de conditions matérielles permettant d'exclure l'utilisation délictuelle du produit d'une infraction. Ainsi, pour que le principe « possession vaut titre » trouve à s'appliquer, il faut que la possession soit de bonne foi, non équivoque et publique.

L'on peut dire en l'espèce que le titre de propriété licite en droit privé n'est pas appliqué par le juge pénal. Le juge pénal ne tient donc pas compte d'un moyen de preuve légal, ce qui va trop loin. L'on peut dire que l'infraction originelle ne doit pas être établie, mais on ne peut pas priver l'intéressé de l'avantage découlant d'une possession licite. Si la possession est licite, il incombe au parquet de démontrer que la possession ne remplit pas les conditions qualitatives requises.

Ce type de problème est dû au fait que l'on légifère de manière fragmentaire, avec pour conséquence un manque de cohérence dans l'approche du problème en question.

L'intervenant conclut que l'effet de l'article 2279 du Code civil doit être préservé.

S'agissant de la prescription, l'intervenant estime qu'à défaut de possession licite, on se trouve dans une situation qui pourrait potentiellement avoir des conséquences pénales.

B. Réponses de l'OBFG

M. Risopoulos fait remarquer que le projet de loi contient des modifications de natures diverses. Les auteurs de la proposition de loi initiale voulaient au départ répondre à une demande du secteur bancaire de sortir la fraude fiscale simple du champ d'application du blanchiment. On en a profité pour durcir la répression du blanchiment et régler des controverses doctrinales et jurisprudentielles. Ces derniers points n'ont en principe rien à voir avec la question initiale de l'exemption fiscale.

Il faut d'autre part garder à l'esprit que l'on a choisi, en droit belge, d'incriminer le blanchiment en liaison avec le recel. On aurait pu à l'époque retenir une autre option en faisant du blanchiment un nouveau titre du Code pénal. Le législateur de 1990 a préféré compléter l'article 42 du Code pénal, en prévoyant la confiscation spéciale des avantages patrimoniaux, ainsi que l'article 505 du Code pénal sur le recel.

Certaines des questions qui ont été posées, notamment en ce qui concerne la prescription, dépendent des choix opérés par le législateur de 1990. Le recel est un délit qui existe depuis le début dans notre Code pénal. La logique suivie par le législateur belge en matière de recel est différente de celle suivie par le législateur français. En France le recel est un délit continu — ce qui est un élément positif pour lutter contre le trafic des œuvres d'art — mais la répression du recel y est plus difficile qu'en droit belge car il faut prouver positivement le délit de base.

L'équilibre trouvé en droit français est différent de l'équilibre en droit belge qui considère le recel comme un délit autonome. La partie poursuivante ne doit pas prouver la réunion de tous les éléments constitutifs du délit de base. Il suffit de savoir qu'il y a une origine illicite pour que l'on puisse condamner du chef de recel. Dans un tel système, il est logique que la prescription pour le recel simple commence à courir au moment de l'entrée en possession des objets (délit instantané).

L'article 505, 2º, du Code pénal, qui vise le recel élargi, incrimine le fait d'être en possession de l'avantage patrimonial tiré de n'importe quelle infraction, ce qui ne correspond pas au blanchiment au sens commun.

Le blanchiment au sens strict est visé par l'article 505, 3º et 4º. Cela constitue un délit continu puisque tant que l'on fait circuler les biens dans le but de les éloigner du délit de base, il y a persistance de la situation illégale et la prescription ne court pas.

Cependant, si l'on veut étendre la notion de délit continu à l'hypothèse de la simple possession d'avantages patrimoniaux, c'est à dire la détention de choses fongibles, cela peut aboutir à des dérapages. Il ne serait en effet pas impossible que le parquet, lorsque le dossier ouvert à charge des auteurs présumés de l'infraction de base s'enlise, utilise l'article 505, 2º, pour ouvrir un dossier « bis » à charge de l'épouse, des amis, etc., des auteurs présumés de l'infraction de base en leur demandant de prouver l'origine des choses fongibles en leur possession. Ce risque est d'autant plus réel que le délit de blanchiment est, en droit belge, partiellement coupé de l'infraction de base.

Pour ce qui concerne le recel des œuvres d'art, l'intervenant précise que cette hypothèse est visée à l'article 505, 1º, du Code pénal. Par rapport au régime mis en place en droit belge pour le délit de recel, il semble impossible de prévoir une exception en faveur des œuvres d'art pour faire du recel des œuvres d'art un délit continu. Si l'on veut que le délit visé à l'article 505, 1º, devienne un délit continu, cela rompt tout l'équilibre mis en place en droit belge, qui considère que le délit de recel est autonome par rapport à l'infraction de base.

M. Risopoulos en conclut qu'il semble difficile d'appliquer le régime du délit continu à l'hypothèse de l'article 505, 1º. D'autre part, faire du délit visé à l'article 505, 2º, un délit continu, aboutirait à des conséquences que l'on ne maîtrise pas.

À la question posée quant à l'utilité du projet de loi, M. Risopoulos rappelle qu'il faut scinder la question de savoir si la fraude fiscale simple peut déboucher sur un délit de blanchiment des autres modifications en projet.

Dans un arrêt du 22 octobre 2003, la Cour de cassation a admis que la fraude fiscale pouvait générer un avantage patrimonial confiscable au sens de l'article 42, 3º, du Code pénal. La Cour a considéré que le fait d'éviter le paiement d'une dette fiscale constituait un avantage patrimonial confiscable.

Par contre, elle ne s'est jamais prononcée sur la question de savoir si la fraude fiscale simple pouvait déboucher sur un délit de blanchiment dans le chef des personnes qui ont possédé ou détenu tout ou partie du produit de la fraude fiscale. Ce qui rend la réponse à cette question délicate, c'est que du point de vue du droit fiscal, la simple possession d'argent, future base taxable, n'est pas un délit de fraude fiscale. Cela ne le devient que lorsqu'on ne déclare pas ses revenus imposables dans les délais légaux.

Une solution pourrait être de considérer que le seul délit de base en matière fiscale pouvant déboucher sur un délit de blanchiment est la fraude fiscale grave organisée qui met en œuvre des mécanismes complexes ou qui use de procédés à dimension internationale, comme le proposent MM. Willems et Noreilde dans leur amendement nº 1 (doc. Sénat, nº 3-1610/3). M. Risopoulos pense que cette mesure serait adaptée à l'atteinte grave et serait cohérente par rapport à d'autres dispositifs antiblanchiment. D'ailleurs, dans tout le volet préventif du blanchiment c'est la fraude fiscale grave et organisée qui est visée.

En ce qui concerne les éventuels effets collatéraux du projet de loi et le lien avec la criminalité organisée, M. Risopoulos fait remarquer que le blanchiment est l'infraction que l'on trouve dans beaucoup de dossiers de droit pénal économique à côté des autres infractions de base. Le parquet et les juges d'instruction ne gardent pas l'infraction de blanchiment pour la seule criminalité organisée et grave.

En matière de criminalité organisée, le législateur a ajouté, par la loi du 19 décembre 2002, un § 4 à l'article 43quater du Code pénal prévoyant que « Le patrimoine dont dispose une organisation criminelle doit être confisqué (...) ».

Pour lutter contre toute possibilité d'enrichissement des organisations criminelles et de leurs membres, on a prévu un régime dérogatoire de confiscation. Dès qu'une organisation criminelle est condamnée sur la base de l'article 324bis du Code pénal, il y a automatiquement confiscation du patrimoine de l'organisation, de ses membres, des personnes morales que les membres de l'organisation ont constituées pour détenir les biens de l'organisation criminelle, etc.

Personne ne s'oppose à cette sanction lourde car elle vise des organisations criminelles. L'intervenant pense qu'il n'est par conséquent pas nécessaire de prévoir une sanction supplémentaire à l'égard des organisations criminelles car il existe déjà un mécanisme de confiscation.

M. Hugo Vandenberghe confirme que, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, tout le patrimoine de l'organisation peut être confisqué.

M. Mahoux demande s'il existe de la jurisprudence concernant l'application de l'article 43quater, § 4, du Code pénal. Les juridictions confisquent-elles le patrimoine des organisations criminelles depuis que cette sanction a été introduite dans le Code pénal en 2002 ?

M. Risopoulos est convaincu que des confiscations ont été prononcées en application de l'article 43quater, § 4. Les juges n'ont pas le choix. Dès lors qu'ils condamnent du chef d'organisation criminelle, ils prononceraient une décision illégale s'ils ne prononcent pas la confiscation des biens de l'organisation criminelle.

En ce qui concerne les questions concernant le point de départ du délai de prescription, M. Risopoulos rappelle que pour le vrai blanchiment (articles 505, 3º et 4º du Code pénal), il n'y a pas de problème de prescription. La prescription ne commence à courir que lorsque les actes de blanchiment autonomes (vente, échange, réinjection des fonds, etc.) ne produisent plus d'effets. Par contre, le problème de la prescription est plus délicat pour ce qui concerne l'application de l'article 505, 2, du Code pénal, car on vise la simple possession d'avantages sans que l'on pose des actes positifs de blanchiment.

En ce qui concerne l'efficacité de la répression et le risque d'imprescriptibilité, l'orateur fait la comparaison avec le meurtre. Si l'on enterre la victime, après dix ou quinze ans, la prescription est intervenue. Même si l'on retrouve la victime au-delà de ce délai et que l'on connaît avec certitude l'auteur des faits, il n'est plus possible de le poursuivre. Faut-il dès lors rendre les choses imprescriptibles pour deux infractions spécifiques du Code pénal (l'usage de faux et le blanchiment) ? M. Risopoulos fait remarquer que dans le projet de nouveau Code de procédure pénale (Grand Franchimont) il est proposé, pour l'usage de faux, de faire courir le délai de prescription à partir de la découverte du faux afin de mettre fin à une tendance jurisprudentielle. Or, une telle tendance jurisprudentielle comparable est possible pour l'article 505, 2º, du Code pénal.

M. Hugo Vandenberghe demande quelle serait la situation du possesseur qui était initialement de bonne foi, mais qui découvre après deux ans la réalité quant à l'origine des biens. Sur le plan du droit civil, cela n'a aucune conséquence car c'est la bonne foi initiale qui prime. En droit pénal par contre, le fait de découvrir la réalité ne met-il pas le possesseur en situation infractionnelle ?

M. Risopoulos répond que dans l'hypothèse évoquée par le préopinant, pour ce qui concerne le blanchiment pur (article 505, 3º et 4º du Code pénal), si une personne pose un acte de blanchiment trois ans après être entrée en possession des biens, la prescription ne joue pas, car au moment où elle commet le délit de blanchiment, elle connaît l'origine illicite des biens.

En ce qui concerne les peines, certains orateurs ont estimé qu'il fallait qu'elles soient lourdes pour faire mal aux blanchisseurs. M. Risopoulos met cependant en garde contre un régime de sanction disproportionné qui n'irait pas nécessairement de pair avec une bonne administration de la justice. Il cite à cet effet un exemple tiré de la jurisprudence. Des personnes assurent sur une base régulière, au profit d'une organisation criminelle, le courrier de fonds provenant du trafic de drogues. Contre une rémunération de 2 500 USD par voyage, elles rapatrient 100 000 USD de la Belgique vers la Colombie. Elles effectuent ce trafic sur une base régulière pendant deux ans. Lorsque ces petits courriers sont arrêtés, il est évident que les millions de dollars qu'ils ont transportés ne sont plus en leur possession. On évalue le montant total de la fraude à 10 millions USD.

En application de la législation actuelle, ces « petits courriers » sont condamnés par la cour d'appel à une peine de prison très lourde, à des amendes élevées, à la confiscation par équivalent du profit personnel qu'ils ont tiré de leurs voyages. Toutes ces peines sont logiques. Le parquet avait en plus demandé la confiscation par équivalent d'un montant de 10 millions USD correspondant au montant total de la fraude, à charge de chacun des courriers. Le projet à l'examen oblige le juge à condamner les petits courriers à la confiscation par équivalent pour un montant de 10 millions USD, en plus des peines de prison, des amendes et de la confiscation du profit personnel qu'ils ont tiré de leur participation. Le juge doit prononcer la confiscation par équivalent, sauf si cela a pour conséquence de soumettre le condamné à une peine déraisonnablement lourde. M. Risopoulos trouve que la réserve est assez ambiguë. D'autre part, il doute qu'une peine aussi disproportionnée constitue une sanction adéquate. Le système actuel de sanctions est suffisant sans qu'il faille ajouter la confiscation par équivalent pour l'ensemble.

À la question concernant l'application par le juge pénal des règles du droit civil, M. Risopoulos admet que le juge pénal qui est confronté à une notion de droit civil, doit la trancher selon les règles du droit civil.

Lorsque l'on est devant une juridiction pénale et que l'on poursuit une personne pour avoir été en possession d'avantages patrimoniaux tirés d'une infraction, il y a une lutte entre la partie poursuivante et la défense sur la charge de la preuve.

Il ressort cependant clairement des travaux parlementaires de la loi du 7 avril 1995 sur le blanchiment que la preuve positive de la réunion de tous les éléments constitutifs de l'infraction de base ne doit pas être apportée. Si l'on devait exiger une telle preuve, il ne serait plus possible de lutter efficacement contre le blanchiment.

La défense soutiendra que le parquet ne prouve pas l'infraction de base et qu'elle est par conséquent dans l'obligation d'apporter la preuve négative que les avantages ne sont pas tirés d'une infraction (preuve diabolique). Elle rappellera le lien entre l'article 505 du Code pénal et l'article 42, 3º, du même Code.

Selon cette dernière disposition, les avantages patrimoniaux doivent être tirés d'une infraction. Dès lors, pour prouver que ce sont les avantages patrimoniaux qui sont en cause dans le cadre du blanchiment prévu à l'article 505, le ministère public doit malgré tout savoir justifier en quoi les avantages patrimoniaux résultent d'une infraction.

M. Risopoulos estime qu'il n'est pas possible d'empêcher qu'il y ait une zone grise entre l'approche du ministère public et celle de la défense concernant la charge de la preuve. Si l'on devait exiger, pour pouvoir poursuivre quelqu'un du chef de blanchiment, que la partie poursuivante apporte positivement la preuve de la réunion de tous les éléments constitutifs du délit de base, cela rendrait la lutte contre le blanchiment impossible. Il faut cependant que le parquet puisse indiquer de quelle infraction proviennent les avantages patrimoniaux.

Le fait que nous ayons un délit de blanchiment autonome donne à la partie poursuivante un pouvoir appréciable. Y ajouter les condamnations automatiques comme le prévoit le projet de loi semble exagéré aux yeux de M. Risopoulos.

L'intervenant précise par ailleurs qu'il n'a jamais invoqué la protection de l'article 2279 du Code civil devant le juge pénal.

M. Hugo Vandenberghe renvoie aux articles 15 et 16 du titre préliminaire du Code de procédure pénale et à la jurisprudence de la Cour de cassation. Malgré cela, certaines juridictions n'appliquent pas au pénal la protection reconnue par l'article 2279 du Code civil.

Dans le cas, par exemple, de vêtements, la preuve de propriété réside dans le fait qu'on les porte. Aucun autre titre n'est nécessaire. Selon l'intervenant, il ne faut pas renoncer à cette manière de voir les choses. La loi assortit d'ailleurs la possession de conditions qualitatives suffisantes.

M. Risopoulos pense que l'on pourrait alléguer que le simple fait de l'action pénale trouble la jouissance telle qu'elle est protégée par l'article 2279 du Code civil.

M. Hugo Vandenberghe répond que la jurisprudence a clairement établi que le fait qu'une action est entamée contre le possesseur ne transforme pas cette possession en une possession ambiguë. La possession est simplement contestée.

M. Risopoulos pense que l'on invoquera l'autonomie du droit pénal.

Pour M. Hugo Vandenberghe, cela n'est pas exact. L'on peut parfaitement invoquer sa possession publique légitime.

M. Mahoux pense que les parties au procès vont évidemment utiliser les moyens à leur disposition pour défendre leur thèse. Cependant, le juge a également son rôle à jouer et il appréciera les éléments du dossier.

L'intervenant revient à l'article 505, 1º, du Code pénal. Cette disposition vise des objets mobiliers. Quel champ d'application faut-il lui donner ? Enfin, l'article 2279 du Code civil se situe-t-il, en termes de hiérarchie des normes, au dessus des dispositions du Code pénal ?

M. Hugo Vandenberghe fait remarquer que la réponse à la dernière question est très nuancée. La jurisprudence ne permet pas de dégager de réponse claire et générale, car on y traite des cas d'espèce.

Si l'on dissocie le blanchiment de la preuve de l'infraction principale, on peut se demander à quel moment naît la charge de la preuve en ce qui concerne la prétendue accusation de blanchiment. L'intervenant estime que si on allègue que l'on est apparemment le possesseur régulier du bien en question, par exemple une somme d'argent ou une peinture, il incombe au ministère public de fournir la preuve contraire. Si le ministère public reste en défaut de fournir cette preuve contraire, l'intéressé est couvert par l'article 2279 du Code civil, qui prévoit un moyen de preuve légal.

Mme de T'Seclaes demande des précisions concernant l'application de l'article 2279 du Code civil en matière pénale. Cela concerne-t-il le blanchiment ou le recel ?

M. Risopoulos répond que cela vise plutôt le recel d'un objet mobilier (article 505, 1º, du Code pénal) ou du profit d'une infraction (article 505, 2º, du Code pénal). L'exception de la possession légitime ne joue pas dans les hypothèses visées à l'article 505, 3º et 4º.

Il est possible que la réponse au problème spécifique du recel des œuvres d'art serait d'utiliser les articles 505, 3º et 4º, lorsque l'on a attendu le temps nécessaire pour atteindre la prescription. On pourrait considérer que le fait de sortir l'objet est un acte positif de blanchiment. C'est un acte par lequel on cherche, en connaissance de cause, à profiter de ce qui a, au départ, été acquis par une infraction et de transformer l'objet mobilier en argent. Cela constitue un délit autonome pour lequel le délai de prescription ne joue pas.

M Mahoux se réfère aux problèmes rencontrés avec les objets de la collection Janssen. Le Mexique contestait la légitimité de la possession d'une partie des œuvres. Il n'y avait dans ce débat aucune dimension pénale. Les héritiers ont cependant dû prouver la légitimité de la possession. Souvent, c'est à l'occasion d'une donation ou d'une succession que la possession est mise en évidence et que l'on a la possibilité de contester la légitimité de celle-ci.

M Hugo Vandenberghe répond que les règles générales du droit civil permettent de répondre à cette situation. Le délai de prescription en droit civil est de trente ans. Par ailleurs, pour que ce délai coure, il faut que la possession réponde à une série de conditions. Elle doit être légitime et publique. Le problème juridique découle du fait que l'on a, en droit pénal, réglé les délits patrimoniaux sans tenir compte des principes du droit privé. Or, le système des prescriptions qui existe en droit privé est très équilibré et permet de régler la majorité des problèmes car on ne donne pas de suites juridiques aux situations délictueuses.

M Risopoulos pense que, dans la réalité, il sera difficile pour les personnes concernées d'invoquer la protection que leur donne l'article 2279 du Code civil. Il cite l'hypothèse d'une saisie de voitures dans le cadre d'une enquête de droit pénal financier. On saisit les voitures immatriculées au nom de la société mais également la Mercedes immatriculée au nom de l'épouse de l'administrateur délégué. Le nœud du problème sera de déterminer si l'épouse devait savoir que les fonds qui ont servi à l'achat du véhicule avaient une origine illicite.

Or, souvent, dans ce genre de dossier, le simple fait de ne pas se poser de questions quant à l'origine des fonds est déjà considéré comme suffisant par le parquet. Il y aura une confrontation des points de vue, mais l'épouse n'est pas vraiment protégée par l'article 2279 du Code civil.

M. Hugo Vandenberghe souligne qu'on doit raisonnablement examiner si l'on reçoit le bien du propriétaire légal.

VI. DEMANDE D'AVIS A LA COMMISSION DES FINANCES ET DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES

En application de l'article 24 du règlement, la commission a sollicité, le 21 novembre 2006, l'avis de la commission des Finances et des Affaires économiques.

Pour le texte de cet avis, il y a lieu de se reporter au document nº 3-1610/5 du 22 décembre 2006.

Dans l'avis susvisé, des remarques sont formulées à propos, notamment, de l'articulation du projet de loi et de la deuxième directive européenne. Le projet va plus loin que cette directive, qui va elle-même moins loin que la troisième directive, dont on connaît déjà le contenu.

Un autre point concerne les conséquences, en termes de concurrence entre les institutions bancaires belges et étrangères, si l'on appliquait chez nous une directive plus contraignante que dans les pays voisins.

Par ailleurs, la question du caractère instantané ou continu du recel, qui ne relevait guère du domaine de la commission des Finances, n'a pas été vidée.

La commission a dès lors décidé d'entendre également la Cellule de traitement des informations financières sur ces différents points.

VII. AUDITION DE M. VERELST, PRÉSIDENT SUPPLÉANT DE LA CELLULE DE TRAITEMENT DES INFORMATIONS FINANCIÈRES (CTIF)

M. Verelst souhaite indiquer clairement que la CTIF se situe au niveau du volet préventif du dispositif antiblanchiment. La CTIF est l'organe où sont rassemblés les signalements de transactions suspectes par les banques et autres déclarants. Les informations qui parviennent ainsi à la CTIF doivent être analysées; en cas d'indices sérieux de pratiques de blanchiment, la CTIF informe le procureur du Roi. Cette cellule fait en quelque sorte office de filtre et elle prépare le travail du parquet.

Les compétences de la CTIF sont réglées par la loi du 11 janvier 1993, qui concerne l'aspect préventif et qui définit clairement ce qu'il faut entendre par « blanchiment ». Il y a ainsi, en ce qui concerne le champ d'application, une distinction importante entre la loi préventive du 11 janvier 1993 et l'article 505 du Code pénal. Alors que l'article 505 du Code pénal a une portée générale, la loi préventive présente une liste des infractions de base. Les données ne peuvent être transmises au parquet que si l'infraction à la base du délit présumé figure dans cette liste et est donc jugée suffisamment grave. La compétence de la CTIF est donc limitée. Par contre, la loi répressive, notamment l'article 505 du Code pénal, n'implique aucune restriction pour le procureur du Roi. N'importe quel avantage patrimonial peut entraîner un complément d'enquête. La CTIF est limitée, contrairement au parquet.

En ce qui concerne les infractions fiscales, la loi préventive prévoit une obligation d'information en cas de fraude fiscale grave et organisée; dans 95 % des cas, il s'agit de carrousels TVA.

La question se pose de savoir si la fraude fiscale résultant d'une évasion fiscale peut également procurer un avantage patrimonial au sens de l'article 505 du Code pénal. La Cour de cassation a donné une réponse positive à cette question dans un arrêt de 2003/2004. Les banques également collaborent bien à la lutte contre la fraude fiscale.

L'intervenant souligne que la Belgique a une très bonne réputation sur le plan de la lutte contre le blanchiment. Dans d'autres pays, en revanche, un problème se pose souvent, d'une part, en ce qui concerne la conviction du parquet et, d'autre part, en ce qui concerne l'administration juridique de la preuve.

Le blanchiment est un délit mixte, constitué du délit d'origine et de l'activité de blanchiment proprement dite. Il y a aujourd'hui une tendance à considérer de plus en plus le blanchiment comme un délit autonome.

La question est de savoir s'il faut avoir la preuve positive du délit d'origine et, si oui, dans quelle mesure.

La jurisprudence belge, Anvers en tête, a toujours admis que, pour le blanchiment, il n'était pas nécessaire d'identifier spécifiquement le délit d'origine. L'article 505 a une portée générale et, pour qu'il soit applicable, il suffit que l'avantage patrimonial ait une origine illégale.

Il arrive régulièrement que le délit d'origine ait été commis à l'étranger. Si on doit l'identifier, cela pose souvent de gros problèmes (par exemple en Allemagne).

En apportant des restrictions à l'article 505 (exclusion des infractions fiscales), on oblige le procureur à produire une preuve positive, ce qui fait une grande différence.

Par ailleurs, l'intervenant estime qu'on ne résoudra pas le problème en prévoyant une restriction pour les infractions fiscales à l'article 505. En effet, le recèlement proprement dit et les activités de blanchiment proprement dites restent d'application.

M. Willems demande des précisions. Le préopinant s'est-il basé sur le texte tel qu'il a été adopté à la Chambre ?

M. Verelst répond par l'affirmative.

M. Mahoux demande si l'orateur estime que le texte tel qu'il a été transmis par la Chambre est correct et applicable sur le terrain.

M. Verelst répond que les dernières objections reflètent surtout le point de vue du parquet. Pour la CTIF, qui n'intervient que durant la phase préventive, cela fait peu de différence.

Naturellement, il importe que le système anti-blanchiment demeure cohérent. Il ne faut pas oublier que la CTIF prépare le terrain pour le parquet. Si l'on déroge à la règle selon laquelle l'article 505 vise tous les délits, cela peut créer des problèmes.

L'orateur n'a pas d'objection à formuler au sujet du délit continu. La prescription représente un problème important et, dans le contexte international, on est parfois confronté à une situation où le passeur de la drogue en est également le propriétaire. La simple détention ne constitue pas un acte nouveau. Si l'infraction a par exemple été commise par un Néerlandais, son caractère continu aura pour effet que l'avantage patrimonial pourra également être confisqué.

L'intervenant est quelque peu surpris par le fait que l'on étende au recel le principe selon lequel le blanchiment peut également avoir été commis par l'auteur du délit de base. En effet, on est toujours parti du principe que le voleur et le receleur ne pouvaient être la même personne.

Soutenir à présent le contraire appelle plusieurs questions. Comment l'auteur du délit de base peut-il « acheter » l'avantage patrimonial ? Il peut le conserver ou le gérer, mais quand même pas l'acheter ?

L'intervenant se demande pourquoi on ne rend pas, dans ce cas, l'article 505, 1º, applicable.

En ce qui concerne la confiscation, la Cour de cassation a rendu deux arrêts contradictoires. Dans un premier temps, elle a toujours considéré la confiscation comme une peine qui frappe personnellement l'intéressé. En cas de blanchiment, le juge doit prononcer la confiscation. Qu'en est-il lorsqu'une même somme est détenue par quatre ou cinq coauteurs ?

L'arrêt de 2004 stipule que la confiscation n'est pas une peine mais plutôt une mesure. Il n'est donc pas nécessaire d'ordonner la confiscation obligatoire des blanchisseurs successifs.

M. Hugo Vandenberghe estime qu'en établissant une distinction entre la peine et la mesure, on ne fait que jouer sur les mots. Toujours est-il que la mesure que le juge pénal impose constitue en fait une peine. L'intervenant fait référence à la jurisprudence de la Cour européenne.

M. Mahoux déclare qu'en confisquant, on tente de récupérer ce qui a fait l'objet d'une augmentation illicite du patrimoine. Par contre, condamner par exemple à six mois de prison ou au paiement d'une somme est une véritable peine. La distinction entre une mesure de récupération et une peine ne semble donc pas dépourvue de sens.

M. Hugo Vandenberghe persiste à dire qu'en faisant cette distinction, la Cour de cassation ne fait que jouer sur les mots. Dans l'affaire Philips/RU, la Cour de Strasbourg a clairement affirmé que la confiscation d'un avantage patrimonial constitue une peine. L'intention du législateur est manifestement de confisquer le patrimoine généré par le trafic de drogue. Il y a lieu de se demander si la proportionnalité est respectée. N'aurait-on pas mieux fait d'étendre l'application de l'article 505 au recel ?

L'intervenant souligne que le texte de l'article 505, tel qu'il a été voté par la Chambre, est formulé en termes très complexes et manque de clarté. Le citoyen a pourtant le droit de connaître le champ d'application exact. Il y a confusion ici entre le système du recel et celui du blanchiment. Il faudrait pourtant connaître le rapport précis entre recel et blanchiment.

L'intervenant invoque l'exemple typique du recel, à savoir le détournement d'héritage.

Il estime que le texte de la Chambre complique les choses plutôt qu'il ne les simplifie. Pourtant, le Conseil d'État a estimé dans son avis que le législateur devait apporter des précisions, car la jurisprudence sur la confiscation est divisée.

M. Verelst renvoie au contexte historique de l'article 505: le législateur a voté sur le recel des dispositions qu'il a ensuite transposées dans le domaine du blanchiment. En fait, procéder de la sorte était une erreur parce que c'était associer recel et blanchiment. En 1995, le législateur est intervenu pour expliquer clairement la différence entre recel et blanchiment. Le recel ne constitue qu'une première phase statique de la réception de l'avantage patrimonial illégal. Le blanchiment a une dimension dynamique, en ce sens que l'on tente, par toutes sortes de manœuvres, de réinjecter les mêmes fonds dans d'autres circuits. À présent, on veut appliquer au recel la pratique utilisée contre le blanchiment.

M. Mahoux prend note de la distinction qui est faite entre délit initial, blanchiment et recel. Quand il n'est pas l'auteur du délit, le fait pour le détenteur d'une somme obtenue de manière illicite de la receler, c'est-à-dire, entre autres, de la dissimuler, fait partie de la technique de blanchiment. Dans ce cas, s'agit-il d'un délit de recel ou de blanchiment, ou les deux se confondent-ils ?

En ce qui concerne le blanchiment, s'agit-il d'un délit continu ?

M. Verelst confirme que tel est le cas.

M. Mahoux conclut que, dans le cas cité, le recel est aussi un délit continu.

L'intervenant déduit des propos de M. Verelst que, pour le moment, tout est compris en termes de délit initial, qui justifierait le délit de recel et de blanchiment, alors que la CTIF traite en réalité des délits fiscaux d'un genre particulier.

M. Verelst précise que les carrousels à la TVA représentent 95 % des transactions suspectes liées à une fraude fiscale grave et organisée.

M. Mahoux revient à une précédente explication de l'orateur, dont il résulte que l'article 505 ne requiert pas une condamnation préalable du chef du délit initial. Le ministère public doit uniquement prouver que l'enrichissement a une origine illégale.

Comment cette preuve est-elle rapportée, et quelle différence fondamentale y a-t-il par rapport aux pays où une condamnation pour le délit initial est requise ?

M. Verelst confirme que, dans certains pays, le parquet ne peut pas entamer de poursuites pour cause de blanchiment d'argent tant qu'il n'y a pas eu de condamnation du délit initial. L'intervenant trouve que c'est absurde. En ce qui concerne l'administration de la preuve en Belgique, il cite l'exemple suivant. À Anvers, un Néerlandais domicilié à Rotterdam se présente à un bureau de change afin de changer en dollars américains les 20 millions en devises étrangères qu'il transporte dans deux sacs de sport.

Le même scénario se reproduit la semaine suivante. Le bureau le signale à la CTIF. Le fait que ce ressortissant néerlandais débarque en Belgique muni de ces sacs de sport remplis de devises à échanger paraît suspect; de surcroît, il s'agit de devises provenant de divers pays.

C'est le scénario typique qui se produit lorsque les fonds proviennent de la vente de drogue dans la rue. La CTIF informe le parquet, qui entame des poursuites et porte l'affaire en justice. La personne en question a été condamnée à 4 ans en première instance et à 5 ans en appel. Le premier argument que ce ressortissant a invoqué pour sa défense était qu'il ignorait l'origine des fonds et qu'il avait simplement reçu une commission. Plus tard, il est revenu sur ses déclarations et a avoué être au courant qu'il s'agissait d'argent provenant de la vente de drogue. Par la suite, la défense a indiqué que ce ressortissant était lui-même le dealer, l'auteur du délit initial. Il s'agissait alors d'un délit aux yeux de la loi néerlandaise, commis par un Néerlandais aux Pays-Bas, de sorte que la compétence du tribunal belge a été remise en cause. Toutefois, le juge n'était pas de cet avis et était convaincu, eu égard au comportement du suspect, que les fonds provenaient de la vente de drogue et que celui-ci n'était pas le dealer.

M. Hugo Vandenberghe conclut que le déplacement de la charge de la preuve requiert que certaines conditions soient réunies dans le dossier. Le ministère public peut invoquer des circonstances particulières qui ont pour conséquence que la charge de la preuve relative à l'origine des fonds incombe à la personne qui les détient. Dans ce cas, le ministère public ne doit pas prouver qu'il y a un délit particulier à l'origine du blanchiment d'argent.

L'intervenant se demande ce que fera le parquet si l'argent provient d'une opération d'évasion fiscale, c'est-à-dire en cas de fraude fiscale ordinaire; renoncera-t-il à entamer des poursuites ?

M. Verelst répond qu'en cas de fraude fiscale, les banques veulent être certaines de ne pas être poursuivies. L'intervenant renvoie à l'exception prévue à l'article 505, 2º. En cas de fraude fiscale ordinaire, l'intermédiaire n'est pas coupable de blanchiment d'argent, contrairement, bien entendu, à l'auteur, au coauteur ou au complice.

M. Hugo Vandenberghe cite l'exemple d'un de cujus qui détenait un coffre à la banque renfermant de l'argent noir. La banque est au courant et cet argent n'est pas mentionné dans l'héritage. Il est ensuite placé à la banque. Cette dernière est-elle alors complice ?

M. Verelst indique que la complicité visée à l'article 505,2º, est la complicité liée au délit initial.

M. Mahoux répond que l'argent est soustrait à la déclaration de l'héritage, et donc aux droits de succession. Le délit initial est donc une fraude fiscale, dont l'ampleur est variable.

La banque est-elle considérée comme coauteur du blanchiment ?

M. Verelst renvoie à l'article 133 du Code des droits de succession. En l'espèce, l'absence de déclaration dans la succession constitue le délit initial.

M. Hugo Vandenberghe souligne qu'en omettant de déclarer une partie de la succession, l'intéressé a bénéficié d'un avantage patrimonial. Selon l'intervenant, si la banque sait que le de cujus possédait de l'argent noir, sa complicité n'est pas exclue a priori.

M. Willems demande ce qu'il en est exactement de l'obligation de déclaration de la part de la banque dans le cas, par exemple, où une personne se présente à un guichet munie de titres au porteur pour un montant considérable. Cet argent peut avoir des origines multiples et provenir aussi bien de la vente de drogue que d'une fraude fiscale (absence de déclaration dans une succession). La banque est-elle soumise à une obligation de déclaration si elle reçoit ces titres ?

M. Verelst est d'avis qu'il faudra prendre position sur le plan politique afin de déterminer jusqu'où exactement portent les obligations des banques. La loi de prévention de 1993, qui est maintenue, n'oblige pas celles-ci à signaler des fonds dont elles savent qu'ils proviennent d'une fraude fiscale ordinaire. Toutefois, aux termes de l'actuel article 505, elles peuvent bien être considérées comme complices. C'est précisément à cet élément auquel on essaie de remédier à présent.

Mme Zrihen demande si la CTIF tient compte du principe de proportionnalité. Lorsqu'on parle de blanchiment et de recel, cela évoque des montants d'une certaine importance, ou un caractère répétitif d'opérations suspectes.

M. Verelst indique que la confiscation est considérée comme une peine et que cette dernière est infligée à titre personnel. Ainsi, si des fonds ont été blanchis par plusieurs personnes successivement, ils doivent être confisqués autant de fois qu'il y a de personnes.

M. Hugo Vandenberghe est d'avis que le législateur pourrait parfaitement inscrire le principe de la solidarité de la peine dans la loi et ainsi « modaliser » la confiscation. En effet, l'objectif de la loi est de confisquer l'avantage patrimonial illégal. C'est aussi une question de proportionnalité.

M. Verelst estime qu'il s'agit d'un problème d'exécution de la peine. La proportionnalité pourrait éventuellement apporter une réponse. Dans ce cas, on abandonnerait la théorie classique de la personnalité de la peine et de la confiscation obligatoire de la totalité de l'argent blanchi, conformément à l'article 505.

M. Hugo Vandenberghe maintient qu'une confiscation successive de la même somme d'argent enfreint le principe de proportionnalité. Il faut confisquer l'avantage total et, si plusieurs personnes sont impliquées, le principe de solidarité jouera entre elles.

Reste à savoir si le principe de proportionnalité est respecté lorsqu'au niveau de l'administration de la preuve, on traite l'avantage découlant d'une fraude fiscale ordinaire de la même manière que l'avantage découlant d'une activité relevant de la criminalité organisée. La criminalisation de la fraude fiscale peut entraîner une très grande criminalisation de la société, ce qui risque d'affecter énormément la sélectivité et la proportionnalité du droit pénal.

L'intervenant estime qu'il y a une différence de taille entre, par exemple, un trafiquant de drogue et l'auteur d'une fraude fiscale ordinaire.

M. Verelst renvoie à la situation difficile dans laquelle les banques se retrouvent du fait de la dématérialisation des titres. Pourquoi, au lieu d'aborder le problème sous cet angle, veut-on absolument modifier l'article 505 ? Ne serait-il pas préférable d'insérer dans la loi portant suppression des titres au porteur une disposition prévoyant que les banques qui convertissent les sommes en question ne se rendent pas coupables d'une infraction de blanchiment ?

M. Willems relève une certaine contradiction entre l'article 505, alinéa 1er, 2º, et la loi préventive. La banque n'est pas soumise à une quelconque obligation de déclaration, mais elle peut faire l'objet de poursuites répressives a posteriori.

M. Verhelst répond que la loi préventive a une tout autre optique que la loi répressive. La loi préventive concerne la coopération active du secteur financier au dépistage de l' « argent sale ». Cela reste limité à des infractions graves.

On ne peut pas mélanger les deux lois.

L'intervenant comprend le point de vue des banques qui se trouvent dans une position délicate.

M. Mahoux se demande s'il n'est pas possible de trouver une solution temporaire, qui ne vaille que le temps nécessaire à réaliser la dématérialisation.

Il s'interroge également sur la manière dont les choses se passeront si les banques, par mesure de précaution et pour éviter tout reproche, inondent la CTIF de déclarations.

M. Verelst répond que la cellule n'a pas une vocation fiscale et qu'elle ne dispose ni des moyens ni du personnel suffisants à cet effet. La cellule n'est pas compétente lorsqu'elle reçoit une déclaration émanant des banques au sujet d'une suspicion de fraude fiscale. Elle ne peut agir qu'en cas d'infraction grave et organisée. La loi préventive de 1993 n'oblige d'ailleurs pas les banques à faire de déclaration lorsqu'elles arrivent à la conclusion qu'il s'agit d'une fraude fiscale ordinaire. En revanche, l'article 505 est d'application et le parquet est compétent pour entamer des poursuites.

M. Willems se réfère aux mots « connaissaient ou devaient en connaître l'origine ». Cette formulation va assez loin.

M. Verelst souligne que ces mots ne visent pas la négligence. On considérera évidemment plus rapidement de la part de professionnels qu'ils « devaient en connaître l'origine ».

M. Hugo Vandenberghe confirme que « connaissaient ou devaient en connaître l'origine » est la définition de la mauvaise foi.

M. Willems trouve préférable d'insérer un certain nombre de critères dans la loi. La formulation de l'article 505 est trop générale à ses yeux.

M. Verelst estime qu'une énumération limitative n'est en tout cas pas possible. La typologie des infractions visées évolue en effet très vite. L'intervenant comprend les préoccupations du secteur financier et propose de modifier la loi portant suppression des titres au porteur plutôt que de prévoir une exception à l'article 505.

L'intervenant souligne que les difficultés se situent au niveau de l'article 505, alinéa 1er, 2º.

Le 3º et le 4º concernent la participation active à de véritables opérations de blanchiment. Le 1º et le 2º concernent le recel et le recel élargi.

Enfin, l'intervenant souligne la différence de formulation entre l'alinéa 1er et l'alinéa 2 du 7º de l'article 2 proposé: le premier alinéa dispose que le juge procédera à l'évaluation monétaire et que la confiscation portera sur une somme d'argent qui sera équivalente. Dans ce cas, le juge pourra toutefois réduire cette somme en vue de ne pas soumettre le condamné à une peine déraisonnablement lourde.

L'alinéa 2 dispose que le juge procédera à l'évaluation monétaire et la confiscation portera sur une somme d'argent qui sera proportionnelle à la participation du condamné à l'infraction. Pourquoi cette différence de formulation ?

VIII. DISCUSSION DES ARTICLES

Intitulé

L'intitulé reflète imparfaitement le contenu du projet de loi à l'examen.

En effet, son objet n'est pas limité à « la confiscation applicable en cas de recèlement », mais concerne aussi:

— l'extension des infractions visées à l'article 505, alinéa 1er, 2º à 4º, de recel élargi à l'auteur ou coauteur de l'infraction d'où proviennent les choses visées à l'article 42, 3º, ainsi qu'à leurs complices;

— la soustraction à l'application de l'article 505, alinéa 1er, 2º, de personnes autres que l'auteur, le coauteur et le complice de l'infraction d'où proviennent les choses visées à l'article 42, 3º;

— une précision du caractère continué des infractions visées à l'article 505, alinéa 1er;

— une extension des possibilités qu'a le procureur du Roi de saisir des biens.

Par ailleurs, le projet de loi en question nécessite aussi une modification de l'article 3 de la loi du 26 mars 2003 portant création d'un Organe central pour la saisie et la confiscation et portant des dispositions sur la gestion à valeur constante des biens saisis et sur l'exécution de certaines sanctions patrimoniales.

On pourrait remplacer l'intitulé par l'intitulé suivant:

« Projet de loi modifiant l'article 505 du Code pénal, l'article 35 du Code d'instruction criminelle et l'article 3 de la loi du 26 mars 2003 portant création d'un Organe central pour la saisie et la confiscation et portant des dispositions sur la gestion à valeur constante des biens saisis et sur l'exécution de certaines sanctions patrimoniales »

ou

« Projet de loi portant diverses mesures en matière de recèlement et de saisie »

La commission décide de remplacer l'intitulé comme suit: « Projet de loi portant diverses mesures en matière de recèlement et de saisie » et de considérer cette modification comme une correction de texte.

Article 1er

Cet article ne suscite aucune observation.

Article 2

Les amendements nº 1 de MM. Willems et Noreilde (doc. Sénat, nº 3-1610/3) , nº 3 de Mme Defraigne et M. Cheffert (doc. Sénat, nº 3-1610/3) et nº 4 de Mmes Defraigne et de T' Serclaes (doc. Sénat, nº 3-1610/4) sont retirés et remplacés par les amendements nos 5 à 7 de M. Mahoux et consorts (doc. Sénat, nº 3-1610/6).

Amendement nº 5

M. Mahoux et consorts déposent l'amendement nº 5 (doc. Sénat, nº 3-1610/6), qui vise à remplacer le 1º et le 3º de cet article par ce qui suit:

« A) Remplacer le 1º comme suit:

« 1. l'alinéa 1er, 2º, est remplacé par la disposition suivante: « ceux qui auront acheté, reçu en échange ou à titre gratuit, possédé, gardé ou géré des choses visées à l'article 42, 3º, alors qu'ils connaissaient ou devaient connaître l'origine de ces choses au début de ces opérations » ».

B) Remplacer le 3º comme suit:

« 3. l'alinéa 1er, 4º, est remplacé par la disposition suivante: « ceux qui auront dissimulé ou déguisé la nature, l'origine, l'emplacement, la disposition, le mouvement ou la propriété des choses visées à l'article 42, 3º, alors qu'ils connaissaient ou devaient connaître l'origine de ces choses au début de ces opérations » ».

Dans la version actuelle de l'article 505 du Code pénal, la différence entre la version française et la version néerlandaise réside en particulier dans les comportements de « détention ». En effet, dans la version française, avoir « possédé, gardé ou géré des choses (...) » vise un comportement continu, tandis que dans l'actuelle version néerlandaise, « in bezit, bewaring of beheer hebben genomen » est un acte instantané. L'article 2, 1º, 2º et 3º, du projet de loi vise à aligner les deux versions et a pour but de faire de certains faits visés à l'article 505, alinéa 1er, 2º, une infraction continue.

Toutefois, on ne saurait concevoir que quelqu'un soit passible de sanctions pénales par le seul fait de prendre connaissance de l'origine illicite des fonds dans le courant de sa détention, possession ou gestion de ceux-ci, et ce, en l'absence de la réalisation de nouveaux comportements. Le caractère continu est alors disproportionné dans la mesure où il a pour effet que le tiers receleur accomplit un acte punissable même s'il ne découvre l'origine illicite qu'après être entré en possession des biens, dont il ne pourra d'ailleurs pas se débarrasser sans commettre à nouveau un acte punissable. C'est pourquoi, il est proposé de reprendre les termes de l'article 1er, § 2, c), de la directive 2005/60/CE et de fixer l'élément de connaissance (exigé dans les infractions 2º et 4º) au moment de la réception.

L'utilisation du terme « réception » (dans l'expression « au moment de leur réception ») s'applique à une seule des six opérations décrites à l'article 505, alinéa 1er, 2º, du Code pénal, de sorte que son utilisation en tant que terme générique dans la phrase suivante peut entraîner des problèmes d'interprétation inutiles.

La ministre souligne que l'amendement ajoute les mots « alors qu'ils connaissaient ou devaient connaître l'origine de ces choses au début de ces opérations ». Le fait qu'il s'agisse d'un délit continu ou non dépend ainsi du moment où l'auteur a pris connaissance du caractère illégal de l'avantage patrimonial. Si l'élément intentionnel est présent au moment de l'acte, il s'agit d'un délit continu.

Cet amendement est adopté par 9 voix contre 1 et 1 abstention.

Amendement nº 6

M. Mahoux et consorts déposent l'amendement nº 6 (doc. Sénat, nº 3-1610/6), qui vise à remplacer le 4º de cet article par ce qui suit:

« 4º L'alinéa 2 de l'article 505 du Code pénal est remplacé par la disposition suivante:

« Les infractions visées à l'alinéa 1er, 3º et 4º, existent même si leur auteur est également auteur, coauteur ou complice de l'infraction d'où proviennent les choses visées à l'article 42, 3º. Les infractions visées à l'alinéa 1er, 1º et 2º, existent même si leur auteur est également auteur, coauteur ou complice de l'infraction d'où proviennent les choses visées à l'article 42, 3º, lorsque cette infraction a été commise à l'étranger et ne peut pas être poursuivie en Belgique. »

L'amendement proposé par le Conseil d'État (avis 40.175/2, page 15) semble mieux traduire l'intention des auteurs de la proposition de loi qu'ils exposent dans les développements de celle-ci.

Actuellement, seules les infractions de blanchiment visées aux 3º et 4º de l'article 505, alinéa 1er, sont punissables dans le chef de l'auteur, coauteur ou complice de l'infraction à l'origine des biens ou des avoirs blanchis, à l'inverse de l'infraction visée au 2º de cet article. Ainsi qu'il ressort d'un arrêt de la Cour de cassation du 8 mai 2002, cette situation peut conduire à une lacune dans la répression lorsque l'auteur de l'infraction de base, commise à l'étranger, vient à blanchir le produit de celle-ci en Belgique.

Comme l'a fait remarquer le Conseil d'État, la proposition de l'article 2, 4º ne limite pas, en effet, le caractère punissable de certains faits visés par l'article 505, alinéa 1er, 2º, du Code pénal, à l'hypothèse où l'infraction de base (primaire) aurait été commise à l'étranger. En effet, tel qu'il est actuellement rédigé, le projet de loi permet de poursuivre une personne pour l'infraction de base qu'elle a commise, mais également pour l'infraction, visée par l'article 505, alinéa 1er, 2º du Code pénal, de blanchiment des avantages patrimoniaux tirés de cette infraction de base.

En d'autres mots, comme l'indique le Conseil d'État, « l'auteur de toute infraction ayant procuré un avantage patrimonial commettra une nouvelle infraction par le seul fait qu'il possédera, gardera ou gérera cet avantage ».

Or, l'intention des auteurs du projet de loi se limitait à permettre de poursuivre, en Belgique, le blanchisseur des avantages patrimoniaux produits par une infraction qu'il a commise à l'étranger et qui ne peut être poursuivie en Belgique. Les développements mentionnent, de fait, qu' « il va toutefois de soi que la simple possession ou garde en Belgique, par l'auteur de l'infraction de base commise en Belgique, des avantages patrimoniaux tirés de cette infraction, ne pourrait être considérée comme constitutive du délit de blanchiment ».

C'est donc ce que propose l'amendement. Cependant, conformément à l'avis du Conseil d'État, les auteurs de l'amendement vont plus loin. Eu égard aux difficultés déjà soulignées de distinguer les infractions visées aux 1º et 2º de l'article 505, alinéa 1er, du Code pénal, on prévoit la possibilité de poursuivre également l'infraction visée à l'article 505, alinéa 1er, 1º, s'étant produite en Belgique lorsque l'infraction de base a été commise à l'étranger.

Cet amendement est adopté par 9 voix contre 1 et 1 abstention.

Amendement nº 7

M. Mahoux et consorts déposent un amendement (doc. Sénat, nº 3-1610/6), tendant à remplacer le 5º de cet article par ce qui suit:

« 5º Il est inséré, entre les alinéas 2 et 3, un nouvel alinéa rédigé comme suit: et:

Sauf à l’égard de l’auteur, du coauteur ou du complice de l’infraction d’où proviennent les choses visées à l’article 42, 3°, les infractions visées à l’alinéa 1er, 2° et 4°, ont trait exclusivement, en matière fiscale, à des faits commis dans le cadre de la fraude fiscale grave et organisée qui met en œuvre des mécanismes complexes ou qui use de procédés à dimension internationale.

Les organismes et les personnes visés aux articles 2, 2bis et 2ter de la loi du 11 janvier 1993 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, peuvent se prévaloir de l'alinéa précédent dans la mesure où, à l'égard des faits y visés, ils se sont conformés à l'obligation prévue à l'article 14quinquies de la loi du 11 janvier 1993 qui règle les modalités de la communication d'informations à la Cellule de traitement des informations financières.

Dans un arrêt du 22 octobre 2003, la Cour de cassation confirme le point de vue selon lequel l’évitement d’un impôt procure un avantage patrimonial délictueux au sens des articles 42, 3°, et 43bis du Code pénal. Raison pour laquelle, et certainement depuis cet arrêt, il est admis que cet avantage patrimonial peut également faire l’objet d’un comportement de blanchiment punissable au sens de l’article 505, alinéa 1er, 2°, 3° et 4°. Aucune distinction n’est à faire à cet égard en fonction de la nature ou de la gravité de la fraude fiscale qui a donné lieu à l’économie illégale.

Par contre, l’article 3, § 2, de la loi du 11 janvier 1993 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme (la « loi préventive ») prévoit que, en matière de fraude fiscale sous-jacente, pour l’application de cette loi, l'origine de capitaux ou de biens est illicite lorsque ceux-ci proviennent de la réalisation d'une infraction liée «à la fraude fiscale grave et organisée qui met en oeuvre des mécanismes complexes ou qui use de procédés à dimension internationale ».

Cette discordance entre le volet répressif et le volet préventif de la législation antiblanchiment conduit à une grande insécurité juridique qui, au vu de l’obligation pour le législateur de prévoir une législation accessible et claire (la « lex certa », principe de droit pénal fondé sur le principe de légalité), ne peut être maintenue plus longtemps. De plus, elle conduit à des conséquences disproportionnées et ne tient pas suffisamment compte du caractère subsidiaire du droit pénal.

Ainsi, tout citoyen qui n’a pas déclaré ses revenus mobiliers au fisc et qui dissimule ou déguise ses impôts éludés devient, en tant que « blanchisseur », punissable de lourdes peines de prison, d’amendes et de confiscation pour les impôts éludés, et ce nonobstant la perception fiscale.

De la même manière, tout particulier qui est le bénéficiaire d'un virement effectué par un ascendant ou un autre membre de sa famille au départ d’un compte sis à l’étranger qui avait jusqu’à alors été dissimulé au fisc belge, devient passible de sanctions pénales du chef de blanchiment du simple fait d'avoir réceptionné les sommes transférées pour lesquelles il est au fait du problème fiscal. De plus, lorsque les sommes tirées d'une infraction fiscale sont perçues, dissimulées ou déguisées, peu importe le temps qui s'est écoulé depuis l’infraction fiscale. Le délit de blanchiment subsiste, même si la fraude a eu lieu des années auparavant, éventuellement même du fait d’une génération précédente.

De la même manière, toute personne ou institution soumise à l'obligation de déclaration prévue dans la loi préventive, comme les banquiers ou les notaires, peut se retrouver dans une situation précaire par suite de cette absence de concordance légistique. Lorsque, par exemple, ils reçoivent des fonds d’un client sur un compte en banque en Belgique, en provenance d’une compte à l’étranger, alors qu’ils savent ou doivent savoir que le client n’a pas déclaré les intérêts au fisc belge, ils ne sont pas censés effectuer une déclaration auprès de la Cellule de traitement des informations financières tant qu'il ne s’agit pas d'une infraction liée «à la fraude fiscale grave et organisée qui met en œuvre des mécanismes complexes ou qui use de procédés à dimension internationale». D’un autre côté, ils sont actuellement punissables sur la base de l’article 505, alinéa 1er, 2°, du simple fait d’avoir perçu et géré ces sommes. Le banquier ou notaire en question ne peut même pas résoudre son problème en reversant les sommes sur le compte d’origine, dès lors qu'il serait alors passible de sanctions sur pied de l’article 505, alinéa 1er, 3°, du Code pénal, du fait du transfert (en retour) desdites sommes.

L’amendement vise à effacer la discordance précitée entre le volet préventif et le volet répressif de la législation sur le blanchiment en les harmonisant. Pour ce qui concerne la fraude fiscale, n'entreront désormais en considération pour l'application des infractions de blanchiment au sens de l’article 505, alinéa 1er, 2° et 4°, du Code pénal, que les avantages patrimoniaux visés à l’article 42, 3°, du Code pénal, qui sont issus de « la fraude fiscale grave et organisée qui met en œuvre des mécanismes complexes ou qui use de procédés à dimension internationale ». Dans son avis sur la proposition de loi Massin, dans le cadre de l'analyse la cohérence nécessaire de la législation, le Conseil d’État évoque aussi cette option d'harmonisation (doc. Sénat, 2005-06, n° 3–1610/2). Celle-ci emporte la préférence par rapport au simple renvoi à la fraude fiscale couplée au faux en écritures fiscales. Ce critère de faux en écritures fiscales ne coïncide en effet pas du tout avec le critère retenu dans la loi du 11 janvier 1993, si bien que leur utilisation entretient le décalage entre les deux législations, ce qui fait subsister l'insécurité juridique tout en rendant les choses plus complexes.

On notera que l’usage de la notion susvisée de fraude grave et organisée ne constitue pas une nouveauté dans le Code pénal, dès lors qu’elle figure déjà à l’article 43quater, c), de ce Code, tel qu’inséré par la loi du 19 décembre 2002 portant extension des possibilités de saisie et de confiscation en matière pénale.

Les auteurs de l’amendement adaptant l’article 505 du Code pénal en ce qui concerne les infractions fiscales de base ne souhaitaient du reste pas qu’il profite aux auteurs, coauteurs et complices, ce qui justifie qu'ils sont explicitement exclus ici.

De plus, aucune modification n'est apportée à l’infraction de blanchiment visée à l’article 505, alinéa 1er, 3°, du Code pénal, de sorte que toute fraude fiscale, même la plus ordinaire, est prise en considération comme infraction de base pour le blanchiment, ce qui est justifié par la constatation que le caractère punissable au regard de cette disposition exige que l’auteur se rende coupable d'un dol spécial, à savoir qu'il agisse dans le but de dissimuler ou de déguiser l’origine illicite ou d’aider toute personne qui est impliquée dans l’infraction (de base) à échapper aux conséquences juridiques de ses actes.

L’application combinée du nouvel article 14quinquies de la loi du 11 janvier 1993, de l’arrêté royal portant exécution de celui-ci et du présent amendement conduira à une plus grande sécurité juridique mais aussi à une augmentation du nombre de déclarations à la Cellule de traitement des informations financières.

Le secteur financier saura en l'occurrence beaucoup plus clairement que certaines formes aggravées de fraude fiscale sont soumises à une obligation de communication (prévention du blanchiment) et qu'elles peuvent en outre constituer une infraction de base punissable au titre de blanchiment au sens de l’article 505, alinéa 1er, 2° et 4°, du Code pénal. Ces communications ciblées permettront à la CTIF de se concentrer sur les cas les plus graves et contribueront à améliorer l'efficacité de la lutte contre la fraude fiscale. Les formes de fraude visées ne se limitent pas aux « carrousels TVA » bien connus (consistant à « escroquer » l'administration de la TVA) auxquels renvoie la loi du 7 avril 1995 modifiant la loi du 11 janvier 1993. Sont aussi visées des typologies comme les constructions frauduleuses de sociétés de liquidités, l’utilisation frauduleuse de sociétés de patrimoine ou de personnes morales étrangères, les constructions en matière de douanes et d'accises dans les secteurs exposés à la fraude (produits pétroliers, cigarettes, alcools) et la fraude à la facturation. Il faut en outre insister sur le fait que cette énumération n’est pas exhaustive et que le champ d’application de cette notion est au contraire susceptible d'évoluer. Dans cette optique, il sera nécessaire qu’à la lumière de l’obligation de communication fondée sur la loi du 11 janvier 1993 et plus particulièrement à la lumière de son nouvel article 14quinquies, la Cellule de traitement des informations financières et l’administration fiscale, en concertation avec le secteur financier, tiennent compte de ce caractère évolutif des formes de la fraude fiscale grave et organisée, afin de préciser et d'affiner les indicateurs, et de s'assurer ainsi une collaboration active du secteur financier, sans que l'on doive pour cela modifier à nouveau l’article 505.

Dans le cadre de l’article 505 du Code pénal, il appartiendra bien sûr au juge répressif d'apprécier si une construction fiscale donnée répond aux critères de la « fraude fiscale grave et organisée qui met en œuvre des mécanismes complexes ou qui use de procédés à dimension internationale ».

L'amendement n'entraîne aucune modification des règles d’administration de la preuve en ce qui concerne l’infraction de base sous-jacente au délit de blanchiment, et il n’est donc pas exigé du juge pénal qu’il ait connaissance de cette infraction de base précise, pour autant qu’il puisse exclure toute origine ou provenance licite (Cass., 21 mars 2006, P.06.0034.N)

La ministre fait remarquer que l'amendement répond à la critique du Conseil d'État selon laquelle il doit y avoir un parallélisme entre le volet prévention et le volet répression du blanchiment. En l'absence d'un tel parallélisme, on est toujours confronté à un élément d'insécurité juridique qui fait que, dans certains cas par exemple, les banques ne peuvent pas signaler une affaire à la Cellule de traitement des informations financières, tout en se trouvant dans l'impossibilité de se protéger au niveau pénal.

L'intervenante renvoie à l'article 3, § 2, de la loi préventive du 11 janvier 1993, qui dispose que, pour l'application de la présente loi, l'origine de capitaux ou de biens est illicite lorsque ceux-ci proviennent de la réalisation d'une infraction liée « à la fraude fiscale grave et organisée qui met en œuvre des mécanismes complexes ou qui use de procédés à dimension internationale ».

M. Hugo Vandenberghe demande ce qu'il en est des simples particuliers. Va-t-on faire, en ce qui concerne le recèlement, la même exception pour les particuliers que celle qui est faite par exemple pour les banques ?

La ministre répond que l'on ne peut pas comparer ces deux situations. Les simples particuliers ne sont en effet pas soumis à une obligation de déclaration.

M. Hugo Vandenberghe maintient que l'on crée ici une loi pénale à deux vitesses. Comment traitera-t-on en effet la possession de mauvaise foi dans le chef de particuliers ?

La ministre n'est pas d'accord. La finalité de l'amendement est d'harmoniser les volets répressif et préventif.

M. Willems ajoute qu'il y a actuellement un décalage entre la loi de prévention, qui ne s'applique qu'à une liste limitée d'infractions très graves, et la loi répressive, qui a un champ d'application beaucoup plus vaste.

On peut donc imaginer une situation dans laquelle une banque confrontée à un avantage patrimonial déterminé n'est pas soumise à l'obligation de déclaration, mais se verrait néanmoins reprocher ultérieurement qu'elle « aurait dû savoir » que l'avantage patrimonial avait une origine illicite.

M. Hugo Vandenberghe considère que cette argumentation ne répond pas à sa critique qui consiste à dire que le recèlement par des banques ne sera pas passible de poursuites dans une série de cas, alors que le recèlement par des personnes privées le sera. Le simple citoyen tombera donc entièrement sous le coup de la loi sur le recèlement, alors que les banques n'y seront soumises qu'en partie. Cela ne constitue-t-il pas une violation du principe d'égalité ?

La ministre renvoie à l'alinéa 2 de la disposition proposée par l'amendement nº 7. Il s'applique également aux particuliers. De plus, il n'y a aucune violation du principe d'égalité puisque la situation est totalement différente.

M. Hugo Vandenberghe objecte que l'alinéa 2 ne s'applique pas à l'auteur, au coauteur ou au complice. Une personne qui liquide une succession au noir sera cependant toujours considérée comme auteur, coauteur ou complice. On peut donc dire que l'exception prévue pour les banques ne s'appliquera pas aux particuliers.

M. Willems estime qu'il y a bel et bien une différence. Un banquier qui participe à un détournement de fonds sera indiscutablement considéré comme coauteur, mais la situation est tout autre si le banquier reçoit en dépôt des fonds provenant d'une infraction fiscale et que son rôle se borne à l'opération bancaire afférente au dépôt.

Le véritable problème réside dans le décalage qui existe entre la loi de prévention et l'article 505 du Code pénal. Bien que dans un cas de figure déterminé, le banquier ne soit soumis à aucune obligation de déclaration, il pourra faire l'objet de poursuites pénales a posteriori parce qu'il savait ou aurait dû savoir, au moment de la transaction, que les fonds provenaient d'une infraction.

M. Hugo Vandenberghe maintient qu'il subsiste une incertitude concernant la possession de mauvaise foi. La question est de savoir si l'on attache ou non des effets juridiques à la possession de mauvaise foi.

L'amendement est adopté par 9 voix contre 1 et 1 abstention.

M. Hugo Vandenberghe se réfère aux remarques suivantes faites par le service d'Évaluation de la législation:

« Caractère continué des infractions de blanchiment

Le projet de loi modifie le texte néerlandais de l'article 505, alinéa 1er, 2º, 3º et 4º, en vue de préciser que les infractions de blanchiment qui y sont visées ont un caractère continué (doc. Chambre, 51-1603/1, p. 4). Cette adaptation permet de traduire plus fidèlement la volonté du législateur: alors que ce dernier entendait effectivement, à la faveur de la modification légale du 7 avril 1995, donner un caractère continué aux infractions de blanchiment d'argent, la version néerlandaise de l'article 505 supposait plutôt un caractère instantané. Le projet de loi met fin à la controverse qui s'en est suivie dans la jurisprudence et la doctrine.

Le choix du caractère continué du recel élargi a néanmoins une conséquence capitale. En effet, quiconque, de bonne foi, entre en possession d'un avantage patrimonial, le garde ou le gère, mais apprend a posteriori son origine illicite, se rendra coupable d'infraction de blanchiment au sens de l'article 505, alinéa 1er, 2º, du Code pénal. Dès qu'il acquiert la connaissance requise par la loi, l'infraction naît inévitablement, quand bien même l'intéressé chercherait à redresser la situation au plus tôt.

Il semble pourtant évident qu'il faille accorder à la personne qui constate la provenance délictuelle de la chose qu'il possédait, gardait ou gérait de bonne foi jusqu'alors, une opportunité raisonnable de se soustraire à l'application de la loi pénale.

Deux solutions sont possibles en l'espèce:

1) La condition du dol spécial

On pourrait exiger, comme élément constitutif de la faute, de la part de la personne qui n'a pris connaissance de l'origine délictueuse de la chose qu'après qu'elle l'eut possédée, gardée ou gérée — de bonne foi —, l'existence d'un dol spécial, c'est-à-dire une intention frauduleuse. Le texte pourrait être rédigé comme suit:

« 2º ceux qui auront acheté, reçu en échange ou à titre gratuit, possédé, gardé ou géré, avec une intention frauduleuse, des choses visées à l'article 42, 3º, alors qu'ils en connaissaient ou devaient en connaître l'origine »

Par intention frauduleuse, on entendrait en l'occurrence l'intention de s'approprier la chose ou de retirer quelque avantage de sa possession ou de sa gestion. L'intention frauduleuse relève de la question de fait et devrait, à ce titre, être évaluée par le juge du fond, compte tenu, notamment, de la période pendant laquelle l'auteur se serait gardé d'entreprendre quoi que ce soit pour éviter que son comportement puisse être considéré comme relevant du droit pénal.

2) L'excuse pour cause de dénonciation

Une autre solution consisterait à assortir l'article 505, alinéa 1er, 2º, d'une cause d'excuse absolutoire ou déterminante, par exemple la dénonciation aux autorités. »

La ministre fait remarquer que les amendements de M. Mahoux et consorts répondent à la critique exprimée. L'intervenante ajoute que les dispositions proposées suivent la directive européenne en la matière.

Le service d'Évaluation de la législation fait encore les remarques suivantes:

« L'impunité des tiers qui possèdent, gardent ou gèrent l'avantage patrimonial tiré de certaines infractions fiscales.

L'article 505, alinéa trois, en projet, vise à limiter le champ d'application de l'article 505, alinéa 1er, 2º.

L'article 505, alinéa 3, en projet — qui est une disposition d'une assez grande complexité — porte sur le cas de figure suivant: une personne commet une infraction fiscale au sens de l'article 505, alinéa 3, et elle tire de cette infraction un avantage patrimonial qu'elle garde et qu'elle gère. Le fait qu'elle garde et gère cet avantage patrimonial la rend punissable en vertu de l'article 505, alinéa 1er, 2º. Les coauteurs et les complices qui gardent ou gèrent l'avantage patrimonial en question sont eux aussi punissables. Ce n'est toutefois pas le cas pour des tiers. Désormais, les tiers qui garderont ou géreront l'avantage patrimonial tiré de l'infraction ne seront plus punissables.

Cette réglementation vaudra uniquement pour les infractions fiscales spécifiques énumérées à l'article 505, alinéa 3. Elle ne vaudra pas pour d'autres infractions fiscales, ni pour aucune infraction d'un autre type.

La réglementation en projet appelle deux questions: cette réglementation est-elle conforme au principe d'égalité et, dans l'affirmative, peut-elle atteindre le but visé ?

La réglementation en question est-elle conforme au principe d'égalité ?

La conformité de cette réglementation au principe d'égalité peut être appréciée sous deux angles:

a) Comment justifie-t-on la différence entre la manière dont sont traitées certaines infractions fiscales et la manière dont sont traitées d'autres infractions ?

b) Comment justifie-t-on la différence entre l'article 505, alinéa 1er, 2º, et l'article 505, alinéa 1er, 3º et 4º ?

Désormais, les tiers seront soustraits au champ d'application de l'article 505, alinéa 1er, 2º, du Code pénal, pour certaines infractions fiscales, mais pas pour d'autres infractions.

Toutes les autres infractions peuvent donc rester constitutives de l'infraction de base pour ce qui est de l'application de l'article 505, alinéa 1er, 2º. Les contraventions peuvent aussi entrer en ligne de compte comme infraction de base.

Il y a toutefois lieu de se demander s'il existe une justification raisonnable de cette différence de traitement. Comment justifie-t-on le fait que des tiers qui possèdent, gardent ou gèrent délibérément l'avantage patrimonial qu'ils ont tiré d'une infraction, par exemple, soient punissables sur la base de l'article 505, alinéa 1er, 2º, et que des tiers qui gardent ou gèrent l'avantage patrimonial qu'ils ont tiré des infractions plus lourdes qui sont visées à l'article 505, alinéa 3, en projet, ne le soient pas ? En effet, les infractions énumérées à l'article 505, alinéa 3, sont toutes constitutives de délits punissables d'un emprisonnement dont la durée peut aller jusqu'à deux ans et d'une amende dont le montant peut atteindre 12 500 euros.

On peut aussi se demander, dans la même optique, comment on peut justifier le fait que des tiers qui gardent ou gèrent délibérément un avantage patrimonial d'une valeur d'un million d'euros, par exemple, qu'ils ont tiré d'une infraction fiscale au sens de l'article 505, alinéa 3, ne soient pas punissables, alors que les tiers qui gardent ou gèrent un avantage patrimonial de 100 euros, par exemple, qu'ils ont tiré d'une autre infraction, soient punissables d'un emprisonnement de quinze jours à cinq ans et d'une amende de vingt-six euros à cent mille euros, qu'ils puissent être condamnés à l'interdiction et qu'il y ait confiscation de la chose qui fait l'objet de l'infraction.

En d'autres termes, la nature d'une catégorie déterminée d'infractions fiscales justifie-t-elle que celles-ci soient traitées avec plus de clémence que les infractions punies d'une peine plus légère et que les infractions ayant procuré un avantage patrimonial sensiblement moindre ?

Les documents de la Chambre ne fournissent qu'une justification sommaire pour cette différence de traitement. Dans le rapport, il est précisé que les acteurs du secteur financier souhaitent que l'article 505, alinéa 1er, 2º, ne s'applique pas à la fraude fiscale simple. On peut douter que cet argument puisse constituer une justification suffisante.

Existe-t-il une justification raisonnable de la différence entre l'article 505, alinéa 1er, 2º, et l'article 505, alinéa 1er, 3º et 4º ?

Désormais, les tiers ne seront plus punissables lorsqu'ils achèteront, recevront, posséderont, garderont ou géreront un avantage patrimonial provenant d'une infraction fiscale au sens de l'article 505, alinéa 3. Ils échapperont à l'application de l'article 505, alinéa 1er, 2º.

En revanche, ils n'échapperont pas à l'application de l'article 505, alinéa 1er, 3º et 4º. Cela signifie que lorsqu'ils convertiront ou transféreront l'avantage patrimonial dans le but de dissimuler l'origine illicite de celui-ci (alinéa 1er, 3º) ou lorsqu'ils dissimuleront ou déguiseront la nature, l'origine, l'emplacement, la disposition, le mouvement ou la propriété de l'avantage patrimonial en question (alinéa 1er, 4º), ils seront bel et bien punissables.

Comment peut-on justifier que lorsque les tiers possèdent, gardent ou gèrent un avantage patrimonial, ils ne soient pas punissables et qu'ils le soient par contre s'ils dissimulent ou déguisent la nature, l'origine, l'emplacement, la disposition, le mouvement ou la propriété de l'avantage patrimonial en question ?

La réglementation en question permet-elle d'atteindre l'objectif visé ?

L'article 505, alinéa 3, atteindra-t-il l'objectif visé ? Rien n'est moins sûr, eu égard à l'article 505, alinéa 1er, 4º, qui punit toute personne qui dissimule ou déguise la nature, l'origine, l'emplacement, la disposition, le mouvement ou la propriété d'un avantage patrimonial obtenu de manière délictuelle. Il s'agit d'une disposition extrêmement large, dont le champ d'application empiète largement sur celui de l'article 505, alinéa 1er, 2º (1) . En effet, quiconque garde délibérément des avantages patrimoniaux d'origine illicite, en dissimulera ou en déguisera presque toujours, de par le fait même, la nature, l'origine, l'emplacement, la disposition, le mouvement ou la propriété.

Le champ d'application personnel de l'article 505, alinéa 1er, 4º, est toutefois maintenu: ce ne sont pas seulement l'auteur, le coauteur et le complice de l'infraction de base concernant le patrimoine, mais aussi les tiers qui sont punissables s'ils dissimulent ou déguisent la nature, l'origine, etc., de l'avantage en question. À quoi sert-il, dans ce cas, de soustraire des tiers (par exemple des institutions financières) au champ d'application de l'article 505, alinéa 1er, 2º, pour certaines infractions fiscales, dès lors qu'ils relèvent quand même souvent du champ d'application de l'article 505, alinéa 1er, 4º ? »

La ministre souligne que les amendements de M. Mahoux et consorts répondent à la critique formulée.

Mme Nyssens renvoie à la remarque formulée par M. Hugo Vandenberghe, selon laquelle cette réglementation n'est pas conforme au principe d'égalité, et fera vraisemblablement l'objet d'un recours à la Cour d'arbitrage.

M. Willems indique que l'amendement nº 7 répond parfaitement à cette observation. En ce qui concerne le dispositif préventif antiblanchiment, l'intervenant n'est pas du même avis que l'intervenante précédente.

La ministre souligne qu'il n'y a pas violation du principe d'égalité. L'amendement nº 7 concerne les intermédiaires visés dans le dispositif préventif antiblanchiment. Des situations différentes doivent être traitées différemment.

M. Willems ajoute que tous les citoyens ne sont pas soumis à une obligation de déclaration.

Le service d'Évaluation de la législation signale encore une discordance entre la version française et la version néerlandaise de l'article 505, alinéas 5 et 6 (insérés par l'article 2, 7º).

Selon le texte néerlandais, la confiscation est prononcée, « ook al heeft de veroordeelde die zaken niet in bezit (= possession) ». Le texte français, lui, prévoit que la confiscation est prononcée « même si la propriété (= eigendom) n'en appartient pas au condamné ».

C'est probablement la version française qui est correcte. En effet, selon la version française et la version néerlandaise de l'actuel article 505, alinéa 3, la confiscation est prononcée même si la propriété (eigendom) n'en appartient pas au condamné.

La commission souscrit à cette remarque et décide de remplacer, dans le texte néerlandais, le mot « bezit » par le mot « eigendom ». Cette modification est considerée comme une correction de texte.

Une observation suivante du service d'Évaluation de la législation concerne la contradiction entre les développements et le texte de loi en projet.

Les explications figurant dans le rapport de la Chambre ne correspondent pas au texte adopté. Cela n'est pas de nature à favoriser la sécurité juridique, surtout eu égard aux longues discussions auxquelles l'article 505 du Code pénal donne déjà lieu dans la doctrine.

Le représentant de la ministre a ainsi déclaré en commission de la Chambre que la loi ne s'applique pas en cas de fraude fiscale simple, mais bien en cas de fraude fiscale grave, combinée à l'infraction de faux en écritures. « On considère généralement qu'il est question de fraude fiscale grave lorsque le fait est punissable d'un emprisonnement d'un an. »

Cette affirmation contredit l'énumération des infractions fiscales figurant à l'article 505, alinéa 3, qui sont punissables d'un emprisonnement de deux ans maximum, mais qui restent néanmoins exclues (pour les tiers) du champ d'application de l'article 505, alinéa 1er, 2º.

La ministre souligne que cette remarque devient elle aussi caduque par suite des amendements de M. Mahoux et consorts (doc. Sénat, nº 3-1610/6). Telle était d'ailleurs l'origine de la demande d'évocation.

Enfin, le service d'Évaluation de la législation estime que la loi du 26 mars 2003 doit être adaptée.

Le projet de loi à l'examen nécessite également une modification de l'article 3 de la loi du 26 mars 2003 portant création d'un Organe central pour la saisie et la confiscation et portant des dispositions sur la gestion à valeur des biens saisis et sur l'exécution de certaines sanctions patrimoniales.

L'article 3, § 1er, de cette loi dispose en effet ce qui suit:

« § 1er. L'Organe central est chargé, conformément aux dispositions de la présente loi, d'assister les autorités judiciaires dans la recherche, la poursuite et l'investigation d'infractions ainsi que dans l'exécution des peines sur le plan de:

1º la saisie d'avoirs patrimoniaux liés à des infractions, notamment des biens visés aux articles 42, 3º, 43bis, 43ter, 43quater et 505, alinéa 3, du Code pénal;

2º l'exercice de l'action publique ayant pour objet la confiscation spéciale de tels biens;

3º l'exécution des jugements et arrêts coulés en force de chose jugée, emportant la confiscation spéciale de tels biens. »

L'article 3, § 1er, doit désormais faire référence à l'article 505, alinéas 4 à 6.

Compte tenu de l'amendement nº 7 de M. Mahoux et consorts, il convient toutefois de remplacer les mots « alinéas 4 à 6 » par les mots « alinéas 5 à 7 ».

Amendement nº 8

Afin de répondre à ces observations, M. Mahoux et consorts déposent l'amendement nº 8 (doc. Sénat, nº 3-1610/6).

Cet amendement est adopté par 9 voix contre 1 et 1 abstention.

La correction de texte suivante est également adoptée:

Dans le texte néerlandais de l'article 505, alinéa 6, proposé, les mots « De in het eerste lid, 2º, bedoelde zaken, zijn het voorwerp van de door deze bepalingen bedoelde misdrijven ... » sont remplacés par les mots « De in het eerste lid, 2º, bedoelde zaken, zijn het voorwerp van het door deze bepaling bedoeld misdrijf ... ».

Article 3

Cet article n'appelle pas d'observation.

La commission marque son accord sur cette correction.

IX. VOTE FINAL

L'ensemble du projet de loi amendé a été adopté par 9 voix contre 1 et 1 abstention.


Le présent rapport a été approuvé à l'unanimité des 13 membres présents.

Le rapporteur, Le président,
Luc WILLEMS. Hugo VANDENBERGHE.

(1) Voir R. Verstraeten et D. DEWANDELEER, Witwassen van de wet van 7 april 1995. Kan het nog witter ?, R.W., 1995-96, no 21, p. 700; F. DERUYCK, Witwassen, in Strafrecht en strafvordening. Commentaire avec aperçu de la jurisprudence et de la doctrine, Kluwer, 1997, p. 13.