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Sénat de Belgique

Annales

JEUDI 22 MARS 2007 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Question orale de M. Josy Dubié à la vice-première ministre et ministre de la Justice sur «la violation par des juges de la loi relative à la protection des sources journalistiques» (nº 3-1465)

M. Josy Dubié (ECOLO). - La loi du 7 avril 2005 relative à la protection des sources journalistiques précise explicitement dans son article 3 que les journalistes ont le droit de taire leurs sources d'information, notamment celles permettant de révéler l'identité de leurs informateurs ou de dévoiler la nature ou la provenance de leurs informations.

Or, il apparaît, à la lecture d'un communiqué de l'Association générale des journalistes professionnels de Belgique, l'AGJPB, que des juges violent cette loi.

En effet, selon l'AGJPB, une enquête menée depuis octobre dernier par un juge d'instruction de Nivelles a pour seul objectif d'identifier la ou les personnes qui ont transmis à RTL-TVI des informations sur la course poursuite qui a eu lieu lors de la fuite de Murat Kaplan.

Deux journalistes ont déjà été interrogés par le juge d'instruction ; une troisième journaliste était convoquée devant le Comité P. J'ai appris que lorsqu'elle s'est présentée devant ce dernier, on lui a dit que la convocation était annulée, sans aucune autre explication.

Cependant, un repérage téléphonique massif et systématique a été pratiqué dans les milieux policiers proches de l'enquête Kaplan afin d'y trouver des appels entrants ou sortants de la rédaction de RTL-TVI.

La convocation devant le Comité P montre que rien ne sera épargné aux journalistes, alors qu'ils bénéficient d'une protection légale qui impose au pouvoir judiciaire de s'abstenir d'enquêter, directement ou indirectement, sur les sources journalistiques.

Tous ces actes d'instruction sont interdits depuis plus de deux ans en vertu de la loi sur le secret des sources. La législation prévoit en effet qu'il ne peut être procédé à aucune mesure d'information ou d'instruction concernant des données relatives aux sources d'information des journalistes. Or, l'enquête ouverte à Nivelles a pour seul but d'identifier les sources journalistiques. Elle ne peut se prévaloir d'aucune exception de la loi sur le secret des sources prévu à l'article 4 de la loi concernée.

Dans le même temps, un juge d'instruction de Bruges a inculpé un journaliste de Humo d'association de malfaiteurs, une inculpation surréaliste faisant suite au refus, par le journaliste, de révéler au juge l'identité de ses informateurs.

Pourquoi surréaliste ? Parce que la loi que nous avons votée prévoit, en son article 4, que des dérogations sont possibles lorsque les informations que le juge d'instruction vise à recueillir sont de nature à prévenir la commission d'infractions constituant une menace grave pour l'intégrité physique d'une ou de plusieurs personnes.

L'affaire, somme toute assez banale, qui nous occupe concerne un groupe, probablement d'antimonarchistes, qui a coupé la main de la statue de Léopold II pour protester et rappeler l'affaire des mains coupées lors de la période léopoldienne en Congo. Ce juge invoque vraisemblablement l'article 4 de la loi pour justifier la violation de la loi.

Quelles mesures comptez-vous prendre pour faire respecter la loi par ceux-là mêmes qui sont censés la respecter au premier chef, à savoir les membres du pouvoir judiciaire ?

Mme Laurette Onkelinx, vice-première ministre et ministre de la Justice. - La loi du 7 avril 2005 relative à la protection des sources journalistiques protège effectivement les journalistes ainsi que les personnes assimilées à des journalistes. Il est exact que depuis le vote de cette loi, les autorités judiciaires ne sont plus autorisées à mettre en oeuvre une mesure d'information ou d'instruction à charge d'un journaliste dans le but de prendre connaissance de l'identité des sources qui le renseignent.

D'après les renseignements qui m'ont été communiqués, l'enquête réalisée par le juge d'instruction de Nivelles se fonde sur une violation de l'article 458 du Code pénal. Cet article consacre le respect du secret professionnel. Il ne faut pas perdre de vue que la cassette vidéo qui a filmé la course-poursuite entre Murat Kaplan et les forces de l'ordre fait partie d'un dossier à l'instruction et qu'elle était donc couverte par le secret de l'instruction. Celui qui a communiqué cette cassette aux médias commettait donc une infraction.

Les mesures d'instruction intervenues dans ce dossier ne concernaient pas des journalistes, mais bien des policiers tenus au secret professionnel.

Il n'a donc pas été question de violer la loi sur la protection des sources des journalistes dès lors que ces mesures d'instruction ne les concernaient pas directement. La loi du 7 avril 2005 ne consacre en aucune manière une impunité pour ceux et celles qui violent l'article 458 du Code pénal.

Le journaliste peut désormais taire ses sources, il est protégé par la loi. Les tiers, quant à eux, ne bénéficient pas de cette protection. Si le journaliste est entendu comme témoin, il peut refuser de s'exprimer sur ses sources.

Il ressort des explications qui m'ont été fournies par le président du Comité permanent de contrôle des services de police que le service d'enquête du Comité P a été désigné par le juge d'instruction pour accomplir les devoirs d'instruction dans ce dossier.

En ce qui concerne l'audition d'une journaliste par les enquêteurs du Comité P, il apparaît que cette audition avait été demandée par le juge d'instruction dans un premier temps, mais qu'elle a ensuite été annulée à la demande du même juge. La journaliste s'est néanmoins présentée au service d'enquête du Comité P, mais n'a dès lors pas été auditionnée.

De telles demandes d'audition en tant que témoin ne sont pas contraires à la loi du 7 avril 2005. En effet, le journaliste pourra toujours refuser de parler si l'objet du témoignage porte sur le secret de ses sources. Selon les renseignements qui m'ont été communiqués, la loi du 7 avril 2005 ne semble pas été violée.

M. Josy Dubié (ECOLO). - Vous n'avez pas répondu à la deuxième partie de ma question, beaucoup plus importante, selon moi. Il s'agit de l'affaire de Bruges où un journaliste de Humo a été accusé d'association de malfaiteurs pour une affaire mineure.

Mme Laurette Onkelinx, vice-première ministre et ministre de la Justice. - En effet, mais je n'ai pas reçu les informations concernant la deuxième question. Si vous êtes d'accord, je vous les communiquerai dans le courant de cet après-midi ou lors de notre prochaine séance publique. Je ne souhaite pas improviser sur une question aussi importante.

M. Josy Dubié (ECOLO). - Votre réponse me paraît satisfaisante : On peut convoquer un journaliste comme témoin mais celui-ci peut refuser de révéler ses sources en invoquant la loi.

Par contre, dans le cas présent, un journaliste est poursuivi pour association de malfaiteurs, parce qu'il a refusé de livrer ses sources dans une affaire somme toute banale : un groupe de personnes a coupé la main d'une statue en bronze de Léopold II. Ce n'est quand même pas une affaire d'État. J'attends vos explications pour jeudi prochain. Une fois de plus, la loi protégeant les sources est ici clairement violée.

Mme la présidente. - En ce cas, monsieur Dubié, vous veillez à redéposer la question.