3-1844/1

3-1844/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2005-2006

27 SEPTEMBRE 2006


Proposition de loi modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, en vue d'y introduire un système d'élection de domicile fixe

(Déposée par M. Marc Van Peel)


DÉVELOPPEMENTS


Introduction

La présente proposition de loi contient des mesures de promotion d'une répartition effective des demandeurs d'asile sur l'ensemble des villes et communes de notre pays.

L'auteur estime qu'un élargissement de l'assise pour l'attribution du statut de réfugié serait de nature à équilibrer le traitement des dossiers. Il faut dès lors veiller à ce que la procédure d'asile et les règles connexes génèrent le moins possible d'effets susceptibles d'altérer cette assise.

La répartition harmonieuse entre toutes les villes et communes en vue d'éviter de fortes concentrations de demandeurs d'asile est un objectif bénéficiant d'un large consensus politique et social. Actuellement, cet objectif se traduit par un régime en vertu duquel le demandeur d'asile se voit assigner un lieu obligatoire d'inscription.

On a déjà tenté de substituer au lieu obligatoire d'inscription, un domicile obligatoire. Ces initiatives n'ont jamais achevé leur parcours législatif en raison de remarques spécifiques du Conseil d'État à propos du choix des modalités du régime.

Par la présente proposition, l'auteur souhaite, à la lumière des observations du Conseil d'État, réaliser une répartition plus réaliste, respectant au maximum le droit de chaque individu d'élire librement son domicile.

Le système actuel

Le système actuel de désignation d'un lieu obligatoire d'inscription, qui est défini à l'article 54 de la loi sur les étrangers, n'aboutit en pratique qu'à une répartition des coûts. La désignation du lieu a pour effet que le C.P.A.S. de la commune en question est tenu de subvenir à l'entretien du demandeur d'asile. Elle n'implique toutefois pas l'obligation d'héberger effectivement les intéressés dans la commune. On constate que pour toutes sortes de motifs invoqués par les deux parties, la majorité des demandeurs d'asile finissent par occuper un logement en dehors de la commune désignée.

Pour y remédier, on a modifié l'article 5 de la loi du 2 avril 1965 relative à la prise en charge des secours accordés par les centres publics d'aide sociale. Depuis lors, les CPAS qui envoient encore des demandeurs d'asiles dans d'autres communes peuvent être sanctionnés par le refus du remboursement de la moitié ou de la totalité de l'aide qu'ils ont allouée.

Ce système fonctionne depuis assez longtemps pour que l'on puisse constater qu'il ne suffit pas à atteindre le but fixé. En réponse à une question parlementaire (nº 803 du 21 octobre 2005), le ministre de l'Intérieur a confirmé, en janvier 2006, que 10 % seulement des demandeurs d'asile résident réellement dans leur lieu obligatoire d'inscription. En revanche, 70 % d'entre eux ont élu domicile dans une autre commune que celle du lieu obligatoire d'inscription.

Ces chiffres confinent à l'invraisemblable et soulignent que les mesures en question manquent leur cible.

Le ministre de l'Intégration sociale fait le même constat, comme en témoignent les nouvelles mesures qu'il annonce. Il propose de ne plus octroyer qu'une aide matérielle tout au long de la procédure. L'auteur considère néanmoins que la méthode choisie pourrait s'avérer contre-productive. Le fait que seule une aide matérielle puisse encore être octroyée n'empêche en rien qu'elle soit affectée à la location d'un logement dans une autre ville. Toutefois, si l'on opte pour cette solution, les demandeurs d'asile ne pourront plus obtenir, en plus du logement, aucune autre ressource, ce qui reviendrait par conséquent à les condamner à rechercher en permanence des moyens de subsistance. Comme il ne leur sera pas permis de travailler dans la légalité, ils seront entraînés dans le circuit de l'illégalité voire de la criminalité.

L'auteur considère comme un acte de bonne administration l'élaboration de nouvelles mesures plus efficaces, compte tenu de l'insuffisance des mécanismes actuels.

Obligation d'élire domicile

Sur le fond, il faut apprécier la conformité de la mesure avec le droit de tout individu de s'établir librement. Celui-ci est consacré, entre autres, par l'article 31.2 de la Convention de Genève, l'article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et l'article 2 du Protocole nº 4 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Chacune de ces dispositions prévoit que des restrictions au droit de s'établir librement sont autorisées pour autant qu'elles soient prévues par la loi et que, selon le texte, elles soient nécessaires ou indispensables dans une société démocratique à la sécurité nationale ou à la sûreté publique, au maintien de l'ordre public, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la moralité ou à la protection des droits et libertés d'autrui.

L'auteur est d'avis que cette nécessité se manifeste aujourd'hui dans la réalité sociale des villes. L'afflux vers les grandes villes a lieu sous l'impulsion d'autres communes. Par conséquent, comme la ville n'est pas en mesure de contrôler cette situation, elle ne peut pas se faire une idée précise du volume ni de la composition de sa population de nouveaux arrivants. Il est dès lors très difficile de mener une politique adaptée en conséquence. Comme elles sont en outre tributaires de l'aide sociale pour leur entretien, elles font partie de la classe sociale la plus vulnérable. Par la difficulté qu'elles éprouvent à trouver un logement accessible financièrement, la plupart d'entre elles sont hébergées dans des quartiers déjà défavorisés, dont la situation ne fait dès lors que s'aggraver. Dans beaucoup de cas, il s'agit de surcroît d'habitations appartenant à des marchands de sommeil, délabrées et souvent impropres au logement.

À Anvers, des projets tels que « X — tra » s'efforcent d'au moins cartographier ces données pour qu'elles puissent servir de base à la recherche de solutions. Un afflux constamment renouvelé, encouragé par d'autres communes, enlève toutefois à ces projets beaucoup de leur valeur et de la contribution qu'ils peuvent apporter.

La concentration actuelle d'étrangers dans de tels quartiers a également pour conséquence que certaines personnes vivent repliées sur elles-mêmes au sein de leur propre communauté. La taille de cette catégorie de la population quasiment inconnue de l'administration communale, coupée de la vie sociale et confrontée à des problèmes de société est telle que la ville a du mal à mettre en œuvre une politique lui permettant d'assumer ses obligations en termes de sécurité, d'aide sociale et d'hygiène urbaine. La sécurité, la santé et la protection des droits de l'ensemble des citadins finissent par en être hypothéquées.

En revanche, lorsqu'on parvient à une véritable répartition des demandeurs d'asile en les disséminant de manière très progressive dans un nombre de villes sensiblement plus élevé, on favorise leur intégration car ils cessent d'être considérés comme un vaste groupe indéfinissable pour devenir des individus à part entière. Ils ont alors la chance de vivre, d'aller à l'école et de participer à tous les aspects de la vie sociale. Ils s'intègrent beaucoup plus facilement que s'ils habitaient un quartier-ghetto en étaient réduits à fréquenter l'école-ghetto de ce quartier.

En l'espèce, il ne s'agit donc pas simplement d'alléger les charges qui pèsent sur les villes ou de rendre celles-ci plus agréables à vivre. Il faut agir au niveau de la politique en redonnant à l'autorité locale la possibilité de répondre de manière adéquate aux problèmes qu'elle constate sur son territoire et qui se multiplient.

Il va de soi qu'en raisonnant de la sorte, il ne faut pas motiver la nécessité pour chaque personne prise individuellement. C'est précisément le fait que chaque personne contribue à renforcer un groupe déjà fort important dans certaines villes et dans certains quartiers de celles-ci qui justifie la mesure.

C'est la raison pour laquelle on a élaboré un système qui instaure une restriction minimale de la liberté de choix du domicile. Concrètement, aucun choix n'est imposé à l'étranger; de toutes les communes parmi lesquelles celui-ci peut faire son choix, seules quelques-unes sont exclues en raison des circonstances spécifiques qui les caractérisent.

Pour la même raison, on laisse à l'intéressé la possibilité de changer de domicile et on ne touche évidemment pas au droit de l'individu, reconnu internationalement, de vivre avec sa famille.

Il incombe au Roi de fixer la date d'entrée en vigueur de la mesure, étant entendu qu'elle devra formellement coïncider avec celle de la nouvelle procédure d'asile. Celle-ci ne pourra désormais excéder une année, de manière à limiter aussi le plus possible le délai pendant lequel il y a restriction de liberté.

L'auteur estime que la mesure se justifie aussi du point de vue des candidats réfugiés: s'ils sont présents dans notre pays, c'est pour bénéficier de la protection que nous sommes prêts à leur accorder. Or, le groupe de personnes qui souhaitent bénéficier de cette protection a une taille et une concentration telles que c'est le statut de protection dans son ensemble qui est aujourd'hui fragilisé dans ses bases. Dans les villes, la concentration conduit à la polarisation et le sentiment de compréhension et de compassion s'estompe. Dans les communes qui négligent de les héberger, les étrangers sont de facto des inconnus. L'auteur veut sortir de cette impasse afin d'éviter que cette situation ne se pérennise et n'aboutisse à une exigence d'interprétation toujours plus restrictive du droit d'asile.

Étant donné que la liberté de choix de domicile ne fait l'objet que d'une limitation minimale et que cette limitation est jugée indispensable au maintien du statut de protection dans son ensemble, l'auteur estime qu'il n'est pas disproportionné de déduire du refus de l'intéressé de s'y conformer que celui-ci n'accorde pas suffisamment d'importance à la protection en général et à sa demande individuelle en particulier. C'est pourquoi, en cas de refus systématique, il peut être conclu à l'irrecevabilité de la demande. Il n'y a donc aucun automatisme en la matière.

En déposant la présente proposition, l'auteur entende donc se distancier de ce qui est, en fait, un choix politique: maintenir bon nombre de demandeurs d'asile dans la situation indigne où ils se trouvent plutôt que limiter très légèrement la liberté de choix de domicile.

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 2

Cet article prévoit l'obligation générale de faire élection de domicile en Belgique conformément au nouveau système.

Article 3

Le motif existant de déclaration d'irrecevabilité pour cause de non-respect de l'obligation de déclaration est remplacé par l'irrecevabilité sanctionnant le non-respect de la nouvelle obligation.

Article 4

Le nouveau système vise à remplacer la possibilité actuelle d'attribution d'un lieu obligatoire d'inscription. Les modalités spécifiques relatives à l'attribution de ce lieu d'inscription sont supprimées.

Article 5

Divers aspects de l'élection de domicile obligatoire sont définis dans un nouveau paragraphe 1erbis. Il est ainsi tenu compte de l'obligation internationale d'asseoir légalement les limitations qui sont apportées aux libertés et aux droits fondamentaux. À cet égard, le Conseil d'État a déjà rappelé à plusieurs reprises que pareille obligation ne doit pas être interprétée au sens strict, mais implique que toutes les modalités de base doivent être prévues par le législateur plutôt que de laisser le Roi les fixer.

L'élection de domicile se fait sur la base d'une liste dont un certain nombre de communes peuvent être exclues. Le but étant d'exclure d'abord les communes ayant atteint la capacité maximale, le critère permettant l'exclusion sera également libellé dans ces termes. La mesure manquerait de pertinence si elle prévoyait quand même, une fois le critère fixé, un pouvoir d'appréciation permettant d'éviter cette exclusion.

L'on prévoit par ailleurs la possibilité d'exclure les communes qui évoluent rapidement vers la capacité maximale, sans pour autant exclure celles qui connaissent une croissance relativement rapide mais qui, en chiffres absolus, restent encore fort éloignées de la capacité maximale.

La notion de capacité d'absorption maximale relative, par rapport à une répartition harmonieuse, coule de source. Le but de la disposition en question n'est pas de prévoir formellement une sorte de plafond absolu du nombre de demandeurs d'asile par commune, mais de déterminer un chiffre par commune que l'on obtient en procédant, à un moment donné, à une répartition harmonieuse du nombre total de demandeurs d'asile entre toutes les communes.

Des garanties supplémentaires permettant à l'étranger de cohabiter avec sa famille ou de changer de domicile sont prévues dans la définition de la mission dévolue au Roi.

Des limitations intrinsèques sont également imposées au Roi en ce qui concerne le système de contrôle.

Article 6

Cet article intègre la modification proposée dans la suite du texte de loi. Il n'est plus nécessaire de faire référence à la décision d'examiner la demande sur le fond puisque, dans la nouvelle procédure, la recevabilité et le bien-fondé de la demande seront examinés en même temps.

Article 7

Cet article habilite le Roi à définir la date d'entrée en vigueur de la présente proposition de loi, pour la faire coïncider avec celle de la nouvelle procédure d'asile.

Marc VAN PEEL.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

À l'article 51/2 de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, sont apportées les modifications suivantes:

1º l'alinéa 1er, in fine, est complété comme suit: « , en tenant compte du prescrit de l'article 54 ».

2º l'alinéa 3 est abrogé.

Art. 3

L'article 52, § 2, 5º, de la même loi, est remplacé comme suit:

« 5º lorsqu'il est constaté, en application du système de contrôle élaboré sur la base de l'article 54, § 1erbis, 3), que l'étranger visé à l'article 54, § 1er, refuse systématiquement de maintenir sa résidence principale effective au domicile obligatoire. »

Art. 4

À l'article 54, § 1er, de la même loi sont apportées les modifications suivantes:

1º à l'alinéa 1er, les mots « peut déterminer un lieu obligatoire d'inscription » sont remplacés par les mots « détermine un domicile obligatoire »;

2º le dernier alinéa est abrogé.

Art. 5

Il est inséré dans l'article 54 de la même loi, un § 1erbis, rédigé comme suit:

« § 1erbis. 1) L'Agence fédérale pour l'accueil des demandeurs d'asile détermine le domicile obligatoire sur la base du choix fait par l'étranger visé au § 1er.

Pour effectuer ce choix, l'étranger se voit présenter, dans les deux semaines du premier contact, une liste mise à jour mensuellement où figurent, en principe, toutes les communes.

Des communes sont exclues de cette liste pour une durée de trois à six mois lorsque, dans le cadre d'une répartition harmonieuse entre toutes les communes, elles ont atteint la capacité d'absorption maximale relative de demandeurs d'asile.

Des communes peuvent être exclues pendant un délai maximum de trois mois lorsque, par comparaison aux autres communes, elles évoluent sensiblement plus vite vers la capacité d'absorption maximale relative de demandeurs d'asile, par rapport à une répartition harmonieuse entre toutes les communes.

Une commune ne peut être exclue tant qu'elle n'a pas atteint la moitié de la capacité d'absorption maximale relative de demandeurs d'asile, par rapport à une répartition harmonieuse entre toutes les communes.

2) Les modalités sont fixées par le Roi, par arrêté délibéré en Conseil des ministres.

Pour la fixation des critères de répartition harmonieuse entre les communes, et, sur la base de ceux-ci, de la capacité d'absorption maximale relative d'une commune, il y a lieu de veiller à ce que les communes qui sont laissées au choix du demandeur d'asile lui soient adaptées.

Par dérogation à l'article 54, § 1erbis, 1), la réglementation prévoit que si cela s'avère nécessaire pour pouvoir cohabiter avec sa famille, l'étranger peut choisir comme domicile obligatoire une commune qui ne figure pas dans la liste, en l'occurrence celle déjà désignée précédemment comme domicile obligatoire pour la famille.

La réglementation prévoit également selon quelles modalités on peut fixer le domicile obligatoire au cas où l'étranger s'abstient d'en choisir un et autoriser l'étranger, dans des circonstances spécifiques, à élire un nouveau domicile.

3) La désignation du domicile obligatoire ne limite nullement la liberté de mouvement de l'étranger et l'oblige seulement à maintenir sa résidence principale effective à cet endroit. Elle ne remet pas non plus en cause la possibilité d'élire domicile auprès de son avocat pour de simples questions de procédure.

Le Roi détermine, par arrêté délibéré en Conseil des ministres, les mesures nécessaires pour contrôler l'obligation en question conformément au droit au respect de la vie privée.

Il est veillé à ce que les mesures de contrôle ne consistent pas à exiger de l'étranger qui veut quitter son domicile d'obtenir une autorisation pour le faire. Une déclaration préalable d'absence du domicile ne pourra être exigée que si l'absence dépasse 72 heures. »

Art. 6

À l'article 54, § 3, de la même loi sont apportées les modifications suivantes:

1º à l'alinéa 1er, les mots « désigner un centre organisé ou agréé par l'État comme lieu obligatoire d'inscription » sont remplacés par les mots « désigner provisoirement un centre organisé ou agréé par l'État comme domicile obligatoire »;

2º à l'alinéa 2, les mots « lieu obligatoire d'inscription » sont remplacés par les mots « domicile obligatoire » et le membre de phrase « le ministre ou son délégué, ou le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides ou un de ses adjoints, décident qu'un examen au fond de la demande d'asile s'impose » est remplacé par le membre de phrase « le choix prévu à l'article 54, § 1erbis, 1), a été effectué ».

Art. 7

La présente loi entre en vigueur à la date fixée par le Roi, par arrêté délibéré en Conseil des ministres.

13 juin 2006.

Marc VAN PEEL.