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Sénat de Belgique

Annales

JEUDI 13 JUILLET 2006 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Question orale de Mme Amina Derbaki Sbaï au vice-premier ministre et ministre de l'Intérieur sur «la contribution de la Belgique au plan d'action européen relatif à l'immigration clandestine» (nº 3-1217)

Mme Amina Derbaki Sbaï (Indépendante). - Les ministres des Affaires étrangères de 57 pays d'Europe et d'Afrique se sont réunis pendant deux jours à Rabat, les 10 et 11 juillet 2006, pour une rencontre inédite sur la migration et le développement. Un sommet que le Maroc et l'Espagne avaient souhaité après le déferlement de clandestins africains dans les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, au nord du Maroc, en octobre 2005.

Ce sommet a abouti à un plan d'action destiné à lutter contre l'immigration clandestine, à renforcer la surveillance aux frontières et à réduire la pauvreté. Concrètement, le plan d'action prévoit une meilleure coordination entre pays d'émigration, de transit et d'accueil en ce qui concerne la surveillance des frontières et des routes maritimes, ainsi que la création d'un observatoire euroafricain des migrations. Au point de vue répression, les ministres ont même évoqué l'idée de patrouilles policières communes dans la mer Méditerranée et au large des côtes d'Afrique de l'Ouest pour stopper les bateaux d'immigrants.

La réduction de la pauvreté, les projets de développement, la formation linguistique et l'éducation des immigrés potentiels étaient également inscrits à l'ordre du jour.

Ce plan d'action prévoyant une répression accrue de l'immigration illégale a été conclu en échange d'un vaste plan d'aide européen à la création d'emplois pour les jeunes Africains.

La conférence de Rabat doit replacer le débat sur l'immigration dans la perspective plus large d'un véritable partenariat au service des sociétés africaines et européennes. Nous devrions également prôner un codéveloppement en partenariat avec les Africains d'Europe qui ont souvent la volonté de contribuer au développement de leur région d'origine. À cet égard, je me réjouis de l'accord conclu en échange d'un vaste plan d'aide européen. Celui-ci rejoint la déclaration de Schuman du 9 mai 1950 dans laquelle on pouvait déjà lire ce qui suit : « l'Europe pourra, avec des moyens accrus, poursuivre la réalisation de l'une de ses tâches essentielles, à savoir le développement du continent africain. »

Quelle politique et quels moyens la Belgique mettra-t-elle en oeuvre pour contribuer à ce plan d'action au niveau européen ?

Y aura-t-il un renforcement ou une révision des politiques menées actuellement dans le cadre des objectifs du Millénaire ? Je rappelle simplement que la lutte contre l'immigration illégale doit se faire dans le respect de la dignité humaine.

M. Patrick Dewael, vice-premier ministre et ministre de l'Intérieur. - Je tiens tout d'abord à vous informer que mon collègue de la Coopération au développement, Armand De Decker, a représenté la Belgique lors de cette conférence.

La déclaration politique et le plan d'action ont toutefois été préparés en étroite collaboration avec mon département et celui des Affaires étrangères.

Comme vous le soulignez, cette conférence était inédite puisque c'était la première fois qu'étaient réunis les représentants politiques des pays de destination, de transit et d'origine, mais elle a encore bien d'autres mérites.

La question des flux migratoires a été abordée de manière globale et en tenant compte des diverses phases du processus migratoire.

Les aspects relatifs au développement et à la migration légale ont été couverts, de même que ceux concernant la lutte contre l'immigration illégale. L'objectif est de leur donner une plus grande cohérence non seulement sur le plan du traitement politique mais aussi sur le terrain.

Les politiques exclusivement répressives ne suffisent pas si l'on ne s'attaque pas aux causes profondes de la migration. L'Afrique compte aujourd'hui 900 millions de personnes dont la moitié a moins de 17 ans.

Si nous n'offrons pas à ces jeunes de réelles possibilités dans leur pays, nous devrons faire face, dans un proche avenir, à de nouvelles crises similaires.

La conférence a également démontré que la question des flux migratoires doit être traitée dans un esprit de coresponsabilité. Le renforcement d'un environnement propice au développement passe par la bonne gouvernance, par les échanges humains et commerciaux équitables, par la promotion de la paix et de la stabilité, ainsi que par la cohérence des politiques internationales.

Par ailleurs, ce partenariat doit être opérationnel. L'adoption d'un plan d'action équilibré le permet.

Les mesures en question concernent la promotion du développement et l'établissement de programmes de coopération en matière de gestion de la migration légale. Il faut y ajouter les mesures visant à combattre, dans le respect de la dignité humaine et de nos obligations en matière de droit d'asile, l'immigration illégale et le trafic d'êtres humains.

Ce plan d'action peut être mis en oeuvre dans un cadre bilatéral ou multilatéral - je pense à l'Union européenne.

Chaque État exécutera les mesures qui lui paraissent les plus appropriées et le cadre d'exécution qu'il privilégie.

La Belgique a déjà concrétisé plusieurs mesures, à savoir le renforcement des capacités des administrations chargées des migrations, notamment au Maroc ou en République démocratique du Congo, le soutien à la diaspora et aux transferts de connaissance et la mise sur pied de campagnes d'information.

Je plaide pour la mise en oeuvre de ces mesures dans le cadre de l'Union européenne. Les moyens financiers existent déjà par le biais des lignes budgétaires AENEAS - 250 millions d'euros - et de la politique de voisinage.

Une action concertée avec l'ensemble des partenaires européens évitera les « doubles emplois » et favorisera une rationalisation des actions.

Concernant la question de la migration légale - question cruciale pour les Africains lors de la conférence de Rabat - je rappelle que je soutiens l'idée d'un débat approfondi au sein du Conseil de l'Union européenne. Il me paraît indispensable de traiter cette question en partenariat avec les pays d'origine : il ne s'agit pas de vider l'Afrique de ses cerveaux, mais de discuter, avec les responsables politiques, des diverses migrations, tant des personnes qualifiées que des moins qualifiées ou des non qualifiées.

Mme Amina Derbaki Sbaï (Indépendante). - Je remercie le ministre de sa réponse. Je me réjouis de la volonté manifestée d'avancer dans ce dossier, d'autant plus, monsieur le ministre, que comme vous l'avez précisé, les fonds sont prévus. Il importe dès lors de modifier les mentalités et de veiller à ce que les diverses aides à la coopération soient versées à bon escient. Jusqu'à présent nous n'avons pas à rougir de notre coopération, mais nous devons nous montrer beaucoup plus vigilants en ce qui concerne le contrôle des différents modes de financement, veiller à ce que les fonds soient alloués en connaissance de cause et qu'ils puissent bénéficier à des personnes.

Cependant, je suis quelque peu sceptique quant à la migration choisie. Il convient selon moi de veiller à ce que les personnes dotées de compétences puissent rester sur place. Certes, il est avantageux pour nous de pouvoir choisir ceux que nous voulons voir venir dans notre pays, mais il importe également de faire en sorte que les cerveaux puissent rester chez eux et contribuer au développement de leur pays.

J'attends avec beaucoup d'impatience de voir les textes qui résulteront de cette conférence.