3-1770/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2005-2006

23 JUIN 2006


Proposition de résolution relative à la détention d'enfants dans des centres fermés

(Déposée par Mme Fauzaya Talhaoui et M. Lionel Vandenberghe)


DÉVELOPPEMENTS


Selon les estimations, de 60 à 70 mineurs accompagnés et non accompagnés séjournent actuellement dans les centres 127, 127bis et dans les centres pour illégaux de Merksplas et Vottem. De nouvelles ailes familiales ont été ouvertes depuis peu dans les derniers centres pour illégaux (à Merksplas depuis janvier 2006 — à Vottem depuis mars 2006). Cette situation nous préoccupe. Elle montre que le ministre n'a pas l'intention de réfléchir à court terme à des alternatives à la détention dans des centres fermés, en dépit des scènes poignantes que nous gardons tous à l'esprit.

L'article 27 de la loi sur les étrangers du 15 décembre 1980 est clair: la détention ne peut avoir lieu qu'en vue de l'éloignement effectif d'un étranger ayant reçu un ordre de quitter le territoire. L'article 74/6 stipule néanmoins que la détention est également possible si la procédure est toujours en cours. Ces deux articles de loi sont pour le moins contradictoires. Ils signifient concrètement qu'un étranger peut rester enfermé tant que le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides n'a pas encore statué définitivement sur un recours le concernant.

La loi ne prévoit pas de dispositions spécifiques aux enfants. Cela est et reste regrettable et peut avoir des conséquences néfastes. Les enfants subissent dès lors le même traitement que celui réservé à leurs compagnons d'infortune adultes, y compris lorsque des mesures de répression et de détention s'avèrent nécessaires. En vertu de la loi, la durée maximale de la détention ne peut jamais dépasser 8 mois. Mais la réalité montre que cette limite est parfois largement dépassée, entre autres parce qu'à chaque tentative d'expulsion, l'on repart de zéro en ce qui concerne la durée de la détention. Autrement dit, le compteur est dans ce cas tout simplement remis à zéro.

De nombreuses études et rapports ont déjà démontré qu'il n'est pas opportun de maintenir des enfants dans des centres fermés. Nous en énumérons quelques-uns ci-dessous:

— Rapport du délégué aux droits de l'enfant de 1998-1999: ce rapport condamne le principe de la détention de mineurs dans des centres fermés.

— Rapport du centre de guidance de l'ULB de 1999: dans ce rapport, la détention d'enfants en centres fermés est tout bonnement qualifiée de « maltraitance psychologique ». Elle risque d'hypothéquer très gravement le développement de l'enfant. Durant leur détention, les enfants ne peuvent pas compter autant sur leurs parents que les enfants qui vivent normalement.

— Rapport du délégué aux droits de l'enfant de 2002-2003 et de 2004-2005.

— Rapport rédigé par Francine Dal, psychologue pour enfants à l'ASBL Solentra, établi en mai 2005 après une visite du centre fermé 127bis.

Citons également la jurisprudence de la chambre du conseil de Bruxelles sur les mineurs non accompagnés, qui considère que la détention constitue une violation de l'article 3 de la Convention relative aux droits de l'enfant.

Bien entendu, il ne faut pas non plus oublier la Convention internationale relative aux droits de l'enfant. Plusieurs de ses dispositions condamnent explicitement la détention d'enfants dans des centres fermés. D'ailleurs, le Haut Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés a déjà déclaré que la détention d'enfants dans de tels centres est contraire à la Convention internationale relative aux droits de l'enfant. La Belgique a ratifié cette Convention le 15 janvier 1992. L'article 2 de celle-ci énonce clairement ce qui suit: « Les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour que l'enfant soit effectivement protégé contre toutes formes de discrimination ou de sanction motivées par la situation juridique, les activités, les opinions déclarées ou les convictions de ses parents, de ses représentants légaux ou des membres de sa famille. » L'article 37 de la Convention stipule par ailleurs ce qui suit: « L'arrestation, la détention ou l'emprisonnement d'un enfant doit être en conformité avec la loi, n'être qu'une mesure de dernier ressort, et être d'une durée aussi brève que possible. » En d'autres termes, l'élément qui prime est l'intérêt supérieur de l'enfant qui doit toujours être au centre des préoccupations. L'article 3 de la Convention dispose ce qui suit: « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. » Cela signifie concrètement qu'un enfant ne peut pas être détenu dans un centre fermé en raison du manque de collaboration de l'un ou de ses deux parents adultes. C'est pourtant ce qui se passe, parfois pendant des mois. Dans ces cas, il ne s'agit manifestement plus d'une mesure de dernier ressort et il n'est plus question d'une « durée aussi brève que possible ». Au contraire, la détention devient une phase courante de la demande d'asile. L'article 28 n'est pas non plus sans importance puisqu'il consacre le droit à l'enseignement: « 1. Les États parties reconnaissent le droit de l'enfant à l'éducation, et en particulier, en vue d'assurer l'exercice de ce droit progressivement et sur la base de l'égalité des chances:

a) ils rendent l'enseignement primaire obligatoire et gratuit pour tous;

b) ils encouragent l'organisation de différentes formes d'enseignement secondaire, tant général que professionnel, les rendent ouvertes et accessibles à tout enfant, et prennent des mesures appropriées telles que l'instauration de la gratuité de l'enseignement et l'offre d'une aide financière en cas de besoin;

c) ils assurent à tous l'accès à l'enseignement supérieur, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés;

d) ils rendent ouvertes et accessibles à tout enfant l'information et l'orientation scolaires et professionnelles;

e) ils prennent des mesures pour encourager la régularité de la fréquentation scolaire et la réduction des taux d'abandon scolaire. »

La détention et l'absence de possibilités d'enseignement constituent également une violation de cet article. Il va de soi que la détention empêche le suivi d'un enseignement. Le ministre de l'Intérieur a annoncé qu'il a demandé à ses collègues des communautés de veiller à la mise en œuvre d'un enseignement dans les centres fermés. Le nombre d'éducateurs devrait également être augmenté. Dans l'attente d'une alternative à la détention, les auteurs de la présente proposition réclament instamment la mise en place immédiate de possibilités d'enseignement efficaces. Mais pour que les choses soient bien claires, soulignons que malgré notre demande de celles-ci, nous continuons à plaider pour qu'il soit mis fin à la détention.

Le pédopsychiatre Peter Adriaenssens s'insurge aussi contre le maintien de mineurs en centres fermés. Il a notamment déclaré ce qui suit le 20 avril dernier, lors de l'émission Koppen de la VRT: « Une étude récente révèle que 25 % des enfants détenus présentent des problèmes psychiatriques graves. Ils deviennent dépressifs, font des cauchemars et pensent au suicide. Ils souffrent également de retards de croissance et de problèmes de mémoire. » Et il ajoute ce qui suit: « La détention donnera naissance à de jeunes adultes remplis d'amertume, qui ne seront pas à l'abri de troubles de la personnalité. Le souvenir qu'ils garderont en eux ne sera pas celui de notre système démocratique mais de notre manque d'humanité. La Belgique a tout intérêt à se soucier davantage de ces jeunes si elle veut éviter qu'ils deviennent des terroristes. » Le Dr Adriaenssens demande que les enfants sans papiers ne soient plus jamais détenus et prône une procédure d'asile accélérée.

Les auteurs de la présente proposition plaident dès lors pour qu'il soit mis fin à la détention de mineurs dans des centres fermés. Nous sommes disposés à rechercher des alternatives avec le ministre compétent. Il a déjà fait savoir qu'il estimait qu'un séjour en centre ouvert n'était pas une option envisageable. Nous ne partageons pas ce point de vue. Nous pensons que c'est une bonne alternative, éventuellement liée à une obligation de se présenter à intervalles réguliers.

Fauzaya TALHAOUI.
Lionel VANDENBERGHE.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION


Le Sénat,

A. prenant acte de la détention de mineurs dans les centres fermés 127 et 127bis, parfois pendant des mois;

B. prenant acte du fait que de très nombreux rapports et recommandations dénoncent la détention d'enfants dans de tels centres;

C. prenant acte de la ratification par la Belgique de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989, par laquelle notre pays s'est engagé à respecter et à garantir les droits qui y sont énoncés;

D. prenant spécifiquement acte des articles 2, 3, 28 et 37 de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989;

E. prenant acte des recommandations des commissions réunies de la Justice et des Affaires sociales du Sénat (6 juillet 2001);

F. prenant acte de la jurisprudence actuelle des chambres du conseil sur les mineurs non accompagnés;

G. prenant acte de l'article 2 du Protocole additionnel nº 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme,

Demande au gouvernement:

1. de mettre un terme à la détention d'enfants mineurs dans des centres fermés;

2. d'héberger les enfants mineurs dans des centres non fermés, tout en respectant l'unité familiale;

3. de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir le droit à l'enseignement à tout moment;

4. en cas de réforme de la politique d'accueil, de prévoir explicitement des formes d'accueil spécifiques pour les enfants.

8 mai 2006.

Fauzaya TALHAOUI.
Lionel VANDENBERGHE.