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M. Josy Dubié (ECOLO). - M. Bahar Kimyongür, citoyen belge de 32 ans, né en Belgique, a été arrêté dans la nuit du 27 au 28 avril 2006 aux Pays-Bas où il se rendait pour organiser une activité culturelle. Militant du DHKC (Front révolutionnaire de libération du peuple), organisation turque d'extrême gauche ayant toujours pignon sur rue en Belgique, M. Kimyongür a récemment été condamné en première instance à quatre ans de prison ferme pour participation à une organisation que le tribunal a qualifiée de terroriste.
M. Kimyongür est en appel de cette décision et a donc été laissé en liberté sans restriction de déplacement. C'est donc en toute légalité qu'il s'est rendu aux Pays-Bas. Il y a été arrêté par des policiers néerlandais en civil, alors qu'il circulait en voiture. Ces derniers lui ont appris qu'il était sous le coup d'une demande de mandat d'arrêt international de la part des autorités turques, demande reçue début avril et dont il n'avait jamais eu connaissance. Ce mandat a donc aussi été envoyé aux autorités judiciaires belges qui n'ont rien signalé à M. Kimyongür et n'ont donc pas mis le mandat à exécution, la Belgique n'extradant pas ses nationaux.
M. Kimyongür, sur écoute et surveillé par la sûreté belge - en tout cas c'est ce que l'on peut penser dans le cadre de l'affaire Erdal - a donc été, selon moi, « livré » aux Néerlandais qui l'ont incarcéré sur base du mandat d'arrêt international turc.
Mme Laurette Onkelinx, vice-première ministre et ministre de la Justice. - Ce genre d'affirmation est très grave.
M. Josy Dubié (ECOLO). - Comme je l'ai dit, madame la vice-première ministre, c'est mon avis. J'ai le droit d'avoir un avis et de l'exprimer.
Mme Laurette Onkelinx, vice-première ministre et ministre de la Justice. - Vous affirmez donc que les autorités des Pays-Bas ont organisé la « livraison » de M. Kimyongür...
M. Josy Dubié (ECOLO). - Je relate des faits. J'espère que M. Kimyongür était effectivement suivi par la Sûreté belge. Si celle-ci veut mettre la main sur Mme Erdal, il est normal que toutes les personnes de son entourage soient suivies par la Sûreté belge.
Je constate que M. Kimyongür a passé la frontière et qu'il a été arrêté par des policiers en civil néerlandais qui étaient là, selon vous, par pur hasard. Ce ne serait donc pas la Sûreté belge qui a communiqué des informations... Vous avez votre avis et j'ai le mien, madame la vice-première ministre. Je trouve simplement qu'un faisceau de présomptions permettent de penser que M. Kimyongür a bel et bien été « livré », je ne dis pas par vous mais par la Sûreté belge.
Mme Laurette Onkelinx, vice-première ministre et ministre de la Justice. - Vous dites n'importe quoi. Si on poursuivait votre raisonnement, on pourrait aussi dire que c'est la Belgique qui a organisé l'activité culturelle aux Pays-Bas.
M. Josy Dubié (ECOLO). - Je relate simplement des faits.
Quoi qu'il en soit, M. Kimyongür risque d'être extradé vers la Turquie où son intégrité physique est menacée. Ce pays est d'ailleurs régulièrement accusé par des organisations internationales des droits de l'homme, comme Amnesty International, de pratiquer la torture, notamment sur des opposants politiques. C'est d'ailleurs l'une des raisons qui a justifié la décision de l'Union européenne de postposer le processus d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne.
Interrogée récemment à la Chambre sur cette affaire par deux députés, vous avez déclaré, madame la vice-première ministre, que « ce sont les Affaires Étrangères qui ont le dossier en main ». Ma question est la suivante. Estimez-vous, oui ou non, que tout devrait être mis en oeuvre pour éviter qu'un citoyen belge ne soit extradé vers un pays pratiquant la torture ?
Si, comme je l'espère, votre réponse est positive, pourquoi n'usez-vous pas, comme un article de presse le suggérait hier, de votre droit d'injonction positive pour demander au parquet de délivrer un mandat d'arrêt européen à l'égard de M. Kimyongür ?
Ce mandat d'arrêt européen ayant priorité sur le mandat d'arrêt international turc, M. Kimyongür pourrait être rapatrié en Belgique pour y être jugé en appel, et éventuellement condamné, mais il aurait ainsi la garantie de ne pas être extradé vers la Turquie où son intégrité physique serait en danger.
Mme Laurette Onkelinx, vice-première ministre et ministre de la Justice. - Pour ceux qui l'ignorent, M. Bahar Kimyongür a été condamné, le 28 février dernier, par le Tribunal correctionnel de Bruges, à une peine d'emprisonnement de quatre ans ferme pour appartenance à un groupement terroriste DHKC (Front révolutionnaire de la libération du peuple).
Le parquet fédéral a requis son arrestation immédiate qui n'a pas été décidée par le tribunal correctionnel. En conséquence, Bahar Kimyongür a pu repartir libre le 28 février dernier. Il a décidé de quitter la Belgique pour se rendre aux Pays-Bas. C'est sa liberté et sa responsabilité.
L'arrestation de Bahar Kimyongür intervenue aux Pays-Bas repose sur un signalement international délivré par la Turquie et adressé, via Interpol, à l'ensemble des pays de la communauté internationale. Ce signalement était donc connu des autorités judiciaires et policières belges.
Néanmoins, dès lors que Bahar Kimyongür est un ressortissant belge et que l'on n'extrade pas ses nationaux, du moins vers des pays non-membres de l'Union européenne, la Belgique n'a pas donné suite à ce signalement international. Il est donc actuellement détenu aux Pays-Bas sur base du signalement international et les autorités judiciaires hollandaises ont demandé à la Turquie de compléter le dossier d'extradition afin qu'elles puissent juger de la pertinence de la demande.
Quant à la procédure en cours devant les juridictions hollandaises, il ne m'appartient pas de me prononcer sur les décisions qui seraient prises par les autorités des Pays-Bas. Je vous signale qu'une demande d'extradition vers la Turquie est possible à partir des Pays-Bas sans même que le gouvernement belge en soit informé.
Vous me demandez de mettre en oeuvre mon droit d'injonction positive en ordonnant au parquet la délivrance d'un mandat d'arrêt européen. Nonobstant ce que l'on peut en penser quant au fond, ce n'est pas possible pour deux raisons.
Tout d'abord, le mandat d'arrêt européen peut être délivré en vue de l'exécution d'une peine d'emprisonnement. Or, en l'espèce, Bahar Kimyongür n'a pas fait l'objet d'une arrestation immédiate et a interjeté appel de sa condamnation en première instance. Sa condamnation à quatre ans d'emprisonnement n'est donc pas définitive et ne peut être exécutée en Belgique pour le moment.
Quant à la délivrance d'un mandat d'arrêt européen à des fins de poursuites, il faudrait que Bahar Kimyongür ait commis de nouvelles infractions en regard du droit belge, ce qui n'est pas le cas, à ce que je sache.
Quoiqu'on en pense, la voie du mandat d'arrêt européen n'est de toute façon pas possible. Pour le reste, je le répète, les relations avec les Pays-Bas relèvent des compétences de mon collègue, le ministre De Gucht.
M. Josy Dubié (ECOLO). - Je remercie la ministre. Je note qu'elle n'a pas répondu à la question essentielle : le gouvernement belge est-il prêt à tout mettre en oeuvre pour éviter qu'un citoyen belge soit extradé vers un pays pratiquant la torture ?
Mme Laurette Onkelinx, vice-première ministre et ministre de la Justice. - M. Dubié n'a pas été attentif.