3-1585/1

3-1585/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2005-2006

22 FÉVRIER 2006


Proposition de résolution sur la situation politique et les droits de l'homme en Birmanie

(Déposée par MM. François Roelants du Vivier et Philippe Mahoux)


DÉVELOPPEMENTS


La présente résolution vise une condamnation expresse de la junte au pouvoir en Birmanie (Myanmar) et de la violation systématique des droits de l'homme dans ce pays.

François ROELANTS du VIVIER
Philippe MAHOUX.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION


LE SÉNAT,

A. Considérant la déclaration du 15 février 2005 de la présidence au nom de l'Union européenne sur la reprise de la Convention nationale en Birmanie, qui doit mener à un dialogue national authentique et transparent, menant à la rédaction d'une nouvelle constitution et à la réconciliation nationale, et celle du 13 juillet 2005 qui se félicite de la libération d'un certain nombre de prisonniers politiques et appelle à leur libération complète et sans condition;

B. Considérant la déclaration conjointe de l'Union européenne et de l'ASEAN, faite à Jakarta le 10 mars 2005, appelant à une participation constructive de tous les groupes politiques et ethniques à la Convention nationale, à la poursuite d'une coopération concrète entre la Birmanie et l'ensemble des agences des Nations unies, et d'un dialogue UE-ASEAN sur la manière de favoriser une évolution positive en Birmanie;

C. Considérant la résolution sur la situation des droits de l'homme en Birmanie, adoptée lors de la 61e session de la Commission des Nations unies pour les droits de l'homme, qui rappelle, entre autres:

— que tous les États membres des Nations unies sont tenus de promouvoir et de protéger les droits de l'homme et les libertés fondamentales et doivent s'acquitter des obligations auxquelles ils ont souscrit en vertu des divers instruments internationaux;

— les violations systématiques des droits de l'homme;

— les exécutions extrajudiciaires, la destruction des moyens d'existence et la confiscation des terres commises de façon constante par des membres des forces armées;

— le travail forcé et le trafic d'êtres humains;

— le mépris généralisé de la légalité et l'absence d'indépendance de l'appareil judiciaire.

D. Considérant que le State Peace and Development Council (SPDC) [ci-après: Conseil national pour la paix et le développement (CNPD)] n'a pas tenu compte des résultats des dernières élections législatives qui ont eu lieu le 27 mai 1990 en Birmanie, lesquelles ont vu la National League for Democracy [ci-après: Ligue nationale pour la démocratie (LND)] emporter 82 % des suffrages, la LND s'étant toutefois vu refuser l'accès au pouvoir, auquel elle pouvait cependant légitimement prétendre;

E. Considérant qu'il importe d'établir un gouvernement démocratique en Birmanie pour concrétiser tous les droits de l'homme et les libertés fondamentales;

F. Considérant que Aung San Suu Kyi reste assignée à résidence, réduite à la plus grande solitude, sans pouvoir communiquer, même par téléphone; considérant que sa libération ainsi que celle d'autres dirigeants de la LND est un préalable à tout dialogue significatif avec le régime;

G. Considérant que la convention nationale birmane s'est réunie en l'absence de la LND, d'autres partis politiques et de toutes les minorités ethniques ayant signé des accords de cessez-le-feu, que ses travaux ont été suspendus le 31 mars mais que le gouvernement a annoncé qu'elle serait à nouveau convoquée à la fin de l'année 2005;

H. Considérant que, malgré les récentes libérations de prisonniers, plus d'un millier de détenus politiques restent incarcérés en Birmanie et que le gouvernement birman continue à leur refuser des soins médicaux appropriés pendant leur détention;

I. Considérant que la population birmane est victime de violations graves et répétées des droits de l'homme, notamment le travail forcé, la persécution des dissidents, l'enrôlement d'enfants soldats, les sévices infligés par les troupes gouvernementales aux femmes et aux enfants des minorités ethniques, les déplacements forcés;

J. Prenant en considération les allégations relatives à l'utilisation, par la junte, d'armes chimiques contre les rebelles Karens; déplorant le manque de suivi des négociations entre le gouvernement et l'Union nationale des Karens pour conclure un accord de cessez-le-feu;

K. Préoccupé par l'explosion de 4 bombes qui a eu lieu à Rangoon le 7 mai 2005 et qui a fait 11 morts et 162 blessés parmi les civils;

L. Considérant que la sixième réunion des ministres des Affaires étrangères de l'ASEM, qui s'est tenue à Kildare en avril 2004, a défini clairement les conditions de l'adhésion de la Birmanie à l'ASEM, notamment au minimum la libération de Aung San Suu Kyi, la possibilité pour la LND d'exercer ses activités en toute liberté et l'ouverture d'un véritable dialogue politique avec les groupements favorables à la démocratie et les groupes ethniques de Birmanie; considérant que le régime birman n'a satisfait à aucune de ces conditions;

M. Considérant que, en février 2005, le régime birman a arrêté Hkun Htun Oo et Sao Nyunt Lwin, président et secrétaire général de la Ligue des nationalités chans pour la démocratie, ainsi que d'autres chefs ethniques; que le 15 mars 2005, le régime birman a accusé Hkun Htun Oo, et huit autres responsables de la minorité ethnique shan de conspiration contre l'État, délit passible de la peine de mort;

N. Considérant que le rapporteur spécial des Nations unies pour les droits de l'homme pour la Birmanie, Paulo Sergio Pinheiro, a affirmé que le régime birman étouffe tout espoir de transition démocratique en arrêtant et en emprisonnant les responsables de l'opposition politique et ehnique;

O. Considérant que, le 24 mars 2005, le conseil d'administration de l'Organisation internationale du travail (OIT) a décidé de « réactiver » les mesures qu'il avait adoptées le 14 juin 2000 lors de sa 88e session, par lesquelles il invitait les membres à revoir (en vertu de l'article 33 de la Constitution de l'OIT) leurs relations avec la Birmanie en raison de son utilisation à grande échelle du travail forcé;

P. Déplorant vivement le fait que le gouvernement birman n'ait pas encore pris toutes les mesures nécessaires pour permettre l'entrée en vigueur du plan d'action conjoint du gouvernement de l'Union du Myanmar et de l'OIT pour l'élimination du travail forcé au Myanmar;

Q. Considérant que la Birmanie reste un important producteur d'opium (2e producteur mondial selon le rapport 2005 de l'ONUDC) et d'héroïne, et que la junte entretient des contacts étroits avec les producteurs de drogue;

R. Considérant la proposition de résolution de M. le sénateur Mahoux (2-130/1) sur la violation des droits de l'homme en Birmanie, adoptée en séance plénière le 25 mai 2000;

DEMANDE AU GOUVERNEMENT:

1. de condamner fermement la dictature birmane pour ses violations répétées et systématiques des droits de l'homme;

2. de demander avec insistance au gouvernement birman de mettre un terme aux violations systématiques des droits de l'homme et à l'impunité, de mener des enquêtes et de traduire en justice tous les auteurs de violations des droits de l'homme, de rétablir l'indépendance du pouvoir judiciaire et le respect de l'état de droit;

3. d'insister pour que la Birmanie adhère à tous les instruments pertinents du droit international relatif aux droits de l'homme et du droit international humanitaire; que la Birmanie fasse respecter ces conventions sur l'ensemble de son territoire;

4. de condamner la campagne de nettoyage ethnique menée par le régime birman contre plusieurs grandes minorités ethniques qui luttent pour leur autonomie; de demander aux autorités birmanes d'engager avec les différents groupes ethniques un processus de négociation pour la suspension immédiate et la solution définitive des différents conflits internes;

5. de demander aux autorités birmanes de mettre immédiatement fin au recrutement et à l'emploi des enfants soldats, d'œuvrer à leur démobilisation et liaison avec les Nations unies;

6. de demander la libération immédiate et l'entière liberté de mouvement et d'expression pour Aung San Suu Kyi et les autres prisonniers politiques détenus par le CNPD; d'arrêter de sanctionner des personnes en raison de leurs activités politiques pacifiques;

7. d'obtenir des autorités des informations régulières sur la situation des personnes assignées à résidence ou incarcérées;

8. de demander la garantie de la liberté d'association et d'expression politique en mettant notamment fin au harcèlement constant de la LND et des autres partis politiques; de demander que tous les bureaux de la LND qui sont actuellement fermés soient autorisés à rouvrir; de demander au CNPD d'engager sans retard un véritable dialogue avec la LND et les groupes ethniques pour mettre en branle le retour à la démocratie et assurer le respect des droits de l'homme, en ce compris les droits des minorités ethniques de Birmanie;

9. de demander au régime birman d'abroger la loi nº 5/96 du CNPD qui rend passible d'une peine de 20 ans d'emprisonnement toute discussion sur des questions constitutionnelles menée en dehors de la Convention nationale;

10. de demander au CNPD d'élargir la composition et de modifier les procédures de la Convention nationale qui, actuellement, n'autorise pas les délégués à débattre de questions ne figurant pas à l'ordre du jour établi et qualifie toutes les questions débattues au sein de la convention de secrets d'état;

11. d'insister pour que le CNPD respecte la volonté du peuple birman, telle que l'a exprimée ce dernier lors des élections de 1990;

12. d'insister pour que tous les membres de l'OIT au sein de l'Union européenne procèdent à une sérieuse révision de leurs relations avec la Birmanie, en vertu de l'article 33 de la Constitution de l'OIT, comme l'a demandé le conseil d'administration de l'OIT;

13. d'inviter le Conseil de sécurité des Nations unies à considérer la situation en Birmanie comme urgente et à autoriser le secrétaire général des Nations unies et son envoyé spécial à proposer leur médiation en Birmanie pour favoriser la réconciliation nationale et une transition démocratique;

14. de demander instamment que soient mises en œuvre les recommandations du rapporteur spécial des Nations unies de janvier 2004;

15. de veiller à ce que les sanctions actuelles infligées au régime militaire de Birmanie soient évaluées pour ne pas entraîner plus de pauvreté ni l'augmentation du contrôle des pouvoirs régionaux et que l'aide humanitaire accordée à la population ne soit pas entravée;

16. d'œuvrer à un renforcement rapide de la politique commune de l'Union européenne à l'égard de la Birmanie, notamment:

— en encourageant les efforts entrepris par les parlementaires de l'ASEAN pour influencer leurs gouvernements respectifs afin d'améliorer la situation en Birmanie;

— en interdisant les importations de biens et de services fournis par des entreprises qui sont aux mains de l'armée, de membres des forces armées ou de leurs associés, de même que les importations de biens d'importance stratégique provenant de secteurs sous monopole, tels que les pierres précieuses et le bois de construction;

— en fournissant une aide spécifique pour revitaliser la société civile et le secteur privé;

— en évaluant l'impact de sanctions sur la Birmanie;

— en mettant à l'agenda de ses relations avec la Chine la situation en Birmanie et en étudiant la prise de mesures communes pour favoriser l'évolution du régime;

charge sa présidente de transmettre la présente résolution au Parlement européen, aux parlements des pays membres de l'ASEAN et au secrétaire général des Nations unies.

29 novembre 2005.

François ROELANTS du VIVIER
Philippe MAHOUX.