3-1341/2

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2005-2006

18 JANVIER 2006


Proposition de résolution relative à l'image des femmes et des hommes dans la publicité


RAPPORT

FAIT AU NOM DU COMITÉ D'AVIS POUR L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES PAR

MME ANSEEUW


I. INTRODUCTION

Conformément à l'article 86, § 4, du règlement du Sénat, le comité d'avis pour l'égalité des chances entre les femmes et les hommes a décidé de rendre un avis à la commission des Finances et Affaires économiques, de sa propre initiative, sur la proposition de résolution relative à l'image des femmes et des hommes dans la publicité.

Le comité d'avis a consacré ses réunions du 23 novembre, 14 et 20 décembre 2005 et 18 janvier 2006 à l'examen de la proposition de résolution.

Le 23 novembre 2005, le comité d'avis a procédé à l'audition de membres du Jury d'éthique publicitaire et du Conseil de la publicité, de la responsable du réseau « La Meute » en Belgique, et d'une chercheuse, collaborant au projet « Zorra » (Point d'alerte médias et genre).

Sur la base des éléments recueillis lors de ces auditions, le comité d'avis a élaboré un avis qu'il a adopté lors de la réunion du 18 janvier 2006.

II. AUDITIONS

1. Exposés de Mme Karin Laes, secrétaire du Jury d'éthique publicitaire (JEP) et de Mme Sandrine Sepul, directrice du Conseil de la publicité

Depuis sa création il y a plus de trente ans, le JEP est l'organe de contrôle de la publicité en Belgique (www.jepbelgium.be). Comme les organes de contrôle de la plupart des pays européens, le JEP est un organe d'autodiscipline. Il a été créé par le secteur publicitaire lui-même, plus particulièrement par le Conseil de la publicité, dans lequel sont représentés tant les annonceurs que les agences de communication et les médias.

Le JEP se compose de seize membres et d'un président. Ils sont chargés de veiller à ce que les décisions du JEP soient observées. Actuellement, le jury se compose de huit représentants des médias, de quatre représentants des annonceurs, et de quatre représentants des agences de publicité. Le jury est toutefois actuellement l'objet d'une réforme au niveau de sa composition, pour permettre d'y intégrer des représentants des consommateurs. La proposition à l'examen prévoit que le jury se composera pour un tiers de délégués des consommateurs, pour un tiers de délégués des médias, et pour un tiers de délégués des agences de publicité et des annonceurs réunis.

Le JEP peut être saisi de deux types de dossiers: d'une part, il peut examiner, avant la diffusion d'une publicité, une demande d'examen préalable à l'initiative d'un annonceur, d'une agence de publicité ou d'un media. Dans ce cas, la parution de la publicité soumise doit être tenue en suspens jusqu'à la conclusion de l'examen du dossier. Contrairement à ce qui est le cas dans les pays voisins, le résultat de la demande d'examen est contraignant. D'autre part, le JEP examine les plaintes qui lui sont adressées par le public, en particulier par les consommateurs (à l'exclusion des entreprises et des organisations poursuivant un but commercial). Le jury peut également prendre lui-même l'initiative d'ouvrir un dossier de plainte. Ces dossiers concernent donc une publicité qui a déjà été diffusée.

Le jury se réunit toutes les deux semaines. En cas de nécessité, il peut organiser des réunions d'urgence. Non seulement il examine si la publicité est conforme aux dispositions légales, mais il procède également à un examen (auto)disciplinaire. Le jury tient compte tout d'abord de la loi sur les pratiques du commerce, de la législation en vigueur par catégorie de services ou de produits, et des décrets applicables (par exemple en ce qui concerne le secteur audiovisuel). L'examen disciplinaire se réfère au code de la Chambre de Commerce Internationale, qui contient des principes éthiques généraux, ainsi des codes sectoriels. Le secteur automobile, par exemple, suit le code de la Febiac. Enfin, le JEP tient compte également de ses propres règles et recommandations. Une de ces recommandations concerne la représentation de l'être humain dans la publicité; elle remonte à 1976, mais a bien entendu évolué depuis lors.

L'intervenante relève que la résolution fait référence au Bureau français de Vérification de la Publicité (BVP). Celui-ci a formulé en 2001 des recommandations concernant la représentation de la femme dans la publicité. Très peu de temps après, le JEP a adopté un texte circonstancié qui tenait compte non seulement du texte adopté par le BVP, mais aussi de la situation et de la culture propres à la Belgique. Le texte du JEP concerne la représentation de la femme, de l'homme et de l'enfant.

La recommandation en question s'articule essentiellement autour des grands principes suivants:

— la publicité doit avoir le sens de la responsabilité sociale;

— la publicité ne peut pas miner la confiance du public (vis-à-vis de la publicité);

— la publicité doit se conformer aux normes de la bienséance en vigueur (l'être humain ne peut pas être discrédité; il ne peut être porté atteinte à la dignité humaine);

— la publicité ne peut tolérer aucune forme de discrimination (pas de mépris, pas de moqueries, pas de comparaisons négatives, par exemple entre les sexes);

— la publicité ne peut pas contribuer à perpétuer certains préjugés ou stéréotypes qui iraient à l'encontre de l'évolution sociale (la recommandation déconseille par exemple résolument le recours à des représentations impliquant la soumission, la dépendance, la domination ou l'exploitation de personnes);

— la publicité ne peut pas inciter à la violence.

Tout est examiné au cas par cas. En effet, l'image n'est pas la seule chose importante dans un message publicitaire. Il y a aussi la partie rédactionnelle. Chaque élément est examiné séparément.

Le JEP peut prendre différents types de sanctions. Il peut recommander de modifier un message publicitaire, ou d'en arrêter la diffusion. Si l'annonceur n'obtempère pas, le JEP transmet une recommandation de suspension aux médias, qui s'engagent à observer ses décisions. Une recommandation peut également contenir une sanction supplémentaire obligeant les annonceurs à soumettre obligatoirement la prochaine campagne publicitaire à un examen préalable.

Mme Laes conclut qu'il existe donc bel et bien des textes. Selon elle, il est très important d'examiner en détails ces textes du JEP avant de poursuivre l'examen de la présente résolution. Elle souligne qu'en tant qu'organe d'autodiscipline, le JEP est l'instance la plus appropriée pour effectuer un contrôle, parce que la matière à contrôler est subjective. Elle renvoie à un avis du Conseil de la consommation en ce qui concerne l'image de la femme dans la publicité dans lequel il est également souligné que s'agissant d'un domaine subjectif, il n'est pas indiqué de réglementer. Une appréciation objective, faite par exemple par le juge, serait très difficile en la matière. Un organe d'autodiscipline est donc beaucoup plus approprié pour surveiller les opérations.

2. Exposé de Mme Corine Van Hellemont, chercheuse à l'Université d'Anvers, Centrum voor Vrouwenstudies, et project manager au point de contact Zorra (« Zien, Onderzoeken en Reageren op Rolpatronen in Advertenties »)

Mme Van Hellemont signale que le Centrum voor Vrouwenstudies est un centre de recherches qui, ces dernières années, a surtout axé ses travaux sur les médias, et donc qu'il s'intéresse non seulement à la publicité, mais aussi aux programmes télévisés.

Elle se concentrera sur cinq points importants, à savoir la réalisation d'une recherche approfondie, la création d'un point de contact, le lancement d'un débat public, l'attribution d'un trophée officiel et, surtout, le moyen d'améliorer l'image de la femme dans les médias d'une manière souple et peu coûteuse.

Selon Mme Van Hellemont, il est absolument nécessaire de procéder à une recherche approfondie au sujet de la représentation des hommes et des femmes dans la publicité. La dernière recherche digne de ce nom est vieille de dix ans. Il est dit par exemple, dans la résolution, qu'une « croissance importante » du nombre de publicités présente une image erronée de la femme, ou que la publicité véhicule « souvent » des stéréotypes. En tant que scientifique, l'intervenante se pose immédiatement la question de savoir ce que signifient les termes « croissance importante » et « souvent ». Il est nécessaire d'effectuer une étude quantitative et qualitative du pourcentage d'hommes et de femmes représentés dans la publicité ou qui y expriment un message. On peut alors vérifier quel rôle on leur fait tenir, par exemple un rôle sexiste ou traditionnel. Grâce à un nouvel instrument d'analyse, le MEER (Media Emancipatie Effect Rapportage, un outil permettant d'évaluer la prise en compte du genre dans les produits médiatiques audiovisuels), on peut en outre déterminer le temps imparti respectivement aux hommes et aux femmes pour s'exprimer ou apparaître sur l'écran.

À l'occasion des élections de 2004, on a utilisé le MEER pour examiner une demi-douzaine de programmes télévisés, ce qui a permis d'établir combien de femmes appartenant aux divers partis politiques sont apparues à la télévision et y ont pris la parole. La proportion hommes/femmes peut être ventilée par parti. On peut appliquer le même type de recherche à la publicité, ce qui permettra, une fois que les données auront été enregistrées et analysées, de disposer enfin de chiffres objectifs. Les publicités pour des machines à laver font-elles intervenir 20 % ou 80 % de femmes ? Les hommes sont-ils surtout représentés dans le milieu professionnel ou dans la sphère privée ? Pour plus d'informations à propos du MEER, l'intervenante renvoie au site Internet www.vrouwenstudies.be/meer/. Cet instrument ayant entre temps été traduit presque entièrement en français, on peut également effectuer des recherches dans cette langue.

Mme Van Hellemont enchaîne sur la proposition de création d'un point de contact. Elle souligne qu'il existe en Flandre, depuis 1996, un point de contact appelé ZORRA où on peut dénoncer les modèles de comportement typiquement masculins et féminins. Ce point de contact a été créé en première instance pour rassembler les plaintes, parce que le JEP ne disposait pas encore, à ce moment, des codes qu'il utilise actuellement. La situation a cependant évolué ces dernières années. Aujourd'hui, ZORRA reçoit en moyenne deux notifications par semaine, qui se composent pour 60 % de plaintes et 40 % de compliments. L'activité la plus importante de ZORRA consiste cependant à entretenir le dialogue entre les destinataires des médias et les publicitaires. Elle propose de créer également des points de contact ZORRA francophone et germanophone.

En ce qui concerne le lancement d'un débat public, l'intervenante souligne que depuis 2001, ZORRA propose un forum de discussion électronique où ce débat fait rage. Il lui manque toutefois les moyens financiers pour développer cette initiative et, à fortiori, pour faire rapport sur celle-ci. Elle propose dès lors d'ouvrir ce forum de discussion également aux interlocuteurs francophones et germanophones et de professionnaliser les comptes rendus des discussions. Ceux-ci pourraient être mis à la disposition du public, mais en outre, ils seraient utiles au JEP, en tant que support de ses décisions. Enfin, ils pourraient sensibiliser le consommateur et les publicitaires.

Depuis 1999, ZORRA attribue chaque année en Flandre un prix du public à la publicité la plus favorable aux femmes ou à celle qui bouleverse le plus les schémas traditionnels. Ici aussi, Mme Van Hellemont propose de trouver un pendant à cette initiative du côté francophone et du côté germanophone. Elle souligne que c'est un prix du public, et pas un prix des publicitaires, dont nous ne manquons pas. De plus grands moyens permettraient en outre de donner une plus grande notoriété au prix et d'augmenter la participation.

Le Centrum voor Vrouwenstudies est par ailleurs convaincu qu'une multiplication des règles et des lois ne serait pas une bonne chose. Le JEP a actualisé ses codes concernant la représentation des personnes dans la publicité en 2002-2003. Faut-il déjà une nouvelle version ? Il y a quelques années, Mme Van Hellemont a consacré une étude à tous les codes existant à l'échelle mondiale et à une série de directives sur la représentation des hommes et des femmes émanant d'organisations de femmes. Elle peut en conclure que le code actuel du JEP est satisfaisant dans les grandes lignes et qu'il est en outre opérationnel. Elle propose dès lors d'optimaliser le dialogue entre les destinataires et les producteurs des médias. En professionnalisant les comptes rendus des débats publics, on peut en outre soutenir et conseiller le JEP dans ses décisions. L'intervenante se réjouit d'ailleurs que le JEP lui-même envisage d'intégrer des représentants des consommateurs en son sein.

Pour finir, elle souhaiterait apporter encore quelques précisions concernant ZORRA Gender MediaWatch. ZORRA est l'acronyme de « Zien, Onderzoeken en Reageren op Rolpatronen in Advertenties » et existe depuis 1996. Ce point de contact est subventionné par le Service de l'égalité des chances de la Région flamande depuis 1999. On ne sait pas encore avec certitude s'il y aura une subvention en 2006. La professionnalisation du forum de discussion électronique et l'élaboration systématique de comptes rendus nécessitent toutefois un budget plus important.

Mme Van Hellemont conclut son exposé en formulant encore quelques propositions qui pourraient, selon elle, être utiles dans le cadre de la représentation des hommes et des femmes dans les médias. Il est important, à ses yeux, de créer un grand site Internet unique traitant des médias et de l'égalité des chances (dans les trois langues nationales), parce qu'il est impossible de dissocier la représentation de l'être humain dans la publicité du thème général de sa représentation dans la presse, à la télévision, sur la toile, etc. Elle appuie l'initiative « Mediasmart » du Conseil de la publicité, mais estime qu'il lui manque une dimension de genre. Une autre possibilité consisterait à organiser une exposition itinérante, comme celle mise sur pied par ZORRA dans le passé autour de la représentation des hommes et des femmes dans les annonces TIC. D'autres thèmes pourraient faire l'objet du même type d'initiative. On pourrait également recourir au concept des Top Topicals. Il s'agit de campagnes relatives à un thème déterminé, par exemple la journée de la femme, permettant aux annonceurs qui s'engagent à placer des annonces consacrées à ce thème précis de bénéficier d'une ristourne importante pour la location d'un espace publicitaire. L'année prochaine, à l'occasion du dixième anniversaire de ZORRA, on pourrait également publier un livre accompagné d'un CD-rom et actualiser le site www.mediawatchdogs.com. Enfin, l'intervenante indique encore d'autres possibilités, comme l'organisation d'un concours-parodie.

3. Exposé de Mme Marie-Noëlle Vroonen, vice-présidente du Conseil des femmes francophones, responsable de la section Belgique du réseau La Meute, contre la publicité sexiste

La Meute Belge est une association de fait, regroupant une quarantaine de personnes en Belgique, déterminées à dénoncer les images publicitaires qui mettent en scène des comportements délictueux mais aussi les images raillent, dévalorisent ou formatent des personnes, le plus souvent des femmes. Pour elle, la pression économique ne peut justifier d'utiliser n'importe quelle image ou slogan pour attirer le consommateur. Le mouvement est né en France en 2000 (http://lameute.org.free.fr). Il a lancé un manifeste qui est aujourd'hui connu dans quarante pays.

Chaque pays doit trouver ses propres chemins d'action, de dénonciation et de pression politique. Le groupe belge a choisi d'évaluer les images et les slogans, de dénoncer ce qui choque, de sensibiliser le public à l'impact de cet outil économique, d'interpeller les décideurs politiques pour exiger une éthique professionnelle, mais aussi pour qu'ils posent des balises dans un cadre plus structuré, y compris au moyen de sanctions pénalisantes.

Pourquoi la publicité est-elle parfois sexiste ? Le créateur publicitaire est soumis aux budgets des entreprises. On lui demande de faire mouche avec une image ou un slogan choc, compte tenu du coût de la diffusion. Il cherche donc à toucher l'inconscient, à fidéliser, à formater les esprits avec des images qui surprennent, dérangent, questionnent, surtout lorsqu'elles sont destinées à l'espace public. On passe devant et on enregistre passivement une ambiance, un slogan, on nourrit un fantasme. L'information est mineure, l'image souvent sans rapport avec le produit à consommer, mais l'effet de surprise va pousser à chercher qui annonce et ce nom va s'inscrire dans la mémoire.

Selon l'oratrice, l'image féminine est au centre des fantasmes et le corps de la femme devient un simple objet de consommation. Sa place dans la relation conforte tout un chacun sur sa propre capacité à maîtriser les rapports humains, à séduire l'autre, à assouvir ses désirs personnels, à se conformer au modèle universel, gage de réussite et de bonheur.

Il ne s'agit pas uniquement de violence, de stéréotypes de rôles ou de compétences, de déviation des relations humaines réduites à la séduction, il s'agit aussi de formatage des identités. Qu'en est-il des jeunes filles qui ne sont pas des lolitas ou des barbies, des femmes qui ont des rides ou simplement acceptent les changements physiques de l'âge ? Qu'en est-il des garçons qui se cherchent une petite amie et se font railler par leurs pairs lorsqu'ils s'exhibent avec une petite amie peu présentable ?

La philosophie politique d'égalité des chances et des sexes lutte par tous les moyens pour donner à chacun sa place, pour reconnaître les valeurs potentielles présentes dans toutes les générations et dans toutes les cultures. Comment alors soutenir une attitude qui ne tient pas compte de cette philosophie, va à contre courant des mesures de prévention qui sont mises en œuvre pour lutter contre la violence, le sexisme et les discriminations à l'égard des femmes ? L'État a là un rôle de régulateur à jouer. De plus, cette vigilance doit servir la prévention des risques et analyser les effets à long terme.

Mme Vroonen pense qu'il s'agit ici d'une forme de harcèlement moral. La Belgique a légiféré en matière de harcèlement physique et moral au travail. Ici aussi, il y a dépendance entre personnes ou groupes de personnes. Ici aussi, on soupçonne les plaignants de fabulation, d'interprétation, de victimisation. Bien sûr, il y a une part de subjectivité dans chaque avis. Mais la référence à un code éthique n'exclut pas le respect du pluralisme des sensibilités, la pudeur ou l'attention aux personnes en situation particulière. Nul n'a le droit de choquer en imposant sa vision des choses. La presse écrite est concernée mais elle a des publics spécifiques et peut donc être plus libre.

En ce qui concerne les organes de contrôle existant dans notre pays, la Belgique a créé le CSA (Conseil Supérieur de l'Audiovisuel) et son pendant néerlandophone le Vlaams Commissariaat voor de Media, qui sont chargés, avec le JEP (Jury d'éthique publicitaire), d'exercer une vigilance dans le secteur.

Le code éthique dont ils se prévalent est très explicite, mais, selon l'oratrice, il manque quelque chose qui s'est développé ces dernières années, à savoir l'usage des double sens dans les slogans.

Mme Vroonen est d'avis que cette structure n'est pas efficace, parce que le JEP a pour objectif premier de valoriser et de promouvoir le secteur publicitaire, non de le sanctionner. Son action de vigilance éthique est basée sur la collaboration volontaire des médias, ceux-là même qui le financent. Il communique des avis de réserve aux annonceurs en cas de plainte, leur laissant toute responsabilité quant à la suite à y donner. Le JEP reçoit les plaintes, il n'exige aucun examen préalable à la publication ou la diffusion d'une campagne publicitaire. Il répond assez rapidement mais trop tard pour annuler l'effet de la campagne publicitaire. Des affiches dans les couloirs du métro par exemple ne restent en place qu'une semaine. De plus, le JEP n'a pas de pouvoir contraignant et son rôle d'autorégulation ne suffit pas.

À propos de la proposition de résolution qui est à l'ordre du jour, l'oratrice pense que commencer une étude maintenant serait trop long. On a dépassé ce stade. Beaucoup de documents existent qui justifient une législation renforcée.

Selon elle, il faut en tout cas créer un nouvel organe. Le JEP, tel qu'il est conçu, ne peut être disciplinaire, n'étant pas représentatif des divers pôles concernés. Il n'a aucun pouvoir de sanction. L'inviter à la vigilance, c'est conforter son rôle actuel qu'il n'a pas les moyens de jouer. Intégrer d'autres représentations au sein du JEP serait changer toute sa philosophie. Il vaut mieux commencer quelque chose de nouveau et ne pas espérer la transformation aléatoire d'un organe en mettant des intérêts opposés en concurrence. Un conseil fédéral des pratiques publicitaires peut remplir ce rôle, s'il est investi de pouvoirs suffisants. Il faut également réexaminer l'efficacité du CSA et de son pendant néerlandophone, dans le contexte général.

Mme Vroonen insiste sur le fait qu'il y a d'autres voies pour faire avancer les choses. Une commission paritaire pourrait être créée au sein du Conseil de la consommation. La loi de 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur pourrait être modifiée: on ajouterait, à l'article 2, l'interdiction des représentations dégradantes, dévalorisantes ou déshumanisantes des êtres humains et des rapports entre eux, tandis que l'article 3 habiliterait le Roi à créer une commission au sein du conseil de la consommation et définir sa composition, pour imposer un code déontologique en accord avec le ministre de l'égalité (avec sanctions à l'appui). On pourrait créer un organe indépendant et paritaire et financer ce nouvel organe par une redevance sur les publicités. Enfin il serait possible de modifier le code pénal en ajoutant un article.

Plusieurs pistes sont possibles, mais s'il n'y a aucun travail sur la sanction, il sera très difficile d'obtenir un réel changement.

4. Échange de vues

Mme Laloy demande aux représentants du JEP dans quelle mesure leurs avis sont actuellement contraignants. De quelle manière le JEP peut-il, à l'heure actuelle, se saisir d'une affaire ? Est-il habilité à en prendre lui-même l'initiative ou ne peut-il intervenir qu'après le dépôt d'une plainte ? Enfin, l'intervenante aimerait savoir comment le JEP fait la distinction entre une expression créative et une image commerciale. Existe-t-il des critères d'évaluation à cet effet ?

Mme Laes, représentante du JEP, souligne que ce dernier est un organe autodisciplinaire. Il compte donc sur l'attitude responsable des annonceurs, des médias et des publicitaires. Les annonceurs doivent se conformer aux recommandations du JEP. S'ils refusent de le faire, le JEP demande immédiatement aux médias de ne pas diffuser la publicité en question. Les médias se sont engagés librement à réagir de la sorte si le cas se présente, ce qui constitue d'ailleurs la base de l'autodiscipline. Le JEP compte sur l'attitude autodisciplinaire des divers acteurs. Les règles qu'on s'impose à soi-même donnent d'ailleurs généralement de meilleurs résultats que celles qu'impose la loi.

En ce qui concerne la deuxième question, il faut savoir que le JEP n'attend pas toujours qu'une plainte ait été déposée. Il peut très bien intervenir après de simples déclarations verbales, par exemple. Certains consommateurs éprouvent encore des difficultés à déposer une plainte écrite, même si la généralisation du courrier électronique constitue un adjuvant en la matière. Chaque fois que le JEP se réunit, un de ses membres peut prendre l'initiative de faire examiner une publicité par le jury. Il faut évidemment veiller au respect du droit de la défense de l'annonceur, ce qui n'empêche pas le JEP de travailler d'une manière très vigilante et rapide. La plupart des dossiers sont finalisés dans un délai d'un mois.

L'image qu'on utilise dans la publicité est toujours évaluée du point de vue du consommateur, et non sous l'angle de l'expression créative d'une opinion. On n'accorde donc pas la priorité à l'image pour des raisons de créativité.

Mme Van Hellemont demande s'il serait possible de soumettre toutes les publicités à l'évaluation d'un organe avant qu'elles ne soient publiées. En France, par exemple, la publicité audiovisuelle doit d'abord passer par un organe de ce genre.

C'est en effet le cas, reconnaît Mme Laes mais elle précise que l'avis que cet organe émet sur la publicité n'est pas contraignant. En revanche, les avis du JEP le sont. En outre, en cas d'avis négatif, le publicitaire concerné doit soumettre sa publicité suivante au JEP, pour avis préalable.

Mme Laloy aimerait savoir si le JEP est favorable à l'idée de sanctions qui iraient plus loin que l'autodiscipline.

S'agirait-il dans ce cas de sanctions financières ou d'une politique d'avis plus stricte ?

Mme Sepul répond qu'il y a au sein du Jury d'Éthique publicitaire une évolution dans le sens d'une ouverture vers le consommateur. Une convention en matière de publicité pour les boissons alcoolisées a notamment été signée avec les associations de consommateurs sour l'égide du ministre de la Santé publique. Cette convention prévoit une astreinte en cas de non respect d'une décision rendue par le Jury.

Toutefois, le Jury reste persuadé que le caractère contraignant des décisions existe aujourd'hui de par le système. Lorsqu'il y a un souci, comme par exemple dans l'affaire du Liberaal Ziekenfonds, le dossier a été soumis au conseil d'administration du Conseil de la publicité qui prend d'autres mesures. Il n'y a pas d'échappatoire. Les publicitaires sont conscients du fait que le non respect du système d'autorégulation met en jeu leur crédibilité.

C'est le Conseil de la publicité qui s'occupe de la valorisation de l'image de la publicité en lançant des projets ponctuels. La communication éthique est assurée par le Jury. Mais les deux aspects sont liés dans la mesure où donner une bonne image est la preuve de sa responsabilisation.

Mme Vroonen remarque qu'on peut voir sur le site Internet du JEP la liste des sociétés qui ont reçu un avis suite à des plaintes. Il y a différents niveaux dans les avis, qui vont grosso modo de la recommandation au blâme. Pourquoi le JEP ne publierait-il pas dans la presse le nom des sociétés qui ont reçu le blâme le plus grave ?

Mme Laes objecte que chacun peut consulter les décisions du JEP sur son site Internet. La rubrique est divisée entre, d'une part, les décisions les plus récentes, et d'autre part, les décisions à partir de 1999. On peut aussi faire une recherche sur le type de décisions. Le JEP n'a pas l'intention d'appliquer des sanctions financières car le fait de ne plus pouvoir diffuser une campagne publicitaire, quand on connaît le coût d'une telle campagne, est déjà en soi une sanction financière très lourde. Il se peut que la campagne soit déjà terminée mais le JEP agit alors proactivement et interdit sa réutilisation, par exemple dans les six mois.

Mme Pehlivan demande s'il ne serait quand même pas préférable d'obliger à demander l'avis du JEP préalablement au lancement de la campagne, ce qui éviterait encore de lourds investissements financiers.

Mme Laes répond que le JEP n'est pas favorable à un tel système car les publicitaires doivent prendre leurs responsabilités. S'ils ont des doutes, ils peuvent toujours demander l'avis du JEP mais ce dernier n'a pas la capacité d'examiner chaque campagne, chaque idée émanant d'un bureau de publicité.

Mme Sepul ajoute que, outre la publication des décisions sur le site Internet, il y a aussi, dans le cadre de la réforme du JEP, tout un volet concernant une meilleure communication sur l'existence du Jury, la possibilité d'introduire une plainte et la procédure à suivre.

Quant à la publication des décisions les plus graves, l'oratrice trouve cela subjectif. Certains seront très choqués par une publicité particulièrement sexiste alors que d'autres le seront par une publicité anti-écologique.

Mme Pehlivan demande si ZORRA a aussi envisagé la réalisation d'études sur la manière dont la publicité prend en compte les autres cultures, couleurs ou minorités.

Mme Van Hellemont répond qu'on verra rarement, par exemple, des homosexuels dans la publicité, à moins que celle-ci ne soit spécifiquement adressée aux homosexuels. On voit parfois des handicapés dans la publicité mais essentiellement dans un contexte d'invalidité. Les allochtones sont carrément les grands absents de la publicité en Région flamande au contraire des Pays-Bas par exemple.

Mme Pehlivan demande si le sujet est particulièrement sensible ou si l'on peut envisager de formuler des recommandations à cet égard.

Mme Van Hellemont est d'avis qu'on peut envisager une recommandation sur la diversité dans la publicité.

Mme Laes attire l'attention sur le fait qu'il ne faut pas limiter la créativité en imposant dans toute publicité le respect de la diversité. Certains produits sont spécifiquement destinés à certains groupes cibles.

Mme Zrihen souligne qu'il ne faut pas avoir un point de vue trop « cliché ». Ce qui pose problème, c'est l'instrumentalisation d'un genre particulier. Cela vaut pour les hommes comme pour les femmes. Il est inadmissible que la publicité délimite notre espace de vie en fonction de notre sexe; que la publicité tourne en dérision la dignité d'un individu qu'il soit homme ou femme.

Il faudrait, tant dans les spots TV que sur les affiches, une mention signalant la possibilité d'informer le JEP si on se sent heurté par la publicité en question.

Mme Laes précise qu'un groupe de travail planche actuellement sur la manière d'améliorer la transparence et de mieux faire connaître le JEP. On peut déjà trouver dans les magazines et journaux le logo du JEP accompagné de son adresse et numéro de téléphone.

III. DISCUSSION GÉNÉRALE

Se basant sur une suggestion faite par la représentante du projet Zorra, Mme Laloy propose de compléter le point 4.3 de la proposition de résolution en insérant les mots « ainsi qu'un prix du public » entre les mots « à leurs pairs » et « destiné ».

Il existe déjà dans la pratique la remise d'un prix décerné par le public à la publicité qui rompt le mieux avec les stéréotypes sexistes.

Il est aussi important d'instaurer la remise d'un prix par les publicitaires à leurs pairs dans le but de récompenser les publicités les moins sexistes.

En effet, il ne faudrait pas se limiter à pourchasser les publicités sexistes, au risque de passer pour des censeurs, mais bien de récompenser, par le biais de remise de prix, les publicités qui valorisent au mieux les femmes, leurs qualités, leur dynamisme.

Mme Jansegers attire l'attention sur le fait que la proposition de résolution, comme son titre l'indique, a trait à l'image des femmes et des hommes dans la publicité. Or, le point 1 demande au gouvernement de faire réaliser un travail d'investigation sur l'image des femmes dans la publicité. Il faut être cohérent. Cette étude doit bel et bien porter sur l'image des femmes et des hommes car l'objectif poursuivi est un objectif d'égalité entre les hommes et les femmes.

Mme Laloy admet que l'objectif est de tendre vers la réalisation d'une égalité entre les sexes, mais on part quand même du constat selon lequel c'est essentiellement les femmes qui voient leur image dévalorisée dans la publicité. Une étude qui porterait sur l'image des hommes et des femmes risque en outre de demander beaucoup de temps.

Mme Jansegers objecte qu'on ne peut pas demander une étude uniquement pour conforter un point de vue adopté a priori. Le travail a précisément pour objectif de montrer, entre autres, qui est particulièrement discriminé dans la publicité. S'il est vrai que les femmes sont les principales victimes d'un traitement dévalorisant, cela ressortira de l'étude. Mais les hommes font aussi l'objet d'une certaine instrumentalisation dans la publicité. La sénatrice propose donc de remplacer, au point 1, « l'image des femmes » par « l'image des femmes et des hommes ».

Le point 1.1 devrait d'ailleurs aussi être adapté dans la mesure où il est question de prévention de la violence et de lutte contre les discriminations à l'égard des femmes. La sénatrice propose de remplacer l'expression « lutte contre les discriminations à l'égard des femmes » par « lutte contre les discriminations fondées sur le sexe ». Elle suggère en outre de ne pas expliciter l'expression « représentants du corps social » et de supprimer la référence aux conseils de femmes et ONG.

Mme Anseeuw demande ce que les auteurs de la proposition entendent par « rapport » au point 1.2.

Par ailleurs, la membre s'interroge sur la nécessité de créer un nouveau Conseil fédéral des pratiques publicitaires. Ne serait-il pas plus oppportun de confier au Jury d'éthique publicitaire la mission décrite au point 3 ?

Mme Laloy répond que le rapport mentionné au point 1.2 désigne les résultats de l'étude.

Quant au Conseil des pratiques publicitaires, il présenterait l'avantage de l'indépendance. Sa création est d'ailleurs demandée aussi par le Conseil de l'Egalité des chances.

Dans le prolongement de ses précédentes observations, Mme Jansegers fait remarquer qu'il conviendrait d'adapter aussi les considérants B et C de la proposition de résolution pour préciser, d'une part que la publicité présente une image de la femme et de l'homme en totale contradiction avec la réalité, et, d'autre part, que la publicité présente des images de femmes et d'hommes jugées par beaucoup comme humiliantes et dégradantes. De plus, la précision « contre les femmes » devrait être supprimée au point C où il est question d' »images incitant à la violence ».

Enfin, Mme Jansegers épingle une erreur au point P: la résolution du Parlement européen sur la discrimination de la femme dans la publicité a été adoptée le 16 septembre 1997 (et non le 16 novembre).

Mme Van de Casteele objecte qu'une étude approfondie sur l'image de la femme dans la publicité devra forcément se pencher sur l'image de l'individu en général, et donc abordera aussi l'image de l'homme. Par contre, si on recommande de réaliser une étude générale sur l'image de l'homme et de la femme, cela affaiblit le signal qu'on veut donner avec la proposition de résolution qui trouve son origine dans la constatation de discriminations à l'égard de la femme.

Mme Jansegers est sceptique quant à l'opportunité de créer le Conseil fédéral pour les pratiques publicitaires. Apparemment, le JEP fonctionne relativement bien et elle ne voit pas de raison objective de créer encore un nouvel organe, nécessitant du personnel et des moyens financiers supplémentaires.

Mme Van de Casteele partage ce souci de ne pas multiplier les conseils, organes, instituts, etc. et elle était réticente a priori. Cependant, il y a clairement un problème dans le faible pouvoir de sanction du JEP. Il ne dispose pas de véritable moyen de pression pour forcer une société à mettre fin à des campagnes qui continueraient, malgré des avertissements, à utiliser une image dégradante de la femme.

IV. AVIS

Sur la base des auditions et des éléments dont il a eu connaissance à cette occasion, le comité d'avis a élaboré l'avis suivant:

1) Le comité d'avis a constaté que de plus en plus de publicités présentent une image humiliante et dégradante de la femme, comportant de surcroît des risques d'atteinte à la dignité de la personne humaine, avec des images incitant à la violence et au manque de respect à l'égard des femmes ou à la discrimination en raison du sexe.

2) Le comité d'avis a pris connaissance de la nécessité d'une étude approfondie sur l'image de l'homme et de la femme dans la publicité, d'autant que ce vecteur de masse qu'est la publicité, ainsi que sa médiatisation croissante, ont un impact considérable sur le comportement des consommateurs. Le comité d'avis estime par conséquent qu'une nouvelle étude approfondie sur l'image des femmes dans les médias est absolument indispensable, car la dernière étude sérieuse en la matière remonte à dix ans.

3) Le comité d'avis a pris connaissance du fonctionnement du Jury d'Éthique publicitaire (JEP). Le JEP a adopté plusieurs recommandations importantes sur la représentation de la femme, de l'homme et de l'enfant, et il peut d'ores et déjà sanctionner certains faits de différentes manières.

Le comité d'avis partage l'avis du JEP selon lequel il faut tout mettre en œuvre pour améliorer la communication sur l'existence du Jury.

Le comité d'avis estime également qu'il faut renforcer le dispositif d'autodiscipline du JEP. Il y a lieu d'accorder une plus grande attention aux sanctions, faute de quoi il sera très difficile d'induire un changement réel et durable dans l'image de la femme, de l'homme et de l'enfant.

4) Le comité d'avis souscrit à la nécessité de trouver la meilleure voie pour concilier la liberté d'expression, la créativité et le respect de la dignité de la personne. Il estime que la proposition de résolution permet d'atteindre cet équilibre.

5) Le comité d'avis a pris connaissance du point de contact qui est exploité par ZORRA (« Zien, Onderzoeken en Reageren op Rolpatronen in Advertenties »). Il soutient ce projet et déclare que ZORRA et le point de contact existant doivent faire office de lieu de convergence pour les dénonciations en néerlandais. Il y aurait lieu d'ouvrir ce forum de discussion également aux locuteurs francophones et germanophones et de professionnaliser les comptes rendus des discussions. Le comité d'avis préconise le développement d'un grand site Internet traitant des médias et de l'égalité des chances (dans les trois langues nationales), parce qu'il considère que la représentation de l'être humain dans la publicité est indissociable du thème général de sa représentation dans la presse, dans les médias audiovisuels et sur la toile.

6) Le comité d'avis déclare qu'il est inadmissible que la publicité délimite notre espace vital sur la base de notre sexe et qu'elle porte atteinte à la dignité de l'individu, homme ou femme. Le comité d'avis est favorable à la création d'un Conseil fédéral pour les pratiques publicitaires. Ce conseil présente l'avantage de pouvoir travailler en toute indépendance. Le comité d'avis se sent soutenu en cela par le Conseil de l'Égalité des chances.

7) Le comité d'avis propose de compléter le point 4.3 de la proposition de résolution, en y remplaçant les mots « la remise d'un prix, par les publicitaires à leurs pairs, destiné » par les mots « la remise d'un prix par les publicitaires à leurs pairs, ainsi que d'un prix du public, destinés ».

8) Le comité d'avis soutient la proposition de résolution relative à l'image des femmes et des hommes dans la publicité.

V. VOTES

L'avis a été adopté par 8 voix et 1 abstention.

Le présent rapport a été approuvé à l'unanimité des 9 membres présents.

La rapporteuse, La présidente,
Stéphanie ANSEEUW. Fatma PEHLIVAN.