3-1474/4 | 3-1474/4 |
24 JANVIER 2006
Le Sénat,
A. considérant que cinq infirmières bulgares (Christiana Malinova, Valia Georgieva Cherveniashka, Nasia Stoitcheva Nenova, Valentina Manolova, Snezhana Ivanova) et un médecin palestinien (Ashraf Ahmad Jum'A) sont emprisonnés depuis plus de six ans dans les geôles libyennes, l'État libyen les accusant d'avoir sciemment inoculé le virus du sida aux enfants de l'hôpital pédiatrique dans lequel ils travaillaient, ceci sur ordre du « Mossad », les services secrets israéliens;
B. considérant que lors d'un premier déplacement sur place, fin 1998, le professeur Luc Montagnier, codécouvreur du virus HIV, ainsi qu'une mission de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), avaient conclu que c'étaient les conditions médicales prévalant dans l'hôpital d'El-Fatih qui constituaient le vecteur de l'infection. Les rapports des experts internationaux avaient conclu à une maladie nosocomiale comme cause principale de la contamination, ceci notamment en raison de la réutilisation de seringues jetables, impropres à une seconde stérilisation;
C. considérant qu'à l'occasion d'une nouvelle mission effectuée en 2003, Luc Montagnier, mandaté alors en tant qu'expert indépendant par Saïf Ai-Islam, l'un des fils du dirigeant Kadhafi, disculpera définitivement les infirmières en établissant que non seulement la contamination du virus dans l'hôpital avait débuté dès 1994, soit bien avant que les accusés n'y travaillent, mais aussi que l'établissement pédiatrique avait accueilli, entre 1994 et 1997, au moins un enfant porteur du sida;
D. considérant que durant le procès, les conclusions du rapport d'experts internationaux ne furent pas retenues, comme il ne fut pas tenu compte non plus de ce que la plupart des patients atteints du sida avaient été admis pour la première fois à El-Fatih au stade terminal de leur maladie, dont on sait qu'elle se manifeste à la suite d'une longue période d'incubation; or, durant ces périodes d'incubation, les accusés ne se trouvaient pas physiquement en Libye;
E. considérant qu'un grand nombre de ces patients contaminés par le virus HIV ne furent jamais soignés dans leur service, et que de nombreuses contaminations eurent lieu après leur arrestation;
F. considérant que le 29 octobre dernier, le journal des Emirats arabes unis Al Bayan (La Déclaration, Le Communiqué) a publié la déclaration de l'un des fils du dirigeant Kadhafi, Saïf Ai-Islam, dans laquelle celui-ci estimait « que cette affaire était la conséquence d'erreurs et de négligences ». Il y ajoutait que « les autorités libyennes n'étaient pas conscientes des conditions sanitaires de l'hôpital dans lequel s'est produit le désastre ». Selon le fils du dirigeant Kadhafi, « ce sont bien les autorités libyennes qui portent la responsabilité de cette épidémie ». Saïf Ai-Islam a également confirmé le fait que les infirmières bulgares ainsi que le médecin palestinien avaient effectivement été torturés;
G. considérant les déclarations faites à Amnesty International, en février 2004, par les inculpés, selon lesquelles les confessions de deux des infirmières leur avaient été extorquées sous la torture. Depuis, celles-ci se sont rétractées, révélant les conditions dans lesquelles elles étaient passées aux « aveux ». Amnesty International a pu vérifier qu'elles avaient subi des décharges électriques, que leurs tourmenteurs les avaient rouées de coups au sol, leur avaient attaché les mains dans le dos, puis les avaient pendues ainsi au sommet d'une porte, jusqu'à ce que leurs articulations se démettent. Toujours dans le but de leur faire admettre les crimes imaginaires qu'on leur impute, leurs interrogateurs bandèrent les yeux des infirmières en menaçant de lâcher sur elles des chiens féroces;
H. considérant que deux officiers de police libyens ont confessé avoir extorqué les aveux de deux des infirmières sous la torture;
I. considérant que la diplomatie française, dans un communiqué officiel daté du 7 mai 2004, constate que la condamnation à mort de ces personnels soignants cadre mal avec le processus de réchauffement initié entre l'Union européenne et la Libye;
J. considérant que toutes les garanties pour un procès juste et équitable au regard des normes internationales ont été refusées aux inculpés;
K. considérant la décision de la Cour suprême de Tripoli de rejuger les cinq infirmières bulgares et le médecin palestinien devant la Cour pénale de Benghazi;
L. considérant l'urgence de faire pression sur les autorités libyennes car si la condamnation à la peine de capitale des accusés était confirmée, la sentence serait exécutoire dans les 60 jours;
M. regrettant la tragédie qui touche les enfants contaminés par le virus du sida et leurs familles;
N. comprenant la douleur des familles;
O. rappelant une évolution positive du gouvernement libyen dans les relations internationales;
P. rappelant la visite du dirigeant Khadafi à Bruxelles en 2004;
Invite le gouvernement
1. à enjoindre les autorités libyennes à organiser un nouveau procès juste, équitable et transparent, qui respectera les procédures et les droits de la défense;
2. à coordonner cette exigence avec les autres États membres de l'Union européenne;
3. à marquer une pause dans la normalisation des relations au niveau national et européen avec la Jamahiriya libyenne tant que le jugement du nouveau procès ne sera pas rend;
4. et le ministre des Affaires Etrangères à tenir le Sénat informé des démarches qu'il entreprendra et de leurs résultats éventuels;
5. à demander aux autorités libyennes que notre ambassadeur puisse visiter régulièrement les prisonniers en question;
6. à transmettre cette résolution aux autorités libyennes, bulgares et à l'ensemble des pays européens ainsi qu'à l'ONU, à la Commission des droits de l'Homme et au Haut Commissariat aux droits de l'Homme.