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Sénat de Belgique

Annales

JEUDI 15 DÉCEMBRE 2005 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Question orale de Mme Clotilde Nyssens à la vice-première ministre et ministre de la Justice et au vice-premier ministre et ministre de l'Intérieur sur «la forme de tutelle kafala» (nº 3-914)

Mme Clotilde Nyssens (CDH). - Je suis souvent interpellée par des personnes qui souhaiteraient adopter un enfant originaire d'un pays qui ne connaît ni l'institution de l'adoption ni le placement en adoption ; je pense essentiellement au Maroc, dont le droit de la famille ne connaît pas l'institution de l'adoption. Cette situation occasionne un certain nombre de difficultés. Les personnes concernées se demandent quelles démarches elles doivent entreprendre.

Tout d'abord, pouvez-vous expliquer précisément les démarches à suivre lorsqu'une personne souhaite adopter, en Belgique, un enfant porteur d'une forme de tutelle, en l'occurrence dénommée kafala, qui correspond grosso modo à la tutelle officieuse en droit belge ou à une prise en charge par une famille ?

Les kafala d'origine marocaine, par exemple, sont-elles reconnues en droit belge ? Il me revient que cela serait impossible en raison du fait que la Belgique n'a pas ratifié la Convention de La Haye du 19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l'exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et des mesures de protection des enfants, ce que le Maroc, pour sa part, aurait fait. Pouvez-vous me confirmer cela ?

L'enfant porteur d'une kafala pourrait-il néanmoins faire l'objet d'une procédure de tutelle officieuse en Belgique ?

D'un point de vue administratif, il semble que des différences existent en ce qui concerne l'obtention d'un visa pour les enfants porteurs d'une kafala selon qu'ils entrent en Belgique en vue d'une adoption ou en vue d'une tutelle. L'Office des Étrangers ne délivrerait que parcimonieusement des visas pour des tutelles dites humanitaires, c'est-à-dire pour des enfants orphelins ou handicapés, lorsque les personnes n'ont pas l'intention de s'inscrire dans un processus d'adoption. Pouvez-vous m'expliquer cette différence de traitement ? Quelles démarches doivent accomplir ces personnes pour ne pas se voir systématiquement refuser un visa pour ramener l'enfant en Belgique ?

Mme Laurette Onkelinx, vice-première ministre et ministre de la Justice. - J'informe avec plaisir Mme Nyssens que la loi du 6 décembre 2005 modifiant certaines dispositions relatives à l'adoption, qui sera publiée demain au Moniteur belge, règle, en son nouvel article 361-5, tous les problèmes actuels en matière d'adoption d'un makfoul, c'est-à-dire d'un enfant placé sous kafala. Le déplacement de l'enfant en vue de l'adoption est désormais autorisé en cas de décès des parents de l'enfant ou lorsque l'enfant a fait l'objet, dans son pays d'origine, d'une décision d'abandon et d'une mise sous tutelle de l'autorité publique. En dehors de ces cas, l'adoption n'est pas permise, pour éviter des abus qui vont à l'encontre des intérêts de l'enfant.

Afin de permettre son adoption, la nouvelle loi modalise les importantes garanties de la loi réformant l'adoption, portant sur le consentement des instances concernées et des parents originaux.

Vu qu'un accord explicite de ces instances avec l'adoption n'est pas possible, comme leur législation ne connaît pas l'adoption, cette exigence est remplacée par la preuve que l'autorité compétente de l'État d'origine a établi une forme de tutelle sur l'enfant, dans le chef du ou des adoptants et que l'autorité centrale communautaire et l'autorité compétente de l'État d'origine ont approuvé par écrit la décision de leur confier l'enfant, en vue de son déplacement à l'étranger.

Des mesures transitoires ont aussi été insérées dans la loi. Le nouvel article 24sexies de la loi du 24 avril 2003 distingue deux hypothèses.

Si l'enfant a été confié à l'adoptant ou aux adoptants, par l'autorité compétente de l'État d'origine, avant le 1er septembre 2005, les dispositions du droit antérieur qui régissent les conditions relatives à l'admissibilité et aux conditions de fond de l'adoption s'appliquent. De plus, la condition visée à l'article 344 ancien du Code civil - à savoir les conditions de séjour en Belgique des candidats adoptants et de l'enfant - peut être écartée si les nouvelles règles de droit international privé sont remplies et si l'adoptant ou les adoptants ont suivi la préparation et obtenu le jugement d'aptitude.

Si l'enfant a été confié, entre le 1er septembre 2005 et la date d'entrée en vigueur de la loi - le 26 décembre - la nouvelle loi s'applique, sous réserve de la régularisation du transfert de l'enfant qui a eu lieu entre-temps, à condition que les personnes concernées suivent une préparation et obtiennent le jugement d'aptitude.

Pour répondre à votre deuxième question, la kafala en tant que telle peut être reconnue en Belgique mais en l'assimilant à un type de tutelle connu en droit belge. Je suis d'avis qu'une qualification comme tutelle officieuse s'impose.

En ce qui concerne votre troisième question, je vous dirai que les deux institutions sont équivalentes. L'enfant ne doit donc pas nécessairement faire l'objet d'une tutelle officieuse.

Je vous informe en revanche que la plupart des personnes qui viennent en Belgique avec un makfoul, ont l'intention d'adopter l'enfant.

Enfin, concernant votre dernière question relative aux titres de séjour, je pense que vous devez vous adresser à mon collègue de l'Intérieur. Je préciserai simplement qu'il est dans l'intérêt de l'enfant d'obtenir le meilleur statut possible en Belgique. Un enfant orphelin ou abandonné a peu de chance de retour. Pourquoi donc ne pas stimuler son adoption au lieu de limiter le lien juridique à celui d'un tutelle officieuse ?

Mme Clotilde Nyssens (CDH). - Je me réjouis que la loi soit publiée demain au Moniteur belge. Je conclus toutefois aussi de votre réponse que toutes les familles qui ont l'intention d'adopter ou de prendre en tutelle un enfant ont intérêt à s'informer abondamment et à se faire aider par un conseil.