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2 DÉCEMBRE 2005
Le 15 mai dernier, les électeurs éthiopiens se sont rendus aux urnes dans le cadre d'élections régionales et législatives. La Mission d'observation des élections mandatée par l'Union européenne (EU EOM) a — dans son premier rapport préliminaire — exprimé sa préoccupation au regard des menaces, intimidations, arrestations des membres de l'opposition, ainsi qu'au regard des meurtres de certains jeunes militants appartenant à l'opposition (1) . La Mission européenne a ensuite dénoncé les irrégularités commises à l'occasion du dépouillement et de la publication prématurée des résultats par le parti au pouvoir — EPRDF. Le 24 mai, la Mission européenne constatait: « These practices [...] are seriously undermining the transparency and fairness of the elections » (2) .
Au mois de juin, la situation sur le terrain s'est ensuite considérablement détériorée. On a en effet déploré des arrestations massives, et l'usage de la violence contre la population civile aurait fait une quarantaine de morts. Les ONG ont dénoncé les exactions commises par les forces de l'ordre dans le courant du mois de juin. Human Rights Watch a dénombré 36 victimes et une centaine de blessés après que la police ait ouvert le feu sur une manifestation d'étudiants qui demandaient l'ouverture d'enquêtes concernant les irrégularités lors du vote. Amnesty International a condamné le recours excessif à la force, la police ayant tiré à balles réelles sur des manifestants pacifiques — des étudiants, des militants des droits de l'homme, etc. L'organisation a appelé le gouvernement éthiopien à mettre un terme aux violences policières et à établir une commission indépendante et impartiale chargée de mener des investigations sur les homicides commis (3) . Dans la foulée de ces événements, plusieurs gouvernements européens ont réagi. Ainsi, le ministre irlandais de la Coopération au développement a exprimé son souci de voir le gouvernement éthiopien respecter les droits de l'homme (4) . La Suède a fait de même précisant qu'elle ne prendrait en considération le financement de nouveaux projets de développement qu'à la condition du respect par le gouvernement des droits de la personne (5) . Le Royaume-Uni a, quant à lui, suspendu une aide d'un montant de 20 millions de livres sterling à la suite des troubles sur le terrain (6) .
Au début du mois de juillet, alors que l'opposition continuait à contester le résultat des élections, l'EPRDF a fait voter une disposition privant l'opposition de toute possibilité d'action au sein du parlement (mise à l'ordre du jour, dépôt de texte législatif). Le 7 juillet, le Parlement européen a adopté une résolution demandant le respect de l'accord entre le gouvernement et les partis d'opposition et appelant l'Union européenne et la communauté internationale à rester vigilants et à mettre tout en œuvre en vue de contribuer au règlement pacifique des tensions afin que le processus de démocratisation de l'Éthiopie ne soit pas interrompu (7) .
Les ambassadeurs du groupe des donateurs (ADG), comprenant une vingtaine d'États dont la Belgique, ont — dans une déclaration publiée dès le 12 août — pris note des informations faisant état d'irrégularités. Ils déclarèrent par la même occasion qu'ils attendraient la publication des rapports des missions internationales d'observation (8) . La Mission d'observation européenne a observé le déroulement du mécanisme d'enquêtes concernant les plaintes pour irrégularités (Complaints Investigation Panels) et a conclu, dans un second rapport préliminaire (publié le 25 août), que le processus d'examen des plaintes n'était pas conforme aux standards démocratiques internationaux (9) . Madame Ana Gomes, parlementaire européenne ayant dirigé la Mission, a déclaré lors de la présentation du rapport que « dans beaucoup d'aspects importants, les normes pour des élections authentiquement démocratiques n'ont pas été respectées » et que « le climat de menaces et d'intimidation a perduré pendant tout le processus d'enquête sur les plaintes » (10)
Dans une déclaration émise le 29 août, la présidence de l'Union européenne déclare notamment ce qui suit:
« Tandis que nous attendons le rapport final de la mission d'observation de l'Union européenne, lequel devrait être établi le mois prochain, pour formuler des observations sur l'ensemble du processus électoral, nous prenons note de l'observation préliminaire du chef de la mission d'observation, selon lequel le tableau est nuancé, puisqu'il comporte des aspects positifs jusqu'au 15 mai et des aspects négatifs après cette date. Nous constatons également que la déclaration préliminaire fait état d'insuffisances et d'irrégularités en ce qui concerne certains aspects liés au processus de contestation, à la réorganisation partielle du scrutin et aux élections régionales au Somali » (11) .
Pourtant, dès le 13 septembre, les ambassadeurs du Groupe des donateurs ont consacré les résultats électoraux annoncés par le National Election Board — la victoire du parti du premier ministre (EPRDF) —, avant même la publication du rapport final de la Mission d'observation européenne, et avant celle du rapport du Carter Center (également invité à observer les élections par le gouvernement éthiopien). Le Carter Center a publié son rapport deux jours plus tard: le rapport souligne que le mécanisme de plaintes a posé de très nombreux et sérieux problèmes et qu'il revient aux tribunaux (High Court) de les trancher en appel. Selon le Carter Center, ce n'est que si les parties décident de ne pas recourir à la procédure d'appel que les résultats annoncés par le National Election Board pourront être acceptés comme définitifs et légitimes (12) .
Le 2 octobre, le gouvernement et les partis d'opposition ont entamé des négociations, rapidement émaillées de tensions, le gouvernement accusant l'opposition de fomenter un coup d'état et procédant à l'arrestation de nombreux chefs de l'opposition. Les membres de l'opposition ont alors décidé de boycotter le parlement, ce qui leur valu d'être privé de leur immunité de juridiction par la majorité, le 11 octobre.
Le 14 octobre, le Parlement européen a appelé à la poursuite du dialogue et demandé au gouvernement de respecter les droits de la personne et les libertés fondamentales. Il a également appelé l'Union et la communauté internationale à rester vigilants en matière de respect des droits fondamentaux et concernant la poursuite du processus de démocratisation.
Quelques jours plus tard, le 18 octobre, le Haut Représentant pour la PESC a, dans une déclaration, félicité le gouvernement sortant pour sa réélection, et rappelé l'attachement de l'UE à la mise en place d'une démocratie représentative et respectueuse des règles constitutionnelles (13) .
Les manifestations non violentes dénonçant la confiscation du pouvoir par les autorités en place se sont poursuivies au début du mois de novembre. Un nouveau regain de violence contre la population a provoqué la mort d'au moins 42 personnes, et fait plus de 200 blessés par balles. On a également recensé plus de 2 000 arrestations. Le Haut Représentant, M. Javier Solana, a alors contacté le premier ministre éthiopien afin d'appeler à la retenue concernant l'arrestation de certains leaders éthiopiens et concernant l'usage excessif de la force par les autorités éthiopiennes (14) .
Dénonçant l'arrestation de plusieurs leaders de l'opposition (CUDP), une déclaration de l'ambassadeur du Royaume Uni au nom de l'UE et des États-Unis, datée du 7 novembre, a appelé notamment à l'arrêt immédiat de la violence, à l'ouverture d'une enquête sur les décès survenus lors des derniers événements ainsi qu'au mois de juin. Le texte demande la révision des dispositions institutionnelles afin d'assurer que toutes les parties représentées au Parlement puissent participer sur la base de sa représentativité, l'adoption d'un code de conduite concernant les médias, et la mise sur pied — en consultation avec l'opposition parlementaire — d'une commission électorale nationale.
Le même jour, le Président du Conseil de sécurité des Nations Unies faisait état d'informations de la Mission des Nations Unies en Éthiopie et en Érythrée selon lesquelles les deux États concentreraient des troupes de part et d'autre de la zone de sécurité temporaire qui les sépare (15) .
Christian BROTCORNE Clotilde NYSSENS François ROELANTS du VIVIER Alain DESTEXHE. |
Le Sénat,
A. Considérant que le processus électoral s'est déroulé jusqu'au 15 mai sans heurts majeurs et que la confiance de la population éthiopienne dans la démocratie s'est traduite par la participation d'environ 90 % des électeurs,
B. Considérant que la Mission d'observation de l'UE (EU-EOM), composée de quelques 160 observateurs, mise en œuvre dans le cadre de l'initiative européenne pour la démocratie et les droits de l'homme, a permis l'observation du processus électoral dans plus de 1000 bureaux de vote,
C. Considérant que le rapport préliminaire de la Mission d'observation des élections de l'Union européenne, daté du 17 mai 2005, fait état d'éléments ayant limité le plein exercice du suffrage et la libre expression de la volonté du peuple,
D. Considérant la répression violente des manifestations de protestation qui ont eu lieu le 8 juin 2005 suite au report de la proclamation des résultats définitifs des élections législatives du 15 mai 2005,
E. Considérant la déclaration des ambassadeurs du groupe des donateurs mentionnant l'engagement du premier ministre éthiopien d'ouvrir une enquête sur les événements du 8 juin, et déclarant être dans l'attente des résultats de cette enquête,
F. Considérant que le Parlement éthiopien sortant a adopté un amendement prévoyant que la mise d'une question à l'ordre du jour du Parlement requiert la majorité absolue, et contrevenant dès lors aux règles essentielles de la démocratie,
G. Vu la résolution du Parlement européen sur la situation de droits de l'homme en Éthiopie, adoptée le 7 juillet 2005,
H. Considérant que la déclaration des ambassadeurs du Groupe des donateurs, datée du 12 août, prend note des rapports faisant état d'irrégularités relatives à l'ensemble du processus électoral, et déclare être dans l'attente de la publication des rapports des missions d'observation,
I. Considérant que dans le cadre de son rapport préliminaire, daté du 25 août 2005, la Mission d'observation de l'Union européenne regrette que le mécanisme des plaintes et les élections dans la région Somali n'aient pas atteint les standards internationaux,
J. Considérant que, dans la déclaration sur les élections en Éthiopie datée du 29 août 2005, la Présidence a, au nom de l'Union européenne, déclaré attendre le rapport final de la Mission d'observation de l'Union européenne et prendre note des aspects négatifs du processus après le 15 mai,
K. Considérant qu'à ce jour, la Mission de l'Union européenne pour l'observation des élections en Éthiopie n'a pas encore déposé son rapport final,
L. Considérant que les ambassadeurs du Groupe des donateurs ont déclaré, le 13 septembre, que les résultats finaux des élections confirmaient la majorité obtenue par l'EPRDF au Parlement,
M. Vu les conclusions du rapport final du Centre d'observation Carter, daté du 15 septembre 2005,
N. Considérant que la résolution du Parlement européen sur la situation en Éthiopie, du 14 octobre 2005, appelle la Commission européenne à ajuster l'aide non humanitaire à destination de l'Éthiopie en fonction des progrès du processus démocratique,
O. Vu la déclaration du Haut Représentant pour la politique européenne de sécurité commune, datée du 18 octobre 2005,
P. Vu la déclaration de l'ambassadeur du Royaume-Uni faite au nom de l'Union européenne et des États-Unis, datée du 7 novembre 2005,
Q. Considérant que la stabilité politique de l'Éthiopie est essentielle pour tous les pays de la « corne de l'Afrique »,
R. Considérant que le Président du Conseil de sécurité des Nations Unies a, le 3 novembre 2005, demandé à l'Éthiopie et à l'Érythrée de s'abstenir de toute menace de recours à la force et de ne prendre aucune mesure qui risque de faire monter la tension entre les deux pays,
S. Considérant que l'Éthiopie est signataire de l'accord de Cotonou dont l'article 9 dispose que le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales constitue un élément essentiel de la coopération EU-ACP,
T. Considérant que l'Éthiopie a adhéré au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le 11 juin 1993, et est tenue par l'ensemble de ses dispositions,
Demande au gouvernement:
1. De condamner la répression violente exercée à l'encontre de civils ainsi que de chefs et de sympathisants de l'opposition, de même que les massacres qui se sont déroulés aux mois de juin et de novembre;
2. De rappeler, au gouvernement éthiopien, son attachement au respect des droits de la personne et à la tenue d'une enquête indépendante et impartiale concernant les exactions qui se sont produites au mois de juin et au mois de novembre;
3. De soutenir, au sein des institutions européennes et des Nations Unies, la mise sur pied d'une commission d'enquête internationale concernant ces mêmes exactions;
4. De demander au gouvernement éthiopien la libération inconditionnelle de tous les prisonniers politiques, la levée des restrictions imposées aux membres de l'opposition, et la levée immédiate des restrictions qui frappent la diffusion des informations sur les activités et les idées de l'opposition dans les médias et de demander qu'un code de conduite sur la presse soit rapidement mis en place en concertation avec les médias;
5. De rappeler au gouvernement éthiopien son attachement au respect des principes essentiels de la Charte des Nations Unies, en particulier son article 2, § 4, relatif à l'interdiction du recours à la force et de la menace de recourir à la force dans les relations internationales;
6. D'accorder la plus haute importance aux rapports des missions d'observation d'élection, et de relayer cette position au sein du Groupe des donateurs;
7. D'insister, au sein du Conseil des ministres de l'Union européenne, pour que l'Union continue à contribuer à une solution pacifique et démocratique à la crise politique éthiopienne, et prenne des actions concrètes en ce sens;
8. De transmettre la présente résolution au gouvernement éthiopien, au Conseil de l'Union européenne et à la Commission européenne.
10 novembre 2005.
Christian BROTCORNE Clotilde NYSSENS François ROELANTS du VIVIER Alain DESTEXHE. |
(1) EU Election Observation Mission Ethiopia 2005, Preliminary Statement, 17 mai 2005, pp. 4 et s.
(2) EU Election Observation Mission Ethiopia 2005, Preliminary Statement on the Election Appeals' Process, the re-Run of Élections and the Somali Region Élections, 25 août 2005, p. 2.
(3) Amnesty International, AFR 25/008/2005.
(4) http://foreignaffairs.gov.ie/Press_release/20050610/1771.htm
(5) Statement, Ministry of Foreign Affairs, 20 juin 2005, http://www.regeringen.se
(6) « UK halts aid over Ethiopia deaths », BBC News, 15 juin 2005.
(7) P6_TA-PROV(2005)0305.
(8) « We note reports of irregularities in the process, but we await the publication of the findings of the international observer missions, which will provide a basis for working with all parties to strengthen the democratic system further »; Ambassadors » Donor Group Statement, 12 août 2005.
(9) Election Observation Mission Ethiopia 2005, Preliminary Statement on the Election Appeals Process, the re-Run of Elections and the Somali Region Élections, 25 août 2005, p. 6.
(10) « La mission d'observateurs de l'UE relève de graves irrégularités dans les élections du 15 mai », in L'Agence Europe, 26 août 2005.
(11) Déclaration de la présidence au nom de l'Union européenne sur les élections en Éthiopie, 29 août 2005, 11763/05 (Presse 216) P 092/05.
(12) [If parties decide not to file court appeals, the NEBE's announced results should be accepted as final and legitimate']; Final Statement on the Carter Center Observation of the Ethiopia 2005 National Elections, Sept. 2005.
(13) V. S341/05, 18 octobre 2005.
(14) S352/05, 4 novembre 2005.
(15) SC/8547 AFR/1280, 7 novembre 2005.