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Sénat de Belgique

Annales

JEUDI 17 NOVEMBRE 2005 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Questions orales

Question orale de M. Philippe Mahoux au premier ministre sur «la position de la Belgique sur la directive services lors du Conseil Compétitivité des 28 et 29 novembre» (nº 3-852)

Mme la présidente. - M. Karel De Gucht, ministre des Affaires étrangères, répondra au nom de M. Guy Verhofstadt, premier ministre.

M. Philippe Mahoux (PS). - Je vous remercie, monsieur le ministre des Affaires étrangères, d'être présent pour répondre à une question qui, en fait, est adressée au premier ministre. Mais je présume que vous nous communiquerez le point de vue du gouvernement.

Malgré la très large mobilisation sociale et syndicale dans de nombreux pays européens concernant la proposition de directive relative aux services dans le marché intérieur, celle-ci n'a pas été retirée du circuit institutionnel. Récemment, les 4 et 5 octobre dernier, la commission parlementaire du Marché intérieur devait se prononcer sur le rapport Gebhardt modifiant la proposition de directive. Le vote fut reporté en dernière minute et, en principe, aura lieu les 21 et 22 novembre. Ce report traduit très clairement une radicalisation des positions au sein de certains groupes politiques qui ne semblent pas prêts à prendre en considération les préoccupations de ceux qui, comme nous socialistes, s'inquiètent des dangers d'un dumping social, de la mise en péril des services d'intérêt général ou encore de l'ingérence disproportionnée dans la capacité réglementaire des États membres. Vous savez qu'une large discussion a actuellement lieu ; elle porte sur le rôle des parlements nationaux et sur la subsidiarité. Nous sommes donc en plein dans ce sujet.

L'assemblée plénière du Parlement européen devrait, pour sa part, se prononcer en première lecture au plus tôt en janvier 2006. D'ici là, les représentants des États membres auront l'occasion à leur tour de débattre de la proposition de directive au sein du Conseil Compétitivité, les 28 et 29 novembre prochain.

Par conséquent, pouvez-vous nous faire part de l'évolution des débats sur ce texte à l'échelon européen et nous communiquer l'opinion du gouvernement ? Pouvez-vous par ailleurs nous préciser clairement la position qui sera défendue par notre pays lors de ce Conseil Compétitivité ? Existe-t-il des garanties pour restreindre le champ d'application de la directive, en excluant notamment les services d'intérêt général, et pour la remise en question du principe du pays d'origine dont l'application serait une porte ouverte à un dumping social ? Enfin, pouvez-vous nous dire quels efforts entreprend la Belgique en faveur de l'adoption d'une directive-cadre sur les services d'intérêt général ?

Vous comprendrez que ces questions traduisent les préoccupations des socialistes, je les répète : exclure d'une directive les services d'intérêt général, empêcher le dumping social grâce à la suppression de la clause du pays d'origine, et mettre à l'ordre du jour de la Commission puis de l'ensemble des instances européennes une directive-cadre sur les services d'intérêt général. Il s'agit d'un problème majeur sur le plan politique.

M. Karel De Gucht, ministre des Affaires étrangères. - Les informations que vous venez de citer, monsieur Mahoux, sur la procédure sont tout à fait correctes. Je ne vais donc pas les répéter.

Le parlement européen a différé le vote par la commission aux 21 et 22 novembre prochain. Et la plénière procédera probablement au vote pendant les premiers mois de 2006. Le dossier avance donc.

La présidence britannique a bien travaillé sur la directive par le biais des high-level working groups.

Le 14 novembre, un nouveau document de travail consolidé a été distribué. Il contient les dernières modifications du texte de travail. Pour préparer le Conseil sur la compétitivité, la présidence a distribué un document circonstancié et elle a posé trois questions concernant le champ d'application, le principe du pays d'origine et la protection des travailleurs.

En ce qui concerne la position belge sur la procédure, il est assez difficile de répondre en ce moment par respect des consultations en cours en Belgique. Ainsi ce point sera-t-il, demain, à l'ordre du jour de la réunion du gouvernement flamand, qui prendra position. La semaine prochaine, il est prévu deux réunions de coordination, mardi et jeudi, pour préparer le Conseil sur la compétitivité de vendredi ; dès lors le P11 se rencontrera. Le sujet peut être éventuellement traité par le comité de concertation dans le cas où les groupes intercabinets ne trouveraient pas de terrain d'entente.

Quant au contenu, il est encore plus difficile de répondre à la question de la position belge étant donné que des consultations sont en cours. L'état d'avancement est que la position belge sur le principe du pays d'origine et sur le champ d'application est toujours, pour l'essentiel, la même que celle de 2004, à savoir la position du gouvernement du 11 mars 2004 et celle du kern prise le 25 novembre 2004, après consultation du comité de concertation. Vous en avez évidemment une copie, mais je puis si nécessaire vous l'envoyer. Toutefois, cette position peut encore être modifiée en fonction du résultat des consultations en cours.

Vous demandez une directive sur les services d'intérêts communs, nous répétons régulièrement cette demande au sein des high-level working groups de l'Union européenne. Mais je dois dire qu'en ce moment, la Commission se montre peu enthousiaste.

M. Philippe Mahoux (PS). - Je ne puis pas dire, monsieur le ministre, que votre réponse soit rassurante.

Je pense réellement qu'il se pose un problème majeur : le crédit accordé à l'Europe par nos concitoyens dépend en grande partie du sort qui est réservé à ce type de sujet. Si, pour l'ensemble de nos concitoyens, les textes réglementaires européens aboutissent à la précarisation et à la baisse de la protection sociale et des droits des travailleurs et des travailleuses dans notre pays, il ne faut pas s'étonner que l'enthousiasme pour le projet européen soit pour le moins modéré.

Je tiens à le rappeler. C'est un élément politique important.

J'enregistre néanmoins avec satisfaction que la position du kern sur l'exclusion de la directive de certains services comme l'Éducation, la Culture, l'Audiovisuel, etc. continue à être défendue, et que la clause dite du pays d'origine continue à être combattue.

Je vous interrogeais aussi sur la problématique de l'application du principe de subsidiarité. En se saisissant d'une directive sur les services aussi globale, l'Union n'empiète-t-elle pas de manière significative sur les compétences des États membres ?

Le traité constitutionnel est mort. Pourtant, dans ce projet de traité, il y avait une partie qui rendait aux parlements nationaux le droit de contrôler l'application correcte des critères de subsidiarité et de proportionnalité. Peut-être cette compétence sera-t-elle rediscutée bientôt, par exemple, à la fin de la présidence britannique voire lors de la présidence autrichienne.

Selon le gouvernement, une partie du contenu de la directive est de la prérogative des États membres plutôt que de la commission. Cette position est évidemment importante.

Je suis clairement un fédéraliste européen. Le fédéralisme intègre automatiquement une délégation de compétences, mais celle-ci ne peut aboutir à des aberrations ou à des reculs sur le plan social. C'est donc toute la politique européenne de notre pays qui risque d'être mise à mal si la Commission continue dans le même sens déterminé et si le Conseil la suit.

Même si je n'étais pas très optimiste au départ, ce n'est pas une raison pour ne pas continuer à travailler dans ce domaine. J'intègre bien le scepticisme de nombreux États membres sur la directive relative aux services d'intérêt général, mais nous souhaitons que le gouvernement continue à travailler pour essayer d'obtenir cette directive-cadre.

M. Karel De Gucht, ministre des Affaires étrangères. - On ne peut, à mes yeux, douter de la compétence de l'Union européenne en la matière, puisqu'il s'agit de compléter le marché intérieur, notamment pour les services. Des problèmes d'application du principe de subsidiarité peuvent se poser. Les parlements nationaux ne sont pas nécessaires pour soumettre une telle affaire à la Cour de justice de l'Union européenne, les États membres étant tout à fait habilités à le faire.

Cela dit, il s'agit d'une procédure de codécision entre le Conseil et le parlement - donc adoptée à la majorité, que ce soit au parlement européen ou au Conseil Compétitivité - et, si nécessaire, le Conseil des Affaires générales.

La Belgique défendra son point de vue, mais il faut peut-être se demander si la Belgique ne serait pas davantage en mesure d'exercer une influence si elle avait une position un peu plus ouverte.