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25 MAI 2005
I. INTRODUCTION
La présente proposition de loi a été déposée au Sénat le 20 octobre 2004.
La commission a examiné la proposition au cours de ses réunions des 13 avril et 25 mai 2005.
II. EXPOSÉ INTRODUCTIF DE M. BROTCORNE
L'article 394, CIR 1992, prévoit que pour des personnes mariées soumises à l'impôt, l'Administration fiscale peut poursuivre le recouvrement de l'impôt à charge de l'un ou l'autre des conjoints sans distinction, sans même avoir égard, la plupart du temps, au régime matrimonial qui est le leur. Toutefois, cet article n'est pas le seul. En effet, dans la législation fiscale, on fait régulièrement référence au droit commun qui doit trouver à s'appliquer, sauf si le droit fiscal lui-même y déroge, explicitement ou implicitement.
Si on a pu admettre que l'article 394, CIR 1992, ne s'écarte pas totalement du droit commun, on considère quand même qu'il prévoit des dispositions particulières qui sont applicables à des impôts relatifs aux revenus des conjoints. Cela vise à la fois l'impôt des personnes physiques, le précompte immobilier, l'impôt des non-résidents, mais aussi le précompte professionnel et le précompte mobilier enrôlé au nom de l'un ou l'autre conjoint pendant la période du mariage.
Il est prévu que tous ces impôts peuvent être recouvrés, quelque soit le régime matrimonial, sur tous les biens propres et communs des conjoints. Par conséquent, l'adoption d'un régime matrimonial n'a aucune incidence sur le recouvrement fiscal. De ce fait, l'Administration fiscale peut saisir en principe tous les biens des conjoints pour recouvrer les impôts dus alors que si l'on s'en référait au droit commun, il n'y aurait pas de possibilités aussi étendues qui sont offertes à la partie poursuivante.
Dans le même article 394, CIR 1992, § 1er, l'alinéa 2 détermine les cas dans lesquels les conjoints peuvent soustraire certains de leurs biens propres au recouvrement, à condition qu'ils fournissent la preuve de l'origine de ces biens, mais surtout que cette origine soit non suspecte. En matière d'impôts sur les revenus, la soustraction n'est possible que pour la quotité d'impôt relative aux revenus qui sont propres à l'autre conjoint en vertu du régime matrimonial. Cette possibilité de soustraction n'existe en principe que pour les conjoints mariés sous le régime de la séparation de biens. Seulement, pour ce qui est des cotisations de précompte professionnel et de précompte mobilier établies au nom de l'un des conjoints pendant la période du mariage, la soustraction n'est possible que pour le conjoint non repris au rôle, quel que soit le régime matrimonial.
Depuis de nombreuses années, l'on essaie de remédier à cette situation du conjoint tenu d'acquitter les dettes d'impôts de l'autre. C'est surtout le cas lorsque les conjoints, même s'ils sont toujours mariés, vivent une séparation de fait ou entament une procédure de divorce. Même si la vie commune n'existe plus, le mécanisme de la loi fiscale permet de recouvrer à charge du conjoint, qui n'est peut-être en rien tenu par la dette d'impôt, les dettes de l'autre. On a ainsi évolué en permettant qu'il y a un enrôlement séparé des conjoints séparés de fait. Dorénavant, ceux-ci doivent introduire chacun leur propre déclaration à l'impôt des personnes physiques, de sorte que chacun est responsable de sa cotisation, même si l'enrôlement est encore fait au nom des deux conjoints.
Depuis l'exercice d'imposition 2000, le recouvrement de l'impôt établi sur les revenus d'un conjoint séparé de fait ne peut être poursuivi à charge de l'autre conjoint séparé de fait qu'après l'envoi d'une mise en demeure et l'envoi d'un exemplaire de l'avertissement-extrait de rôle au conjoint qui, au départ, n'avait pas été imposé.
L'article 394, CIR 1992, a aussi modifié sensiblement les possibilités de recouvrement à charge des conjoints. Il ne renvoie plus à la notion de « revenus propres » du droit civil, mais bien à la notion fiscale de « revenus qui, pour l'établissement de l'impôt, sont considérés comme personnellement recueillis ».
La possibilité de soustraction, en matière d'impôts sur les revenus, des biens propres non suspects, n'est plus exclusivement réservée aux conjoints mariés sous le régime de la séparation de biens, mais est ainsi étendue aux conjoints mariés sous d'autres régimes matrimoniaux.
Pour M. Brotcorne, cela constitue une nouvelle avancée. Dorénavant, chaque conjoint, quel que soit le régime matrimonial adopté, peut soustraire au recouvrement de l'impôt relatif aux revenus de l'autre conjoint les biens dont il prouve non seulement qu'ils lui sont propres, mais aussi qu'ils sont d'origine non suspecte.
Pour les cotisations de précompte professionnel et de précompte mobilier qui sont enrôlées au nom de l'un des conjoints et qui ont trait à la période du mariage, la soustraction est également possible par le conjoint non repris au rôle, quel que soit le régime matrimonial. Lorsque les conjoints sont mariés sous le régime de communauté de biens, les revenus des conjoints tombent dans la communauté en vertu de l'article 1405 du Code civil, de sorte que la situation visée à l'article 394, § 1er, alinéa 2, 4º, CIR 1992, à savoir les biens propres acquis au moyen de revenus qui sont propres en vertu du régime matrimonial, n'existe pas.
Afin de protéger encore davantage le conjoint séparé de fait, l'article 57, A), de la loi du 10 août 2001 portant réforme de l'impôt des personnes physiques a inséré un nouveau paragraphe 2 au sein de l'article 394, CIR 1992, instaurant une exception supplémentaire aux possibilités de recouvrement des dettes fiscales dans le chef des conjoints séparés de fait. Dorénavant, l'impôt afférent aux revenus de l'un des conjoints recueillis à partir de la deuxième année civile qui suit celle de la séparation de fait ne pourra plus être recouvré ni sur les revenus de l'autre conjoint, ni sur les biens qui ont été acquis par ce dernier au moyen de ces revenus.
M. Brotcorne propose d'ajouter une nouvelle étape, c'est d'imposer une durée. À partir de la deuxième année civile qui suit celle de la séparation, on ne tombe plus dans l'hypothèse d'un possible recouvrement sur les revenus de l'autre conjoint.
Pour autant qu'il satisfasse à la double condition de l'article 393bis, CIR 1992, le conjoint séparé de fait non imposé reste malgré tout redevable de la dette fiscale établie au nom de son conjoint. Les possibilités de recouvrement sur ses biens restent, en effet, déterminées par l'article 394, § 1er, CIR 1992. Il ne peut dès lors soustraire au recouvrement de tout ou partie de ses biens que s'il peut établir de manière certaine qu'il les possédait avant son mariage, soit qu'ils proviennent d'une succession ou d'une donation faite par une personne autre que son conjoint, soit qu'il les a acquis au moyen de fonds provenant de la réalisation de semblables biens ou qu'il les a acquis au moyen de revenus qui lui sont propres en vertu de son régime patrimonial. C'est cette règle bien établie qui est actuellement en vigueur.
À partir de l'exercice d'imposition 2002, dès la deuxième année civile qui suit la séparation de fait effective et quel que soit le régime matrimonial adopté, le conjoint non imposé peut soustraire à l'emprise du Trésor ses revenus et les biens qu'il a acquis exclusivement au moyen de ses revenus, à quelque date que ce soit.
Selon M. Brotcorne, il y a un pas supplémentaire à franchir dans la mesure où l'administration fiscale estime que cette restriction supplémentaire au recouvrement n'est pas applicable à une catégorie d'impôt qui est le précompte mobilier et professionnel parce que l'article 394, § 2, CIR 1992 fait uniquement mention d'« impôt afférent aux revenus » et non de « précompte ».
Ce fait laisse à penser à certains que les impôts qui sont non afférents aux revenus, mais qui sont en réalité des précomptes, ne feraient pas l'objet de cette possibilité de soustraction. Or, M. Brotcorne pense qu'aucune raison ne justifie une telle différence de traitement en fonction du type de dette fiscale à recouvrer, d'autant plus que cette exception supplémentaire aux possibilités de recouvrement des dettes fiscales dans le chef des conjoints séparés de fait avait été introduite pour protéger justement le conjoint séparé de fait. En outre, cette situation crée de nombreuses difficultés lorsque des époux se séparent à partir du moment où l'administration fiscale croit devoir appliquer à l'égard d'un même conjoint des règles différentes, non seulement selon les exercices d'imposition, mais également selon les types de dettes à recouvrer.
Il se pose donc un vrai problème. La proposition de loi a pour objectif que non seulement l'impôt afférent aux revenus que l'un des conjoints a obtenus, mais également le précompte mobilier et le précompte professionnel enrôlés au nom de l'un des époux, lorsqu'il y a une séparation de fait, ne puissent plus être recouvrés sur les revenus de l'autre conjoint ni sur les biens que celui-ci a acquis au moyen de ces revenus.
M. Brotcorne pense aussi qu'il faut être attentif au fait que dans sa rédaction actuelle, l'article 394, §§ 1er et 2, CIR 1992, n'est pas applicable aux dettes fiscales qui ont trait à des revenus antérieurs ou postérieurs à la période du mariage ainsi qu'aux impôts qui ne sont pas directement liés à des revenus, comme la taxe de circulation. À partir du moment où on ne peut pas invoquer l'article 394 pour le recouvrement de ces taxes qui sont pourtant assimilées aux impôts sur les revenus, il semblerait logique d'appliquer les dispositions du droit commun et notamment certaines dispositions du régime du droit patrimonial primaire des époux.
L'administration fiscale, dans le cadre de l'article 222 du Code civil, si on prend le cas du recouvrement de la taxe de la circulation pour la voiture familiale, adopte une approche un peu particulière. L'article 222 prévoit que les époux sont solidairement tenus des dettes pour autant qu'il s'agisse de dettes qui sont contractées pour les besoins du ménage et l'éducation des enfants. Un arrêt de la Cour de cassation a jugé que la solidarité qu'instaure l'article 222 du Code civil à propos des dettes contractées pour les besoins du ménage suppose nécessairement l'existence d'un ménage. Or, à partir du moment où il y a séparation de fait, la Cour de cassation considère qu'il n'y a plus de ménage et que donc la solidarité ne joue plus. Par conséquent, le recouvrement sur les revenus de l'un ou de l'autre des époux indépendamment de l'origine des revenus ou de la personne qui les a obtenus, ne pourrait plus se faire.
Malgré cet arrêt, l'administration fiscale continue à persister dans une interprétation qui paraît un peu fantaisiste, en considérant qu'il y a toujours solidarité, non plus lorsque l'on a contracté la dette pour les besoins du ménage à cause de cet arrêt, mais en outre du dernier membre de l'article 222 du Code civil qui parle de dette contractées « pour l'éducation des enfants ».
L'administration fiscale va jusqu'à considérer que l'on pourrait encore appliquer l'article 222 du Code civil et donc la solidarité en matière de dette d'impôt. Si on reprend le cas de la taxe de circulation, pour autant que l'on puisse établir que le véhicule concerné sert, par exemple, au transport régulier des enfants du couple, même s'il y a séparation de fait, l'administration fiscale considère qu'elle peut toujours appliquer l'article 222. Pour M. Brotcorne, cela va trop loin.
Pour des raisons qui tiennent à la fois au libellé de l'article 394, CIR 1992, qui parle d'impôt afférent aux revenus et non pas à d'autres formes de revenus comme les précomptes, compte tenu de la manière dont l'administration semble vouloir appliquer à certains cas l'article 222 du Code civil qui parle de solidarité entre époux, même s'il y a séparation de fait, il s'impose d'avoir une vision identique et cohérente pour l'ensemble des impôts, quelle que soit leur nature, dès qu'il y a une séparation de fait.
Cette vision devrait tenir compte des évolutions que le législateur a déjà lui-même voulu à plusieurs reprises. Par conséquent, la proposition de loi à examen envisage de modifier l'article 2 du Code des taxes assimilées aux impôts sur les revenus en vue de mentionner l'article 394 du Code des impôts sur les revenus comme étant applicable à ces taxes et donc de permettre la soustraction dont il est fait état à plusieurs reprises dans les développements.
III. DISCUSSION GÉNÉRALE
Selon le représentant du ministre des Finances, M. Brotcorne a donné un exposé très circonstancié sur les possibilités de recouvrement et les règles particulières de recouvrement qui figurent à l'article 394, CIR 1992. Elles s'inspirent effectivement en partie des dispositions du droit commun, tout en en étendant quelque peu la portée sur certains points et en la limitant sur d'autres. Toujours est-il que l'administration, confrontée aux problèmes liés à la séparation de fait, a estimé qu'il fallait effectivement faire « quelque chose ».
Voilà pourquoi on a prévu dans la loi du 10 août 2001 portant réforme de l'impôt des personnes physiques une mesure relative à la séparation de fait. Cette mesure a sensiblement limité les possibilités de recouvrement, alors que d'un point de vue strictement juridique, le mariage subsiste en dépit de la séparation de fait. Le Code civil ne contient en effet aucune règle sur la séparation de fait.
C'est surtout le fisc qui rencontre des problèmes de recouvrement à l'égard de conjoints séparés de fait. Du point de vue social, on peut difficilement justifier qu'un conjoint séparé de fait puisse avoir à faire face, après plusieurs années de séparation de fait, à des dettes fiscales dont il ne soupçonnait pas l'existence. Le ministre peut dès lors souscrire à la proposition de compléter l'article 394, § 2, en y ajoutant la mention du précompte professionnel et du précompte mobilier. Peu de raisons objectives peuvent en effet s'y opposer.
Cet ajout permettra peut-être d'appliquer plus correctement les règles applicables en cas de séparation de fait. Comme on a choisi, par principe, de limiter les possibilités de recouvrement en cas de séparation de fait, il est logique d'ajouter le précompte professionnel et le précompte mobilier.
Le représentant du ministre fait en outre remarquer que le texte néerlandais pose un problème de légistique si l'on ajoute la mention du précompte professionnel et du précompte mobilier à l'article 394, § 2. Le texte néerlandais actuel s'énonce comme suit: « ...; de belasting op het vanaf het tweede kalenderjaar na de feitelijke scheiding verworven inkomen van één van de echtgenoten ... ». Le membre de phrase « vanaf het tweede kalenderjaar », qui traduit une restriction, doit aussi valoir pour le précompte professionnel et pour le précompte mobilier. Il convient dès lors d'adapter le texte néerlandais de l'article 394, § 2, de manière à faire figurer le membre de phrase « vanaf het tweede kalenderjaar » plus loin dans le texte pour qu'il s'applique aussi bien à l'impôt sur le revenu qu'au précompte professionnel et au précompte mobilier.
En ce qui concerne l'article 3, qui vise à mentionner l'article 394 à l'article 2 du Code des taxes assimilées aux impôts sur les revenus (CTAIR), le représentant du ministre déclare que l'auteur de la proposition de loi a fait remarquer, à juste titre, que l'administration fiscale applique les dispositions du régime matrimonial primaire qui reste d'application en cas de séparation de fait.
Même si l'administration fiscale recourt à un argument juridique subtil pour ce qui est du recouvrement de la taxe de circulation, en déclarant que le véhicule est utilisé dans le cadre de l'éducation des enfants, elle a le droit de recouvrer correctement ce qui a été enrôlé conformément aux règles légales. Les avocats des contribuables recourent tout aussi allègrement à des arguments juridiques saugrenus pour se soustraire aux recouvrements.
L'intervenant estime que l'on gagnerait en sécurité juridique si l'on appliquait, en ce qui concerne la taxe de circulation et les taxes assimilées aux impôts sur les revenus en général, les mêmes principes que ceux qui sont déjà applicables en ce qui concerne les impôts directs sur les revenus. Il n'a donc aucune objection de principe à ce que la mention de l'article 394 soit ajoutée à l'article 2 du CTAIR. Il s'agit en l'occurrence d'un article très ancien qu'il serait bon d'adapter aussi à d'autres égards. Les dispositions en matière de prescription des impositions figurent actuellement dans le CIR 1992 et on n'y fait pas non plus référence en l'occurrence. Il s'ensuit que les articles 443bis et 443ter pourraient aussi être mentionnés à l'article 2 en question. De la sorte, la prescription pourrait aussi être suspendue en cas de réclamation contre une taxe de circulation par exemple. Il en résulterait que le receveur ne serait par exemple plus tenu de signifier un commandement, ce qui requiert une procédure assez onéreuse en comparaison de la taxe à recouvrer.
IV. DISCUSSION DES ARTICLES
Article 1er
Cet article ne donne lieu à aucune observation.
Article 2
M. Brotcorne dépose l'amendement nº 1 (doc. Sénat, nº 3-874/2) qui tend à adapter le texte néerlandais. La commission décide ensuite de mettre le texte français de l'article 394, § 2, proposé, en concordance avec le texte néerlandais, tel qu'il résulte de l'amendement nº 1.
Article 3
Par son amendement nº 2, M. Brotcorne propose de remplacer cet article dans son ensemble. Il souligne que le but visé par l'adjonction de cette disposition est, d'une part, de faire référence explicitement aux règles générales de la prescription, qui sont insérées dans le CIR 1992 depuis la loi-programme du 22 décembre 2003 (article 443bis) et, d'autre part, de rendre aussi la disposition relative à la suspension de la prescription (article 443ter, inséré également dans le CIR 1992 par la même loi-programme) applicable aux taxes assimilées aux impôts sur les revenus.
Le représentant du ministre des Finances fait remarquer que les amendements répondent parfaitement aux objections techniques que l'administration avait formulées à l'égard de la proposition de loi. Le ministre peut par conséquent souscrire sans réserve au texte amendé.
Article 4
M. Brotcorne se demande si l'entrée en vigueur dès l'exercice 2005 peut soulever des problèmes en ce qui concerne la rétroactivité.
Selon le représentant du ministre, l'article 4 tel que formulé ne posera par le moindre problème.
V. VOTES
L'article 1er est adopté à l'unanimité des 10 membres présents.
L'amendement nº 1 à l'article 2 la correction proposée au texte français et l'article ainsi amendé sont adoptés par un vote identique.
L'amendement nº 2 à l'article 3, qui tend à remplacer cet article, est également adopté à l'unanimité des 10 membres présents.
L'article 4 est également adopté à l'unanimité des 10 membres présents.
L'ensemble de la proposition de loi amendée est adopté à l'unanimité des 10 membres présents.
Confiance a été faite au rapporteur pour la rédaction du présent rapport.
Le rapporteur, | Le président, |
Jan STEVERLYNCK. | Jean-Marie DEDECKER. |
Texte adopté par la commission (voir doc. Sénat, nº 3-874/4)